Madame l’Archiduc/Acte III

Calmann Lévy, éditeur (p. 75-103).
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ACTE TROISIÈME

Le jardin ducal. — A droite, un pavillon avec quelques marches, deux chaises de jardin ; — à gauche, un banc sous les arbres. — Galerie au fond.



Scène PREMIÈRE

L’ARCHIDUC, en brigadier de dragons, est couché sur les marches, enveloppé dans son manteau, son fusil près de lui ; il a de grosses moustaches ; Dragons, en patrouille, conduits par FORTUNATO. — Il fait nuit.
CHŒUR, hommes.
––––––––––Sous l’uniforme
––––––––Il faut veiller la nuit,
––––––––––Que chacun dorme,
––––––––Et nous, marchons sans bruit,
PETITS SOLDATS.
––––––––––––Pignons,
––––––––––––Balcons,
––––––––––––Donjons,
––––––––––––Perrons,
––––––––––––Paliers,
––––––––––––Greniers,
––––––––––––Celliers,
––––––––––––Quartiers,
––––––––––––Parloirs,
––––––––––––Boudoirs,
––––––––––––Dortoirs,
––––––––––––Couloirs,
––––––––––––Caveaux,
––––––––––––Vitraux,
––––––––––Et chapiteaux.
––––––––––––Treillis,
––––––––––––Châssis,
––––––––––––Parvis,
––––––––––––Jardins,
––––––––––––Chemins,
––––––––––––Ravins,
––––––––––––Terrains,
––––––––––––Volets,
––––––––––––Parquets,
––––––––––––Loquets,
––––––––––––Bosquets,
––––––––––––Haras,
––––––––––––Judas,
––––––––––Et vasistas.
ENSEMBLE.
––––––––––Visitons tout,
––––––––––Soyons partout.
––––––––––Sous l’uniforme, etc.

Demi jour.

FORTUNATO.
––––––Allons, avancez, brigadier.
L’ARCHIDUC, se levant.
––––––Voici présent, mon officier.
FORTUNATO.
––––––Allons, avancez donc, butor,
––––––Il a l’air de dormir encor.
COUPLETS.
I
L’ARCHIDUC.
––––––C’est un sort privé d’allégresse
––––––Que de veiller sans sommeiller.
FORTUNATO.
––––––Ainsi l’ordonne la comtesse,
––––––Près d’elle nous devons veiller.
L’ARCHIDUC.
––––––Heureusement l’aube sereine
––––––Va bientôt naître à l’horizon,
––––––Sauf vot’ respect, mon capitaine.
FORTUNATO.
––––––Brigadier, vous avez raison.
II
L’ARCHIDUC.
––––––Que je suis un vieux de la vieille,
––––––J’ai compris, faut pas insister.
FORTUNATO.
––––––Vous me paraissez dur d’oreille,
––––––Et je tiens à bien répéter.
L’ARCHIDUC.
––––––J’ai pas besoin qu’on me répète
––––––Plusieurs fois la même chanson,
––––––C’est donc qu’ j’ai l’air d’une bête.
FORTUNATO.
––––––Brigadier, vous, avez raison. (Bis en chœur.)

L’archiduc est allé se recoucher.

FORTUNATO.
Tenez, il est allé se recoucher. Ici, brigadier, avancez à l’ordre.
L’ARCHIDUC, se lève en bâillant.

Présent, mon capitaine.

FORTUNATO.

Salue donc, animal. (L’archiduc salue en ôtant son casque.) Pas comme ça, le salut militaire donc ! (Il salue.) Qu’est-ce que c’est que ce brigadier ? De quel régiment es-tu donc ?

L’ARCHIDUC.

Treizième de la 77e du 20e de la 59e du 101e.

FORTUNATO.

C’est drôle, je ne te reconnais pas.

L’ARCHIDUC.

Vous n’avez pas la prétention de connaître tous les brigadiers.

FORTUNATO.

J’ai toutes les prétentions. Je suis votre supérieur. (A lui-même.) Ma parole d’honneur, ce brigadier raisonne comme s’il était colonel. (A l’archiduc.) Est-il assez mal fagoté ; regardez-moi cette giberne, ce baudrier, et ces boutons, ils n’ont pas été astiqués ce matin. (Il le bourre.) Brigadier de carton… tu connais la consigne, tu prends la garde de quatre heures, il faut veiller sur ce pavillon où repose la comtesse.

L’ARCHIDUC, soupire en regardant le pavillon.

Oui, mon capitaine.

