Mon berceau/Paris nouveau et ancien

Bellier (p. 283-288).

PARIS NOUVEAU ET ANCIEN


PRÉCIS DE L’HISTOIRE DE PARIS DEPUIS L’AN 50 AVANT J.-C. JUSQU’À NOS JOURS — LA PART DU PREMIER ARRONDISSEMENT.

Dans le monde des lettres et des arts, il y a des tribus célèbres ou simplement estimées ; c’est ainsi qu’aujourd’hui nous avons le bonheur de posséder la tribu des Deloncle, en politique, la tribu des Daudet, dans les lettres, et celle des Pessard, dans tous les genres. Hector Pessard est le maître journaliste que tout le monde connaît, poilu et barbu comme un singe ; Émile Pessard est l’aimable compositeur que l’on a souvent applaudi — quand la douce paresse lui permet de travailler — et le troisième frère de ce trio sympathique à tous les Parisiens, est Gustave Pessard, le journaliste sérieux, financier et pondéré que tout le monde a vu, derrière la Bourse, et qui est, lui aussi, le plus courtois et le plus serviable des compagnons de ce grand village, qui s’étend du quartier Montmartre à la place de la Madeleine.

Ceci prouve que, dans tous les métiers, il y a une véritable supériorité à atteindre : le père des trois frères, qui est mort estimé et respecté de tous, à Triel, il y a quelques années, possédait le secret de faire des enfants intelligents. Ça n’est déjà pas si banal.

Or donc, aujourd’hui, Gustave Pessard, sous le titre de : Paris nouveau et ancien, nous donne une petite plaquette de 96 pages, qui renferme tout ce qu’il est indispensable de connaître sur la Grand’Ville, que l’on soit étranger, enfant ou même… Parisien ! Pour mon compte, je suis très partisan de ces petits bouquins de vulgarisation facile et courante. Je l’ai dit et redit souvent : les gros livres scientifiques sont certainement fort utiles et fort respectables ; mais il est temps, en vérité, de penser un peu aux jeunes, aux petits, aux humbles, à la foule, en un mot, avide de s’instruire, si ouverte, quoi que l’on puisse dire, aux idées générales et surtout généreuses, et lorsque je trouve, sur mon chemin, un livre clair, simple et bien compris, compendieusement écrit, comme celui de Gustave Pessard, je suis heureux de le signaler à mes lecteurs.

Pour nous, qui avons suivi, écrit et fouillé l’histoire du premier arrondissement, ici-même, depuis plusieurs années, il n’apporte peut-être pas de bien grandes révélations ; mais précisément c’est le moment de ne pas oublier qu’il renferme toute l’histoire succincte de Paris, des vingt arrondissements et que, de plus, il s’adresse surtout à la jeunesse qui possède l’heureux privilège de n’avoir pas encore eu le temps de tout apprendre.

Je ne veux pas suivre ici l’auteur depuis les origines de Paris, depuis l’occupation romaine, jusqu’à nos jours, ni rappeler même les intéressants renseignements qu’il donne sur les huit enceintes successives, sur les premiers égouts, les premières lanternes, le premier pavage, etc., etc., cela m’entraînerait beaucoup trop loin et je ne peux citer ici que ce qui a trait plus ou moins directement à notre premier arrondissement.

Voici la liste, bien incomplète sans doute — et ce n’est pas un reproche, car au lieu de 100 pages il lui aurait fallu 10 volumes pour écrire une histoire entière de Paris — que donne Gustave Pessard des maisons curieuses du premier arrondissement :

« L’ancienne chancellerie d’Orléans, 20, rue de Valois (ancien hôtel du cardinal Dubois).

« Les bâtiments circulaires de la place des Victoires, construits par Mansard.

« Maison de l’Arbre-aux-Prêcheurs, poutres sculptées en saillies du xiiie siècle (au coin de la rue des Prêcheurs et de la rue Saint-Denis).

