C. A. Marchand (p. i-iv).
Chapitre I  ►

Preface


Le Canada français est un pays de traditions, ― traditions religieuses, traditions nationales et traditions littéraires.

Nos traditions littéraires ont leurs principales racines dans notre belle histoire et dans la religion. Ces deux sources ont produit une œuvre commune, une littérature historique fortement empreinte du sentiment religieux.

À côté de cette littérature s’inspirant du passé, il y a la littérature que l’on peut appeler « livresque », si on l’envisage au point de vue de sa provenance ; c’est un reflet de la littérature de notre première mère-patrie, la France, où on fait facilement la part de l’esprit du terroir et celle des emprunts à un autre fonds que le nôtre.

Il y a enfin la littérature du terroir proprement dite, celle qui sous couleur de peindre les « Canayens » tels qu’ils sont, se sert de mots baroques et d’expressions barbares. Sauf quelques rares romans de mœurs canadiens, nous n’avons pas de littérature courante, de celle qui vit et qui respire, et qui exprime les activités contemporaines, de celle dans laquelle nous nous reconnaissons, où nous reconnaissons les gens que nous coudoyons journellement et qui sont les acteurs de l’heure présente sur la scène de l’Actualité.

Sans doute, tout a été dit et tout a été écrit, et nous ne saurions nous flatter de faire mentir la parole du Sage : il « n’y a rien de nouveau sous le soleil. »

Mais la nature humaine, éternellement la même, est aussi, à de certains égards, éternellement changeante et elle se renouvelle sans cesse, avec les époques et les circonstances différentes, selon les temps, les lieux et les climats ; c’est pourquoi les récits des exploits guerriers des différents peuples nous émeuvent à divers degrés et de différentes manières, et nous préférons lire les pages où sont relatés les faits d’armes du héros de Châteauguay plutôt que de nous intéresser aux héros de l’antiquité. Il en est de même dans d’autres domaines que celui de l’histoire, dans celui de la poésie, dans celui de l’amour et même dans celui du simple fait divers ; chaque récit emprunte un intérêt particulier aux milieux dans lesquels sont situés les personnages.

C’est la raison pour laquelle on prise tant la couleur locale, la raison pour laquelle le parfum du terroir semble si exquis. Et cette originalité de bon aloi que l’on recherche en s’efforçant de parler avec vérité des choses de son pays et de les peindre ressemblantes est aussi nécessaire au point de vue littéraire qu’elle est de nature à plaire au point de vue national, car elle fait éviter la banalité.

Il semble donc qu’on puisse et qu’on doive chercher à introduire la couleur locale dans un genre littéraire qui n’est pas aussi en honneur que les autres parmi les écrivains canadiens-français, dans la peinture de la vie de tous les jours, dans les livres qui traitent de l’Actualité.

Chaque pays a eu ses peintres, de mœurs, — si l’on peut ainsi dire, — qui ont raconté les faits et gestes particuliers de chaque génération, qui ont traduit les sentiments de leurs contemporains et qui ont glorifié leurs idéals et interprété leurs aspirations. Les livres de ces auteurs constituent des documents pour le moins aussi intéressants, quand on veut étudier une époque, que les documents historiques, puisqu’ils sont comme des miroirs où a été fixée l’image de l’état d’âme d’une génération.

Mon désir serait de graver, d’un burin sûr et fidèle, les traits de mes contemporains ; mais cette ambition est difficile à réaliser et demanderait plus de maîtrise et plus d’habileté artistique que je n’en ai. Je me contenterai donc d’esquisser un petit coin du grand tableau que d’autres pourront peindre mieux que moi, me bornant à espérer qu’on dira, après avoir lu les pages qui vont suivre et qui sont un récit véridique d’évènements réels : « c’est bien comme cela que les choses arrivent, chez nous, dans la vie de tous les jours. »

alfred mousseau.

Montréal, le samedi, 18 octobre, 1913.