Mon voyage aventureux en Russie communiste/04

CHAPITRE IV

Que faire ?


« Nous avons subi sur le front économique une défaite supérieure à celles qui nous ont été infligées jusqu’ici sur les fronts militaires de Denikine et de Wrangel », a dit Lénine il y a quelques mois.

Cette défaite, avec en plus l’horrible famine des régions de la Volga a porté le découragement dans l’âme des prolétaires. La bourgeoisie s’est ressaisie et elle reprend partout son offensive réactionnaire.

Le découragement n’est heureusement qu’un état transitoire les masses se ressaisiront elles aussi. Rien n’est éternel en ce monde : rien n’est même stable, ainsi que Einstein l’a démontré. L’esclavage a eu sa fin ; la société féodale aussi ; l’état bourgeois aura la sienne.

Cette fin du régime bourgeois, c’est au prolétariat de la hâter ; il le fera en étudiant la révolution russe et en profitant de ses fautes.

Les révolutions politiques ne touchent que superficiellement les masses ; la résistance de celles-ci est donc faible relativement.

Qu’importe au paysan dans sa chaumière, à l’ouvrier des villes dans son pauvre logement que le palais du Gouvernement ait changé de propriétaire !

À vrai dire les changements de régime politique lorsqu’ils sont un peu profonds ne sont pas sans atteindre les masses. La grande Révolution Française alla jusqu’au village pour arracher le paysan à ses pratiques religieuses : de là le soulèvement de la Vendée.

Mais bien autrement profonde que notre première révolution est la Révolution russe. Essentiellement économique et sociale, elle ne prétendit à rien moins qu’à bouleverser de fond en comble la vie de chacun en modifiant le système de propriété.

Les hommes de notre grande Révolution n’avaient pour tout bagage que des idées générales assez vagues. Pénétrés de Rousseau et des encyclopédistes ils voulaient avant tout renverser la monarchie et établir une république renouvelée de l’antiquité classique. Les événements se succédèrent et ils furent portés par eux beaucoup plus qu’ils ne les dirigèrent : ils faisaient, comme nous dirions aujourd’hui, de la politique au jour le jour. Il faut arriver jusqu’à Robespierre pour trouver des idées vraiment sociales : instruction égale pour tous, suppression de l’héritage, etc.

La bourgeoisie déjà nantie comprit le danger ; on abusa le peuple, on lui fit voir en Robespierre un tyran ; comme on le fait aujourd’hui pour Lénine. Le peuple ignorant et veule laissa tuer celui qui voulait son bonheur et les idées de Robespierre se trouvent être encore, cent vingt-huit ans après sa mort, trop avancées pour notre époque.

Les bolchevistes savaient ce qu’ils voulaient, leurs chefs avaient passé toute leur jeunesse dans l’opposition révolutionnaire, dans les conspirations ; ils avaient fait une étude approfondie de l’œuvre de Karl Marx, qu’ils connaissent, pour ainsi dire, par cœur. Une fois au pouvoir, ils résolurent d’appliquer le communisme dont ils étaient pénétrés.

Ces chefs n’avaient autour d’eux que quelques milliers de personnes, plus ou moins instruites dans leur doctrine. Derrière était la grande masse qui ne sait rien et avait fait la révolution, comme la masse les fait toutes, poussée par la misère.

Les scandales de Raspoutine avaient discrédité le tsarisme ; la guerre était venue et s’était prolongée dans des conditions affreuses. Les soldats, las de se battre, abandonnèrent le front ; la Révolution éclata et les événements se succédèrent comme on sait.

Les paysans, certains paysans plutôt, en profitèrent pour s’approprier les terres des grands propriétaires. Ceux qui vinrent dans les villes pillèrent les maisons bourgeoises et emportèrent dans leurs isbas jusqu’à des pianos, dont ils ne savent pas jouer. Les ouvriers organisèrent des soviets d’usine, les techniciens avaient fui et ceux qui restaient s’étaient vu enlever la direction du travail.

C’est très beau de faire la Révolution, cependant, après comme avant, il faut produire, c’est-à-dire travailler. L’instinct social ne fut pas assez fort pour remplacer l’autorité patronale, on n’aboutit qu’à un chaos effroyable. Les gouvernants durent faire machine en arrière et remplacer le communisme par le socialisme d’État.

