Revue L’Oiseau bleu (p. 126-132).

EN TERRE SAINTE



Du 27 avril au 22 mai.

27 avril. — Chaque jour, depuis que nous cheminons vers la Syrie, nous rencontrons des ruines, quelques-unes sont considérables ; elles rappellent des cités disparues. Des pasteurs en font parfois leur lieu de rendez-vous et des caravanes y font halte pour la nuit.

29 avril. — Dans nos courses quotidiennes nous rencontrons des points d’eau, qui sont généralement un simple puits. Dans les pays d’Orient où l’eau est rare, les puits sont parfois très éloignés les uns des autres ; alors, ils orientent le voyageur.

Depuis que nous avons quitté l’Inde, les forêts sont presque totalement absentes : les arbres isolés ne se voient qu’aux bords des rivières, autour des oasis. Le climat compte certes, pour beaucoup dans cette misère de la végétation.

mais il y a aussi l’intervention de l’homme. En Asie mineure, on a la coutume de mettre le feu aux forêts pour augmenter les pâturages, ce qui est plutôt absurde, puisque le bois manque et que les pâturages sont moins rares que le bois. À ce propos, M. Bernard rappelle ce passage de l’Itinéraire de Chateaubriand qui est, paraît-il, un bien beau livre : « Il y croîtrait des chênes, des térébinthes, si les Turcs laissaient croître quelque chose ; mais ils mettent le feu aux jeunes plantes et mutilent les gros arbres ».

3 mai. — Nous croisons une caravane de pèlerins. Ils se dirigent vers la Mecque. Ce sont des musulmans, fameux par leur fanatisme. Plus d’une fois, en ces pays tenus dans la terreur par le fanatisme religieux, on a fait massacrer les chrétiens. Comme je m’informais de ce qu’est l’Islamisme, papa m’a dit que c’est une religion fondée par Mahomet. Cet homme naquit vers 570 après Jésus-Christ, à une époque où les Grecs, les Bizantins et les Perses se disputaient l’influence en Orient ; il y avait aussi les Juifs qui jouissaient d’une certaine puissance à Médine et à la Mecque, villes d’Arabie, au bord du désert. À l’âge de quarante ans Mahomet commence à parler de la « mission » qu’il a reçue d’Allah et des inspirations qu’Allah lui envoie par l’archange Gabriel. Il veut restaurer la religion d’Abraham et il attaque pour cela le culte idolâtrique du peuple arabe. Il convertit à sa cause des princesses païennes et un puissant chef arabe, Omar, qui se met à son école. Mais celui-ci fait bientôt schisme et se sépare du Prophète. Dès lors, Mahomet rêve d’une action politique aussi bien que religieuse. Mais il est obligé de fuir : c’est l’hégire. Comme les ressources lui manque pour se défendre et étendre son action, il pille les pèlerins et les marchands, accumule les perfidies et va jusqu’à se servir de la persécution : « Crois ou meurs ! » devient le terrifiant mot d’ordre de tous ses partisans. Les Juifs le combattent et il les défait. Désormais, en priant, c’est vers la Mecque et non vers Jérusalem qu’on se tournera. Et c’est ainsi que naissent les fausses religions. Mahomet meurt à 63 ans. Le Coran, livre où sont rapportées ses doctrines, dit que les méchants rôtiront et que les bons, c’est-à-dire les seuls musulmans, auront un paradis où il y a des rivières de lait et de miel.

6 mai. — Nous avons devant nous la mer Morte. Elle gît tout au fond d’une vallée rocailleuse, assoiffée, qui a été durement secouée par les tremblements de terre et les volcans. Son eau est si lourde que sa surface est à peine ridée par le vent.

8 mai. — En Palestine, a-t-on dit, sur divers tons, tout est petit et tout est grand. Le coin de terre, où se sont déroulés les faits bibliques et les faits évangéliques n’est pas plus grand que trois des comtés moyens du Québec. Les mœurs, les usages, la physionomie des lieux sont restés ce qu’ils étaient aux premiers siècles de l’ère chrétienne. À l’observateur qui visite Jérusalem, Bethléem, Nazareth, Tibériade, ou la mer Morte, les Livres Saints semblent écrits d’hier. Et pourtant, c’est de ce coin de terre qu’un Juif, annoncé à toutes les générations, mourant sur un gibet, proclamait la fraternité des hommes et des peuples comme ayant un seul et même Père dans les cieux.

