Texte établi par Montréal Impr. populaire, Édouard Garant (p. 220-233).

XXXII

DERNIÈRES CHASSES

Le lendemain du jour où ils avaient terminé la récolte des noisettes, en se levant, Le Suisse dit à Roger :

— Nous allons maintenant prendre une couple de semaines de repos. Nous l’avons bien gagné, je crois ! Dans tous les cas, il serait inutile de nous mettre à faire la chasse aux ours maintenant : leur fourrure n’est pas encore bonne, et elle ne le sera pas avant une couple de semaines. D’ici là, nous allons, les jours de pluie, fabriquer des tinettes, pour y mettre le miel que nous trouverons en chassant les ours et, quand le temps sera beau, nous parcourrons le pays environnant, afin de savoir dans quelle direction chercher les ours et le miel, quand le moment sera venu d’entreprendre cette partie de notre chasse.

Ils firent comme Le Suisse le proposait. Ils commencèrent, le lendemain, par terminer leur installation au camp : travail qu’ils avaient dû retarder pour épier les écureuils et faire la cueillette des noisettes. Ensuite, ils se firent une provision de bois à tinettes, afin de ne pas être forcés de rester inactifs, faute de matériaux, les jours de mauvais temps.

À cet effet, Roger abattit un gros pin, que Le Suisse coupa en bûches d’environ un pied de longueur. Le premier fendit ensuite ces bûches en planchettes de trois ou quatre pouces de large sur un pouce environ d’épaisseur, pendant que son compagnon allait couper quelques brassées de fines branches de merisier, lesquelles devaient servir à faire les cercles. Puis, ce travail, qui les tint occupés pendant trois jours, étant terminé et nos deux personnages étant certains qu’ils ne seraient pas forcés d’être oisifs les jours où la température ne leur permettrait pas de parcourir les bois, ils se mirent à visiter le pays.

Ils suivirent le cours de la rivière, en descendant et en remontant, sur plusieurs lieues de distance et ils explorèrent la plupart des petites vallées qui viennent aboutir à la vallée principale. Chacune de ces petites vallées alimentait un ruisseau, dont la plupart n’étaient que de minces filets d’eau, mais dont quelques-uns étaient assez considérables et dans les eaux fraîches et limpides desquelles, quand arrivait le temps de manger, Le Suisse et Roger pouvaient toujours prendre quelques-unes de ces délicieuses truites.

Certaines de ces excursions durèrent plusieurs jours, et pendant tout ce temps, ils restèrent ensemble, sans se séparer. Le Suisse prenait son fusil, Roger son arc, et ils partaient à l’aventure, sans défiance, car, depuis près d’un mois qu’ils étaient dans ces parages, ils n’avaient pas vu trace d’être humain. Ils marchaient un peu au hasard, n’allant nulle part en particulier mais passant un peu partout, observant, étudiant le terrain, afin de bien connaître le pays quand viendrait le temps de commencer la chasse aux ours et au miel.

Ils apercevaient bien, de temps en temps, des traces du passage des plantigrades qu’ils se proposaient de chasser sans merci plus tard ; ils en virent même quelques-uns, mais ils les laissèrent aller en paix, sachant que leur fourrure n’était pas encore propre à se conserver en bon état. Ils découvrirent aussi quelques ruches d’abeilles sauvages, qu’ils se gardèrent bien de troubler dans leur travail ; car, la saison étant encore chaude, ils se dirent que les infatigables bestioles travaillaient pour leur profit. Ils se contentèrent de remarquer les endroits où ces ruches se trouvaient, afin d’être certains de pouvoir les retrouver plus tard, quand il serait temps de faire la récolte du miel. Ils ne tuaient de gibier et ne prenaient de poissons que juste ce qu’il leur en fallait pour leur subsistance.

Un jour, il y avait alors trois semaines qu’ils parcouraient le pays en tous sens, Le Suisse et Roger, revenant d’une excursion qui avait duré trois jours, atteignirent la vallée de la rivière Coaticook par le sommet d’une colline qui s’avançait dans la vallée, comme un promontoire, au-dessus du rapide.