Cela ne marcha pas mieux ; la bureaucratie, déjà nombreuse, tracassière et corrompue sous l’ancien régime, s’accrut dans des proportions inouïes. C’est elle qui est, aujourd’hui, la classe dominante.

Le ressentiment universel des paysans contre les ouvriers des villes est plus fort en Russie que partout ailleurs. Le moujik considère l’ouvrier des villes comme un paresseux qui passe sa vie dans le plaisir. Et on voulait le faire nourrir ce parasite, il s’y refusa absolument.

Il aurait fallu, continuant la société capitaliste, lui acheter ses produits ; mais on n’avait qu’un papier monnaie déprécié, dont il ne voulait pas. Si encore on n’avait pu échanger contre ses produits agricoles des objets manufacturés, mais on n’avait rien à lui donner. L’industrie, déjà ruinée par la guerre, était réduite à rien par le blocus et la désorganisation générale.

Les villes, ne pouvant pas mourir de faim, on employa la réquisition armée, qui n’alla pas sans brutalité. Les paysans résistèrent, le sang coula, amenant la haine du régime qui s’était donné pour but de les affranchir.

Et cette haine n’était pas partout injustifiée. Le bolchevisme avait ses Euloge, Schneider, tyranneaux de district, dont la conduite abominable déshonorait la Révolution[1].

Lénine décida de sévir ; on fusilla impitoyablement quelques-uns de ces fonctionnaires prévaricateurs. Malheureusement, on ne peut supprimer toutes les canailles et, en révolution, la mentalité des hommes est à tel point bouleversée qu’on semble ne pas attacher de prix à la vie ; la mort, elle-même, ne fait plus peur.

Les paysans furieux, stupidement entêtés, résolurent de ne produire que tout juste pour leurs besoins personnels. Une vague de sécheresse passa sur la région de la Volga, comme les gens n’avaient plus de réserves, il s’ensuivit une famine épouvantable qui fit des victimes par millions.

Et le pays, harcelé à l’extérieur par les armées de l’Entente, était plein d’ennemis à l’intérieur. La contre-révolution grondait dans toutes les maisons.

Anciens bourgeois réduits à la misère, comme la dame dont nous parlons dans notre récit, techniciens, professeurs, etc., toute la classe moyenne, malmenée par l’effet d’un ouvriérisme grossier, ils considèrent la Révolution comme un vent de folie qui passe sur le pays ; ils en appellent de tous leurs vœux la fin et chacun la hâte en apportant dans sa petite sphère son concours à la désorganisation générale.

Et, ajoutez à tout cela l’âme russe, pleine de bonnes qualités, éprise d’idéal, mais plus rêveuse qu’active (Nitchevo). Que faire ?

Avant d’aller en Russie, j’avais lu de Lénine « Les problèmes du pouvoir des Soviets », il signalait en partie ces difficultés et semblait les envisager d’un cœur léger ; sans doute, voulait-il inspirer du courage aux masses.

Cette légèreté d’âme n’est probablement qu’apparente, les problèmes sont terriblement angoissants, mais que faire, que faire ?

Se déclarer vaincu, abandonner le pouvoir. Tant pis pour les paysans, pour les ouvriers qui n’ont pas voulu voir plus loin que leur petit égoïsme de bête humaine. Un monarque reviendra qui ramènera les nobles, les patrons. Le peuple reprendra le collier des servitudes, il croupira à l’aise dans l’ignorance, il se vautrera dans l’alcool. Son souverain de temps en temps suscitera des guerres où il le fera tuer par millions. Autour de l’esclave habillé en soldat la mort tombera, et l’homme abruti en appellera au ciel de sa misère effroyable. Tant pis, tant pis peuple stupide, meurs puisque tu l’as voulu !

Peut-être de semblables pensées de désespérance hantaient-elles le cerveau de Robespierre quand couché sur une table à l’Hôtel de Ville, la mâchoire fracassée, il attendait la mort. On raconte qu’un passant pris de pitié rattacha le bas de l’illustre vaincu et que Robespierre lui dit : Merci Monsieur, monsieur et non plus citoyen puisqu’il emportait la Révolution dans la tombe.

