Calmann Lévy, éditeur (p. 37-74).
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ACTE DEUXIÈME

Un grand salon dans le château de Castelardo, quatre portes latérales, trois au fond, deux fauteuils et un tabouret.



Scène PREMIÈRE

Au lever du rideau, Six Domestiques et Huit Femmes de Chambre, puis RICARDO.
CHŒUR.
–––––––Dans la salle des ancêtres,
–––––––Nouveaux serviteurs émus,
–––––––Nous allons revoir nos maîtres
–––––––Que nous n’avons jamais vus
RICARDO, entre du fond.

C’est très-bien !

TOUS.

Vive monsieur l’intendant !

RICARDO.
Oui, mes enfants, ils sont arrivés vos bons maîtres, que vous n’avez jamais vus, ils achèvent de s’habiller, vous allez les voir, vous allez les voir.

Scène II

Les Mêmes, GILETTI, MARIETTA, Deux Domestiques.
UN DOMESTIQUE, venant de gauche, premier plan. Annonçant.

Monsieur le comte.

UN DOMESTIQUE, même jeu à droite. — Annonçant.

Madame la comtesse.

Giletti et Marietta entrent vêtu de riches habits, ils s’aperçoivent se mettent à rire aux éclats.

––––––––––Ah ! ah ! ah ! ah !
MARIETTA.
––––––––––Ah ! ah ! ah ! ah !
GILETTI.
––––––Ah ! ah ! c’est toi, Marietta !
MARIETTA.
––––––C’est toi, Giletti, ah ! ah ! ah !
ENSEMBLE.
––––––––––––C’est toi. (Bis.)
–––––––Je ris sans savoir pourquoi,
–––––––––Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
RICARDO.
––––––Prenez des airs moins drolatiques,
––––––Voyons, devant les domestiques.
GILETTI.
––––––Vous avez raison, bon vieillard,
––––––Mais c’est plus fort que nous, ça part.
––––––––––Ah ! ah ! ah ! ah !
LES DOMESTIQUES.
––––––––––Allons, tant mieux !
––––––––––Ils sont joyeux.
COUPLETS
GILETTI.
I
–––––––Si tu savais comme t’es drôle !
MARIETTA.
–––––––T’as fièrement l’air emprunté.
GILETTI.
–––––––T’es décoll’té’ jusqu’à l’épaule.
MARIETTA.
–––––––On t’a joliment fagoté.
GILETTI.
–––––––En voilà-t-il des beaux costumes !
MARIETTA.
–––––––Et tous ces falbalas, vois donc.
GILETTI.
–––––––T’as l’air d’un’ masqu’ avec ces plumes,
MARIETTA.
–––––––Et toi, t’as l’air d’un gros dindon.
GILETTI.
–––––––––Ma petite femme,
–––––––––Tant pis ! je me pâme.
GILETTI.
––––––––Mon p’tit mari chéri,
–––––––––Jamais j’ai tant ri,
––––––––––Ah ! ah ! ah ! ah !
LES DOMESTIQUES.
––––––––––Allons, tant mieux !
––––––––––Ils sont joyeux.
II
GILETTI.
–––––––C’est égal, tu me plais quand même.
MARIETTA.
–––––––Tout de même, t’es ben gentil.
GILETTI.
–––––––C’est pas pour des rubans que j’ t’aime.
MARIETTA.
–––––––T’es toujours mon p’tit Giletti.
GILETTI.
–––––––Je t’aime toujours davantage.
MARIETTA.
–––––––J’admir’ ton minois chiffonné.
GILETTI.

Mais pourtant quand j’ te dévisage…

MARIETTA.
–––––––C’est égal, quand je lèv’ le né…

Riant.

GILETTI.
–––––––––Ma petite femme,
–––––––––Tant pis ! je me pâme.
MARIETTA.
––––––––Mon p’tit mari chéri,
–––––––––Jamais j’ai tant ri,
––––––––––Ah ! ah ! ah ! ah !
LES DOMESTIQUES.
––––––––––Allons, tant mieux !
––––––––––Ils sont joyeux.

Giletti et Marietta s’embrassent.

RICARDO, bas, les séparant.

Sapristi, attendez que vous soyez seuls.

GILETTI.

Et quand serons-nous seuls ?

RICARDO.

Tout de suite, mais auparavant dites Quelques mots à vos gens.

GILETTI.

Que je leur dise quelques mots.

RICARDO.
Oui, pour les congédier, ils ne vous connaissent pas encore, ils ne vous ont jamais vus. Faites-vous reconnaître pour leur seigneur.
GILETTI, aux domestiques.

Merci, mes amis ; — le vieux va vous compter dix écus à chacun.

TOUS.

Vive monsieur le comte !

RICARDO.

Mais, monsieur le comte.

MARIETTA.

Il a raison le vieux, c’est pas assez, mesdemoiselles, moi je vous en donne vingt.

TOUTES.

Vive madame la comtesse !

RICARDO.

Comme ils y vont.

REPRISE DU CHŒUR.
–––––––Dans la salle des ancêtres,
–––––––Nouveaux serviteurs émus,
–––––––Nous avons revu nos maîtres,
–––––––Que nous n’avions jamais vus.

Ils sortent par le fond, Ricardo sort le dernier et ferme la porte.


Scène III

GILETTI, MARIETTA, puis FORTUNATO.
GILETTI, à Marietta.

Enfin nous voilà seuls.

Il la serre dans ses bras.

MARIETTA.

Oh ! ne me secoue pas comme ça, depuis hier, je crois rêver.

GILETTI.
Oui, ça a commencé comme un cauchemar, cet étranger avec ce ton de menace, ce pistolet à mon oreille.
MARIETTA.

Cette pauvre petite femme qui me suppliait d’une voix si douce en me mettant son chapeau.

GILETTI.

Et puis, cette course en voiture.

MARIETTA.

La nuit, au grand galop.

GILETTI.

Et ces dragons à cheval autour de nous.

MARIETTA.

En face de moi, le petit capitaine. (Fredonnant.) Un p’tit bonhomme, un p’tit bonhomme.

GILETTI.

Puis en arrivant ici, on nous sépare, on m’emmène.

MARIETTA.

On m’enlève.

GILETTI.

On me déshabille.

MARIETTA.

On m’attife avec cette robe.

GILETTI.

Et moi, avec ce frac à boutons d’or.

MARIETTA.

