Les anciens couvents de Lyon/06.4. Blie

Emmanuel Vitte (p. 139-144).

LE PRIEURÉ DE BLIE





OUTRE les trois grandes abbayes dont nous avons parlé, il y avait deux prieurés de Bénédictines, celui de Blie et celui de Saint-Benoît.

Blie est un petit village du département de l’Ain, entre Chazaysur-Ain et Loyettes. La rivière d’Ain étant autrefois la limite de la Savoie, on trouve quelquefois dans les actes Blie en Savoie. Depuis Henri IV, elle était dans la province française du Bugey. Les auteurs qui ont écrit « Blie, prieuré de Bresse », ont été dans l’erreur. Aujourd’hui il ne reste rien, à Blie, du prieuré de Bénédictines qui y exista jadis. C’est ce prieuré qui fut transféré à Lyon, en 1637, et qui conserva son nom des champs.

Nous n’avons pas à nous occuper de son existence foraine, mais du jour où il apparaît à Lyon, il s’impose à notre étude, étude, hélas ! fort réduite, car on ne trouve que fort peu de documents sur cette communauté religieuse, et quand d’aventure on rencontre quelques mots, ces quelques mots ont toujours l’air de cacher des mystères.

Pour expliquer l’exode du prieuré de Blie, Monfalcon nous dit que le prieuré, vers 1635, était en mauvais état ; les murs, complètement dégradés, demandaient des réparations coûteuses, et il n’y avait qu’un petit nombre de religieuses. Ces conditions malheureuses firent prendre la détermination de changer de résidence, et de venir se fixer à Lyon.

Ces raisons sont-elles bien sérieuses ? On peut refaire des murs dégradés, et des réparations, même considérables, doivent être moins coûteuses qu’une installation nouvelle dans une ville éloignée, et d’autre part, pouvait-on raisonnablement compter que les religieuses deviendraient plus nombreuses dans une ville qui possédait déjà trois abbayes de Bénédictines ? Il devait y avoir d’autres raisons.

Nous avons déjà vu la prieure des Bénédictines de Chazeaux changer de résidence pour amener une amélioration spirituelle. Par induction, nous pensions que la prieure de Blie devait avoir eu les mêmes raisons. Rien ne nous autorisait à avoir de telles suspicions, et cependant nous ne nous trompions pas.

Le prieuré de Blie dépendait du Chapitre de Saint-Paul. En feuilletant un inventaire, nous arrivons à l’obéance de Chazay-sur-Ain, et là nous trouvons quelques pièces intéressantes.

Une des dernières prieures de Blie, Catherine de Mouxy, à diverses reprises fait entendre des plaintes au Chapitre de Saint-Paul, à propos du mauvais esprit qui existe chez ses religieuses ; le nom surtout d’une certaine Françoise de Butaud revient souvent, et si, comme on a lieu de le croire, les faits allégués sont vrais, cette religieuse est d’une violence et d’une méchanceté étranges ; elle ne craint pas de frapper ses compagnes, et de les frapper jusqu’au sang, et l’autorité est impuissante.

Voilà une première raison, et en voici une seconde. Dans la Topographie de l’Ain, M. Guignes, au mot Blie, nous apprend que les religieuses « étaient exposées aux insolences des soldats et eslognées de secours et consolation. »

Cette assertion est de tous points exacte. Nous la retrouvons dans une pièce importante du fonds de Saint-Paul. La dernière prieure de Blie fut Charlotte de Moyriac. C’est elle qui eut la première pensée de transférer le prieuré à Lyon. Elle s’adressa donc à l’archevêque, qui était alors Louis-Alphonse de Richelieu, le frère du cardinal ministre. Dans leur requête à Mgr l’archevêque de Lyon, les religieuses de Blie se disent « exposées en des périls éminents et en de grands dangers de leurs personnes et de leurs consciences, par les gens de guerre ennemis de la France, qui font des courses dans les provinces de Bresse et Bugey, y exerçant toutes les violences, ravages, insolences et cruautés qu’ils peuvent. »

Le cardinal archevêque répondit qu’il donnerait son approbation à cette translation et favoriserait l’établissement des religieuses de Blie dans la ville de Lyon, à condition que le Chapitre de Saint-Paul quitterait toute supériorité à leur égard.