Les chefs de la Révolution Russe n’en sont pas là. Ils ont éprouvé bien des échecs, mais ils vivent, ils gardent le pouvoir et c’est déjà quelque chose.

Comparable à bien des égards au Robespierrisme, la Révolution russe, a ses girondins et ses hébertistes ; la droite et la gauche qui ne lui ménagent pas leurs critiques.

La droite dont le plus célèbre porte parole est Kautsky[2], lui reproche tout d’abord d’avoir usurpé le pouvoir et de le garder par la force. Il fallait, dit Kautsky, faire des élections pour une assemblée constituante qui aurait décidé de la forme du Gouvernement.

Trotsky répond que la démocratie est une fiction juridique.

Si la population était d’un niveau intellectuel relevé on pourrait dire que le suffrage universel, quand il est honnêtement pratiqué, est l’expression de la volonté générale. En réalité il n’en est jamais ainsi en aucun pays du monde. D’abord le plus souvent il y a fraude dans les élections et moins le pays est avancé plus la fraude s’y étale sans scrupules. Le Gouvernement fait pression ; il emploie la menace, l’intimidation, la force même pour obliger le peuple à voter pour lui.

En Russie la masse est moins consciente que dans tout le reste de l’Europe. Illettrés, à demi sauvages, l’esprit enténébré des superstitions les plus grossières, les moujicks n’ont aucune idée de ce que peut être la grande société non plus que de leurs devoirs envers elle.

Ils ont arrondi leurs propriétés au dépens du seigneur du lieu ; à leurs yeux toute la révolution est là et ils la considèrent comme terminée.

Les élections avec la liberté laissée à tous les partis ramèneraient au milieu de troubles profonds la monarchie ; peut-être une république bourgeoise et réactionnaire. Tous les efforts faits pour élever le niveau intellectuel du peuple seraient abandonnés de suite.

La bourgeoisie redeviendrait classe dominante et elle serait bien autrement dangereuse que la bureaucratie d’aujourd’hui. L’effort pour la république égalitaire serait perdu ; qui sait pour combien de temps ?

Un autre gros grief de la droite est le terrorisme. Kautsky est opposé à la terreur comme moyen de gouvernement. Il dit que la terreur dessert la révolution au lieu de la servir en suscitant l’indignation des masses contre les gouvernants qui ordonnent la mort de leurs adversaires.

Trotsky répond que la terreur est inévitable. Dans le style ironique des bolchevistes, et des marxistes en général, il demande à Kautsky s’il croit que l’impératif catégorique de Kant puisse suffire à réduire les contre-révolutionnaires. La révolution est une guerre comme les guerres entre nations ; elle tue comme la guerre. Il faut briser la volonté de l’ennemi et on ne la brise que par la mort car la prison et la déportation ne font pas assez peur. Ce n’est pas en effet celui que l’on frappe qu’il s’agit de terroriser mais les autres ; en tuant quelques hommes, dit Trotsky, on en effraie des milliers et la crainte qu’ils éprouvent les empêche de nuire.

Un argument très en faveur contre le terrorisme est qu’il faut être convaincu d’avoir raison pour sacrifier au succès de ses idées des vies humaines.

Évidemment il faut être convaincu ; mais s’il n’y avait pas de temps à autre des personnes convaincues, jamais aucun progrès ne se ferait. Cet argument est la marque d’une paresse d’intelligence et de volonté qui n’est que trop répandue. On n’a que des demi-convictions ; on y tient peu, toute la vie est prise par le souci d’intérêts égoïstes, c’est pourquoi l’évolution sociale est si lente.

Évidemment il est toujours déplorable de sacrifier des hommes. Je crois que les Russes, s’ils l’avaient voulu, auraient pu par exemple déporter en Sibérie les contre-révolutionnaires ; mais il faut remarquer que l’objectif de Trotsky n’aurait pas été atteint, effrayer ; il s’agit avant tout d’effrayer et les ennemis du communisme ne l’auraient pas été suffisamment par l’envoi en Sibérie de quelques-uns de leurs camarades.

La dictature politique a le tort de léser la liberté de penser ; elle paralyse les cerveaux par la peur. Si bien intentionnés puissent être des gouvernants, il est nécessaire qu’ils soient critiqués, la critique est un stimulant sans lequel l’esprit est tenté de s’endormir.