Et nous nous retrouvons comte et comtesse.

GILETTI.

Et l’on nous promet dix mille écus.

MARIETTA.

En v’là une aventure !

GILETTI.

En voilà un voyage !

MARIETTA.

Un rude voyage ! et cette voiture, comme elle cahotait !

GILETTI.
C’est vrai, elle cahotait, tandis qu’ici… (Il l’embrasse.) ça ne cahote pas.
MARIETTA.

Tais-toi donc.

GILETTI.

Puisqu’on nous permet de nous aimer, d’aimer sa p’tite femme, car t’es ma p’tite femme.

Il lui donne une bourrade.

MARIETTA, même jeu.

Qu’ t’es bête… Et toi t’es mon p’tit mari.

GILETTI.

On n’ peut pas changer ça, c’est qu’ t’es ma p’tite femme et que j’ t’aime.

MARIETTA.

Oui, mais nous sommes comte et comtesse, maintenant.

GILETTI.

Sais-tu ce que ça fait les comtes et les comtesses ?

MARIETTA.

Non !

GILETTI.

Eh bien, ça commence par aller fermer les portes, et j’ vas fermer celle-ci.

Il va à la porte au fond, Fortunato parait.

FORTUNATO.

Pardon !

MARIETTA.

Tiens, le p’tit dragon.

GILETTI.

Qu’est-que vous nous voulez encore ?

FORTUNATO.

Je viens pour une affaire très-importante, je viens accomplir une grave formalité. (Il va à Marietta.) Le voyage ne vous a pas fatiguée, comtesse, vous êtes plus jolie que jamais.

Il lui baise la main.

GILETTI.
Dites donc, c’est ça que vous appelez une formalité ?
FORTUNATO.

Quelle formalité ! Ah oui, la formalité, j’y reviens.

Il embrasse de nouveau la main de Marietta.

GILETTI.

Mais, c’est à ma femme que vous revenez.

FORTUNATO.

C’est vrai, je m’oubliais… qui ne s’oublierait devant de pareils yeux ?

Il parle à Giletti sans le regarder et contemplant Marietta.

GILETTI.

Eh bien !

FORTUNATO.

Eh bien, monsieur le comte, je viens au nom de Son Altesse l’archiduc Ernest, vous demander votre épée.

GILETTI.

Mon épée !

MARIETTA.

Donnez-y, et puis le fourreau avec… ça t’gêne.

GILETTI, dégraffe le ceinturon et tend le tout à Fortunato qui n’y fait pas attention.

Voilà l’épée.

FORTUNATO.

Et puis donnez-moi votre parole de gentilhomme de ne pas chercher à fuir de ce château.

GILETTI.

Ma parole de gentilhomme !

MARIETTA.

Donnes-y… ça te gêne aussi.

GILETTI.

Je la lui donne.

FORTUNATO.

D’ailleurs vous chercheriez à fuir de ce château, que vous ne le pourriez pas, j’ai mis des dragons à toutes les issues, et si l’on peut entrer, on ne peut pas sortir.

MARIETTA.
Alors, pourquoi que vous lui demandez sa parole ?
FORTUNATO.

C’est l’usage !

GILETTI.

Et maintenant, vous seriez bien gentil, si…

Il s’arrête embarrassé.

FORTUNATO.

Si ?

MARIETTA, même jeu.

Vous seriez bien aimable si…

GILETTI.

Si vous vouliez…

Il montre la porte.

FORTUNATO.

Expliquez-vous ?

GILETTI.

C’est que c’est difficile… si… si…

FORTUNATO, qui a compris.

Attendez !

COUPLETS.
I
––––––Parlez, voyons, je sais comprendre,
––––––Je suis un indiscret témoin,
––––––Les cieux sont bleus, et l’herbe est tendre,
––––––Vous voudriez me voir bien loin.
––––––Je comprends à vos fronts moroses
––––––Que je dois bien vous ennuyer,
––––––Car vous avez pas mal de choses
––––––A vous dire en particulier. (Bis.)
II

A Giletti.

––––––Tenez, je vous le dis en face,
––––––Si j’étais comme vous voilà,
––––––Bref, si j’étais à votre place,
––––––Près de ce petit minois-là,
––––––Si je voyais ces lèvres roses Me sourire, ah ! foi d’officier !

J’aurais aussi pas mal de choses A leur dire en particulier.

Il sort vivement par le fond en prenant l’épée de Giletti.


Scène IV

Les Mêmes, puis PONTEFIASCONE, FRANGIPANO, BONAVENTURA et BONARDO.
MARIETTA.

Il est gentil ce petit bonhomme !

GILETTI.

Eh bien, comtesse !

MARIETTA.

Qu’ t’es bête, c’est pas quand on est mariée depuis vingt-quatre heures seulement, qu’on fait attention à un autre qu’à son mari.

GILETTI, vivement.

Alors, s’il y avait plus de vingt-quatre heures ?

MARIETTA.

Quéqu’t’as encore, puisqu’il est parti ?

GILETTI, se calmant.

C’est vrai, il est parti.

MARIETTA.

Et nous sommes seuls.

GILETTI.

C’est vrai, nous sommes seuls. (Riant.) Eh ben, nous allons fermer les portes. Va fermer cette porte. (Il lui montre la porte, deuxième plan à gauche.) Moi, je vais fermer celle-ci.


Ils hésitent un instant, puis vont en courant pour fermer ces deux portes, lorsque paraissent par la petite porte du fond, et celle du deuxième plan à gauche, Pontefiascone et Bonaventure, même jeu à droite, Frangipane et Bonardo paraissent, Marietta se trouve entre les deux premiers et Giletti entre les deux autres, ils descendent tous les six.

GILETTI et MARIETTA, effrayés.

Qu’est-ce que c’est qu’ça ?

SEXTUOR.
PONTEFIASCONE et BONAVENTURA,
––––––––––S. A. D. E.
MARIETTA et GILETTI.
––––––––––S. A. D. E.
LES CONSPIRATEURS.
––––––––––S. A. D. E.
PONTEFIASCONE, à Giletti.
–––––––––Le secret est grave,
––––––A demi-mot vous comprenez ;
––––––Cependant si vous y tenez.
GILETTI et MARIETTA.
––––––––Eh bien !
TOUS LES QUATRE.
––––––––Eh bien ! S. A. D. E.

Ils remontent.

