Mon berceau/Le Couvent de l’Assomption

Bellier (p. 153-160).

LE COUVENT DE L’ASSOMPTION


UN VIEUX PARISIEN — DÉBAUCHES DES RELIGIEUSES — LE MINISTÈRE DES COLONIES — UN SOUVENIR DE LA COMMUNE.

En ce temps-là, yers la fin du xiiie siècle, alors que Paris était déjà la grand’ville de par le monde, mais n’était qu’un village comparé au Paris contemporain, un bon bourgeois de la dite ville, Étienne Haudry, était parti en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.

Au bout de longues années, sa femme, le croyant mort, en mémoire de lui, installa dans leur demeure de la rue de la Mortellerie un asile pour les veuves pauvres.

Cependant il revint un jour, et trouvant très honeste et agréable à Dieu la fondation de son épouse, il y consacra sa fortune et, en 1306, le roi permit à Étienne Haudry de construire une chapelle près de la Grève.

En 1386, nous voyons que l’établissement pieux renfermait 32 veuves que l’on appelait dans Paris les bonnes femmes.

Certains historiens affirment que cet Étienne Haudry était le secrétaire de Saint-Louis. Ce doit être une erreur, car ce dernier était mort en vue de Tunis en 1270 ; en admettant qu’Haudry fut allé à Compostelle après, il eut été bien vieux en 1306. Ce devait donc être tout simplement un bourgeois de la bonne ville de Paris, comme d’autres le prétendent.

À sa mort l’œuvre subsista ; le couvent des Haudriettes était fondé. Ce prologue nécessaire étant fini, je laisse les bonnes femmes pleurer tranquillement pendant 300 ans leurs époux, pour arriver au commencement du xviie siècle.

Les fameuses Haudriettes, qui étaient à leur origine chargées, comme nous venons de le voir, de servir un hôpital de pauvres femmes veuves, s’étaient emparé du bien des pauvres, vivaient oisives, et étaient célèbres parleurs débordements et leurs débauches, ce qui d’ailleurs était la règle commune de tous les couvents.

Le cardinal de La Rochefoucauld, que la possession de Marthe Brossier, prétendue possédée du diable, avait couvert de ridicule, transféra les Haudriettes dans un hôtel qu’il possédait au faubourg Saint-Honoré, qu’il avait vendu aux Jésuites en 1605 et que ceux-ci revendirent aux religieuses Haudriettes le 3 février 1623.

Le nouveau monastère prit le nom d’Assomption ; la chapelle étant insuffisante, les nouvelles propriétaires achetèrent l’hôtel d’un sieur Desnoyers et firent construire, en 1670, leur église qui fui terminée en 1676.

Construite sur les dessins d’Errard, peintre du roi, elle représente une tour couverte d’un vaste dôme de 62 pieds de diamètre.

Suivant l’heureuse expression de M. Legrand, dans sa Description de Paris et de ses édifices, « l’intérieur a l’air d’un puits profond » ; cependant on considère la charpente du dôme comme un chef-d’œuvre, au point de vue de la hardiesse de l’exécution.

On y remarque encore à l’intérieur des caissons et des peintures de Charles Lafosse et divers tableaux de Houasse et de Gautherot, sur lesquels je n’ai point à m’arrêter ici.

Ce couvent, qui occupait les numéros 369 et 371 de la rue Saint-Honoré actuelle, fut réformé en 1790.

En 1802, l’église, sous le nom de Sainte-Madeleine, devint l’église paroissiale du premier arrondissement de Paris, en remplacement de celle qui était à la Ville-l’Évêque, démolie au commencement de la Révolution.

Aujourd’hui elle est une espèce de succursale de la Madeleine, où l’on fait le catéchisme et où l’on dit la messe en polonais, le dimanche.

Après l’église, le couvent qui était à côté, au no 9 de la rue Cambon actuelle ; nous allons l’examiner rapidement, tel qu’il se présente aujourd’hui à nos yeux.

Donc, après la grille qui entoure le petit espace devant l’église, où jouent les enfants de l’école et avant le bureau de poste qui fait le coin de la rue du Mont-Thabor, se trouvent tous les bâtiments qui faisaient partie d’ailleurs de l’ancien couvent des Haudriettes, ou de l’Assomption plutôt, au milieu une grande porte cochère banale au no 9 de la rue Cambon ; une plaque de marbre noir, à demi effacée, au-dessus de la porte, indique, on ne sait pourquoi : Archives du ministère des finances.

Les archives n’ont jamais été là, et le grand couvent renferme simplement le magasin central des imprimés du ministère des finances, ce qui n’a aucun rapport avec les archives, puisqu’il n’y a que des registres et des imprimés à employer : du neuf au lieu du vieux.

En franchissant la porte, vous entrez dans un vaste préau qui a encore conservé ses galeries couvertes de deux côtés ; en face, la galerie sort du bâtiment principal et est recouverte d’une terrasse ; à gauche, elle est sous le bâtiment même ; à droite, du côté de l’église, de même que du côté de la rue Cambon, si elle a existé, elle a disparu lorsque cette dernière rue a été percée.

Cette cour carrée, avec son demi-préau, si l’on peut dire, ne manque pas de cachet et intrigue encore bien des Parisiens qui passent devant.

