Lettres de Fadette/Quatrième série/10

Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 28-31).

X

Le chemin de Dieu


« Il est des jours où, fous d’espaces sans bords,
Rien ne paraît assez grand pour nos âmes ! »

Ni les océans, ni les tempêtes, ni les altitudes, ni les affections qui passent, ni les rêves toujours déçus, ni la vie qui mène à la mort, ni la mort qui nous jette dans l’insondable mystère. Dans ces jours, l’âme a la sensation de se tenir seule dans ce tout qui n’est rien, et dans un mouvement éperdu d’impuissance, elle crie à Dieu : « Il n’y a que Toi ! »

C’est à ce cri, à ce sentiment de foi, et d’abandon que nous amènent les désillusions, les vides, l’inachevé de tout ce qui nous a séduits, et à bien observer autour de soi, on peut voir peu à peu se dessiner le chemin de Dieu s’ouvrant dans la vie de chaque âme. On le voit quelquefois plus clairement dans la vie des autres que dans la sienne propre.

Le premier tracé est souvent le choc de la rencontre du rêve de la jeune fille à peine femme et de la grossière réalité qui la fait reculer… puis la vie commence à se dérouler terne et quelquefois dure : chaque jour enlève une illusion et recule un peu le voile, et l’âme désappointée s’écrie : « Ce n’est donc que cela l’amour, le bonheur ! » — Après ce premier heurt, l’âme se ressaisit, et se dit que, puisqu’il faut vivre avec les autres, il faut penser comme eux, agir comme eux… elle oublie ses rêves puérils, et la voilà qui se matérialise : à respirer l’air ambiant, elle devient lourde : elle replie ses ailes, elle suit tout le monde sur les grands chemins de la vie. Frivole, agitée, elle pense peu et se laisse vivre.

Est-ce un arrêt… on le dirait… le chemin de Dieu n’est plus visible. Mais cet arrêt ne dure guère, car la Vie perd vite ses airs séduisants et chaque jour la fait plus sévère.

Après les soucis matériels qui se multiplient, voilà la déception qui entre en scène. Les amis choisis deviennent indifférents ; les dévouements sont méconnus ; ce qu’elle croit posséder n’existe pas et elle recommence à dire, mais avec quelle angoisse plus poignante : « Est-ce donc tout ce que je reçois après avoir tant donné ? »

Elle est consternée… mais avec la ténacité propre à la pauvre humanité, elle repart encore, un peu plus fière, un peu plus défiante de ce qu’elle juge indigne de son attachement et de son intérêt, mais avec encore l’espérance de trouver mieux.

Sans le savoir, elle est entrée dans le chemin de Dieu, mais elle y marche lentement et sans goût, car elle ne se doute pas que c’est Lui qui l’attend un peu plus loin.

Ce sentiment ne lui vient qu’avec la douleur, la vraie, celle qui atteint l’âme jusque dans ses profondeurs, quand les aimés lui sont arrachés par la mort ou l’abandon, que les confiances sont trahies, que ce qu’elle croyait solide s’écroule. Pour la première fois elle a peur de la vie, de ses laideurs, de ses cruautés, de sa propre solitude : elle ferme les yeux, car la lumière qui viendrait éclairer tant de tristesses lui fait horreur.

Mais elle reprend pied, — on ne meurt pas de chagrin ! — et elle se retrouve sur le chemin de Dieu, mais cette fois elle le sait, car elle a marché jusqu’à Lui à travers ses épreuves et Il a eu pitié de sa détresse. Elle a enfin compris : tout est bien : ce qui fut et ce qui sera. Une grande lumière éclaire la route, elle y marche désormais sereine et forte.