« Vieille hôtellerie de Heaume, connue au xive siècle (près le numéro 102 de la rue Rambuteau et des rues Pirouette et Mondétour (coin intéressant des Halles).

« Bel hôtel du xviiie siècle (au coin de la rue des Prouvaires et de la rue Saint-Honoré).

« Ancien hôtel de Coigny (83, rue des Petits-Champs).

« Porte cochère avec inscription : Bureau des marchandes lingères (6, rue Courtalon).

« Passage voûté (11, rue de la Lingerie).

« Très bel écusson sculpté (13, rue des Lavandières-Sainte-Opportune).

« Maison où naquit Molière, le 11 janvier 1622 (au coin de la rue Saint-Honoré) ; il mourut le 17 février 1673, au 40 de la rue de Richeheu.

« Tour Ruggieri (rue Coquillière, près de la Halle aux Blés), connue sous le nom d’Observatoire de la Reine, dépendait autrefois de l’Hôtel de Soissons, où mourut Catherine de Médicis, en 1589.

« Tour de Jean Sans Peur (rue Étienne-Marcel), style militaire, enclavé dans le bâtiment des écoles de la Ville de Paris, ancien donjon des ducs de Bourgogne, date de 1250[1]. »

Plus loin, Gustave Pessard donne la liste des maisons mortuaires, d’après les inscriptions parisiennes.

Hélas ! cette liste est assez pauvre, quand elle devrait être si riche, et je suis bien forcé de constater que la Ville de Paris ne sait guère rendre un dernier et suprême hommage à ses morts illustres, encore moins à ses propres enfants de valeur, qui cependant n’ont point fait défaut depuis des siècles. Je citerai au hasard : Berryer, qui mourut 64, rue des Petits-Champs ; Bougainville, 5, rue de la Banque ; Corneille, 6, rue d’Argenteuil ; l’amiral Coligny, 144, rue de Rivoli ; Diderot, 39, rue Richelieu ; La Fontaine, à l’Hôtel des Postes (emplacement de l’Hôtel d’Hervart) ; l’Abbé de l’Épée, 23, rue Thérèse ; Molière, 60, rue Richelieu ; Mignard, 23 bis, rue Richelieu ; Alfred de Musset, 6, rue du Mont-Thabor.

Et dire que beaucoup d’autres quartiers de Paris, qui ont reçu le dernier soupir de grands hommes, sont complètement oubliés ; il y a là une lacune regrettable que je signale à la Commission des Inscriptions Parisiennes.

Entre mille détails intéressants, Pessard remarque « que le point central de Paris qui, avant le déplacement des barrières, était présumé aux environs de la Pointe Sainte-Eustache, est aujourd’hui reporté à l’endroit du grand bassin des Tuileries. » C’est bien toujours dans le premier arrondissement, et c’est une constatation qui est bien faite pour nous donner un légitime orgueil, car si le premier arrondissement est toujours l’axe, il est bien aussi l’âme et le cœur de Paris pour une bonne part — ne cherchons pas à la préciser pour ne désobliger personne.

Ceci dit, je ne puis terminer cette courte promenade à travers le Paris nouveau et ancien de Pessard sans marquer mon étonnement que la Ville n’y ait point encore souscrit dans une large mesure, pour le répandre à profusion dans toutes ses écoles.

Oui, la jeunesse parisienne a le droit d’être fière d’être née dans la capitale qui marche à la tête du progrès et des idées d’émancipation sociale, elle a le droit et le devoir de connaître le passé, tout le passé de la glorieuse cité.

Agir ainsi, divulguer ce petit volume, serait faire de la bonne éducation civique et patriotique et, pour ma part, je suis convaincu que le Conseil municipal voudra s’en souvenir à temps, en donnant à Gustave Pessard cette marque d’estime, cet encouragement qu’il a si justement mérités avec son honnête et excellent petit livre.


  1. Nous regrettons de ne pouvoir nous approprier cette vieille relique ; elle est dans le deuxième ; de même pour Berryer et Bougainville.