Il y a, dit-on, de vastes souterrains sous cette cour, ce qui permettait aux bonnes Haudriettes défaire leurs farces, parfois lugubres, en paix, mais on n’en connaît plus l’entrée ; les éboulements ont été simplement comblés quand ils se sont produits et il n’y a même pas de caves sous les bâtiments.

Au rez-de-chaussée est installé le laboratoire de la régie (contributions indirectes), qui sert surtout pour l’analyse des sucres soumis aux droits.

Les grands escaliers, les salles immenses qui renferment les registres et toutes les impressions destinés à la régie, au domaine, à l’enregistrement, aux contributions indirectes, aux douanes, aux tabacs, aux nouveaux impôts des allumettes, etc., ne renferment plus rien d’intéressant. C’est à peine si l’on pourrait retrouver quelques peintures religieuses, cachées dans les salles par la peinture à la chaux que les soldats ont fourrée partout, exécutant là, comme au château des papes à Avignon, comme dans mille endroits, leur œuvre de vandalisme idiot.

Car si autrefois l’église et le couvent ne faisaient qu’un, ils furent complètement séparés l’un de l’autre, comme ils le sont encore aujourd’hui, en 1790, et le couvent depuis cette époque jusqu’à 1852 servit de caserne ; c’était beaucoup plus de temps qu’il n’en fallait pour massacrer toutes les œuvres d’art qu’il pouvait encore renfermer.

Les étages supérieurs sont coupés par toutes les petites cellules des bonnes religieuses qui n’y couchaient pas toujours seules, dit la légende ; aujourd’hui les registres froids ont remplacé les religieuses qui l’étaient moins, froides, et les rats de bibliothèque les rats d’église.

Le magasin central des impressions du ministère des finances n’est donc installé là que depuis 1852.

En 1890 il avait été question d’établir dans ces vastes bâtiments, entourés de cours et de dépendances très importantes et qui ont des sorties commodes en angle sur les rues Cambon et du Mont-Thabor, le ministère des colonies.

On aurait transféré dans les anciennes écuries impériales du quai de Billy, en face la Manutention, le magasin actuel du ministère des Finances[1] ; le ministère des Colonies se serait trouvé installé admirablement à deux pas de celui de la Marine ; c’était une solution pratique et inespérée, malheureusement il fallait 800,000 fr. pour opérer le transfert et l’installation et l’on ne pouvait disposer que de 200,000 francs.

En tout cas, que les Colonies restent avec un sous-secrétariat d’État, ou soient érigées en ministère, il importe peu à ce point de vue ; ce qu’il importe, c’est de les installer convenablement quelque part, et cette solution me paraît si simple, si pratique et si peu coûteuse, en somme, que j’y insiste particulièrement, pour que l’on se décide enfin à la mettre à exécution.

On remplacera, si l’on veut, les M surmontés d’une croix qui se prélassent au milieu de la grille qui court le long de la terrasse du premier, par des ancres, et tout sera pour le mieux à la satisfaction des Finances, de la Marine et des Colonies qui toutes y trouveront leur compte, n’ayant plus d’air ni de place pour leurs services.

Un souvenir historique, pour finir, à propos de ce vieux couvent de l’Assomption qui en renferme tant.

Sous la Commune, l’abbé Deguerry, curé de la Madeleine, logeait dans la petite maison du temps, qui a un air d’hôtel et qui se trouve derrière l’église, prenant son jour sur un petit jardin qui est lui-même entouré par les dépendances et cours de l’ancien couvent, les magasins d’aujourd’hui.

Un jour on vint pour l’arrêter, un garçon de magasin des Finances lui passant une échelle, le fît évader à travers les toits des remises et hangars des tabacs ; mais il eut la mauvaise idée de vouloir le faire fuir par la rue du Mont-Thabor. Les insurgés, qui se doutaient de la chose, gardaient l’entrée, et le malheureux curé tomba dans leurs mains.

Si lui et le garçon avaient eu un peu plus de présence d’esprit et si il s’était caché au milieu des paperasses, dans les nombreuses cellules du haut, au bout de quelques jours, il aurait été sauvé et l’on eut évité une mort bien inutile, car hélas ! une cause ne s’impose jamais par le sang et la violence.

Comme conclusion : qu’on installe là au plus vite les Colonies — ministère ou non — c’est le vœu, non seulement des gens du quartier, mais de tous ceux qui ont le souci du développement et de la grandeur de la France au dehors.


  1. Il pouvait être intéressant pour le ministère des Finances d’avoir là ses magasins sous la main, alors qu’il donnait lui-même sur la rue du Mont-Thabor, avant qu’il n’ait été brûlé sous la Commune et ensuite transporté au Louvre. Aujourd’hui que ce magasin soit placé un peu plus près, un peu plus loin, la question est de mince importance. Il s’est produit pour le ministère des Finances ce qui s’est produit pour l’Opéra en 1820, lorsqu’il a été démoli à la suite de la mort du duc de Berry ; les magasins de décors sont restés place Louvois, dans le deuxième arrondissement, et aujourd’hui les jeunes générations ne s’expliquent plus cela.