Garnery (Comédie en un actep. 15-19).


Scène IV.

LOUIS XIV s’approche d’un air fier, avec pluſieurs de ſes courtiſans.
VOLTAIRE, HENRI IV, DESILLES, LOUIS XIV, J. JACQUES.
Henri IV à Louis XIV.

Louis XIV a l’air mécontent. Quel chagrin peut donc éprouver ſon cœur dans le ſéjour de la paix & de l’égalité.

Louis XIV.

Cette égalité n’eſt pas mon élément : je ſens que je devrois règner.

Henri IV.

Sur tes paſſions ſans doute ; mais ta raiſon eſt donc bien foible ? puiſqu’elle n’a pû encore te faire jouir de la tranquillité dont nous jouiſſons tous. Tu veux être encore roi parmi les ombres.

Louis XIV.

Ces remontrances populaires ne peuvent s’éléver juſqu’à moi, ah ! que ne ſuis-je encore ſur la terre !

Henri IV.

Eh ! qu’y ferois-tu actuellement ?

Louis XIV.

La queſtion eſt neuve pour mon oreille, ce que j’y ferois ? J’y règnerois ; en me montrant je redeviendrois le maître !

Henri IV.

De qui ?

Louis XIV.

Du monde entier, des Français, quelque ſoit le charme de cette égalité, de cette indépendance dont, ici, on m’étourdit les oreilles ; je les connois, ils aiment les grands rois.

Henri IV.

Dis, les grands hommes, & les bons rois. Tu ſus te faire admirer ; mais on ne t’aima point : tu n’as ébloui les Français que par ton luxe ; on ne peut les ſéduire aujourd’hui que par des vertus.

Louis XIV.

Oublie-t-on tout ce que j’ai fait de grand ?

Henri IV.

Oui, tes fameuſes conquêtes ; la terre n’étoit pas aſſez grande pour ſatisfaire ton ambition.

Louis XIV.

Eſt-ce par mon ambition que la poſtérité me juge ? as-tu oublié mes belles actions ? Si je fus deſpote, je ſçu faire fleurir les arts, le commerce ; je ſçu diſtinguer l’homme de mérite de l’intriguant de cour : les femmes ni mes miniſtres ne me gouvernoient point. Je portai dans toute l’Europe le goût des ſciences ; on me doit peut-être ce foyer de lumières dont les Français ſont ſi fiers aujourd’hui. J’encourageai les talens, je recompenſai les belles actions ; ſi j’eu des foibleſſes, j’ai ſçu les effacer, j’ai ſçu avouer des fautes. Un de mes courtiſans oſa juſtifier un jour mon enfance indocile : Il n’y avoit donc point de verges dans mon royaume lui répondis-je… J’ai ſçu préſerver mes enfans de la mauvaiſe éducation que j’avois reçue, mes défauts appartiennent à mes inſtituteurs, mes vertus ſont de moi. Je ſuis mon ouvrage.

Voltaire.

Je ne puis m’empêcher de l’admirer encore.

Rousseau.

Il eut l’art de ſe faire adorer.

Desilles.

Quel dommage que ce fut là un deſpote !

Henri IV.

Oui, tu as mérité, j’en conviens, ſous quelques rapports, l’eſtime & la reconnoiſſance des Français ; mais aujourd’hui ils ne ſont plus les mêmes, & tu ſerois mal vu ſur le trône.

Louis XIV.

Je ne te blame point. Nous ne pouvons changer notre caractère : un jour peut-être le mien retrouvera ſa place d’autres temps, d’autres mœurs, & crois qu’aujourd’hui même, je trouverois encore en France des partiſans.

Henri IV.

Qui n’oſeroient ſe montrer. Mais… quels ſons lugubres ! C’eſt ſans doute, cet ombre qui arrive.

Desilles.

L’on vient à nous.