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ANNALES D’HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

tiens dans la Méditerranée, ou les Hanséates dans la mer Baltique et dans la mer du Nord[1]. Par eux, le commerce demeure un facteur essentiel de la vie économique de l’Empire. Il la pénètre si intimement qu’elle a résisté à la catastrophe des invasions.

Si les Germains ont mis fin, en Occident, à la domination politique de l’Empire, ils n’ont pas pu et surtout ils n’ont pas voulu, on le sait aujourd’hui à suffisance, substituer à la civilisation romaine une prétendue civilisation germanique[2]. De l’Empire, ils ont adopté aussitôt la religion et la langue et conservé, dans la mesure du possible, le droit et les institutions. Rien d’étonnant dès lors si l’organisation économique en vigueur dans les provinces où ils s’établirent n’a subi aucun changement appréciable du fait de leur conquête. L’unité méditerranéenne de l’économie antique subsiste après eux comme elle existait auparavant. La Gaule mérovingienne, pour ne parler que d’elle, ne présente à cet égard aucun contraste avec la Gaule romaine. Marseille demeure le grand port par où elle communique avec l’Orient ; des marchands syriens et des marchands juifs sont toujours installés dans ses villes, le papyrus d’Égypte et les épices pénètrent jusque dans l’extrême Nord de la monarchie franque, et le mouvement commercial dépend encore à ce point de celui de l’Empire, que les rois francs conservent le solidus d’or comme instrument d’échange et étalon des valeurs. L’activité des marchands orientaux suscite et entretient autour d’elle celle des marchands indigènes. Dans toutes les villes, ceux-ci sont encore nombreux et l’importance de leur négoce ressort de la richesse à laquelle nous voyons que plus d’un d’entre eux est parvenu[3].

Dès lors, il est impossible de se représenter la classe marchande de l’époque mérovingienne comme composée d’illettrés. S’il en avait été ainsi, les rapports qu’elle entretenait avec l’Orient seraient inconcevables. Tous les renseignements que nous possédons sur les pratiques commerciales de l’époque attestent d’ailleurs qu’elles ne pouvaient se passer de l’écriture. Il suffit pour s’en convaincre, de relever dans les recueils de formules les nombreux contrats qui y sont insérés. Rien n’était plus facile au surplus que d’acquérir dans les

  1. On trouvera la bibliographie relative à cette diaspora syrienne, rassemblée dans F. Cumont, Les religions orientales dans l’Empire romain, 3e édit., ch. V, notes 4 et suiv.
  2. Cf. A. Dopsch, Wirtschaftliche und soziale Grundlagen der Europäischen Kulturentwicklung, Vienne, 2 vol., 1918. Au fond, M. Dopsch en revient, encore que par un chemin différent, à la thèse de Fustel de Coulanges en ce qu’elle a d’essentiel. Pas plus que lui, il n’admet que l’invasion germanique ait radicalement changé l’ordre des choses existant à la fin de l’Empire romain.
  3. Je suis obligé de renvoyer provisoirement le lecteur aux quelques travaux où j’ai donné, en attendant une étude plus approfondie, les motifs qui me portent à considérer l’économie des royaumes de l’Europe Occidentale avant l’invasion musulmane, comme la continuation de l’économie de l’Empire romain. Voir là-dessus mes articles : Mahomet et Charlemagne (Revue belge de philologie et d’histoire, t. I) et Un contraste économique, Mérovingiens et Carolingiens (Ibid., t. II), ainsi que mon livre Les villes du moyen âge, p. 11 et suiv.