Mais dans un bouleversement tel que celui de la Russie à l’heure actuelle, la dictature est indispensable. La liberté politique donnerait l’essor à tous les timorés, à tous les esprits empêtrés de préjugés, l’œuvre des bolcheviks ne pourrait pas s’accomplir. Avant de desserrer l’étau dictatorial il faut que le nouvel ordre des choses ait acquis une solidité suffisante pour que le retour au passé ne soit plus possible.

Les Hébertistes du bolchevisme sont représentés par le communisme de gauche et l’anarchisme. Un des chefs écoutés du communisme de gauche Mme Kollontaï, dit que les gouvernants bolchevistes n’ont pas assez fait confiance à la classe ouvrière. Le régime, dit-elle, n’est prolétarien que de nom : les ouvriers n’ont jamais été aussi malheureux ; les chefs du Gouvernement s’appuient en réalité sur la nouvelle classe dominante, la bureaucratie communiste qui renferme dans son sein quantité d’anciens bourgeois.

Les anarchistes vont plus loin encore. D’après eux, il fallait décentraliser, confier aux syndicats et aux coopératives la production et la répartition ; supprimer tout gouvernement n’avoir ni armée, ni police.

Mme Kollontaï a probablement raison en bien des points ; quant aux anarchistes, leurs opinions ne supportent pas la pratique ; elles reposent sur une conception erronée de l’esprit humain ainsi que sur une compréhension simpliste des rapports sociaux.

Tels qu’ils sont les bolchevistes ont été trouvés cependant trop avancés pour la bourgeoisie mondiale puisqu’elle leur a fait une guerre acharnée. Sans l’armée que les éléments de gauche leur reprochent si âprement il y a longtemps qu’ils ne seraient plus. Grâce à leur armée relativement forte ils ont tout récemment pu contracter une alliance avec l’Allemagne qui leur permet de tenir tête au monde capitaliste :

Mais le régime de la Russie ne sera pas le communisme tel qu’on le comprenait aux premiers jours. Dans quelle mesure faut-il le regretter ?

Lénine appelle avec juste raison la société présente l’« anarchie capitaliste ». C’est l’anarchie en effet, puisque la société ne s’occupe pas de l’individu dont la destinée est livrée au hasard.

Le nombre des forces perdues dans notre ordre social est considérable. Les grandes intelligences des génies même, sont étouffés et les situations supérieures, où ils auraient pu rendre des services, sont occupées sur des médiocrités qui n’ont eu d’autre mérite que le hasard d’une naissance heureuse.

Mais il y aurait grand péril à remplacer le désordre capitaliste par un communisme trop ordonné. Pris dans l’engrenage social depuis sa naissance jusqu’à sa mort, l’individu jouirait du bienfait de la sécurité matérielle, mais l’initiative serait tuée en lui. Le grand danger du communisme c’est le « grégarisme » ; l’esprit de troupeau mortel à la formation des individualités supérieures indispensables au progrès social.

Un autre danger du communisme intégral, c’est l’exagération de l’esprit égalitaire. C’est une grande erreur de vouloir que l’intellectuel capable des grands travaux de direction technique ou de pensée soit assimilé dans sa condition sociale et morale au manuel capable seulement de quelques gestes très simples et toujours les mêmes. L’intelligence, l’énergie, l’effort, la persévérance doivent être encouragés, autrement elles disparaîtront. Il est possible que dans un avenir lointain, l’instinct social acquière un développement tel que chacun sans aucun espoir d’un traitement de faveur soit porté à faire tout son possible pour la société. Mais ce serait une lourde faute de vouloir dès maintenant, avec une psychologie formée par la société présente, se conduire comme si le dévouement était passé à l’état d’un réflexe. Un seul critère suffit à mon avis à déterminer l’importance respective du manuel et de l’intellectuel. L’intellectuel peut, avec un petit effort d’adaptation, se faire manuel, le manuel ne peut pas remplir les fonctions de l’intellectuel.

La justice doit consister à établir l’égalité au point de départ de la vie. Instruction égale pour tous, possibilité pour chacun de s’élever aussi haut que ses facultés intellectuelles et son travail persévérant le lui permettront.

