Mon berceau/Les Anglais au Palais-Royal

Bellier (p. 209-214).

LES ANGLAIS AU PALAIS-ROYAL


LA RAPACITÉ DES ANGLAIS — TRAHISON DE LOUIS XV — TOUJOURS L’ENNEMI HÉRÉDITAIRE.

C’est le sort inévitable de toutes les nations qui grandissent au nom de la liberté et qui marchent de l’avant au nom du progrès, de la démocratie et de l’émancipation des peuples.

Il ne faut pas nous en plaindre, si c’est un péril de plus, c’est aussi une gloire incomparable entre toutes ; autrefois, nous avions un ennemi héréditaire : l’Anglais, aujourd’hui nous en avons trois : l’Anglais, l’Allemand et l’Italien ; demain nous aurons contre nous toutes les monarchies coalisées, car, ne nous y trompons pas, les peuples, las de souffrir, sont avec nous et tournent tous leurs regards du côté de la République Française.

Pour aujourd’hui, tenons-nous en à l’Angleterre et voyons un peu le rôle singulier qu’elle a joué au Palais-Royal dans deux circonstances mémorables.

Voici d’abord ce que deux riches Hollandais écrivaient dans leur voyage au sujet du premier incident, à la date du 17 février 1657 :

« Le 17 février, nous fusmes voir le Cardinal, qu’on nomme à présent le Palais-Royal. C’est une assez belle maison qui a été bastie par le fû cardinal de Richelieu, qui, en mourant, la laissa par testament au Roy. Il y a sur le derrière un jardin qui n’est pas fort grand mais fort joli et proportionné au bastiment. On y entre par une grande basse-court qui est fermée d’un treilly de fer, entre lequel et le jardin il y a une cloison de hayes vertes, au long desquelles il y a une carrière pour courre la bague : on y voit deux beaux bassins, l’un en entrant, dont le iect est au milieu du parterre, et l’autre en un rond entouré d’arbres.

« Le ieu de mail va tout autour des murailles et a deux tambours, mais assez commodes. On n’y treuve pas les belles allées du Luxembourg, mais quelque assemblage d’arbres qui font un espèce de petit bois.

« La reine d’Angleterre y demeure avec tout son train qui a fait un fort grand dégast en la demeure et aux reliefs de toutes les chambres et de cette fameuse galerie où les grands hommes de France et leurs belles actions sont représentés avec leurs devises et leurs hiérogliphiques ; c’est une pitié de voir que, pour avoir quelques sols, ils ayent enlevé des pièces qui ont coûté de bonnes sommes…

« Leur avidité et leur avarice les ont poussés à un tel point que, ne se contentant pas de ce qu’ils enlevaient les dorures relevées en bosse, ils ont cassé les vitres pour avoir le plomb ».

Voilà comment se conduisaient les larbins de la reine Henriette-Marie d’Angleterre, femme de Charles Ier et ce n’est pas moi qui le dit, ce sont des étrangers désintéressés et témoins oculaires, de la rapacité de ces bandits.

Quel admirable portrait de cette race d’ailleurs, comme c’est toujours bien la même chose et comme ça résume d’une manière saisissante toute la politique coloniale et autre de ces insulaires, qui se trouvent partout en pays conquis.

Ces gens-là n’ont jamais été égalés que par les Allemands, qui ont remplacé le plomb par les pendules en 1870.

Ce qu’il y a de très joli, c’est que le cardinal de Retz fût assez naïf pour faire voter à cette aimable princesse « 40,000 livres » par le gouvernement, somme énorme pour le temps. Aussi sa reconnaissance s’est manifestée d’une manière touchante et surtout prenante, en mettant à sac notre malheureux Palais-Royal.

On dira tout ce que l’on voudra, ça s’est passé en 1657, il y a longtemps, c’est possible, eh bien ! j’ai la rage au cœur en écrivant ces lignes.

— Comment, vous en voulez à ces Anglais ? mais c’est dans leurs mœurs.

— Moi, je ne leur en veux pas du tout ; j’en veux tout uniment à l’éternelle bêtise des Français.

Cent ans plus tard — presque — le 11 décembre 1748, nous allons encore retrouver au Palais-Royal la trace maudite des Anglais et cette fois la chose est encore plus triste pour nous, car si les Anglais n’ont pas abandonné leur manière d’agir, nous, nous sommes devenus encore plus lâches, gouvernés que nous étions par un roi sans cœur et sans honneur.

Je cite ici les propres lignes du marquis de Bonbonne :

« Il se passa au Palais-Royal un fait honteux pour le roi de France, qui eut la faiblesse d’obéir à l’Angleterre en faisant arrêter, en violation des droits sacrés de l’hospitalité, Charles-Edouard, fils du prétendant. Ce prince, sachant la décision prise, vint à l’Opéra[1], témérairement résolu à se défendre jusqu’à la mort. Mais on avait doublé les postes, une armée de soldats campait dans le palais.

« Entre cinq et six heures, le carrosse du prince est signalé. Charles-Edouard, accompagné de trois Ecossais, ses amis, entre par un passage qui faisait pénétrer de la rue des Bons-Enfants dans la cour des Cuisines. Aussitôt toutes les portes sont fermées. Il est séparé de ses amis. Il n’a pas plutôt mis la main à son épée, que des agents l’ont saisi. On lui lie les bras et les jambes avec des cordons de soie. On le désarme de deux poignards et de deux pistolets qu’il portait cachés, et on le conduit à Vincennes, au milieu de détachements de troupes échelonnés jusqu’à la porte Saint-Antoine ».

Ce déploiement de force pour arrêter un pauvre jeune homme inoffensif, un hôte de la France, était tout à la fois odieux, puéril et lâche, et il fallait bien s’appeler Louis XV le Bien-Aimé, pour être capable de commettre une pareille infamie, contraire au droit des gens au premier chef.

Je pense en avoir assez dit pour avoir démontré combien l’influence anglaise a toujours été désastreuse à notre pays.

Quittons un instant le Palais-Royal et voyons encore ce qu’ils font cent ans plus tard sous Louis-Philippe… et maintenant, leur action contre la France change de théâtre, mais elle reste toujours aussi meurtrière pour nous. Allez aux Nouvelles-Hébrides, aux Salomons, à Madagascar, à Terre-Neuve, au pays des Egbas, en Afrique, en Asie, en Océanie, n’importe où et vous retrouverez l’Anglais ; autrefois il mettait à sac notre pauvre Palais-Royal, qui n’en pouvait mais, aujourd’hui il nous vole nos colonies ; petit voleur deviendra grand, c’est fait et l’ennemi héréditaire, allez, c’est toujours la cour d’Angleterre.

— Je n’ai pas dit : le peuple irlandais qui meurt de faim, ni même le peuple anglais qui souffre et gémit, en attendant sa grande révolution émancipatrice.

P. S. — Une erreur typographique a fait sauter, dans un précédent chapitre, le nom de l’île Louvier qui, d’ailleurs, se trouvait à l’opposé du premier arrondissement, à l’extrémité de l’île Saint-Louis, et a été réunie à la terre ferme, dans le quartier de l’Arsenal, au commencement du second empire.


  1. On sait que l’Opéra était dans le Palais-Boyal même à cette époque.