Thérien Frères Limitée (p. 23-30).


DIAVOLO


Mes petits enfants, entre nous, nous pouvons nous dire des choses que nous comprenons de la même façon. Ceux qui se disent des sages et des savants cessent de croire les vérités évidentes qui nous crèvent les yeux !

Nous savons, par exemple, que les arbres, les fleurs, les bêtes ont un langage intelligible que vous et moi comprenons. Et le chat qui cligne de l’œil en s’étirant le long du poêle, et le chien dont la queue est si éloquente n’ont pas de secrets pour nous !

Depuis le temps que je regarde la terre de haut, et que j’écoute tous les langages, aucun ne m’échappe, même celui des étoiles !

Nous savons aussi, vous et moi, que les choses inanimées ont leur petite âme vivante, que la poupée négligée pleure quand personne ne la regarde, et que le singe de laine et le chat aux yeux de vitre conversent avec nous, et mieux encore, causent ensemble, tout bas, quand vous dormez dans la chambre assombrie et qu’ils veillent autour de vous. C’est à l’heure où le moindre souffle fait bavarder les feuilles et il n’y a pas jusqu’à mes rayons, — mes enfants à moi, — qui ne sachent conter leur petite histoire, quand moi, leur mère Lune, je sommeille derrière mes mousselines.

C’est parce que vous croyez toutes ces vérités, mes chéris, que je vous aime, et quand vous écoutez les chansons monotones de la pluie, je reste bien cachée derrière mes nuages gris afin qu’elles vous endorment doucement.

Je vous ai entendus implorer le soleil de paraître pour illuminer vos congés et j’ai écouté vos conversations avec les poulets et les canetons ; je ris avec vous quand vous voyagez en chemin de fer sur les chaises de la salle à manger. Mais je bavarde et vous attendez votre conte.

Il y avait une fois un chien noir, frisé, fin comme une soie et gâté comme un enfant par toute la maisonnée. Malgré cela, il n’était ni trop égoïste ni trop gourmand !

Un jour qu’il jouait à cache-cache avec sa petite maîtresse Louise, il vit entrer la cuisinière, son amie ; elle portait, dans une corbeille, quatre petits chats gros comme le poing. Ils ouvraient déjà les yeux et ces quatre petites boules de fourrure étaient très jolies.

— Mademoiselle Louise, voulez-vous choisir le chaton que vous désirez garder, je donnerai les autres, ils sont promis.

La fillette hésita, prit et reprit, chacun leur tour, le gris, le noir, le tacheté et le blanc.

Le chien s’était approché, curieux et défiant, et sa mauvaise humeur éclata, quand la petite, ayant choisi le chat blanc, l’enveloppa dans une couverture de ses poupées, et dans sa petite berceuse, se mit à le balancer comme s’il eût été un bébé.

— Eh bien ! en voilà une affaire ! grognait Diavolo. Que vient faire ici cette bête ? C’est que je ne veux pas, moi, perdre ma place, mes caresses et mes gâteries !

— Oua ! Oua ! Oua ! aboya-t-il tout-à-fait furieux.

Le chaton, affolé, voulut s’élancer ; Louise, sévère, ordonna à Diavolo de se taire.

— Que tu es stupide, mon pauvre chien ! Tu ne perdras pas ta place, voyons ! Vous serez deux à l’occuper ! C’est une espèce de petite sœur qui t’arrive. Tu vas l’aimer et en avoir soin, je le veux !

— Moi, aimer cette vilaine bête ! je la reconnais maintenant, elle est de la race des chats que je poursuis et chasse du jardin ! Je les déteste et ils me le rendent : nous entrevoir suffit à nous enrager ! Et tu veux que j’aime ça ! Oua ! Oua ! Oua !

— Diavolo, mon ami, tu me fais de la peine ; tu ne veux pas comprendre qu’il faut vous entendre puisque je vous garde tous les deux ? Voyons, sois raisonnable et bon… !

Les doigts roses de la petite caressaient la fourrure du chien qui, la tête appuyée sur les genoux de sa maîtresse, la regardait en s’apaisant ; il flairait le chat et passait sa langue rose sur la main posée sur la petite bête qui ronronnait.

— Il est si mignon, si doux ! continuait la petite, et, tu ne sais pas, Diavolo, il n’a plus de maman ! Tu seras sa bonne et moi sa maman, veux-tu ?

Le chien, attentif, convaincu, ému jusqu’aux larmes de ce que le chat était orphelin, agita sa queue, sourit de toutes ses dents blanches et l’entente fut conclue.

De ce jour, le chat Grisbeau eut une maman et une bonne et il ne manqua de rien. Il fut choyé, nourri, caressé par Louise et par Diavolo qui devint une bonne exemplaire ! Il lui faisait sa toilette en le léchant à grands coups de langue et rien n’était plus comique que de le voir promener le chat, en le tenant dans sa gueule par la peau du cou ! Ils étaient les meilleurs amis du monde !

En grandissant, Grisbeau devint trop lourd pour ce genre de promenade. Chien et chat firent alors leurs courses et leurs chasses côte à côte. Diavolo, imitant le mauvais exemple de Grisbeau, chassait impitoyablement les oiseaux, et j’ose à peine le dire, il aidait même son ami à attraper les souris !

Le chat, à son tour, accompagnait Diavolo quand il allait chercher les vaches ; il savait très bien faire rentrer dans le rang celles qui voulaient faire l’école buissonnière.

Louise leur parlait toujours comme à de vraies personnes, et la preuve qu’ils ne perdaient pas un mot de ses discours, c’est qu’ils étaient si bien élevés et si unis.

Foi d’honnête Lune, rien ne forme si bien les bêtes que de les traiter en personnes raisonnables !