FORTUNATO.

Dispose tes hommes tout autour, toi, derrière, sous la fenêtre. As-tu compris, comprends-tu ? Tu n’as pas l’air de comprendre, tu es donc idiot ?

L’ARCHIDUC.

Oui. mon capitaine.

FORTUNATO.
Ne laisser entrer personne, c’est l’ordre de la comtesse, personne, entends-tu, surtout l’archiduc. (L’archiduc regarde Fortunato.) Oui, l’archiduc. As-tu compris, comprends-tu ? tu n’as pas l’air de comprendre. Décidément tu es idiot.
L’ARCHIDUC.

Oui, mon capitaine.

FORTUNATO.

Et maintenant, par le flanc gauche, gauche. (Les dragons exécutent le mouvement ainsi que l’archiduc.) En avant, marche.

Les soldats sortent par le fond à droite en chantant. — Chœur.

––––––Brigadier, vous avez raison.

L’archiduc se dirige vers le pavillon. Fortunato l’arrête.

Pas par là donc, animal.

Le duc fait le tour du théâtre, passe devant Fortunato et sort derrière les soldats.


Scène II

FORTUNATO, seul.

Si vous croyez que c’est drôle, le métier que je fais ? voilà six nuits que je veille sur ce pavillon où repose la comtesse, et que j’empêche l’archiduc d’arriver jusqu’à elle… il est tenace l’archiduc… et rusé. L’autre jour, il me dit : Fortunato, j’ai l’idée d’envoyer le mari en mission… Excellente idée, monseigneur, et nous avons envoyé le mari en mission, ambassadeur à Naples. Voilà donc la situation : L’archiduc, plein d’idées folichonnes que je contrecarre… le mari… à Naples… Fortunato… Ah ! oui, parlons un peu de Fortunato ! on croit que parce que l’on est dragon, et qu’on a une consigne, le cœur ne bat pas… Voilà six nuits que je monte la garde sous la fenêtre d’une femme charmante. Eh bien, ça donne des idées folichonnes… et j’en ai aussi des idées folichonnes. (Au public.) Si vous étiez à ma place, vous en auriez aussi des idées folichonnes, elle est si gentille…

MARIETTA, dans le pavillon.

A moi, au secours, à l’aide !

Elle descend vivement du pavillon.
FORTUNATO.

A moi, aux armes !…

Entrée des dragons.

MARIETTA.

Là, là, voyez chez moi.

Deux dragons montent dans le pavillon et reviennent aussitôt conduisant l’archiduc.


Scène III

FORTUNATO, Dragons, Petits Soldats, L’ARCHIDUC, MARIETTA.
CHŒUR.
––––––Quel est ce bruit, et qu’on s’empresse,
––––––Une voix vient de crier.
––––––La comtesse, c’est la comtesse,
––––––Que vient-il de se passer ?
FORTUNATO, à Marietta.
––––Expliquez-nous.
MARIETTA, montrant l’archiduc sur les marches.
––––Expliquez-nous. Voyez, c’est cet infâme.
FORTUNATO.
––––––Parlez sans effroi. Qu’a-t-il fait ?
CHŒUR.
––––––––––Qu’a-t-il fait ?
MARIETTA.
–––Il a pénétré chez moi, chez une femme,
––––––Arrêtez-le.
CHŒUR.
––––––Arrêtez-le. Arrêtons-le.
FORTUNATO.
––––––C’est fait, mais parlez-nous, madame,
––––––Et dites-nous ce qu’il voulait.
MARIETTA.
––––––––––Ce qu’il voulait.

L’archiduc descend suivi de deux dragons.

COUPLETS.
I
––––––Ce qu’il voulait, qu’il vous le dise,
––––––Je suppose tout bêtement
––––––Qu’il voulait me faire une surprise,
––––––Sans m’ demander mon agrément.
––––––Je ne suis pas un’ femm’ farouche,
––––––Mais je me suis mis à crier.
––––––Il fait maint’nant sa saint’ nitouche.
––––––Oh ! le brigand de brigadier.
II
––––––J’ dormais là haut, comm’ un’ marmotte,
––––––Il entre, et m’ réveille en sursaut.
––––––Corbleu ! c’est ma coquin’ de botte,
––––––Excusez, dit-il tout penaud.
––––––Vous voyez tous d’ici mon rôle,
––––––Et j’étais just’ en train d’ rêver
––––––J’ sais plus à quoi, mais c’était drôle.
––––––Oh ! le brigand de brigadier.
FORTUNATO.
––Diable, il faut un exemple à l’ordre, à la famille,
––––––Messieurs, il faut un châtiment,
––––––Qu’on l’emmène et qu’on le fusille
––––––Dans les fossés sans jugement.
L’ARCHIDUC.
––––––Qu’on me fusille !
CHŒUR.
––––––Qu’on me fusille ! Qu’on le fusille !
FORTUNATO.
––––––Allons, allons et prestement. (Bis en chœur.)

