Lucette, ou les Progrès du libertinage/01-01

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LUCETTE
OU
LES PROGRÈS
DU LIBERTINAGE.
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CHAPITRE PREMIER.

Ce qu’étoit Lucette.



L histoire que je préſente au Public pourra amuſer & inſtruire. On y verra qu’une fille ne ſçauroit répondre d’elle-même, que les progrès du vice ſont rapides, que les deſirs que la jeuneſſe fait naître dans les cœurs, nous font bientôt ſuccomber, & qu’un faux pas en entraîne beaucoup d’autres. Je demande grace pour cette petite morale qui m’eſt échappée. Ce livre n’en ſera point rempli ; le Lecteur peut ſe raſſurer, & prendre la peine de le lire.

Lucette, mon héroïne, eſt d’un village ſitué à trente lieues de Paris. C’eſt une brune piquante ; ſes yeux vifs annoncent qu’elle ne ſçauroit réſiſter long-tems. Sa taille fine & dégagée lui donne un air fier & conquérant. Ses bras potelés font ſourire l’Amour ; la bouche voudroit s’y coller, & l’on deſire d’être ſerré par un ſi doux lien. Lucette, en un mot, eſt digne de plaire : elle fit le bonheur de plus d’un ſoupirant. Elle eût été toujours heureuſe, ſi ſon cœur n’eût pas trop voltigé ; mais ſon tempérament lui fit chercher les plaiſirs : elle parvint à oublier qu’une femme doit quelquefois être cruelle.

Les auteurs de ſa naiſſance étoient de bonnes gens, aſſez à leur aiſe, qui n’avoient jamais quitté la campagne. On m’aſſure pourtant que ſa mere étoit ruſée, quelle ſuivoit l’uſage des villes, qu’elle n’aimoit point ſon mari, & qu’elle l’oublioit ſouvent avec un gros garçon du village.

Lucette étoit née avec quelques bonnes diſpoſitions ; à dix ans elle avoit peur des hommes, à douze elle s’en approchoit en tremblant ; mais ſon tempérament combattit ſa vertu naiſſante, & triompha. Elle étoit chargée de conduire un petit troupeau : dès le matin, elle s’en alloit aux champs. Elle ſçavoit mille chanſonnettes ſans eſprit, que la nature avoit dictées, & qui n’en étoient que plus piquantes. Les Petits-maîtres & les gens du bel air trouveront que mon héroïne s’occupoit à des choſes bien baſſes. Je les prie de conſidérer que leurs ancêtres éloignés peuvent avoir fait pis. Lucette vaut, ſelon moi, telle femme du monde qui a des vapeurs & qui s’occupe à faire des nœuds.

Notre bergere aimoit les ajuſtemens. Le Dimanche elle ſe mettoit de ſon mieux : une fine dentelle bordoit ſes coëffes. — De la dentelle à une payſanne, s’écriera-t-on ! ― Pourquoi pas ! Le luxe de nos villes s’étend juſques dans les campagnes. Le François ſe prive du néceſſaire pour ſe mettre en état de briller. Souvent celui que nous voyons avec un habit de velours en doit encore la façon au Tailleur. Jamais ce proverbe ne fut plus vrai : l’habit ne fait pas le Moine. Margot ſe contentoit autrefois d’une cotte rouge toute unie, à préſent il lui faut de la ſoie & des étoffes ſuperbes.

Pour revenir à Lucette, la coquetterie ſe gliſſa juſqu’à elle. Les jours de fête elle s’habilloit avec art : un petit chapeau de fleurs couvroit ſa tête mutine ; les roſes parfumoient ſon ſein. Elle couroit alors par le village en ſautant, en chantant. Un doux ſourire achevoit de l’embellir, & une aimable gaieté l’accompagnoit par-tout.

À treize ans elle parut plus réſervée : ſa taille ſe forma ; ſes yeux devinrent plus vifs ; ſa gorge commençoit à paroître, elle ſoulevoit lentement ſon mouchoir, elle ſembloit quelquefois vouloir ſortir du corſet par qui elle étoit retenue. Alors tous les regards ſe fixerent ſur Lucette ; on ſentit qu’elle approchoit de l’âge des amours.


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