MARIETTA, à Giletti.
––––––Comprends-tu, toi ?
GILETTI.
––––––Comprends-tu, toi ? Rien, ma parole !
MARIETTA.
––––––Il me semble que je sais ;
––––––J’appris ça jadis à l’école,
––––C’est pas autre chose que l’A, B, C.
GILETTI.
––Tu crois ?
MARIETTA.
––Tu crois ? Faut essayer, ils vont recommencer.
GILETTI.
––––Soit, essayons.
MARIETTA.
––––Soit, essayons. Ils vont recommencer.
LES CONSPIRATEURS.
––––––––––S. A. D. E.
MARIETTA.
––––A. B. C. D. E. F. G. I. J. K
–––L. M. N. O. P. Q. R. S. T. U. V.
LES CONSPIRATEURS.
––––––––––S. A. D. E.
––––––––––T. V. A. B.
MARIETTA.
––––––––A. B. A. B. A. B.
––––A. B. C. D. E. F. G. I. J. K.
–––L. M. N. O. P. Q. R. S. T. U. V.
–––E. J. K. E. J. K. A. B. C. D. E.

Giletti et Marietta remontent.

COUPLET.
PONTEFIASCONE.
––––––Sapristi ! je crois qu’on s’embrouille.
FRANGIPANO.
––––––Je ne sais pas, j’ai bien compris.
BONAVENTURA.
––––––Je m’aperçois que je barbouille.
BONARDO.
––––––Je ne sais plus ce que je dis.
PONTEFIASCONE.
––––––Ce sont eux qu’on ne peut entendre.
FRANGIPANO.
––––––Si c’était nous qui nous trompions ?
BONAVENTURA.
––––––Voyons, tâchons de nous comprendre.
PONTEFIASCONE.
––––––Je veux bien, tâchons, nous disions…
TOUS LES QUATRE, s’embrouillant.
––––––––––S. R. S. T.
MARIETTA, et GILETTI, descendant.
–––––T. V. A. H.
REPRISE.
–––––T. V. A. H. A. B. C. D. E.
ENSEMBLE.
––––C’est entendu, c’est convenu,
––––––––––C’est entendu.
FRANGIPANO.

Enfin, nous nous expliquerons mieux tout à l’heure. (A Giletti.) Monsieur le comte, veuillez prier madame la comtesse de se retirer un instant.

MARIETTA, prenant le bras de Giletti.

Mais, monsieur !

FRANGIPANO.

Cinq minutes seulement, il s’agit d’une affaire grave.

MARIETTA.

Cinq minutes, pas plus.

FRANGIPANO.

Foi de gentilhomme ! Madame, permettez-moi de vous reconduire.

Il prend la main de Marietta et la conduit à la porte, premier plan le droite. — Les trois autres suivent l’un derrière l’autre et saluent, Marietta leur rend leur salut gauchement et disparaît.

GILETTI, à part.

Qu’est-c’qui va m’arriver ?

FRANGIPANO, revenant, ainsi que les trois autres.

A nous maintenant.

GILETTI.

Quoi qu’y a pour votre service ?

PONTEFIASCONE.

Laissez-nous vous contempler.

FRANGIPANO.
Nous ne vous avions pas encore vu.
BONARDO.

Tous les traits de son père.

PONTEFIASGONE.

A peine avez-vous reçu notre honorée du 5 courant.

GILETTI.

Votre honorée ?

FRANGIPANO.

Que vous accourez aussitôt, c’est bien !

PONTEFIASCONE.

Noble cœur !

FRANCIPANO.

Cœur chevaleresque !

BONAVENTURA.

Cœur héroïque !

BONARDO.

Cœur magnanime !

FRANGIPANO.

C’est pour aujourd’hui la grande conspiration.

PONTEFIASCONE.

Tout est prêt, on n’attendait plus que toi.

BONAVENTURA.

Tu vas monter à cheval.

BONARDO.

Tu iras à la ville.

FRANGIPANO.

Tu prépareras un soulèvement.

PONTEFIASCONE.

Tu te mettras à la tête du mouvement.

BONAVENTURA.

Tu casseras beaucoup de carreaux.

BONARDO.

Tu envahiras le palais du tyran.

GILETTI.

A moi seul ?

PONTEFIASCONE.
Non, avec le mouvement.
FRANGIPANO.

Tandis que nous,

PONTEFIASCONE.

Malins et prudents,

BONAVENTURA.

Nous resterons dans l’ombre,

BONARDO.

A prier pour toi

GILETTI.

Vous êtes bien honnêtes.

PONTEFIASCONE.

A toi l’honneur de supprimer l’archiduc.

GILETTI, effrayé.

L’archiduc !

TOUS LES QUATRE.

Choisis !

BONARDO, lui présentant un poignard.

Le poignard de tes pères.

FRANGIPANO, lui présentant un flacon.

Le poison des Borgia.

BONAVENTURA, lui présentant un petit eustache.

Le petit couteau du prisonnier.

PONTEFIASCONE, lui présentant un pistolet.

Le pistolet de Damoclès.

TOUS LES QUATRE.

Choisis…

Coup de canon.

PONTEFIASCONE, montrant son pistolet.

Ce n’est pas lui, il rate toujours.

Coup de canon.

BONARDO, allant au fond.

Cette fois…

PONTEFIASCONE, même-jeu.

C’est lui, l’archiduc, avec toute sa cour.

FRANGIPANO.
Les dragons…
TOUS.

Les dragons… filons !

Ils se sauvent par les portes où ils sont entrés, et laissent voir leurs têtes par les portes entrebaillées.

FRANGIPANO.

Coeur chevaleresque !

PONTEFIASCONE.

Noble cœur !

BONARDO.

Cœur magnanime !

BONAVENTURA.

Cœur héroïque !

Coup de canon. — Ils ferment les quatre portes ensemble.


Scène V

GILETTI, seul, puis MARIETTA, puis RICARDO.
GILETTI, seul.

L’archiduc, qu’est-c’ qu’ils ont donc ceux-là ?… (Regardant.) Où sont-ils ?

Coup de canon.

MARIETTA, entre éperdue.

Mon Dieu ! le canon, on assiége le château.

RICARDO, entrant par le fond.

Mais non, c’est l’archiduc Ernest ; il a toujours un canon sur lui, pour se tirer des salves sur la route. Il faut bien le recevoir, il doit être furieux. De la tenue, du sang- froid ; allons, monsieur le comte, madame la comtesse, tenez-vous par la main… et souriez. (Ils sourient bêtement.) Souriez mieux qu’ça. (Même jeu.) Là… c’est très-bien !