Mais bien entendu les inégalités nécessaires ne doivent pas être par trop grandes. Même au dernier échelon social, le manœuvre doit avoir une vie acceptable, des heures de travail réduites, un salaire suffisant pour permettre un logement spacieux et sain, une nourriture suffisante, des vêtements confortables ; et même une culture intellectuelle relativement élevée.

Ce dernier vœu peut à première vue paraître utopique, puisque en l’occurrence ces « manœuvres » seraient pris parmi les moins intelligents. En réalité, lorsque la société aura organisé sérieusement l’éducation, les moins intelligents recevront quand même une certaine culture. Les enfants d’intelligence inférieure, dans la bourgeoisie actuelle, arrivent, grâce aux efforts de leurs parents, à une culture convenable. Ce que font aujourd’hui les familles riches pour leurs enfants disgraciés, la Société devra le faire.

Le système du paioc ne m’a pas paru donner de bons résultats : il est trop rigide et quand la répartition est mal organisée, il y a des effets désastreux.

Rien ne peut remplacer la monnaie. Avec l’argent l’individu est libre de vivre à sa guise, il dépense pour ce qui lui plaît, se restreint pour ce qui lui plaît moins.

L’argent a le grave défaut de conduire à la thésaurisation et au capitalisme. Mais cet inconvénient peut être facilement enrayé en adoptant par exemple comme unité monétaire l’heure de travail représentée par un tiket qui deviendrait périmé au bout de X années ; de cette façon, l’édification des fortunes serait impossible ; les heures de travail non dépensées feraient retour à la collectivité.

Le bolchevisme a presque supprimé le mariage. S’il persiste dans son idéologie originelle, ce sera la Société qui remplacera la famille dans la protection de l’enfant[3].

Cette éventualité a effrayé bien des esprits, dans notre France routinière. On n’a pas compris que le bolchevisme ne forcera pas les gens qui veulent conserver leurs enfants à les confier à la Société. L’éducation deviendra nationale à la longue et par la force des choses. Le lien du mariage rendu très fragile, l’homme se libérera le premier et la mère à la longue finira par apprécier à son tour les bienfaits de la vie libre.

Dans le prétendu bonheur familial, il y a plus de convention que de réalité. Souvent les époux vieillis dans le mariage, non seulement ne s’aiment pas, mais se haïssent, c’est l’effet du tête à tête constant. Dans la Société communiste, la sociabilité remplacera la famille ; chacun aura son cercle d’amis ; des groupes se formeront pour la conversation, la musique, les voyages. Et il est permis de croire que l’existence sera plus agréable au sein de camarades de choix, que dans le cercle familial imposé où souvent, on n’a rien de commun que le nom.

La libération de la femme n’est pas complète dans la Russie révolutionnaire. Les hommes, pénétrés des préjugés millénaires tiennent le sexe féminin pour inférieur, et les femmes, en vertu du même préjugé, pensent qu’en effet, elles ne valent pas les hommes.

Mais l’égalité est dans la loi ; c’est déjà quelque chose ; la suppression du mariage, l’obligation du travail libérant la femme des chaînes familiales, fera le reste.

Peu à peu, des supériorités féminines se feront jour ; des femmes rendront de grands services et s’élèveront très haut dans la Société. Pendant longtemps, le nombre des personnalités féminines sera restreint, mais peu à peu, il s’élèvera avec la conscience que les femmes prendront de leur valeur.

Quelques années avant sa mort, Lafargue aurait dit, paraît-il : « Pourvu que la révolution ne commence pas par la Russie ! »

C’est par la Russie qu’elle a commencé. L’expérience du peuple russe servira au monde entier. En dépit de ses erreurs, de ses fautes même, le devoir de tous les esprits éclairés est de lui faire confiance, de l’aider même dans la mesure de leurs moyens.

Que restera-t-il du communisme russe, l’avenir seul peut nous l’apprendre. Mais pour une personne vraiment pénétrée du désir de justice sociale, le devoir n’est pas douteux. Il y a, à l’Est de l’Europe un pays qui pour réaliser cette justice s’est attiré la haine des privilégiés du monde entier ; il faut le soutenir, et de tout notre pouvoir.

  1. Lénine. — Le bolchevisme et les paysans.
  2. Kautsky : Terrorisme et communisme.

    Trotsky : Terrorisme et communisme.

  3. Voir Mme Kollontaï, La famille et l’État communiste.