Les deux dragons s’avancent et mettent la main sur l’archiduc.

L’ARCHIDUC, se débarrasse d’eux. — A Fortunato
––––––––Capitaine, un moment.
––––––Pas de scandale en ce château.
––––––Gardez bien mon incognito,
–––––––––Je suis l’archiduc.
FORTUNATO, étonné.
––––––Eh quoi ! l’archiduc ?
L’ARCHIDUC.
––––––Eh quoi ! l’archiduc ? Mais, silence !

Il se met à l’écart.

FORTUNATO, aux deux dragons.
––––––Très-bien, mes amis, un seul mot,
––––––Pas de scandale en ce château,
––––––Gardez-bien tous ici son incognito,
–––––––––Car c’est l’archiduc.
LES DEUX DRAGONS.
–––––––––Quoi, c’est l’archiduc ?
FORTUNATO.
–––––––––Oui, c’est l’archiduc !
LES DEUX DRAGONS.
–––––––––Vraiment, l’archiduc !
FORTUNATO.
–––––––––––Mais, silence !
UN DRAGON.
––––––Faut-il tout d’ même le fusiller ?
FORTUNATO.
––––––Non, il faut le laisser filer,
––––––Sans avoir l’air, mais pas un mot,
––––––Respectons son incognito.
MARIETTA, qui a entendu, à deux autres dragons.
––––––––––Vous autres, un mot,
–––Pas de scandale ici, mystère et prudence,
––––––––Soyez tous bien discrets,
–––––––––Car c’est l’archiduc.
LES DRAGONS, à deux autres.
–––––––––––L’archiduc

Pas de scandale ici, car c’est l’archiduc.

DEUX AUTRES DRAGONS.
–––––––––––L’archiduc !
–––Pas de scandale ici, car c’est l’archiduc.

Cette scène se répète à chaque dragon et petit soldat qui s’avancent à mesure.

ENSEMBLE.
––––––Respectons son incognito,
––––Pas de scandale ici, dans ce château.
––––Gardons tous ici son incognito,
–––––––––Car c’est l’archiduc,
–––––––––Oui, c’est l’archiduc,
–––––––––––Mais, silence !

Une fois ce morceau fini, les soldats remontent et causent entre eux, en laissant le milieu de la scène libre. Ils n’ont pas l’air de voir le duc.

FORTUNATO, bas à l’archiduc.

Soyez tranquille, monseigneur, personne ne vous a reconnu.

Il va causer avec Marietta. — L’archiduc regarde à droite et à gauche, et les voyant tons occupés, sort vivement par le fond à gauche. Fortunato et Marietta font signe à tout le monde de sortir doucement. — Sortie générale de tous côtés.

Scène III

MARIETTA, FORTUNATO.
MARIETTA.

L’archiduc, encore l’archiduc, enfin, cette fois encore, capitaine, vous m’avez sauvée. (Elle lui prend les mains.) Ah ! combien je vous remercie.

FORTUNATO.

Vous êtes encore toute tremblante.

MARIETTA, se dégageant.

Cette scène m’a bouleversée, et maintenant, je n’ose plus rentrer dans ce pavillon. Ces grands corridors, ces chambres sombres, ces fenêtres qui s’ouvrent toutes seules, j’ai peur, oui, j’ai peur.

FORTUNATO.

Eh bien, ne rentrez pas, le jour paraît déjà, le temps est si doux.

MARIETTA.

Oui, j’ai envie d’attendre ici.

FORTUNATO.

Excellente idée. Tenez, venez vous asseoir là… sous ces arbres.

Marietta prend le bras de Fortunato, fait quelques pas, puis s’arrête en le regardant.

MARIETTA.

C’est singulier !

FORTUNATO.

Quoi donc ?

MARIETTA.
Que le cœur me batte à moi, je viens de passer par une aventure mais votre cœur à vous ?
FORTUNATO.

Il bat très-fort, n’est-ce pas ?

MARIETTA.

Un soldat, un dragon ne doit pas avoir peur !

FORTUNATO.

Ce n’est pas là peur.

