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XV

Paris, lundi soir, Mars 1842.

Je viens de recevoir votre lettre, qui m’a mis de mauvaise humeur. Ainsi, c’est votre orgueil satanique qui vous a empêchée de me voir. Au reste, je n’ai pas trop le droit de vous faire des reproches ; car, l’autre jour, je vous ai rencontrée, je crois, et un sentiment aussi mesquin m’a retenu au moment où j’allais vous parler, Vous dites que vous valez mieux qu’il y a deux ans : cela vous plaît à dire, Vous m’avez semblé embellie ; mais vous paraissez avoir acquis, en revanche, une assez jolie dose d’égoïsme et d’hypocrisie. Cela peut être très-utile ; seulement, il n’y a pas de quoi se vanter. Quant à moi, je crois ne valoir ni plus ni moins qu’autrefois ; je ne suis pas plus hypocrite et j’ai peut-être tort. Il est certain qu’on ne m’en aime pas davantage. Puisque cette bourse n’est point brodée par votre blanche main, que voulez-vous que j’en fasse ? Vous devriez bien pourtant me donner quelque œuvre de vous ; mon miroir et mes confitures méritaient cela ; au moins eût-il été bien de me dire si vous les aviez reçus ; mais je n’ai plus le droit de vous gronder. Quand vous irez en Italie et que vous passerez par Paris, il est probable que vous ne m’y trouverez pas. Où serai-je ? le diable le sait. Il n’est pas impossible que je vous rencontre aux Studij ; mais il se peut aussi que j’aille à Saragosse, voir cette femme dont vous dites que vous valez autant qu’elle. En fait de sœur, je n’en aurai point d’autre. Dites-moi donc, et cela avant votre départ de Paris, à quelle époque vous irez à Naples, et si vous voulez vous charger d’un volume pour M. Buonuicci, le directeur de fouilles de Pompéi. Je laisserai en partant ce volume chez madame de C… ou ailleurs.

J’ai souvenance d’avoir vu, il y a bien longtemps, une madame de C… dans une maison où se passa un mélodrame dans lequel je jouai le rôle de niais. Demandez-lui si elle se souvient de moi.

Adieu donc, et pour longtemps sans doute. Je suis fâché de ne vous avoir pas vue. Donnez-moi de temps en temps de vos nouvelles, vous me ferez toujours grand plaisir, quand même vous continueriez le beau système d’hypocrisie où vous êtes entrée si triomphalement. Pour la lettre de Buonuicci, je vous recommanderai, vous et votre société, comme grands archéologues, etc. Vous serez contente de son empressement.