Revue L’Oiseau bleu (p. 134-141).

DE ROME À MONTRÉAL



Du 25 mai au 16 juillet.

25 mai. — On l’appelle la Ville Éternelle. À son importance comme capitale de l’empire romain, succède son importance comme capitale du monde chrétien. On peut passer des semaines entières à visiter ses ruines, ses catacombes, ses édifices religieux et profanes, ses musées d’art et le Vatican, palais du pape Rome et ses environs sont peuplés d’une multitude de souvenirs qui incitent les hommes cultivés à faire les réflexions les plus salutaires sur les choses de ce monde.

26 mai. — Jour inoubliable, jour trois fois heureux : nous venons d’être reçus en audience par N. S. Père le pape. Là, dans un des salons du Vatican, S S. Benoît XV nous a dit qu’il aime les Canadiens français et qu’il prie pour nous tous.

Tout près de la demeure du pape, il y a la basilique de Saint-Pierre. Elle est si vaste qu’une armée entière peut y trouver place. Cet édifice, le plus grand, le plus imposant et le plus riche du monde, a été commencé dès le premier siècle de notre ère et ne fut terminé qu’au XIVe siècle, par Michel-Ange. Il recouvre le cirque où Néron, l’un des derniers empereurs romains, fit mettre à mort tant de chrétiens, il y a près de dix-neuf cents ans. C’est Néron que Racine a flétri par ces deux beaux vers :

Aux plus cruels tyrans une cruelle injure
Et ton nom paraîtra, dans la race future.

De la coupole de Saint-Pierre on aperçoit plusieurs églises et les sept collines sur lesquelles était bâtie l’ancienne Rome. Ces basiliques, ces musées, ces palais renferment des toiles, des sculptures que nous devons aux maîtres de l’art, à une époque où le génie et le talent étaient à leur apogée en Italie. Ce sont particulièrement les œuvres maîtresses de Michel-Ange, de Raphaël, de Canova.

29 mai. — En route pour Florence. Nous traversons des campagnes presque désertes, cultivées cependant avec assez d’art. Ici et là, on aperçoit des villas. Mais la population se presse, heureuse et intelligente, dans la riche vallée du Pô.

2 juin. — Ô Venise, ville d’enchantement où les étrangers qui ont de l’or à dépenser peuvent être servis à souhait. Venise fut jadis une république faisant du commerce avec les pays d’Orient. Elle y trouva la fortune et la puissance. Parce qu’elle avait épousé la mer, chaque année, le doge, chef de cette minuscule république, jetait, parmi des réjouissances publiques, un anneau dans l’Adriatique. La ville est bâtie non loin de la côte, sur plusieurs petites îles basses. Si on excepte les places publiques, en face des églises et des palais, il n’y a pas de rues ; ou plutôt les rues sont des canaux que l’on parcourt sur de gracieuses et légères embarcations : des gondoles.

5 juin. — Milan, Gênes, Pise, villes de petite industrie, peuplées de gens raffinés, que les touristes aiment à fréquenter. Mais quelle différence entre le Napolitain et le Milanais ! Les populations du nord de l’Italie sont laborieuses et leur agriculture savante.

7 juin. — Gagnerons-nous Paris par Marseille ou par la Suisse ? Ce sera par celle-ci, en empruntant la route du Simplon.

8 juin. — En chemin de fer, nous gravissons le massif des Alpes. Le climat et la végétation changent rapidement, tandis que nous côtoyons des vallées couvertes de bois sombre, des pâturages et, plus haut encore, des glaciers que couronnent des champs de neige, percés seulement par des aiguilles de roche. Là sévissent des tempêtes presqu’en toute saison. Enfin, à une altitude de 6600 pieds, s’ouvre un tunnel qui perce la montagne sur une longueur de plus de quatre milles ; c’est le Simplon, qui débouche sur le plateau de la Suisse. Demain matin, nous serons à Berne, capitale de la république helvétique. Pays très accidenté et de hauts plateaux, la Suisse est le pays des pâturages, des laitages, de l’horlogerie, du tourisme et de diverses petites industries qu’alimentent des chutes d’eau engendrées par les glaciers. À ces sources d’activité, la Suisse ajoute le pittoresque de ses montagnes qui lui amène chaque été une multitude de touristes.

9 juin. — À Berne. Un peu de repos avant d’entrer à Paris, par la route de Besançon.

10 juin. — Il n’y a pas de grande ville, en France, hors Paris, capitale de la France et de l’intelligence, ainsi que M. Lebrun se plaît à le dire. Il est, certes, difficile d’affirmer quelle est au juste la plus belle d’entre les villes du monde, vu que les jugements peuvent varier avec ceux qui les prononcent. Ce qui laisse moins de doute, c’est que Paris, avec ses cinq millions d’habitants aux mœurs agréables, Paris construit avec tant de goût, est un foyer de haute culture dans les arts et les sciences, et qu’on y trouve les savants les plus distingués, dont les découvertes ont été les plus précieuses. Mes compagnons de voyage ont suivi quelques leçons aux divers cours qui se donnent à l’institut Catholique, à la Sorbonne et dans d’autres écoles fameuses.