MARIETTA.

Qu’est-ce donc alors ?

FORTUNATO.

Vous ne devinez pas ?

MARIETTA.

Pas du tout !

FORTUNATO.

C’est… c’est vous.

MARIETTA.

Moi !

FORTUNATO.

Vous ! c’est votre main, que je presse, c’est votre taille que je serre.

MARIETTA.

Dites donc, capitaine ?

FORTUNATO.

Ah ! tenez, madame, tenez, comtesse, il est des moments où je meurs d’envie de manquer pour mon compte à la consigne que vous m’avez donnée.

MARIETTA.

Laissez-moi, je veux rentrer.

Elle se dirige vers le pavillon, Fortunato la retient. — Grand jour.

DUETTINO.
FORTUNATO.
––––––––Ne rentrez pas encore,
–––––––––Ah ! restez ; l’aurore
–––––––Brille déjà dans les cieux.
MARIETTA.
––––––––Allons, je vous implore,
––––––––Laissez-moi, je le veux.
FORTUNATO.
––––––Combien mon cœur est amoureux.
COUPLET.
––––––L’archiduc n’est pas votre affaire,
––––––Il est laid, le temps l’a mûri.
––––––Votre époux ne saurait vous plaire,
––––––On n’aime jamais son mari.
––––––Pourtant le jour pour vous s’avance
––––––Où votre cœur faisant un choix
––––––Doit indiquer sa préférence ;
––––––Je suis le plus gentil des trois.
MARIETTA.
–––––Que voulez-vous dire ?
FORTUNATO.
–––––Que voulez-vous dire ? Que je vous aime.
MARIETTA.
––––––––––Bonté suprême !
–––––––Taisez-vous.
FORTUNATO.
–––––––Taisez-vous. Ecoutez-moi.
MARIETTA.
––––Taisez-vous, non, je ne veux rien entendre,
––––––––Laissez-moi, laissez-moi.
FORTUNATO.
––Non, ton cœur est ému, ta voix devient plus tendre,
––––––––Tu me fuis, malgré toi,
–––––––Un baiser, sans t’en défendre.
MARIETTA.
––––––––Non, non, non, c’est fini.
FORTUNATO.
–––––Tu dis non, et tes yeux me disent oui.
MARIETTA.
––Sa main que je repousse, hélas ! brûle la mienne,
––Je m’en défends à peine, je tremble auprès de lui.
FORTUNATO.
––––––L’amour me dévore et m’entraîne,
––––––Voici les premiers feux du jour,
––––––C’est la jeunesse, c’est l’amour.
MARIETTA.
–––––––Quel trouble inconnu m’agite,
–––––––Il m’émeut, mon coeur palpite,
FORTUNATO.
––––––Ah ! soyez sensible à ma voix.
MARIETTA.
––––––Je tremble à sa voix et j’hésite.
FORTUNATO.
––––––––––Un seul baiser.
MARIETTA.
–––––––––Je tremble… j’hésite.
FORTUNATO.
–––––––––Ecoutez-moi. Ah !
––––––Je suis le plus gentil des trois.
ENSEMBLE.
––––––Je suis le plus gentil des trois.
––––––Il est

Fortunato tombe aux pieds de Marietta et lui embrasse les mains.


Scène V

Les Mêmes, BONAVENTURA, FRANGIPANO, BONARDO et PONTEFIASCONE, en ministres, leurs portefeuilles sous le bras.
TOUS QUATRE, riant en voyant ce qui se passe.
Ah ! ah ! ah ! ah ! très-bien !
MARIETTA, se voyant surprise, pousse un tri.

Ah !

Elle se sauve dans le pavillon.

FORTUNATO.

Mais, messieurs !

FRANGIPANO.

Parfait, capitaine.

FORTUNATO.

Je vous jure, messieurs !

BONAVENTURA.

Nous n’avons rien vu.

BONARDO.

Absolument rien vu.

TOUS.

Rien !

FRANGIPANO.

Et puis, nous aurions vu quelque chose…

PONTEFIASCONE.

Ce n’eût été rien de bien rare.

BORNARDO.

Ni de bien nouveau.

BONAVENTURA.

Le capitaine Fortunato…

FRANGIPANO.

N’a-t-il pas toujours été le favori…

PONTEFIASGONE.

De la favorite de l’archiduc.

BONARDO.

Toujours !

FRANGIPANO.

Toujours !

PONTEFIASCONE.
Toujours !
BONAVENTURA.

Toujours !

FORTUNATO.