MARIETTA.

Mais qu’est-ce qu’il a avec son sourire, celui-là ?

Ils se mettent tous les trois à droite.

Scène VI

Les Mêmes, L’ARCHIDUC, avec toute sa Cour, Seigneurs, Dames d’honneur, Deux Pages, Quatre Conseillers, Dragons et Deux Domestiques.

On forme la haie au milieu.

CHŒUR D’ENTRÉE.
––––––Voici le duc, Sa Seigneurie
––––––Entre dans ce castel avec
––––––Quatre salves d’artillerie,
––––––Pour nous imposer le respect.
L’ARCHIDUC, entrant suivi de ses quatre conseillers.
––Bonjour. Moi, duc Ernest, par la grâce de Dieu,
––––Salut, salut, aux hôtes de ce lieu.

Parlé. Houst, houst.

Il passe au milieu, tout le monde recule.

COUPLETS.
REFRAIN.
––––––––––Original,
––––––Combien je suis original,
––––––Non, rien n’est plus original
––––––Qu’un archiduc original.
I
––––––Chaque archiduc de ma patrie
––––––D’un autre archiduc fut l’égal,
––––––Bref, ils étaient une copie ;
––––––Moi, je suis un original.
––––––Mon père était fort ordinaire,
––––––Et Bibi, sans penser à mal,
––––––Ne ressemble point à son père,
––––––Qui n’avait rien d’original.
––––––On vend mon portrait en peinture,
––––––De profil, à pied, à cheval ;
––––––Mais ce n’est jamais ma figure,
––––––Car je suis trop original.
REPRISE DU REFRAIN EN CHŒUR.
––––––––––Original,
––––––Combien il est original !
je suis
––––––Non, rien n’est plus original,
––––––Qu’un archiduc original.
II
––––––Original jusqu’à la moëlle ;
––––––Je suis roi, mais républicain ;
––––––Pendant l’été j’allume un poêle,
––––––L’hiver je porte du nankin.
––––––Quand une fillette m’adore,
––––––Je la prends soudain en dégoût ;
––––––Quand au contraire elle m’abhorre,
––––––Je l’aime aussitôt comme un fou.
––––––Très-riche, demandant l’aumône,
––––––Dormant le jour, veillant les nuits,
––––––Pour l’escabeau lâchant le trône,
––––––Car de la tête aux pieds je suis
REPRISE EN CHŒUR.
––––––––––Original, etc.

(Colère.) Hein ! qu’est-ce qui a dit que j’étais original ?

LES CONSEILLERS.

Monseigneur !

L’ARCHIDUC.

En voilà assez ! (se calmant.) Encore un acte de justice à accomplir. Où est le comte ?

RICARDO.

Ici, monseigneur. (A Giletti.) Souriez !

Giletti sourit bêtement.
L’ARCHIDUC.

Approchez, monsieur le comte. (Il regarde Giletti.) Qu’est-ce qu’il a donc à sourire comme ça ?

RICARDO.

C’est depuis une chute qu’il a faite tout enfant. (Bas à Giletti.) Ne souriez plus.

L’ARCHIDUC.

Vous êtes surpris de me voir ?

RICARDO, bas à Giletti.

Souriez.

Giletti sourit.

L’ARCHIDUC.

Votre père était un rebelle, un conspirateur, et nous dûmes l’exiler. (Regardant Giletti.) A-t-il un sourire agaçant, cet animal-là ! (Haut.) En apprenant votre retour, nous vous avons trouvé bien hardi d’oser vous montrer ici sans notre bon plaisir, et nous avons supposé que vous reveniez dans un but ténébreux. Nous nous sommes assuré de votre personne, et nous venons nous-même en ce château prêt à punir ou à pardonner. (Regardant Giletti.) Ah ça, est-ce que vous n’avez pas bientôt fini de sourire comme ça ?

GILETTI.

Monseigneur, on m’a dit, on nous a dit à Marietta et à moi…

L’ARCHIDUC.

Qu’est-ce que c’est que ça, Marietta ?

GILETTI, la montrant.

Marietta, ma femme.

RICARDO, la faisant passer près de l’archiduc.

Souriez, souriez.

Elle sourit niaisement.

L’ARCHIDUC.

Voilà au moins un gracieux sourire, elle a un sourire angélique. (Haut.) On dit que je suis original, on a bien raison, je venais pour punir, et je sens que je vais pardonner.

RICARDO.

Vive Monseigneur !

TOUS.

Vive Monseigneur !


Scène VII

Les Mêmes, FORTUNATO, puis PONTEFIASCONE, FRANGIPANO, BONAVENTURA, BONARDO, Dragons.
FORTUNATO, entrant.

Monseigneur…

L’ARCHIDUC.

Eh bien, quoi ?

FORTUNATO.

Mes soldats viennent d’arrêter quatre hommes qui cherchaient à fuir du château, on les amène, (Les conspirateurs paraissent suivis de dragons.) les voici !

Ils se placent en biais à droite.

GILETTI, les reconnaissant.

Les quatre de tout à l’heure, pas fâché de ça, moi…

L’ARCHIDUC.

Quels sont ces gens-là ? (Il va à eux en commençant par la gauche.) (Les regardant.) Le comte de Bonaventura, houst. (Celui-ci passe à gauche.) Le duc de Pontefiascone, houst. (Même jeu.) Le marquis de Frangipano, houst. (Même jeu.) Le libéral Bonardo, houst. (Même jeu.) Des conspirateurs effrénés, d’effrénés conspirateurs, (A Giletti.) La bande dont tu étais le chef, n’est-ce pas ? (Giletti sourit.) A-t-il un sourire agaçant cet animal là ! (Regardant Marietta.) Mais elle, quel joli sourire, elle a un sourire angélique, il est angélique ce sourire ! (Revenant à lui.) mais le devoir avant tout… messieurs mes conseillers.

LES CONSEILLERS.

Altesse !

L’ARCHIDUC.

Je crois que je vais faire le contraire de ce que je disais tout à l’heure, j’allais pardonner et je sens que je vais punir.

TOUS, avec stupeur.

Oh !

L’ARCHIDUC.

Nous allons régler lestement le compte de ces Messieurs. Je vais moi-même procéder à un interrogatoire sommaire.