En conséquence, le 30 mai 1636, Mme Charlotte de Moyriac, prieure de Blie, se présentait devant le Chapitre de Saint-Paul. Elle exposait que sa maison de Blie était sur le grand chemin, dans un village sans clôture ni voisinage ; à cause de cet isolement, elle désirait se retirer avec ses religieuses dans la ville de Lyon. Elle ajoutait qu’elle s’était adressée à l’archevêque, lequel consentira et accordera sa réception et établissement, à condition que le Chapitre de Saint-Paul quitte la supériorité qu’il a sur le prieuré de Blie.

Les chanoines, annuant à ladite réquisition et louant le zèle de ladite dame prieure et pour iceluy faciliter, s’agissant de l’honneur de Dieu, salut des âmes et édification du public, ont quitté, remis et cédé audit seigneur Éminentissime cardinal, archevêque de Lyon, et successeurs en ladite archevêché, toute supériorité qu’ils avaient et leur compétait sur ledit prieuré de Blie.

Tous ces passages donnent beaucoup à réfléchir ; quiconque sait lire entre les lignes voit cette pauvre maison isolée, sur le bord d’un grand chemin sillonné par des bandes de soldats qui se croyaient tout permis.

Le 19 août 1636, le cardinal de Richelieu donna l’autorisation de transférer le prieuré de Blie à Lyon. Le transfert eut lieu en 1637.

Ces religieuses habitèrent d’abord dans le quartier de Saint-Georges, mais bientôt le petit couvent s’installa à l’un des côtés de la place Louis-le-Grand, à Bellecour, non loin de la Charité, « vers les allées de Tillols » comme s’exprime Chappuzeaux. Sur le plan de Siraucourt, on voit très nettement l’emplacement du couvent de Blie : il est sur la rue du Peyrat, sur cette masse de terrain circonscrite par les rues Saint-Joseph, de la Sphère et Boissac, et pour parler un langage plus moderne, le couvent de Blie devait se trouver là où l’on a ouvert l’ancienne rue Bourbon, aujourd’hui rue Victor-Hugo. Il n’avait que seize religieuses et possédait seulement douze cents livres de rente. L’abbesse de Saint-Pierre, dit Monfalcon, était patronne du prieuré ; elle se démit de ses droits, et accepta, à titre d’indemnité honorifique, celui de nommer, alternativement avec l’archevêque, à la dignité de chantre, devenue la seconde du Chapitre.

Le terrain sur lequel fut construit le nouveau couvent avait été donné aux PP. Feuillants par Horace Cardon, célèbre imprimeur de notre ville, que nous retrouverons quand nous parlerons des Jésuites, dont il fut un insigne bienfaiteur.

Le couvent de Blie ne paraît pas avoir été considérable, et l’église, placée sous le vocable de saint Paulin, évêque de Nole, n’avait rien de particulièrement remarquable, si ce n’est le tableau du grand autel, qui représentait les Bergers à la Crèche ; il était l’œuvre d’André Camassei, élève de l’Albane.

Une fois que nos religieuses de Blie furent installées à Lyon, la vie conventuelle fut-elle reprise avec régularité et ferveur ? En l’absence de documents, nous pouvons, à l’aide de renseignements recueillis ici ou là, arriver à formuler certaines conclusions.

Le manuscrit de la Visitation s’exprime ainsi : « Ma sœur Madeleine de Puget, professe de Blie, et ma sœur Jeanne-Augustine de Puget, sa cadette, novice de Blie. Elles sortirent après les malheurs de Madame Charlotte de Moyriac, abbesse de Blie ; et Madame de Puget, leur mère, les amena céans auprès de leurs deux aînées, et redotta l’aînée. »

Quels furent ces malheurs survenus à Mme de Moyriac ? Quelle fut la crise conventuelle assez grave pour que des religieuses en aient été affectées au point de changer, non pas seulement de monastère, mais de famille monastique ?