Toujours, non, non.

TOUS QUATRE, riant.

Ah ! ah ! ah ! ah !

FORTUNATO.

Quelquefois peut-être, mais aujourd’hui, non.

FRANGIPANO.

De la discrétion…

PONTEFIASCONE.

Bien, capitaine, très-bien.

FORTUNATO.

Je vous dis la vérité, l’exacte vérité, je puis assurer à Vos Excellences…

TOUS QUATRE, avec onction.

Excellences !

FORTUNATO.

Mais j’ai toujours traité d’Excellences les personnes portant ce costume.

BONAVENTURA.

Vous pouvez continuer.

RONARDO.

Nous n’y voyons aucun inconvénient.

PONTEFIASCONE.

Et puisque vous venez de parler aux ministres…

FRANGIFANO.

Les ministres ont à vous parler.

PONTEFIASCONE.

Capitaine Fortunato, nous faisons appel à votre dévouement.

FORTUNATO.

Je suis à vos ordres ; mon devoir il y a huit jours était de vous arrêter, mon devoir aujourd’hui est de vous obéir.

PONTEFIASCONE.

Nous aimons mieux ça.

BONAVENTURA.

La situation est grave, capitaine Fortunato.

FRANGIPANO.

Nos prédécesseurs ont repris la suite de nos affaires.

PONTEFIASCONE.

Et, en ce moment réunis à l’auberge (Prononcez en italien.) della conspirazione permanente.

FORTUNATO.

Vous dites ?

PONTEFIASCONE.

L’auberge della conspirazione permanente… ils préparent un soulèvement.

BONAVENTURA.

Il faut agir !

BONARDO.

Et agir vigoureusement.

FRANGIPANO.

Contre ces audacieux perturbateurs.

PONTEFIASCONE.

Il faut les écraser.

TOUS LES QUATRE.

Oui ! les écraser.

FORTUNATO.

Fort bien, messieurs, nous-les-é-cra-se…

ENSEMBLE.

Rons !

FORTUNATO.

Je monte à cheval, je pars, cours à l’auberge, et je vous ramène ces audacieux perturbateurs.

Il remonte.
PONTEFIASCONE.

Capitaine, vous savez bien où se trouve l’auberge della conspirazione permanente ?

FORTUNATO.

Parfaitement, Excellences, j’ai eu l’honneur de vous y pincer l’été dernier.

PONTEFIASCONE.

C’est juste, je l’avais oublié.

FORTUNATO.

Au revoir, Excellences.

TOUS QUATRE.

Au revoir, capitaine.

Fortunato sort.


Scène VI

Les Mêmes, puis MARIETTA.
TOUS QUATRE, avec orgueil et satisfaction.

Excellences !

PONTEFIASCONE.

Oui, mais pour combien de temps.

BONAVENTURA.

Nos affaires vont mal.

BONARDO.

L’archiduc est furieux !

FRANGIPANO.

Il veut ravoir sa couronne.

BONAVENTURA.

Et surtout, son timbre archiducal.

BONARDO.
Ça l’ennuie d’avoir donné son pouvoir à cette petite comtesse.
PONTEFIASCONE.

Et sa mauvaise humeur retombe sur nous.

FRANGIPANO.

L’archiduc, hier, m’a pris à part, il a tiré un livre de sa poche, c’était mon manuel du parfait conspirateur, péché de jeunesse, lui ai-je dit. Pas du tout, bon livre, très-bon livre, je le lis avec beaucoup de plaisir, le chapitre 6 surtout, et il a ouvert le livre à la page 323.

PONTEFIASCONE.

Quel est donc ce chapitre ?

FRANGIPANO.

De la manière de se débarrasser d’un ministère désagréable.

TOUS.

Aïe ! aïe ! aïe ! aïe !

FRANGIPANO.

Il a souri étrangement, et s’est éloigné.

BONARDO.

Hum ! c’est inquiétant.

PONTEFIASCONE.

Bah ! nous avons madame l’archiduc avec nous.

Marietta parait sur les marches et écoute.

FRANGIPANO.

Pas tant que ça ; elle se compromet furieusement madame l’archiduc, vous n’avez donc pas vu tout à l’heure avec le petit capitaine.

PONTEFIASCONE.

A ses pieds, en effet, c’était drôle.

BONAVENTURA.

Elle trompe l’archiduc.

FRANGIPANO.

C’est vraiment très-gai

PONTEFIASCONE.
Elle est joliment délurée, cette petite femme.
BONARDO, riant.