Le panorama qu’ils contemplaient de cet endroit était merveilleux. Ils se trouvaient sur le sommet d’une colline sablonneuse, couverte de pins blancs et d’épinettes rouges. Immédiatement à droite et un peu en arrière était un ravin servant de lit à un ruisseau bruyant. De l’autre côté de ce ravin, mais si près d’eux qu’il leur semblait qu’ils auraient pu les toucher de la main en étendant le bras, tant le ravin était profond et étroit, d’autres collines, plus hautes que celle sur laquelle ils se trouvaient, mais couvertes des mêmes espèces d’arbres, s’étendaient en arrière, leur fermant la vue de ce côté. Sur leur droite encore mais en avant de ces collines, la vue s’étendait, sans le moindre obstacle, tout le long de la vallée jusqu’aux montagnes d’un gris bleu qui fermaient l’horizon au sud.

À gauche, le panorama s’étendait vers le nord à perte de vue. L’endroit où les deux hommes se trouvaient étant plus élevé que la colline jetée en travers de la vallée, à la tête du rapide, ils voyaient, par-dessus celle-ci, les deux rangées de collines bordant la vallée de chaque côté se rapprocher l’une de l’autre jusqu’à ce qu’elles se rejoignissent et se confondissent avec l’horizon lointain.

En face, leur vue se reposait complaisamment sur les pentes boisées des collines qui bordaient la vallée, de l’autre côté de la rivière.

Toute l’étendue du pays que les regards charmés des deux voyageurs embrassaient était couverte de forêts renfermant presque toutes les espèces d’arbres qui croissent sur le sol canadien. Mais l’espèce la plus répandue et qui dominait toutes les autres était, comme partout ailleurs dans cette partie du pays que l’on appelle maintenant les « Cantons de l’Est », l’érable à sucre.

Les regards des deux hommes, en découvrant cet immense panorama, se portèrent d’abord au loin ; premièrement à droite, puis à gauche. Ils admirèrent enfin les belles teintes, allant du vert tendre au vert foncé et piqué d’îlots aux couleurs vives, ces dernières allant du jaune clair au violet en passant par toutes les nuances du rouge, — on était alors au milieu de septembre — des collines qui leur faisaient face, de l’autre côté de la vallée. Puis leurs regards, se rapprochant, traversèrent la rivière et jouirent du beau spectacle qu’offrait le ruisseau, débouchant de son étroit ravin dans la vallée en se glissant sous bois et, en serpentant, allant se joindre à la rivière, dont les nombreux méandres, la plupart du temps cachés par les arbres, miroitaient ici et là parmi les feuilles, comme autant de diamants entourés d’émeraudes.

Le Suisse et Roger, muets d’admiration, étaient en contemplation devant le paysage étendu à leurs pieds depuis plusieurs minutes déjà, quand, tout à coup, Roger poussa une exclamation et dit, en étendant le bras dans la direction du confluent du ruisseau et de la rivière :

— Qu’est-ce donc que cette boule noire collée au tronc de cet arbre sec, là-bas ?

Le Suisse tourna ses regards dans la direction indiquée par le bras tendu du jeune homme et vit, à mi-distance entre le point où ils se trouvaient et la rivière, un énorme pin, dont la tête desséchée et presque sans branches dépassait en hauteur tous les arbres environnants. Juste au-dessus du niveau des autres arbres, une boule ronde et noire paraissait collée au tronc de l’arbre sec. Soudain, cette boule, jusque-là immobile, se mit à remonter lentement le long de l’arbre. Alors Le Suisse qui, la main sur les yeux, l’examinait depuis quelques instants, se retourna vers son compagnon et dit :

— La boule qui t’intrigue si fort, mon petit, n’est pas autre chose qu’un ours. Et cet ours doit être d’une belle taille, pour que nous le voyions aussi distinctement de la distance où nous en sommes !

— Que peut bien être allé faire un ours, dans la tête de cet arbre sec ?

— Sois certain qu’il n’est pas monté là pour admirer le paysage… Quant à moi, je ne vois qu’une seule raison qui ait pu le faire monter si haut ; c’est la passion dominante des ours : le miel.

— Pourquoi n’allons-nous pas le descendre et voir si, réellement, il y a du miel à l’intérieur de cet arbre ? suggéra Roger, dont le sang de chasseur commençait à bouillonner.

— Je crois que nous ferions aussi bien d’y aller, en effet, acquiesça son compagnon. Nous sommes maintenant dans la deuxième semaine de septembre et la fourrure doit commencer à être bonne. Et puis, nous pouvons aussi bien commencer notre chasse aux ours aujourd’hui qu’un autre jour.