Dans notre notice sur la Déserte, nous avons parlé de cette abbesse vraiment remarquable, aussi distinguée par son intelligence que par sa piété, Mme de Quibly. Or, le cardinal Alphonse de Richelieu, cherchant quelqu’un pour mettre, dans le prieuré de Blie, récemment établi à Lyon, tout le bon ordre qu’il désirait voir, songea à Mme de Quibly, abbesse de la Déserte, et il eut à s’applaudir du bon choix, car elle fit un bien immense dans ce nouveau prieuré, et y mit en vigueur le règlement de la Déserte (Vid. sup. Déserte. — Sources).

Y a-t-il quelque témérité à joindre ces deux renseignements ? À notre humble avis, voici comment les choses ont dû se passer. Mme de Moyriac vient s’établir à Lyon avec ses religieuses dont elle reste la prieure ; elle ne dépend plus du Chapitre de Saint-Paul, mais de l’archevêque de Lyon. Le bon ordre que celui-ci désire voir dans le nouveau prieuré tarde à s’établir, soit par le laisser-aller des religieuses, soit par la faiblesse ou le manque d’autorité de la supérieure. Le cardinal archevêque se dit que les choses ne peuvent aller ainsi, et se décide à un coup d’autorité. Il dépose Mme de Moyriac et appelle Mme de Quibly. Ces sortes de mesure ont toujours des contre-coups fâcheux ; de là, sans doute, le départ de quelques religieuses. Cette explication, qui nous est personnelle, ne doit pas s’éloigner beaucoup de la réalité des faits.

Un peu plus tard, aux religieuses du prieuré de Blie vinrent s’adjoindre d’autres religieuses d’un prieuré champêtre, appelé la Bruyère. Alors le prieuré de Bellecour fut vraiment important. Mais, en 1654, une scission s’opéra ; nous verrons plus loin quels en furent les résultats.

Toutefois les Bénédictines de Blie furent toujours dans le besoin. On ne put parvenir à faire vivre le prieuré dans de telles conditions ; la suppression en fut décidée. On vendit les biens, et le prieuré fut réuni à diverses maisons, mais surtout au Chapitre de Neuville. L’église cessa d’exister en septembre 1751.

On trouve à la bibliothèque de la ville les pièces suivantes, qui font partie du fonds Coste, et qui confirment et achèvent cette courte notice :

Arrêt du Conseil d’État privé du roi, concernant les prieure et Bénédictines de Blie, du 14 août 1697. — Mémoire pour Mme Marianne de Fleury contre les dames, prieure et religieuses du monastère de Notre-Dame de Blie, [établies à Lyon. — Arrêt du Conseil d’État qui ordonne qu’il sera procédé, par l’archevêque de Lyon, à la suppression du prieuré de Blie, situé dans la ville de Lyon. — Décret de Son Éminence le cardinal de Tencin, archevêque et comte de Lyon, portant suppression du titre de Prieuré régulier de Notre-Dame des Anges de Blye en Bugey, ordre de saint Benoît, et de la conventualité dans le monastère de Blye, situé dans la ville de Lyon, de même que l’union des biens, meubles et immeubles, droits, fruits et revenus desdits prieuré et monastère, au chapitre régulier des nobles chanoinesses de Neuville en Bresse, aux charges et conditions y énoncées, du 21 septembre 1751. — Enfin, Bullioud : Bliensis prioratus Virginum ex agro Bugelli Lugdunum translatus. Lugdunum sacro-profanum, index XI, p. 195. À propos de ce dernier, je dois faire remarquer que ce titre n’est pas du P. Bullioud, mais d’un bibliothécaire, et que ce que l’on trouve est de peu de valeur.

SOURCES :

Almanachs de Lyon de 1745 et de 1755.

Lyon monumental, de Monfalcon.

La Topographie de l’Ain, de M. Guigues.

Le Manuscrit des Religieuses de la Visitation.

L’Oraison funèbre de Mme de Quibly.

Archives municipales : Fonds de Saint-Paul, obéance de Chazay-sur-Ain.

Fonds Coste, à la bibliothèque de la ville.