PIANODOLCE, conseiller.

Devant toute la cour ?…

L’ARCHIDUC.

Non, monsieur, pas devant toute la cour, allons, houst, houst, la cour, houst les courtisans, les dames houst, vous reviendrez quand je sonnerai. (Tout le monde sort, Giletti et Marietta veulent sortir, Fortunato les arrête et ils passent à gauche. Les conseillers vont pour sortir aussi.) Restez, messieurs mes conseillers.

Les domestiques sont restés, ainsi que huit dragons.

CHŒUR DE SORTIE.
––––––––––Original, etc.

Scène VIII

L’ARCHIDUC, GILETTI, MARIETTA, FORTUNATO, Les Quatre Conspirateurs, Les Quatre Conseillers, Dragons et Domestiques.
L’ARCHIDUC, se promenant à grands pas.

Une conspiration ! on en voulait à ma vie, à mon existence tout entière ! (Il va aux conspirateurs qui sourient.) Regardez-moi ces faces sinistres, ces têtes de coquins, ces yeux sanguinaires, hou ! sont-ils laids.

MARIETTA, à Giletti.

Il a l’air furieux.

Un domestique avance un fauteuil à droite.

L’ARCHIDUC.

Et ils ont fourré une femme là-dedans, les misérables, une femme. (Marietta sourit.) Quel joli sourire ! elle est exquise, mais le devoir avant tout.

Il s’assied à droite.

PIANODOLCE, et les trois conseillers derrière l’archiduc.

L’audience est ouverte, Son Altesse va commencer l’interrogatoire.

L’ARCHIDUC, sévèrement.

Levez-vous tous.

GILETTI.

Y a pas de siéges.

L’ARCHIDUC.

Levez-vous tout de même. (A Pontefiascone.) Approchez ; vous le premier.

Ils avancent tous les quatre.

RONAVENTDRA, qui est le premier à gauche.

C’est moi le premier !

Pontefiascone qui est à côté de lui le repousse et s’avance.

L’ARCHIDUC.

Vos nom, prénoms, âge, domicile ?

Il regarde Marietta qui sourit toujours.

PONTEFIASCONE.

Beppino, Annibal de Pontefiascone, né en 1797.

L’ARCHIDUC, très-occupé de Marietta, à Ponteflascone qui la lui masque.

Ne masquez pas !

FORTUNATO.

Ne masquez pas !

PONTEFIASCONE, aux autres.
Ne masquez pas !
L’ARCHIDUC, furieux.

Vous, ne masquez pas.

PONTEFIASCONE.

Non, vous, ne me masquez pas. (Finissant par comprendre, il remonte un peu et recommence.) Annibal de Pontefiascone…

L’ARCHIDUC, à Fortanato

Capitaine, donnez un fauteuil. (Pontellascone remercie, croyant que c’est pour lui.) à madame la comtesse. (Fortunato fait signe à un domestique qui apporte un fauteuil et le place en face de l’archiduc. Marietta s’assied en souriant.) Et vous conspirez. Vous armez le bras d’un assassin. (Regardant Marietta assise.) Là, très-bien ! (A Pontefiascone.) Continuez et ne masquez pas…

PONTEFIASCONE.

Annibal, Beppino de…

L’ARCHIDUC.

Fortunato, un tabouret pour madame la comtesse.

Celui-ci fait un signe au domestique qui l’apporte, Fortunato le prend et le met sous les pieds de Marietta.

PONTEFIASCONE.

Beppino, Annibal de Pontefiascone, né…

L’ARCHIDUC.

Vous dites toujours la même chose…. houst, enlevez le conjuré !

Deux dragons s’emparent de Pontefiascone et l’emmènent, deuxième plan, à gauche, et reviennent aussitôt.

L’ARCHIDUC.

A un autre, avancez, vous le premier.

Frangipano et Bonaventura s’avancent.

BONAVENTURA.

C’est moi le premier.

Frangipane le repousse et s’avance.

L’ARCHIDUC, regardant Marietta.
Vos nom, prénoms, âge, profession… (S’oubliant.) Levez la main, dites, je le jure, l’affaire est entendue… elle est adorable. (Frangipano va pour s’en aller, l’archiduc criant.) Vos noms.
FRANGIPANO.

Géronimo, Pancracio, Tapafini…

L’ARCHIDUC, furieux.

Comment, j’ai pas fini, qu’est-ce qu’il a dit ?

FRANGIPANO.

Marquis de Frangipano…

L’ARCHIDUC.

Frangipano, n’êtes-vous pas l’auteur d’un manuel du parfait conspirateur ?

FRANGIPANO.

Dont l’édition est épuisée, oui. Altesse !

Il masque Marietta.

L’ARCHIDUC.

Ne masquez pas !

FORTUNATO.

Ne masquez pas !

TOUS.

Ne masquez pas !

L’archiduc avance un peu son fauteuil et regarde les pieds de Marietta sur le tabouret.

Elle a un pied charmant, quel pied charmant ! (Frangipano allonge son pied croyant que c’est du sien dont l’archiduc parle.) Il est ravissant ce pied ! (Frangipano se rengorge avec satisfaction.) Ne masquez pas !…

FORTUNATO.

Ne masquez pas !

L’ARCHIDUC.

Il n’y a pas dans ma cour de plus joli pied que celui-là…

FRANGIPANO, avec orgueil, avançant l’autre pied.

J’en ai un second.

L’ARCHIDUC.
La duchesse de Civita-Vecchia avait certainement un pied délicieux, mais il y a dans celui-ci plus de grâce, plus d’esprit. (Frangipane confus s’avance.) Ne masquez donc pas !
FORTUNATO, cherchant à rappeler l’archiduc à la situation.

Monseigneur, pardonnez-moi, mais l’interrogatoire…

L’ARCHIDUC, absorbé.

Oui, il a bien plus d’interrogatoire. (Revenant à lui.) Houst, enlevez le conjuré !

TOUS.

Enlevez le conjuré !

Deux dragons s’emparent de Frangipano et le conduisent deuxième plan à gauche.

L’ARCHIDUC.

Pianodolce, continuez l’interrogatoire.

PIANODOLCE.

Oui, Altesse ! (A Bornardo.) Avancez, vous le premier…

Bonaventura et Busards s’avancent.

BONAVENTURA.

C’est moi le premier.

L’ARCHIDUC.