Ils descendirent donc le penchant de la colline et ils purent s’approcher jusqu’à une trentaine de pas de l’arbre où était l’ours sans que celui-ci eut eu connaissance de leur approche : occupé qu’il était dans sa recherche d’une fente par où il pourrait atteindre le miel, objet de sa convoitise, qu’il sentait à l’intérieur de l’arbre. Quand, à la fin, il aperçut les deux chasseurs, il se mit à descendre précipitamment et à reculons ; mais une balle du fusil de Le Suisse lui traversa la tête et le fit dégringoler au pied de l’arbre. Une fois à terre, l’ours fit un effort pour s’enfuir, mais il chancela, trébucha et s’étendit sur la mousse. Ce que voyant, les deux hommes s’en approchèrent et Le Suisse, l’empoignant d’une main par une oreille, de l’autre il lui enfonça son couteau de chasse dans la gorge. Un flot de sang s’échappa de la blessure et l’animal se roidit dans les dernières convulsions de la mort.

Alors les deux hommes l’examinèrent. C’était une bête énorme et du plus beau pelage. Quand elle fut bien morte, ils se mirent en devoir de l’écorcher, afin d’en rapporter la fourrure. Pendant qu’ils procédaient à ce travail. Le Suisse dit :

— Il doit certainement y avoir du miel à l’intérieur de cet arbre. Quand nous en aurons fini avec l’ours, nous nous en assurerons.

Quand la peau de l’ours eut été enlevée, lavée au ruisseau et roulée de manière à former un paquet commode à porter, Le Suisse détacha les deux cuissots, la seule partie de l’ours que les Blancs mangent sans répugnance, en fit un autre paquet qu’il alla porter, avec la peau, à quelque distance. Puis, revenant au pin sec, il prit un tronçon de grosse branche qui gisait par terre et, à plusieurs reprises, il en frappa le pied de l’arbre avec force. Alors, se reculant d’une vingtaine de pas et relevant la tête, les deux hommes virent des milliers d’abeilles sauvages qui tournoyaient et bourdonnaient en s’échappant d’une fente dans le tronc de l’arbre, à une quinzaine de pieds du sol.

— Nous ferions mieux de nous sauver avant que les abeilles nous aperçoivent, dit Le Suisse. Il n’y a maintenant plus de doute possible, l’arbre doit être rempli de miel.

Ils chargèrent les dépouilles de l’ours sur leurs épaules et s’éloignèrent à grands pas dans la direction de leur campement, où ils arrivèrent comme le jour finissait. Le lendemain et les jours suivants, les deux compagnons continuèrent leur chasse aux ours et au miel.

Les ours n’étaient pas aussi faciles à rencontrer que les écureuils et les suisses. Il leur arriva de parcourir les bois pendant trois jours entiers, sans en apercevoir un seul. Il leur arriva aussi d’en tuer deux le même jour.

Quand ils apercevaient un ours en train de chercher à atteindre et à dépouiller une ruche de miel, ils tuaient l’ours, comme nous les avons vus faire la première fois, puis ils marquaient soigneusement l’endroit où était le miel, afin de pouvoir le retrouver facilement quand le temps serait venu d’en faire la récolte.

Car ils ne récoltaient pas le miel au fur et à mesure qu’ils le découvraient. Comme Le Suisse l’avait expliqué à son jeune compagnon : plus ils laisseraient avancer la saison avant de le recueillir, plus la température serait froide et plus le miel serait facile à conserver et, aussi, à transporter. Il était évident que plus la température serait chaude, plus le miel serait fluide et plus il faudrait des récipients étanches pour le contenir.

Ils chassèrent donc les ours pendant un mois environ et attendirent le milieu d’octobre pour commencer la récolte du miel.

Cette partie de leur tâche était des plus faciles. À cette saison avancée les abeilles sont à la veille d’entrer en hivernement. Elles ne sortent de leurs ruches que par les belles journées de soleil et sur le haut du jour. De sorte qu’en travaillant de bonne heure dans la matinée, ou tard dans l’après-midi, les deux compagnons pouvaient abattre l’arbre, si la ruche était installée dans le creux d’un arbre, ou bien ils pouvaient creuser la terre ou déplacer les pierres, si le miel se trouvait dans la terre ou dans la fente d’un rocher, et dépouiller les abeilles de leur butin sans avoir beaucoup à craindre de la colère de ces insectes, déjà à moitié engourdis par l’air froid de l’automne.

