Lucette, ou les Progrès du libertinage/01-13

CHAPITRE XIII.

Troiſieme faux pas.


Le Marquis, d’Arneuil, cette poupée miſe avec élégance, cette eſpèce de papillon ; enfin, ce jeune Seigneur amoureux de ſa perſonne, dont nous avons déja parlé, honoroit Lucette de ſon attention : il lui trouvoit une mine raviſſante, une bouche au mieux, une jambe bien tournée, &c. Il voltigeoit depuis long-tems autour d’elle ; il lui jettoit de ces regards qui diſent : je ſuis fou de vos charmes ; vous êtes divine. Le Marquis auroit parié un de ſes meilleurs chevaux que Lucette en tenoit pour lui, qu’il lui tardoit furieuſement de poſſéder un ſi aimable petit homme : mais, à ſon grand étonnement, elle réſiſtoit depuis deux grands mois. C’eſt un enfant, diſoit-il ; nous la formerons. Perſuadé qu’elle devoit bientôt ſe rendre, il la lutinoit chaque jour. « À quoi bon faire la cruelle ? lui diſoit-il en minaudant. « Ce n’eſt pas avec moi qu’on ſe glorifie d’une longue réſiſtance. Va, ma chere, ceſſe de te tourmenter, aime moi, fais ton bonheur ». Un pareil diſcours n’étoit pas trop propre à toucher une femme. Auſſi notre héroïne eut-elle la force d’être inſenſible au mérite du Marquis. Il s’en étonna, & redoubla ſes ſoins. Pour ſoumettre une place ſi rebelle, il mit toutes ſes bonnes qualités en campagne & n’en fut que plus ridicule & plus fat.

Lucette ſe moqua avec l’Abbé des élégances de d’Arneuil. Mais elle parvint enfin à les trouver plus ſupportables. Elle fit réflexion que c’étoit à cauſe d’elle qu’il cherchoit à paroître aimable : elle s’accoutuma à ſes manieres ; elle trouva ſa démarche noble & aſſurée ; elle traita le ſoin qu’il avoit de ſa perſonne & de ſa parure, d’amour pour la propreté ; ſon eſprit lui parut brillant & ſolide ; & ſon étourderie, une vivacité de jeuneſſe. Elle ne fit point part à l’Abbé de ſes nouvelles obſervations ; elle craignoit qu’il ne la détrompât, puis elle ſentoit qu’il falloit lui taire quelque choſe.

Le Marquis touché de pitié pour l’amour qu’il croyoit faire naître, s’intéreſſa vivement au ſort de ſon amante, & réſolut d’agir au gré de l’impatience de notre héroïne : il la ſurprit lorſqu’elle s’y attendoit le moins. Ses careſſes émurent la tendre Lucette, ſon cœur battit, elle reſta ſans force entre ſes bras. « Je vais, ma reine, lui dit-il, te faire goûter les plus grands plaiſirs ». Il ne ſe trompa pas, pour cette fois : l’homme le moins vain peut hardiment promettre la même choſe. Lucette s’enivra de douceurs bien différentes de celles que procure la ſageſſe, Cependant elle ne put s’empêcher de regretter Lucas.

D’Arneuil, enchanté de ſon bonheur, le crut plus grand qu’il n’étoit : il devint encore plus fat que de coutume ; on en ignora la cauſe : l’Amour ſeul pénétra le myſtere, & ſourit malignement.