L’archiduc…

BONAVENTURA, riant.

Le petit capitaine…

BONARDO, riant.

Elle va bien.

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah ! ah !

MARIETTA.

Bon appétit, messieurs…

Elle descend.

TOUS, saisis.

Madame l’archiduc.

MARIETTA.

Eh bien, c’est du gentil, comment vous dites, l’archiduc, vous dites le petit capitaine… tout ça, c’est des cancans.

TOUS.

Des cancans !

MARIETTA.

Des potins.

TOUS.

Des potins !

COUPLETS.
MARIETTA.
I
––––––––Le duc avec largesse
––––––––M’a proclamé altesse,
––––––––Il m’a je le confesse,
––––––––Donné le sceau royal.
––––––––Il m’a, titre suprême,
––––––––Offert son diadème ;
––––––––Comme il l’a dit lui-même,
––––––––C’était original.
––––––Mais mon cœur n’était pas à vendre,
––––––Et là, vrai, foi de Marietta,
––––––Malgré tout c’ qu’il a pu prétendre,
––––––L’archiduc n’a pas eu ça,
––––––––––Pas ça, pas ça,
–––––––Non, Ernest, n’a pas eu ça.
II
––––––––Quant au p’tit capitaine,
––––––––La chose est bien certaine,
––––––––Il a perdu sa peine ;
––––––––Certe, il m’a fait la cour,
––––––––Il avait de quoi m’ plaire,
––––––––Mais j’ai dans cette affaire,
––––––––Quoiqu’on me croie légère,
––––––––Refusé son amour.
––––––Mon mari seul me trotte en tête,
––––––Et là, vrai, foi de Marietta,
––––––Malgré tous ses airs de conquête,
––––––Le p’tit bonhomm’ n’a pas eu ça,
––––––––––Pas ça, pas ça,
––––––Le p’tit bonhomm’ n’a pas eu ça.
III
––––––––Personne ne peut dire
––––––––Qu’on a su me séduire ;
––––––––Tenez, j’ vais vous fair’ rire,
––––––––Comme on a jamais ri,
––––––––Et vous n’allez pas croire
––––––––Un mot de cette histoire…
––––––––Mon mari, mon mari,
––––––Lui sait cependant si j’ l’aime,
––––––Eh bien, vrai, foi de Marietta,
––––––Mon mari, mon mari lui-même,
––––––Mon pauv’mari n’a pas eu ça,
––––––––––Pas ça, pas ça,
–––––––Mon mari n’a pas eu ça !
BONAVENTURA.

Nous n’insistons pas.

BONARDO.

Nous vous croyons.

PONTEFIASCONE.

Et puis, ça nous est tout à fait égal.

FRANGIPANO.

Maintenant, madame l’archiduc, les affaires de l’État nous réclament.

MARIETTA.

Encore les affaires de l’État.

PONTEFIASCONE.

Nos portefeuilles sont bondés.

BONAVENTURA.

Nous avons des sommes folles à vous demander.

FRANGIPANO, consultant son portefeuille.

1° Pour la démolition d’un boulevard : cinq millions.

PONTEFIASCONE, même jeu.

2° Pour la reconstruction du même boulevard ailleurs : cinq millions.

MARIETTA.

Eh bien, voilà dix millions bien mal employés.

BONAVENTURA, même jeu.

Trois bureaux de tabac : soixante mille ducats.

BONARDO, même jeu.

Achat d’un billard anglais : onze millions.

PONTEFIASCONE.

Cigares, cent mille écus.

FRANGIPANO.
Hein ! qu’est-ce que je vois là ? un violon pour le père Michel.
MARIETTA.

Ah ! je sais, c’est moi qui ai demandé…

FRANGIPANO.

Trente-sept francs.

PONTEFIASCONE.

Oh ! oh !

TOUS.

Oh ! oh !

MARIETTA.

Comment, oh ! oh !

FRANGIPANO.

Pas possible.

MARIETTA.

Comment, je vous accorde des millions, et vous me marchandez trente-sept francs.

PONTEFIASCONE.

Jamais un violon n’a figuré sur un budget.

MARIETTA.

C’est comme ça, eh bien, je vous le dis tout net, tout franc, je ne signerai plus rien, je ne timbrerai pas ça, vous entendez, pas ça… tant qu’on ne m’aura pas rendu mon mari.

FRANGIPANO.

On vous le rendra votre mari, madame.

GILETTI, appelant du dehors.

Marietta !

TOUS.

Cette voix !

Ils remontent.