Dans les derniers jours d’octobre, les deux chasseurs avaient ajouté à leur provision d’amandes de noisettes, une vingtaine de peaux d’ours et autant de tinettes contenant chacune une couple de gallons de miel sauvage.

Quand toutes les peaux d’ours eurent été nettoyées, lavées et séchées, de manière à pouvoir se conserver en bon état jusqu’à ce qu’elles puissent être livrées au passeur, et les tinettes de miel fermées et prêtes pour le transport, Le Suisse dit à Roger :

— Il nous reste environ une semaine pour faire la cueillette des faînes. C’est demain le premier novembre, et il nous faut partir d’ici pas plus tard que le sept ou le huit, afin d’être rendus sur le lac Saint-Pierre avant le vingt. Ceci nous laisse une douzaine de jours pour descendre la rivière. Il est vrai que nous l’avons remontée en sept ; mais nous serons beaucoup plus chargés en descendant que nous l’étions en montant. Et puis, pour descendre, chaque portage va nous prendre une pleine journée, quelques fois deux jours. Ce qui fait que nous pourrions bien prendre dix ou onze, ou même quinze jours pour descendre. Dans tous les cas, il nous faut sortir de la rivière Saint-François avant qu’il fasse assez froid pour former de la glace sur les cours d’eau ; car tu sais qu’avec un canot d’écorce, on ne va pas loin dans la glace, n’eût-elle qu’un quart de pouce d’épaisseur.

Ils se mirent donc à la récolte des faînes. Les opérations de cette récolte étaient des plus simples.

Le Suisse et Roger, armés chacun d’un râteau qu’ils s’étaient fabriqué d’avance, arrivaient au pied d’un hêtre, l’arbre qui produit les faînes, râclaient et nettoyaient le sol des feuilles mortes et des branches qui l’encombraient, puis, avec de grosses pièces de bois qu’ils manœuvraient comme les terrassiers manœuvrent ces « demoiselles » avec lesquelles ils enfoncent les pavés, ils foulaient et aplanissaient le terrain tout autour de l’arbre. Ils frappaient ensuite le pied de l’arbre avec ces mêmes pièces de bois, que, maintenant, ils manœuvraient comme des béliers. À chaque coup qu’ils donnaient, l’arbre tressaillait, les faînes se détachaient de leurs gaines entr’ouvertes par les gelées et tombaient sur le sol. Il ne restait aux deux hommes qu’à les ramasser et à les mettre en sac pour les transporter au camp.

Au bout d’une semaine de ce travail, le temps s’étant maintenu au beau, ils avaient recueilli une quinzaine de minots de faînes. Ils décidèrent alors que le temps était venu de se mettre en route pour les centres civilisés de la colonie.

Au commencement de novembre, les ténèbres viennent de bonne heure ; il fait nuit avant cinq heures. Les deux compagnons ne revenaient à leur hutte qu’à la nuit. En arrivant au camp, ils allumaient un grand feu à l’entrée de l’appentis attenant à leur cabane, y faisaient cuire leur souper, qu’ils mangeaient ensuite à la lueur du brasier, puis ils restaient assis dans le cercle de lumière, causant et faisant des projets pour le lendemain, tant que leur feu n’était pas à la veille de s’éteindre. Alors seulement, ils rentraient dans leur habitation et se couchaient.

Ce dernier soir, ils causèrent longuement de leur départ prochain. Ils avaient amassé beaucoup plus de butin que leur canot pouvait en porter, et il s’agissait de décider s’ils allaient chercher un moyen de tout transporter dans un seul voyage, ou s’ils allaient en laisser une partie, qu’ils reviendraient chercher au cours de l’hiver, au moyen de « tabagannes » et de raquettes.

