Mon berceau/Les Romains au Palais-Royal

Bellier (p. 41-46).

LES ROMAINS AU PALAIS-ROYAL


INTERVIEW AVEC M. L’ARCHITECTE — SOURCES HISTORIQUES — LA PEUR DES MICROBES REMONTE AUX ROMAINS — LES AMAZONES — CAVE HISTORIQUE.

Deux personnages : l’aimable architecte du Palais-Royal et votre serviteur.

— Je viens, Monsieur, vous demander la permission de visiter les immenses souterrains qui s’étendent sous tout le Palais-Royal ?

— ?

— Mais oui, les souterrains qui s’étendent sous le Palais-Royal, la galerie d’Orléans, le bassin, les jardins.

— ??

— Voyons, Monsieur l’Architecte, vous savez bien qu’au 1er mai, craignant un mouvement, Constans y a enfermé 15.000 hommes de troupe.

— ???

Du coup le malheureux architecte partit d’un tel éclat de rire que je redoutai un instant pour lui une attaque d’apoplexie ; enfin remis :

— Elle est bien bonne, mais il n’y a pas l’ombre de souterrain dans le Palais-Royal ; il y a seulement quelques vulgaires égouts pour les eaux, l’un va au bassin, il est vrai, mais on ne peut même pas s’y tenir debout, d’ailleurs, tenez voici les plans, voyez et jugez par vous-même.

Et dire que c’est ainsi que s’établissent les légendes ; donc il n’y a point de catacombes sous le Palais-Royal et je suis bien obligé de détruire la légende.

— Vous avez des travaux très curieux au bout du jardin, à la place où l’ancien café de la rotonde plantait sa tente en été ?

— En effet, à deux mètres sous le sol, nous ayons retrouvé le fameux réservoir romain, l’épaisseur totale de la construction, composée d’une couche de béton reposant sur un massif de moëllons, est de 1 m. 50 à 2 mètres environ, ce sont les restes de la villa romaine qui occupait l’emplacement actuel du Palais-Royal et dont les jardins allaient jusqu’à la Seine.

Ce réservoir qui occupait très exactement tout le fond actuel du jardin, avait 100 mètres de longueur sur 50 mètres de largeur et naturellement une partie des 50 mètres va sous la pelouse.

Puis, s’interrompant brusquement :

— Mais au fait, Monsieur, avez-vous lu le remarquable travail que M. Édouard Fournier a publié de 1875 à 1882 dans Paris à travers les âges ?

— Non.

— Avez-vous lu le curieux mémoire que Jollois a publié en 1843 sur Les Antiquités Romaines et Gallo-Romaines de Paris ?

— Non.

— Avez-vous lu Bonamy, l’historiographe de Paris au xviiie siècle ?

— Non.

— Enfin, avez-vous consulté Sainte-Foix ?

— Non.


J’étais confus, je pris congé de l’architecte du Palais-Royal et je passai fiévreusement sept jours pleins et onze nuits à m’assimiler les dits auteurs.

Procédons par ordre : Édouard Fournier parlant de la grande Villa Romaine qui occupait l’emplacement primitif du Palais-Royal, s’exprime en ces termes : « Elle se trouvait comme dans un endroit prédestiné sur l’emplacement que le Palais-Royal et son jardin occupent à présent. Des fouilles faites en novembre 1781, pour la plantation de nouveaux arbres, en révélèrent l’existence par la découverte de deux bassins ou réservoirs : l’un d’une longueur de 20 pieds sur une largeur pareille, dans la partie la plus méridionale du jardin ; l’autre, beaucoup plus vaste, dont la longueur était la largeur même du jardin actuel, car il allait du café de Foy jusqu’au passage de la rue des Bons-Enfants, qui devint ensuite jusqu’à sa disparition, il y a quelques années, le passage du Lycée.

Des conduits souterrains de fortes dimensions, faits en poteries enveloppées de béton et dont, à plusieurs reprises, en 1734 d’abord, puis en 1766 et en 1836, on retrouva des restes qui permirent de les suivre à travers le jardin des Tuileries, la place de la Concorde, les Champs-Elysées et la rue Saint-Pierre, amenaient des hauteurs boisées de Chaillot l’eau qui alimentait ces bassins. »

Ceci prouve que les Romains n’étaient pas si bêtes que nous et que déjà ils ne voulaient pas boire d’eau de Seine.

En 1781 on a trouvé dans les fouilles pratiquées sur l’emplacement de la Villa Romaine du Palais-Royal des monnaies de Posthume, ce qui est naturel, puisque ce premier des empereurs gaulois agrandit considérablement les faubourgs de Lutèce, surtout vers le Nord, puis on trouva également des monnaies d’Aurélien, de Dioclétien, de Crispe, fils de Constantin, de Magnence et de Valentinien Ier.

Maintenant je passe au savant travail de Jollois ; d’après lui, la Villa Romaine aurait été détruite lors de l’invasion des Allemands, en 365, par les Parisiens eux-mêmes ou plutôt les Lutéciens, pris d’une jolie panique.

Bonamy est d’un autre avis et croit savoir qu’elle n’a été détruite que lors de l’invasion des Normands qui ont passé plusieurs mois sous les murs de la ville et ont tout anéanti sur leur passage.

Mais voilà que Sainte-Foix arrive avec une trouvaille bien curieuse à l’endroit du passage du Perron, celle de neuf cuirasses pour femmes, car il n’y a pas à dire, mon bon amy, les deux excavations mignonnes pour placer les seins de ces dames ne laissent aucun doute à cet égard.

Les uns ont vu là des cuirasses pour les amazones de la Croix, partant en 1147 en Palestine, les autres y ont vu des armures pour les compagnes de Victorina, la mère des camps, qui régna sur les Gaules pour le compte de son fils Victorin, qui avait lui-même succédé à Posthume.

Si l’on pense que l’on avait d’abord trouvé des monnaies à l’effigie de ce dernier à l’emplacement de la Villa Romaine du Palais-Royal, pour moi c’est à cette dernière hypothèse que l’on doit s’arrêter.

À partir de la villa jusqu’à Chaillot, le long de la conduite d’eau qui suivait la chaussée, au milieu des marais, s’élevaient de misérables masures (masuræ), tandis qu’un autre chemin conduisait à Clichy.

Ça ne fait rien, je n’inscris pas ici sans une profonde émotion le nom de cette bonne impératrice Victorina qui, en donnant des amazones aux seins rebondis à Lutèce, nous a évité la cruelle humiliation d’être devancés par le Dahomey !

Il y a huit ans, en remaniant les jardins, l’architecte avait constaté de nouveau l’existence du grand réservoir découvert en 1781. Aujourd’hui la nature du ciment qui renferme des débris de tuileaux, ce qui lui donne une teinte rosée absolument romaine, ne laisse aucun doute sur la présence des bases mêmes du réservoir romain mis à nu par les fouilles du café de la Rotonde. Du reste ce fond est si sohde que la pioche même s’y émousse et que le café a résolu de le conserver tout uniment pour élever dessus ses caves et ses constructions : ça lui fera un plancher de cave inusable et… historique.

Ainsi chaque jour nous révèle la haute antiquité et la grande importance de Paris, dès les temps les plus reculés et cette grande villa romaine, avec ses réservoirs, allant chercher l’eau à Chaillot par de grands travaux d’art, nous montre que le premier arrondissement n’a rien à envier au quartier qui possède les Thermes de l’autre côté de la Seine.