Lettres de Fadette/Troisième série/13

Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 33-36).

XIII

Pour que l’amour dure !

Vous me dites, Madame, que votre mari vous aime et vous me demandez ce qu’il y a à faire pour qu’il vous aime toujours ? Je me sens bien impuissante à vous donner la recette infaillible qui assurerait ce prodige ; si elle existait, ce serait le paradis sur la terre, car le ciel, ce sera l’harmonie et l’amour universels.

Au lieu d’aimer à tort et à travers comme ici-bas, nous serons toujours dans l’ordre et je me figure que le rythme des âmes ressemblera à celui des astres…

Toute une soirée j’avais rêvé au sujet de votre jolie lettre, et j’avais décidé de n’y pas répondre puisque je ne pouvais le faire utilement, mais ce matin, en feuilletant une revue américaine, je tombe sur un amusant article qui traite de l’importante question. En m’en inspirant je vous satisferai peut-être et j’évite toutes les responsabilités. L’auteur, après plusieurs constatations générales, affirme que l’homme a été inconstant jusqu’ici, parce que la femme s’est bornée « à l’amuser, à lui plaire, à l’inspirer et à le rendre heureux ». C’est déjà bien joli, il me semble et le « roi de la création », comme elle l’appelle, n’a pas lieu de se plaindre ?

« Tout cela, reprend l’auteur, n’est rien ou presque rien, si la femme ne franchit pas encore un échelon et ne devient pas quelque chose de plus. » — Ce quelque chose, c’est la camarade de l’homme, sa camarade avisée et sa conseillère sagace dans la pratique de la vie.

En fine observatrice, elle insiste sur plusieurs traits de la nature masculine qu’il importe aux femmes de bien connaître pour arriver au succès.

Miss Hart parle de la beauté avec un dédain que je suis loin de partager, et malgré tous ses discours, il n’en reste pas moins vrai et prouvé que l’homme est et sera surtout attiré par la beauté de la femme. Mais il est prouvé également que la beauté même pâlit par la force de l’habitude, et que les femmes doivent chercher d’autres moyens de retenir l’amour.

Cette Américaine n’est pas flatteuse pour les hommes et c’est sa pensée que je traduis. Elle veut que les femmes apprennent à écouter, car, dit-elle, « tous les hommes sont ravis par le don de leur propre voix. Ils aiment à rencontrer une personne muette et crédule à qui ils peuvent parler d’eux-mêmes, de leurs ambitions, de leurs travaux, de leurs goûts, de leurs manies. Peu d’hommes sont brillants ; ils sont reconnaissants, sans se l’avouer, à la femme qui leur donne l’occasion d’apparaître sous leur meilleur jour. Une femme qui sait faire cadeau de son esprit à un homme a fait beaucoup pour s’assurer sa conquête. »

Elle prétend que, non seulement l’homme est séduit, par la douceur, mais qu’il aime la flatterie car « il est essentiellement vaniteux «. La faiblesse féminine est pour lui la flatterie suprême, car elle souligne et proclame la dépendance de la femme. Soyez indépendante, conseille ce philosophe en jupon, mais gardez-vous de paraître telle. La plus rapide façon d’éveiller l’intérêt d’un homme est de paraître en dépendre. Le plus sûr moyen de gagner sa bonne volonté est de ne pas douter qu’il soit capable de tout. Un homme se haussera, à force d’efforts, à la hauteur d’un idéal de femme ; mais qu’elle ne lui laisse jamais soupçonner qu’elle sait à quel point il est faible, si elle ne veut pas qu’il lui montre qu’il peut être plus faible encore.

Puis les hommes aiment la gaieté qui les repose, la patience qui les surprend, la sérénité à l’état d’atmosphère ambiant. Une femme doit encore apprendre à connaître la puissance de l’habitude, et si elle veut réformer, qu’elle ne cherche pas à corriger un défaut, — ce qui est à peu près impossible, — mais qu’elle essaie de remplacer une habitude mauvaise par une bonne habitude.

Enfin, il est inutile, paraît-il, pour vous attacher un homme, de jouer le rôle d’ange ou d’en prendre transitoirement l’apparence. « Gardez vos défauts, les hommes ne vous en aimeront pas moins s’ils n’en sont pas gênés ». Ici je me permets de faire observer que les défauts féminins comme les défauts masculins sont généralement incommodes, et je mets une restriction à ce petit conseil douteux.

La conclusion de ce long article que je n’ai fait qu’esquisser, c’est que l’homme ressemble à un violon dont les sons varient d’après les mains qui en jouent, et que même les Stradivarius peuvent, dans des mains vulgaires, se comporter comme de vulgaires crincrins. Alors, mes amies, vous n’avez qu’à devenir des artistes pour jouer des qualités et des défauts des hommes. Appliquez-vous à les étudier, à les deviner, et si après cela vous n’avez pas réussi, vous aurez tout de même appris beaucoup de choses intéressantes, non seulement sur eux mais sur vous-mêmes.