Transcris ceci dans ton carnet, m’a dit mon père :

« Depuis le sauvage que l’isolement et la misère ont abaissé jusqu’à l’anthropophagie, jusqu’aux peuples que le christianisme a portés au plus haut degré de civilisation, on peut voir à travers leurs sentiments, leurs qualités, leurs œuvres, qu’ils sont véritablement les enfants d’un même Père et Créateur et qu’ils sont par conséquent des frères. Parmi les frères il y a les aînés et les cadets, les sages et les étourdis. Que les sages se portent généreusement au secours des étourdis, des déshérités, et qu’ils favorisent leur relèvement. »

9 mai. — Nous voici à Jérusalem, qui est sans doute la ville la plus remarquable de monde chrétien. Détruite et reconstruite à maintes reprises, elle occupe la même colline, elle a le même horizon, la même physionomie qu’autrefois. Son centre est l’église du Saint-Sépulcre, détenue par les Turcs musulmans. Pendant la semaine sainte il y a ici une foule de pèlerins venus de pays fort éloignés. Ces voyageurs appartiennent les uns au rite oriental, les autres au rite romain et d’autres à la religion orthodoxe. Cet assemblage de peuples si divers ne se fait pas sans quelque désordre ; les altercations, les bagarres sont fréquentes dans les rues de la ville sainte ; et la soldatesque turque augmente par sa brutalité le tumulte, quand elle ne le provoque pas.

10 mai — Bethléem, un nom qui évoque de la joie, — mieux que de la joie, du bonheur. — pour toute âme chrétienne. Il y a une église sur le site de la grotte où naquit l’Enfant Jésus. Nous passons la nuit au couvent des bons Pères Lazaristes. Ils sont français, italiens et espagnols.

12 mai. — Nous voici à Jaffa, à bord d’un navire à voile, — à voile latine, c’est-à-dire triangulaire, plus large du haut que du bas. Notre équipage, qui n’est que de trois hommes, parle le syrien, le turc et une langue peu répandue, mais assez curieuse par son origine : c’est la langue franque, composée en grande partie de vieux français ; c’est un legs de l’époque des croisades. On sait que les peuples chrétiens d’Orient ont conservé beaucoup d’admiration pour la France et que les ordres religieux ont contribué grandement à maintenir des liens de sympathie et d’intérêts entre ces deux pays.

Nous nous rendons en Égypte. Mais nous ferons escale à Port-Saïd, afin de visiter le canal de Suez.

13 mai. — Parmi la foule des grands océaniques et des cargos qui attendent leur tour pour entrer dans le canal, combien notre navire nous semble très petit ! Cependant, c’est sur d’aussi frêles embarcations que les anciens navigateurs ont développé le commerce, répandu la civilisation dans la Méditerranée et qu’ils ont agrandi le monde connu, se sont dit mes savants compagnons de voyage. Nous passons tout à côté d’un môle portant une gigantesque statue de Ferdinand de Lesseps. C’eut lui qui, en 1869, fit creuser le canal de Suez, qui met la Méditerranée en communication avec la mer Rouge. Ce canal, œuvre de génie et de patience, est maintenant contrôlé par l’Angleterre, qui en tire de grands avantages dans ses rapports avec son empire colonial des Indes, d’Australie et de Nouvelle-Zélande.

15 mai. — Le Caire est bâti sur le delta du Nil. Endroit bas, malsain, qui tire tout son pittoresque des mœurs orientales et de la foule très mélangée des étrangers.

À quelques heures de chemin de fer, nous irons, demain, visiter les fameuses pyramides.

18 mai. — De retour des pyramides, à cinquante milles du Caire. Mes compagnons de voyage ont non seulement admiré ces antiques et gigantesques tombeaux de rois, mais ils ont trouvé qu’ils sont orientés parfaitement sur les quatre points cardinaux. Ce qui nous a le plus étonnés en parcourant cette vallée du Nil, c’est la disproportion entre la maison de terre du fellah, c’est-à-dire le paysan actuel d’Égypte, et les ruines des temples colossaux de l’antiquité.

Le Nil déborde chaque année : ses inondations fertilisent les terres. En 1902, les Anglais ont construit le barrage d’Assouan, sur le Haut-Nil, ce qui permet d’irriguer une plus grande étendue de terre en culture.

20 mai. — Nous revoici en mer, à bord d’un paquebot français, en route pour Marseille, via Naples. Ce qu’on ne peut manquer d’admirer sur cette Méditerranée, c’est la couleur profondément bleue de ses eaux et de son ciel ; ce sont encore les éblouissants levers de soleil.

Nous passons en vue de l’île de Crète, qui fut longtemps dominée par les Turcs et qui commence à jouir d’un peu de liberté. J’allais bientôt m’en rendre compte, les pays baignés par cette mer sont loin d’être copieusement arrosés de pluie. Mais, grâce à son soleil si généreux, c’est le pays des olives, du raisin, des palmiers et des vers-à-soie.

Dans le monde méditerranéen, les maisons ne sont guère isolées et disséminées ; mais on les trouve plutôt groupées en petits villages, en petites villes, généralement autour d’un rocher plus ou moins âpre ou sur la plage arrondie que terminent deux promontoires.

23 mai. — Voici Naples et son volcan, le Vésuve. Il y a un dicton italien qui dit : « Voir Naples et mourir ». Ces messieurs trouvent le pays enchanteur, mais ils n’ont pas du tout l’intention d’y mourir. Rome est notre prochaine étape.