Scène VII

Les Mêmes, GILETTI.
GILETTI, entrant, embrasse Marietta.
Marietta, ma femme !
FRANGIPANO.

Le mari !

PONTEFIASCONE.

Le comte !

BONAVENTURA.

Il tombe bien… en plein conseil.

BONARDO.

Sans crier gare !

Ils descendent.

PONTEFIASCONE, à Giletti.

Comment, vous, déjà de retour ?

FRANGIPANO.

Et votre mission auprès du roi de Naples ?

GILETTI.

Ah oui, parlons-en de ma mission, une lettre à porter.

FRANGIPANO.

Oui, une lettre de créance, c’est moi même qui vous l’ai remise.

GILETTI.

Elle était jolie la lettre, je l’ai décachetée en route. Tiens, lis-la.

Il la donne à Marietta.

MARIETTA, lisant.

Retenez cet imbécile le plus longtemps possible. (A Frangipane.) C’est vous, monsieur, qui avez écrit cela.

Elle lui rend la lettre.

FRANGIPANO.

Mais, c’est la formule habituelle de toutes les lettres de créance.

MARIETTA.

Comment, on te traite d’imbécile, mon pauvre ami.

Ils s’embrassent. — Musique.

TOUS.

Qu’est-ce que c’est que ça ?..

BONAVENTURA.
Ce sont les conspirateurs.
FRANGIPANO.

Madame, ce sont les conspirateurs.

Il prend la main de Marietta et la conduit à droite.

MARIETTA.

C’est juste, le devoir avant tout !

Elle s’assied sur une chaise que lui a avancée Giletti.

PONTEFIASCONE.

Tiens. Je connais cet air-là.

LES TROIS AUTRES.

Moi aussi !

Ils chantent.

Ils viennent pour la grande affaire, Du château de Castelardo.


Scène VIII

Les Mêmes, FORTUNATO, amenant LA COMTESSE, LE COMTE, Les Quatre Conseillers disgraciés, enveloppés dans des manteaux, comme les Conspirateurs du premier acte, puis L’ARCHIDUC, qui a une grosse barbe et un grand manteau.
FORTUNATO, à Marietta

Messieurs et madame les conspirateurs, j’ai emmené tout ce que j’ai trouvé, il y en a un lot.

L’ARCHIDUC, entrant, à part. — Au public.

Oui, conspirateurs ! (Il regarde Marietta.) cette femme à qui j’ai donné ma couronne, et tout mon amour, a voulu me faire fusiller, alors, j’ai conspiré, et je n’en suis pas fâché, car j’ai rencontré à l’auberge cette autre petite femme. (Il montre la comtesse à gauche.) Elle est exquise et quel sourire elle a, un sourire angélique.

FORTUNATO, frappe sur l’épaule de l’archiduc.

Dans les rangs.

L’archiduc va se mettre à gauche devant les conspirateurs.

LA COMTESSE, bas au comte.
Ah ! mon ami, je tremble. Que va-t-il nous arriver ? Vous avez voulu à toute force vous remettre à conspirer.
LE COMTE.

Ne crains rien, l’homme à la grosse barbe à qui j’ai tout dit, m’a affirmé que justice nous serait faite.

MARIETTA, à l’archiduc.

Avancez vous le premier.

BONAVENTURA, s’oubliant s’avance.

C’est moi le premier.

FORTUNATO.

Excellence !

BONAVENTURA.

C’est vrai, j’oubliais.

Il remonte.

MARIETTA.

Vous, le premier, le petit gros à la barbe… (L’archiduc s’avance.) Vos nom, prénoms, âge et domicile ? (Il ne répond pas et regarde la comtesse. — Aux conseillers.) Qu’est-ce qu’il a dit ? (A l’archiduc.) Eh bien, parlez donc !

L’ARCHIDUC, à Marietta.

Elle est exquise !

LA COMTESSE, montrant Giletti et Marteau au comte.

Tiens, regarde là-bas, ce sont eux.

GILETTI, à Marietta, même jeu (montrant le comte).

Marietta, regarde donc là-bas.

MARIETTA.

Où ça ? (A l’archiduc qui est devant elle.) Ne masquez pas.

LES CONSEILLERS.

Ne masquez pas.

FORTUNATO.

Ne masquez pas.

Le duc ne bouge pas.

MARIETTA, à l’archiduc.

Vous… ne masquez pas. (Il remonte un peu.) En effet, c’est le comte et la comtesse.

FRANGIPANO, à Marietta, en regardant la comtesse.