Ah ! c’est vous le premier ? (Aux dragons.) Enlevez le premier, et le second aussi !

Les dragons les emmènent deuxième plan à gauche.

TOUS.

Enlevez-les !

LES QUATRE CONSEILLERS.

Monseigneur, l’interrogatoire.

L’ARCHIDUC, ennuyé.

Oh ! ces voix dans mon dos ! houst ! Dragons, enlevez mes conseillers !

Les dragons les emmènent deuxième plan à droite. — Fortunato sort derrière eux.

L’ARCHIDUC, se levant. — Un domestique range le fauteuil à Giletti qui s’est assis sur le petit tabouret à la droite de Marietta.

Avancez, monsieur le comte. (Giletti s’avance.) Je vais reprendre moi-même la direction de l’interrogatoire. (L’archiduc en passant, regarde Giletti qui sourit.) A-t-il un sourire agaçant, cet animal-là ! (Il va s’asseoir sur le tabouret.) Elle est exquise, elle a un sourire angélique ! (Haut.) Il fait ici une chaleur atroce, comtesse, voulez-vous prendre une glace, un sorbet, une petite brioche ?

MARIETTA, en minaudant, se lève ainsi que le duc, le domestique enlève le fauteuil et le tabouret.

Oui, je veux bien !

L’ARCHIDUC, lui prenant la main.

Elle est exquise.

Il la lui embrasse, Giletti tape sur l’épaule de l’archiduc.

L’ARCHIDUC.

Qu’est-ce que c’est ?

GILETTI.

Pardon, monseigneur, je vais vous dire, je sais bien que ça se passe comme ça dans les cours, et qu’il y a des maris qui s’en arrangent, mais pas moi…

LE DUC, fait un signe aux deux dragons qui sont restés, ceux-ci avançent.

Ah ! pas toi !

GILETTI.

Non, pas moi… on ne se chauffe pas de ce bois-là dans ma famille.

L’ARCHIDUC.

Ah ! on ne se chauffe pas dans ta famille, houst, houst, enlevez le mari, enlevez-le !…

Les dragons l’enlèvent.

GILETTI, pendant qu’on l’emporte.

Je te rattraperai, vilain singe.

Il disparaît.

MARIETTA.

Je vous en prie, monseigneur, qu’on ne lui fasse pas de mal.

Elle va vers la porte où est entré Giletti.

L’ARCHIDUC.

Soyez tranquille, et cependant, jamais on ne m’a appelé vilain singe.

MARIETTA.

C’est qu’on n’y avait pas pensé avant, monseigneur, sans ça…

Elle cherche à voir à travers la porte.

Scène IX

L’ARCHIDUC, MARIETTA, puis FORTUNATO.
L’ARCHIDUC, à part.

Qu’est-ce qu’elle a dit. (Haut.) Comtesse, je vous en prie, je vous en supplie.

MARIETTA, ennuyée, descendant.

Quoi qu’y a ?

L’ARCHIDUC.

Quoi qu’y a ? Il y a que… Comtesse, faites-moi votre petit sourire, faisez petite risette à Nénest ! (Marietta hésite, puis sourit.) Elle a un sourire exquis, embrasse-moi !

MARIETTA.

Ah, mais non !

L’ARCHIDUC.

Tu ne veux pas embrasser Ernest ?

MARIETTA.

Non, je ne veux pas embrasser Ernest.

L’ARCHIDUC.

Elle me résiste, elle résiste à l’archiduc, oh ! la lutte ! j’aime la lutte… embrasse-moi… (Il court après elle pour l’embrasser, Marietta lui donne un soufflet.) Ah !

FORTUNATO, parait au fond.

Monseigneur a sonné ?

L’ARCHIDUC, se tenant la joue.

Non, c’est madame qui a frappé. Approche, sais-tu ce que vient de faire cette femme, la comtesse ?

FORTUNATO.

Votre Altesse se tient la joue, aurait-elle osé ?

L’ARCHIDUC.

Elle a osé…

MARIETTA.

Il voulait m’embrasser, je lui ai flanqué une torgnole.

L’ARCHIDUC, enchanté.

Une torgnole, dans sa bouche, c’est presque harmonieux, elle m’a giflé, c’est la première fois que ça m’arrive, aussi je suis d’une joie…

FORTUNATO.

Du moment que Votre Altesse le prend comme ça…

L’ARCHIDUC.

J’étais blasé, j’ignorais les torgnoles, maintenant je ne les ignore plus, et regarde avec quelle jolie petite main.

Il veut lui prendre la main.

MARIETTA.

Touchez pas, ou je recommence.

FORTUNATO.

Mais, madame la comtesse…

MARIETTA.

Vous, non plus, vous êtes pourtant plus gentil que lui, qui est laid.

L’ARCHIDUC, enchanté.

Je suis laid… adorable… elle est complète, je l’emmène à la cour…

MARIETTA.

A la cour, j’veux pas y aller, ça m’ennuie à la fin tout es.

FORTUNATO.

Comtesse !

MARIETTA.

Je ne suis pas comtesse.

L’ARCHIDUC, riant.

Elle n’est pas comtesse, je crois, Dieu me pardonne ! qu’elle est encore plus originale que moi ; nous disons donc que vous n’êtes pas comtesse.

MARIETTA.

Non, je ne suis pas comtesse, puisque je suis servante d’auberge.

L’ARCHIDUC, riant très-fort.

Elle est servante d’auberge. Etonnante, elle est étonnante ; entrons dans sa fantaisie, Fortunato, veux-tu entrer dans sa fantaisie ? entrons, sans frapper… Alors, tues servante d’auberge ?

Il rit.

MARIETTA, à l’archiduc.

Ne riez donc pas comme ça, d’un air bête.

L’ARCHIDUC, ravi.

Fortunato, je ris d’un air bête. (A Marietta.) Et qu’est-ce que ça fait une servante d’auberge ?

MARIETTA.

Il ne sait pas c’que ça fait, est-il jeune !… Eh ben, ça balaie, ça lave le parquet, la vaisselle avec une petite lavette.

FORTUNATO et L’ARCHIDUC, riant.

Avec une petite lavette.

MIRIETTA.

Et puis, ça frotte comm’ ça.

Elle frotte.

L’ARCHIDUC, frotte gauchement.

Comme ça.

MARIETTA, voyant Fortunato frotter.

