Lettre 189, 1671 (Sévigné)

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1671

189. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 29e juillet.

Il sera le mois de juillet tant qu’il plaira à Dieu : je croîs que le mois d’août sera encore plus long, puisque ce sera le temps des états. N’en déplaise à la compagnie, c’est toujours une sujétion pour moi d’aller les trouver à Vitré, ou de craindre qu’ils ne viennent ici : c’est un embarras, comme dit Mme de la Fayette. Mon esprit n’est plus monté sur ce ton-là ; mais il faut avaler et passer ce temps comme les autres. Mme de Chaulnes fut ravie d’être deux jours ici. Ce qui lui paroissoit de plus charmant, c’étoit mon absence : c’étoit aussi le régal que je lui avois promis. Elle se promenoit dès sept heures du matin toute seule dans ces bois. L’après-dînée il y eut un bal de paysans devant cette porte, qui nous réjouit extrêmement. Il y avoit un homme et une femme qu’on auroit empêchés de danser dans une république bien réglée : c’étoient des postures à pâmer de rire ; Pomenars crioit, n’ayant plus la force de parler. Je ne finirois point sur son chapitre : il ne fait pas un pas qui ne puisse être le dernier, et l’on ne le quitte point qu’on ne lui puisse dire adieu. Tout disparut lundi matin, et je demeurai contente.

Vous aurez M. de Vardes quand vous recevrez cette lettre. Faites-lui bien mes baisemains, s’il m’aime encore autant qu’à Aix. Mandez-moi si sa patience n’est pas usée ; s’il doit sa constance à la philosophie ou à l’habitude ; enfin parlez-moi de lui.

Vous répétez[1] sur moi des leçons de silence qui ne sont point à leur place. Il nous sembloit à Paris que l’étoile de Mlle de Toiras pâlissoit. Si elle eût été assez forte pour lui donner un tel mari[2], elle auroit bien dû se moquer de toutes les beautés. Hélas ! aurez-vous celle de votre tante d’Harcourt ? Que je vous plains ! Il faudroit encore mettre au bout de toutes les questions qu’on leur fait, où elles répondent non, une autre qu’on leur fait toujours intérieurement : « Ne voulez-vous point vous en aller ? » où elles répondent non, et l’on meurt.

Voilà une lettre de M***[3] que je vous envoie, ma bonne, vous verrez s’il vous aime, s’il vous estime et si vous perdez toutes vos peines : elles vous servent au moins à être adorée de toute la famille. Plût à Dieu que tous vos désirs eussent un pareil succès !

J’ai reçu une lettre du marquis de Charost[4] toute pleine d’amitié et de ménagement. Il me parle de Mme de Brissac[5], et me mande qu’il vous écrit. Je vous prie, cruauté à part, faites-lui réponse : vous savez qu’il n’est bon qu’à ménager, et point du tout à mépriser. Il est vieux comme son père, et ne comprendroit point l’honneur qu’on lui feroit en lui refusant[6] une réponse. On me mande que le comte d’Ayen[7] épouse Mlle de Bournonville : Matame te Lutres en est enrazée.

Vous me parlez, dans votre lettre, ma bonne, qu’il faudra songer aux moyens de vous envoyer votre fille ; je vous prie de n’en point chercher d’autre que moi, qui vous la mènerai assurément, si sa nourrice le veut bien. Toute autre voiture me donneroit beaucoup de chagrin. Je compte comme un amusement tendre et agréable de la voir cet hiver au coin de mon feu. Je vous conjure, ma bonne, de me laisser prendre ce petit plaisir. J’aurai d’ailleurs de si vives inquiétudes pour vous, qu’il est juste que, dans les jours où j’aurai quelque repos, je trouve cette espèce de petite consolation. Voilà donc qui est fait : nous parlerons de son voyage quand je serai sur le point de faire le mien. Je viens d’en faire un dans mon petit galimatias, c’est-à-dire mon labyrinthe, où votre aimable et chère idée m’a tenu fidèle compagnie. Je vous avoue que c’est un de mes plaisirs que de me promener toute seule ; je trouve quelques labyrinthes de pensées dont on a peine à sortir ; mais on a du moins la liberté de penser à ce que l’on veut. Si vous étiez, ma bonne, aussi heureuse en toutes choses que je le souhaite, votre état seroit bien digne d’envie. Adieu, ma chère petite. Ah ! qu’il m’ennuie de ne vous point voir ! et que cette pensée me fait souvent rougir mes petits yeux ! J’embrasse votre époux.


  1. Lettre 189 (revue sur une ancienne copie). — 1. Tel est le texte de notre manuscrit. Dans l’édition de la Haye, la seule où cet alinéa et le suivant soient imprimés, on lit : vous rejetez.
  2. 2. Vardes, veuf depuis 1661 de Catherine de Nicolaï, qu’il avait épousée en 1656. Voyez la lettre du 1er avril 1672.
  3. 3. Dans le manuscrit, il n’y a que cette initiale. Dans l’édition de la Haye, on lit : Monsieur d’Uzès.
  4. 4. Voyez la note 4 de la lettre 57.
  5. 5. On a déjà vu qu’elle était sœur de père du duc de Saint-Simon, auteur des Mémoires ; elle avait vingt-neuf ans de plus que lui. Voyez la note 12 de la lettre 115 et la note 9 de la lettre 119.
  6. 6. Dans le manuscrit : « en lui faisant. »
  7. 7. Anne-Jules de Noailles, né en 1650, fils aîné du premier duc de Noailles (mort en 1678) et de Louise Boyer (morte en 1697) ; frère du cardinal ; alors comte d’Ayen, plus tard duc de Noailles (1677) et maréchal (1693). Il épousa, le 13 août 1671, Marie-Françoise, fille unique d’Ambroise duc de Bournonville. Il mourut à cinquante-neuf ans, en 1708 ; sa femme lui survécut. Voyez leurs portraits dans les Mémoires de Saint-Simon, tome VI, p. 423 et suivantes. Il devint en 1680 beau-frère du marquis de Lavardin.