Elle a une jolie tête, n’est-ce pas, madame ?

L’ARCHIDUC, croyant que c’est de lui que l’on parle.

J’ai une jolie tête, je produis mon effet.

Il s’avance.
MARIETTA.

Ne masquez pas.

TOUS.

Ne masquez pas.

L’ARCHIDUC.

C’est à moi que vous parlez ?

MARIETTA.

Il ose répondre, allons houst, houst, enlevez le conjuré !

TOUS.

Houst, houst, enlevez-le !…

L’ARCHIDUC, ôtant son chapeau, son manteau et sa barbe.

Qui osera porter la main sur moi ?

TOUS, le reconnaissant.

L’archiduc !

Marietta se lève. On range la chaise.

MARIETTA, surprise.

Ernest !

L’ARCHIDUC.

Oui, l’archiduc Ernest qui sait la vérité, avancez monsieur le comte, madame la comtesse (A part.) Elle est exquise, et vous aussi, comte et comtesse de contrebande, regardez Monsieur, regardez Madame, les reconnaissez-vous ?

MARIETTA.

Parfaitement, c’est le comte et la comtesse de Castelardo.

LE COMTE.

Qui viennent vous redemander leur nom.

MARIETTA.

Oh ! reprenez-le votre nom, et vous, Ernest, reprenez votre spectre, vos siaux, et tout le bataclan, j’ai mon mari maintenant, ça me suffit.

Elle remonte avec Giletti.
L’ARCHIDUC.

Enfin. (Au comte.) Monsieur le comte, je vous nomme ambassadeur à Naples.

LE COMTE.

Sire, que de grâces.

L’ARCHIDUC, à Frangipano.

Monsieur le marquis.

FRANCIPANO, s’avançant.

Altesse.

L’ARCHIDUC.

Vous remettrez à Monsieur sa lettre de créance.

Les quatre conseillers rient.

FRANGIPANO.

J’ai justement celle que Monsieur vient de me rendre, il n’y a plus qu’à la recacheter.

Le comte et la comtesse remontent.

PIANODOLCE.

Son Altesse va nous rendre nos portefeuilles.

TUTTI-FRUTTI.

Son Altesse n’oubliera pas que nous avons conspiré ensemble.

LES QUATRE CONSEILLERS DISGRACIÉS.

Ensemble.

LES QUATRE CONSEILLERS.

Eh bien et nous, alors !

PONTEFIASCONE.

Nous avons conspiré avant vous.

L’ARCHIDUC.

Je vais arranger ça, vous serez tous conseillers de deux jours l’un. (Aux disgraciés.) Vous, Messieurs, les lundis, mercredis et vendredis. (Aux conseillers.) Et vous, Messieurs, les mardis, jeudis et samedis.

TOUS ENSEMBLE.
Et le dimanche ?
L’ARCHIDUC.

Le dimanche, on fera les affaires !

Entrée générale, dragons et petits soldats.

MARIETTA, descendant avec Giletti.

Eh ben, et nous, et nos dix mille écus ?

LE COMTE, descend avec sa femme.

Vous les aurez, vos dix mille écus.

MARIETTA.

Merci, Monsieur, Madame, nous allons acheter l’auberge.

FORTUNATO, à Marietta.

Et pourra-t-on aller vous y voir ?

MARIETTA.

Oui, mais pas avant un bon mois.

FORTUNATO.

Pourquoi ?

MARIETTA.

Parce que nous allons commencer par la fermer l’auberge, et nous mettrons un écriteau sur la porte.

GILETTI.

Fermé…

MARIETTA.

Pour cause…

FORTUNATO.

De nuit de noces.

COUPLET FINAL.
MARIETTA, au public.
––––––––Je ne suis plus comtesse,
––––––––Je ne suis plus altesse,
––––––––Avec bonheur je laisse
––––––––Le trône et son clinquant.
––––––––A mon mari la pomme,
––––––––A présent qu’ j’ai mon homme,
–––––––Qu’est-ce que j’ demande, en somme ?
––––––––Que tout l’monde soit content.
––––––Nous avons essayé de plaire,
––––––Et tous ces messieurs qui sont là
––––––S’ront indulgents pour nous, j’espère,
––––––Et n’voudront pas nous r’procher ça,
––––––––––Pas ça, pas ça,
––––––Ils n’voudront pas nous r’procher ça.
CHŒUR.
––––––––––Pas ça, pas ça,
––––––Ils n’voudront pas nous r’procher ça,
FIN