Ce fut à ce dernier parti qu’ils s’arrêtèrent. Comme Le Suisse l’expliqua à son jeune ami, pour tout transporter d’un seul voyage, il leur faudrait mettre une partie de leur butin sur un radeau, car le canot ne pouvait tout porter. Ce radeau irait moitié moins vite que le canot, qui serait en conséquence obligé de régler sa marche sur lui. Et puis, les portages prendraient beaucoup de temps. Ces deux causes réunies, jointes au temps qu’il leur faudrait pour construire le radeau, les empêcheraient certainement de sortir du Saint-François avant le mois de décembre ; ce qui leur ferait courir le risque de se voir pris dans les glaces et d’être obligés de laisser tout ou une partie de leur cargaison dans quelque endroit où elle serait beaucoup plus exposée que dans leur hutte, où elle était à peu près en sûreté. Tandis qu’en ne prenant que ce que le canot pouvait contenir facilement, ils étaient sûrs d’atteindre le lac Saint-Pierre avant les glaces, et de rendre au moins cette partie de leurs marchandises à Montréal ou à Québec. Puis quand ils auraient vendu cette partie de leur fond de commerce, ou aussitôt que les rivières seraient prises et que la neige serait suffisamment épaisse pour les raquettes, ils reviendraient chercher le reste sur des tabagannes.

Roger se rendit d’autant plus facilement à ces raisons, qu’il n’aurait pu suggérer un meilleur plan. De sorte qu’en se levant, le lendemain, ils se mirent à l’ouvrage afin de mettre leur hutte en état de protéger suffisamment leurs marchandises contre les éléments et, aussi, contre les bêtes.

Ils avaient décidé de n’emporter avec eux que les amandes de noisettes et les faînes, et de laisser dans leur hutte les peaux d’ours et le miel.

Afin de laisser ces marchandises en sûreté, ils renforcirent le toit de leur hutte, en y ajoutant plusieurs épaisseurs de feuilles et de branches, qu’ils assujettirent avec des troncs d’arbres, lesquels partaient de terre et se croisaient sur le faîte de la cabane. Ensuite ils bouchèrent soigneusement tous les interstices des murs avec de la mousse et de l’argile détrempées ensemble, de manière à former un mortier.

Avant de fermer leur hutte, ils placèrent les marchandises qu’ils confiaient à sa solidité sur des traverses, à mi-distance entre le sol et le toit. En guise de porte, ils coupèrent de grosses bûches, qu’ils empilèrent les unes par dessus les autres, à partir du sol jusqu’au dessus de l’ouverture. Après en avoir bouché tous les interstices avec de la mousse et de l’argile, comme pour les murs, ils entassèrent autour de la cabane, aussi bien que devant la porte, toutes les grosses pierres qu’ils purent trouver et transporter.

Cette dernière précaution devait, dans l’opinion de Le Suisse, protéger leur hutte contre l’assaut des glaces, au cas où il y aurait, comme cela arrive quelquefois dans ces parages, une subite crue de la rivière au commencement de l’hiver.

Ce travail leur prit deux jours. Ils eurent juste le temps, à la fin du deuxième jour, de tout mettre en ordre dans leur canot, afin d’être prêts à partir en s’éveillant le lendemain. Puis ils se couchèrent dans l’appentis attenant à leur hutte.

Le lendemain, au point du jour, ils se mettaient en route et commençaient leur long voyage de retour.

Nos deux chasseurs descendirent le cours de la rivière toute la journée, et ils vinrent camper, le premier soir de leur voyage, à environ une lieue du confluent de la Coaticook et de la Massawippi. Ce fut un rapide qui les arrêta là.

— Si le canot n’était pas aussi chargé, nous risquerions de sauter le rapide sans rien déranger, dit Le Suisse, mais, chargés comme nous le sommes, c’est impossible. Demain matin, nous transporterons chacun une dizaine de sacs d’amandes au pied du rapide, puis nous le sauterons en canot avec le reste de la charge.

Ils firent comme l’avait dit Le Suisse et, le jour suivant, vers midi, ils étaient rendus au pied du rapide et les sacs d’amandes rechargés à bord du canot.

Ils mangèrent de bon appétit, puis reprirent leurs avirons. Une couple d’heures plus tard, ils débouchaient dans la rivière Massawippi, après s’être arrêtés quelques minutes près du confluent des deux rivières, afin de cueillir des cenelles sauvages, dont un arbrisseau sur la berge de la rivière Coaticook était couvert, et que les gelées avaient rendues excellentes à manger. Afin de sauver du temps, Roger avait sauté à terre et s’était contenté de couper un faisceau de branches, se réservant d’en détacher les fruits une fois dans le canot.