13 juin. — Certaines lettres, qui nous attendaient au Commissariat canadien, vont hâter notre retour. Ces messieurs éprouvent le « mal du pays »… Cependant, notre séjour va se prolonger d’une semaine. Je vais la passer dans la famille de M. L., qui demeure à Versailles, dans la banlieue parisienne.

21 juin. — Quoi de plus agréable que l’hospitalité française ?

M. Séverin a visité Mortagne-en-Perche. M. Bernard s’en est allé à Tours, et M. Lebrun à Rouen. Ils ont voulu visiter le « pays » de leurs ancêtres. Les impressions qu’ils en rapportent sont que la France est une terre privilégiée, où l’on fait volontiers des pèlerinages de bonté, de fidélité, et que c’est « le plus beau royaume après celui du Ciel ».

24 juin. — Calais, ville riche de souvenirs historiques. Demain, nous passerons en Angleterre. Nous fêtons la Saint-Jean-Baptiste en causant de la France, patrie de nos aïeux. On y trouve une grande variété de régions, des genres de vie, des productions naturelles, des caractères nationaux, voire des langues différentes ; et cependant le patriotisme est fort, puissant ; il se montre admirablement varié dans une inviolable unité.

Résultat du travail de l’homme, l’aspect de la terre de France s’est embelli. Des hameaux, des villages, des villes s’élèvent dans les plaines, le long des vallées, au pied des petites chaînes de montagnes. Des routes, des canaux et des chemins de fer portent partout le mouvement, la vie, sans cependant l’entasser et la rendre odieuse. Des monuments superbes, dus à des âges divers, embellissent les cités, décorent les paysages, en donnant une haute idée du pays et de la nation.

Je veux travailler à faire de mon pays une terre accueillante, où il fera bon de vivre.

26 juin. — Sans rien voir de la Belgique ni de l’Allemagne, nous voici en Angleterre, à York. Avec sa vénérable cathédrale gothique, ses ponts de pierre, sa tour romaine, York est le type des villes de la vieille Angleterre, de celle dont parle l’histoire. C’est un lieu de calme, bien différent des villes actives et bruyantes de l’Angleterre industrielle.

27 juin. — L’abbaye de Westminster, la cathédrale de Saint-Paul (réduction à la moitié de Saint-Pierre de Rome), le parlement, l’antique tour de Londres, le palais royal de Saint James, les ponts de la Tamise, des banques, des magasins et de quoi loger huit millions d’êtres humains, sous un ciel de presque toujours voilé de nuages et de fumée, tel est Londres. Les docks et les entrepôts du commerce se développent de chaque côté du fleuve. Les navires mettent cette métropole de la terre en communication avec les pays les plus reculés du globe. Ils apportent de la nourriture aux huit millions de bouches de la cité, ainsi que les matières brutes qui alimentent ses ateliers ; ils en sortent ensuite pour porter au loin les produits manufacturés les plus divers.

2 juillet. — Tout le centre et le nord de l’Angleterre sont comme couverts de villes manufactarières. La plupart d’entre elles se sont spécialisées dans certaines industries. Ici, à Manchester. il y a un canal qui met la région industrielle — « l’Angleterre noire » — en communication avec le port de Liverpool.

4 juillet. — À bord d’un navire du Pacifique Canadien, devant Liverpool.

5 juillet. — Notre adieu à l’Europe lorsque nous passons en vue de la côte d’Irlande. Pauvre pays, qui se débat depuis tant de siècles, sous l’étreinte meurtrière des landlords anglais !

8 juillet. — En plein Gulf-Stream. Le ciel est brumeux, mais le vent tiède. On puise de l’eau pour en constater la température. Mer clémente, ce qui ne se voit pas toujours en hiver, particulièrement. Cet après-midi, nous apercevons quelques icebergs, les dernières de l’été ; le Gulf-Stream en aura bientôt raison.

14 juillet. — À l’aurore, nous distinguons une côte à peine verdoyante, aux rochers escarpés. Terre ! dis-je. C’est le Labrador, que le détroit de Belle-Isle sépare de Terre-Neuve. Demain, nous serons en plein estuaire du Saint-Laurent.

15 juillet. — Patrie ! Patrie ! La joie de la revoir, me fait délaisser mon carnet de voyage. On n’y voit plus de notes. Certes, je me rappelle parfaitement les bords du fleuve, pleins de grandeur, le profil imposant du rocher de Québec et de la cité de Champlain, l’aspect accueillant des villages, échelonnés sur ses rives. Nous ne nous lassons pas de les admirer. Mais le bonheur du retour couvre tout cela !

Le 16 juillet, nous trouve à Montréal. Nous rendons grâces à Dieu de ce qu’il nous a ramenés, sains et saufs à nos parents et à nos amis, que nous retrouvons en bonne santé.

Nous nous étonnons mutuellement d’avoir grandi. Je complimente mes compagnons de classe de n’avoir pas interrompu leurs études, d’être restés en contact avec la patrie, tandis qu’ils m’expriment leur regret de n’avoir pu me suivre dans ce voyage autour du monde.

Philéas LACHANCE.