Pas comme ça. Regardez le petit dragon, il y est lui… et puis quand il vient des voyageurs, ça rince les verres (Elle fait mine de souffler dans un verre et de l’essuyer.) comme ça.

L’ARCHIDUC et FORTUNATO, l’imitant.

Comme ça !

MARIETTA.

Et puis ça secoue la salade (Elle fait mine de secouer.) comme ça.

L’ARCHIDUC et FORTUNATO.

Comme ça !

MARIETTA.

Et puis le dimanche, on va à la fête, danser sous les arbres.

FORTUNATO.
On danse.
MARlETTA.

On danse, et on chante des rondes.

COUPLETS.
I
––––––C’est le soir, on s’prend, on se regarde
––––––L’ ménétrier est déjà là,
––––––––Zim, zim, zim, zim la la !
––––––Hé ! pèr’ Michel, un air d’ guimbarde,
––––––En avant quadrille, entrechat !
––––––––Zim, zim, zim, zim la la !
––––––––Ah ! le violon grince,
–––––––Les tambourins font rafla,
––––––––On s’ bouscule, on se pince,
––––––Et l’on s’en fourre jusque-là,
––––––––Oh ! aïe, aïe, oh ! la la !
––––––––Lors qu’enfin on est lasse,
––––––––Oh ! aïe, aïe, oh ! la la !
–––––––Alors on demande grâce,
––––––––Oh ! aïe, oh ! aïe, aïe !
––––––V’là c’que c’est qu’danser en rond.
––––––––Quand on saute, à force
––––––––On s’donne une entorse,
––––––V’là c’que c’est que d’danser en rond !

Ils dansent.

II
–––––––En v’là deux là-bas, qui s’pressent !
––––––C’est Suzon et gros Pierre, les v’là !
––––––––Zim, zim, zim, zim la la !
––––––Sous les grands arbres, ils disparaissent ;
––––––Ils s’aim’nt, on n’ peut rien dir’ à ça.
––––––––Zim, zim, zim, zim la la !
––––––––Au bout d’une grande heure
––––––Suzon revient à p’tits pas ;
–––––––––La petiote pleure.
––––––Oh ! la la, qué qu’maman dira,
––––––––Oh ! aïe, aïe, oh ! la la !
–––––––Là, je dirai à ma mère,
––––––––Oh ! aïe, aïe, oh ! la la !
–––––––Que c’est la faute à gros Pierre,
––––––––Oh ! aïe, aïe, oh ! aïe aïe !
––––––V’là c’que c’est que d’danser en rond.
–––––––––Quand on saute, à force
–––––––––On s’donne une entorse,
––––––V’là c’que c’est que d’danser en rond !

Marietta et Fortunato dansent en rond, l’archiduc les suit en courant.

L’ARCHIDUC, essoufflé et tombant dans les bras de Fortunato.

Ça y est. Fortunato, veux-tu voir un homme pincé ? regarde un homme pincé.

FORTUNATO.

Y pensez-vous, monseigneur ? si quelqu’un entrait…

L’ARCHIDUC.

Eh bien, il verrait un homme pincé.

MARIETTA.

Dites donc, Ernest, qu’est-ce qui vous a pincé, c’est pas moi !

L’ARCHIDUC.

Si… c’est toi qui m’as pincé.

MARIETTA.

C’est pas vrai, je vous ai cogné, mais pas pincé.

L’ARCHIDUC.

Mais elle ne comprend donc rien cette femme, elle ne voit donc pas que ce que je veux, c’est elle ? c’est toi, et que malgré toute ma puissance, je suis le plus infortuné des hommes ?

MARIETTA.

Peut-on dire ça, quand on est sur un trône, quand on est puissant, quand on est archiduc ?

L’ARCHIDUC.

Archiduc, la belle affaire ! on croit avoir tout dit, quand on a dit à un homme, tu es archiduc, n’est-ce pas, Fortunato ?

FORTUNATO.

Le fait est que c’est bien peu de chose. Qu’est-ce qui n’est pas archiduc ?

MARIETTA.

Eh bien ! moi, telle que vous me voyez, je me suis dit bien souvent : Ah ! si j’étais archiduc !

L’ARCHIDUC.

Tu t’es dit cela ? Tu voudrais être archiduc, tu désires être archiduc ? attends un peu. Où est ma sonnette ? (Il cherche sur lui et finit par trouver une petite sonnette sans battant.) La voici… aidez-moi.

Fortunato et Marietta lui prennent chacun un bras, et l’aident à sonner ; on entend un son de grosse cloche.

FORTUNATO, et MARIETTA.

Aidons-le…

Ils carillonnent.


Scène X

Les Mêmes ; Toutes Les Personnes des Deux Scènes Précédentes, moins Giletti et les Conspirateurs
FINALE.
CHŒUR D’ENTRÉE.
–––––––C’est la sonnette ducale
––––––Qui retentit, chacun l’entend :
–––––––Tous, au son qui s’en exhale,
––––––Accourons sans perdre un instant.
L’ARCHIDUC.

Messieurs, je hais surtout le poncif, le banal,
Vous savez tous combien je suis original,
Eh bien ! ce que j’ai fait de plus extraordinaire
N’est rien du tout auprès de ce que je vais faire.
Voyons, ne prenez pas ces airs navrés. Pour lors,

Moi l’archiduc Ernest, sain d’esprit et de corps,
Je conçois le projet d’abdiquer, et j’abdique.
Vous abdiquez, Ernest ? J’attendais la réplique.
Oui, j’abdique ; en faveur de qui, me direz-vous ?
De qui, de quoi, de quoi, de qui ? sachez-le tous,
En faveur d’une femme, une femme, une femme !
Et quelle est cette femme ? Eh ! mon Dieu, c’est madame.

TOUS.
–––––––––––La comtesse !
L’ARCHIDUC, parlé.

Et maintenant, Fortunato, faites-lui voir Tous les insignes du pouvoir.

Les deux pages, sur un signe de Fortunato apportent une corbeille et la tiennent.

FORTUNATO, prend les objets à mesure et les donne à Marietta.
––––––––Puisque c’est son caprice,
––––––––J’offre à madame ici,
––––––––Cette main de justice,
––––––––Le sceptre que voici,
––––––––Plus la liste civile,
––––––––Tous les sceaux de l’état,
––––––––Le nom, le domicile
––––––––Et l’almanach Gotha.
––––––––La plume ducale avec,
––––––Avec le royal timbre sec…
TOUS.
––––––Avec le royal timbre sec.
FORTUNATO.
–––––––––Enfin, il lui donne
––––––La clé de son palais en stuc…
––––––Et pour finir il la couronne
––––––––Archiduc ! archiduc !
––––––Vive madame l’archiduc !
TOUS.
––––––Vive madame l’archiduc !
MARIETTA.
––––––––Pour moi, quelle allégresse !
––––––Je suis reine, je suis altesse !
––––––Eh bien, vous allez voir comment
––––––J’ vas fair’ marcher l’ gouvernement.
FORTUNATO.
––––––––Quoi, le gouvernement…
MARIETTA.
––––––J’ vas fair’ marcher l’ gouvernement.
LES CONSEILLERS.
–––––––Voyez, toute la cour pouffe,
–––––Finissez donc ce carnaval-là ;
–––––Votre Majesté tourne au bouffe ;
––––––––Ça ne peut pas marcher comme ça. (Ter.)
L’ARCHIDUC.
––A la cour maintenant !
MARIETTA.
––A la cour maintenant ! Allons, veuillez me suivre.

Elle remonte.

Descendant.

––––Et mon mari que j’allais oublier !
FORTUNATO.
––Avec ses compagnons, il est là, prisonnier.
MARIETTA.
–––Prisonniers, pauvres gens, tous qu’on les délivre.
PIANODOLCE.
––––––Des conspirateurs effrénés.
MARIETTA.
––––––Obéissez, obéissez !

Elle fait un signe à Fortunato qui va, deuxième plan, à gauche.

––––––V’la c’ que c’est que d’ danser en rond.

Scène XI

Les Mêmes, FORTUNATO, amenant GILETTI, et les Conspirateurs.
FORTUNATO.
––––––Ce sont eux, je vous les ramène.
MARIETTA.
––––––Merci, merci, mon capitaine.
––––––Ah ! vous êtes des plus charmants,
––––––Je double vos appointements.
FORTUNATO.
––––––Ah ! vraiment ? c’est trop de largesse,
––Votre Altesse me comble.
GILETTI, à Marietta.
––Votre Altesse me comble. Il a dit Votre Altesse !
COUPLETS.
MARIETTA.
I
––––––––––––Tais-toi. (Bis.)
––––––Tu vas un peu me laisser faire,
––––––––––––Tais-toi. (Bis.)
––––––Tu n’es pas plus malin que moi,
––––––Et quand je te dis de te taire,
––––––––––––Tais toi.(Bis.)
II
––––––––––––Tais-toi. (Bis.)
––––––Du moment que tu sais que j’taime,
––––––––––––Tais-toi. (Bis.)
––––––Quand je ferais n’importe quoi,
––––––Et quand je te tromperais même,
––––––––––––Tais-toi. (Bis.)

A l’archiduc.

–––––––Oui, je veux lui faire un sort,
––––––Je le nomme prince consort,
––––––Et je lui donne deux cent mille
––––––––Écus de liste civile.
GILETTI.
–––––––––Deux cent mille écus !
MARIETTA.
–––––––––Deux cent mille écus !
L’ARCHIDUC.
––––––Comme elle y val ça m’est égal,
––––––C’est vraiment très-original.
CHŒUR.
–––––––Ah ! tant pis, je ris, je pouffe,
––––––Finissons ce carnaval-là.
––––––Oui, l’archiduc tourne au vrai bouffe,
––––––Ça ne peut pas marcher comme ça.
ENSEMBLE.
LES MINISTRES.
–––––––Voyez, toute la cour pouffe,
–––––––Finissez ce carnaval-là.
–––––––Votre Majesté tourne au bouffe,
––––––Ça ne peut pas marcher comme ça.
MARIETTA, à l’archiduc.
––––Qu’est-ce, quels sont ces gens ? que veulent-ils ? voyons.
LES MINISTRES.
––––––––Nous sommes les ministres,
––––––––Et nous intervenons.
MARIETTA.
––––––––Ce sont là vos ministres ?
L’ARCHIDUC.
––––––––Je n’ai pas trouvé mieux.
MARIETTA.
––––––––Ils ont des airs sinistres,
––Remplacez-les.
L’ARCHIDUC.
––Remplacez-les. Par qui ?
MARIETTA, montrant les conspirateurs.
––Remplacez-les. Par qui ? Par ces quatre messieurs !
LES MINISTRES.
––––––Des conspirateurs odieux.
LES CONSPIRATEURS.
––––––Des conseillers pas sérieux.
MARIETTA.
––––––––Je leur donne leurs grâces !
LES CONSPIRATEURS.
––––––––––––Nos grâces.
LES MINISTRES.
––––––––––––Leurs grâces.
MARIETTA.
––––––––Je leur donne vos places.
LES MINISTRES.
––––––––––––Nos places.
LES CONSPIRATEURS.
––––––A nous l’argent et les honneurs.
LES MINISTRES.
––Et nous n’avons plus qu’à dev’nir conspirateurs.
L’ARCHIDUC.
––––––Tout ceci me paraît badin.
–––––Maintenant, qu’on se mette en chemin.
FORTUNATO.
––––––Les carrosses sont attelés
––––––Et nos destriers sont sellés.
L’ARCHIDUC.
––––––Partez en carrosse, à cheval,
––––––Cela n’a rien d’original.
FORTUNATO.
––––––Alors comment ? dites comment ?
L’ARCHIDUC.
––––––Au pas, en chantant, en dansant.
MARIETTA.
–––––En riant, en chantant, en trottant.
TOUS.
–––––En riant, en chantant, en trottant.
L’ARCHIDUC.
––––––En sautant, en valsant.
TOUS.
––––––En sautant, en valsant.
L’ARCHIDUC.
––––––En dansant, en polkant.
TOUS.
––––––En dansant, en polkant,
––––––––––––Partons !
––––––Et tous sur ce refrain pimpant,
––––––Et tous sur ce motif fringant,
––––––––––Courant, riant,
––––––––––Chantant, trottant,
––––––––––Sautant, valsant,
––––––––––Dansant, polkant,
––––––Et tous sur ce refrain pimpant,
–––––––––Ah ! chantons, chantons,
––––––––––––Ah ! ah !
––––––––––Rions, chantons,
––––––––––Dansons, valsons,
––––––V’là c’que c’est que d’danser en rond.
––––––––––Partons, courons,
––––––––––––Partons !