Les Oiseaux bleus/Les Traîtrises de Puck

Victor-Havard (p. 285-298).

LES TRAÎTRISES DE PUCK

I

Un jeune homme, en armure d’argent, les ailes d’un alérion de neige éployées à son casque, chevauchait de grand matin, sur une cavale blanche ; il arriva qu’une belle princesse, en se promenant sous les pommiers en fleurs, le vit par delà la haie ; elle fut si émue qu’elle laissa tomber, avec un papillon qui était dessus, la jacinthe qu’elle avait dans la main.

— En vérité, soupira-t-elle, d’où qu’il vienne, où qu’il aille, ce cavalier emportera ma pensée avec lui.


Elle lui fit signe de s’arrêter, elle dit :


— Je vous aime, vous qui passez. Si votre désir s’accorde au mien, je vous conduirai vers mon père, qui est le roi de ce royaume, et nous aurons de belles épousailles.

— Je ne vous aime pas, répondit le passant.

Il suivit son chemin. La princesse poussa la porte du verger, et se mit à courir sur la route.

— D’où venez-vous ? demanda-t-elle, et où allez-vous de si grand matin, vous qui ne voulez point vous marier avec moi ?

— Je viens de la ville où habite ma bien-aimée et je vais au-devant de mon rival qui arrive ce soir.

— Qui est votre bien-aimée ?

— La fille d’un vavasseur ; elle file à sa fenêtre, en chantant une chanson que les oiseaux écoutent.

— Qui est votre rival ?

— Le neveu de l’empereur de Golconde ; quand il tire son épée, on croit que le ciel va tonner, parce qu’on a vu des éclairs.

— Que disiez-vous, étant près d’elle, à votre bien-aimée ?

— Je lui disais : « Donnez-moi votre cœur » ; elle me le refusait.

— Que direz-vous, l’ayant rencontré, à votre rival ?

— Je lui dirai : « Je veux votre sang » ; il faudra bien qu’il me le donne.

— Combien j’ai peur que le vôtre ne coule ! Oh ! permettez que je vous accompagne.

— La seule dont il me plairait d’être accompagné est à cette heure en son logis.

— Laissez-moi monter en croupe auprès de vous ; je n’exigerai rien de plus.

— Les hommes n’ont pas coutume d’aller au combat avec une femme en croupe.

Et le cavalier éperonna la cavale blanche. La fille du roi pleurait, malheureuse pour toujours. Comme il était de très grand matin, le soleil ouvrait à l’horizon un œil encore tout sillé d’ombre, et les pinsons, avec les linots, éveillés et gazouillant parmi les feuillées, projetaient entre eux des parties de plaisir à travers les bois printaniers.

II

D’un buisson d’azalées, Puck sortit, habillé de deux feuilles de trèfle jointes ensemble par des fils de la vierge ; il est si petit, que ce costume lui était un peu large ; pour bonnet de fou, un volubilis des haies, où tremblait, ainsi qu’une clochette, un bouton d’or mi-clos.

— Yolaine, dit Puck en riant comme un nid, pourquoi te désoles-tu si fort ?

— Mon seul amour s’en va, et je ne puis le suivre.

— Ton amour est-il ce beau jeune homme, en armure d’argent, les ailes d’un alérion de neige éployées à son casque, qui chevauche là-bas, sur une cavale blanche ?

— C’est lui-même. Ses yeux sont bleus comme le ciel et il a les cheveux couleur de la nuit.

Puck agita la ramille d’aubépine qui lui tient lieu de marotte.

— Quand c’est mon plaisir, Yolaine, la tortue paresseuse devance les nuages, et les emportés étalons, soudainement ralentis, courent moins vite que le scarabée qui met toute une heure à traverser la feuille d’un platane. Yolaine, suis ton amour, sans inquiétude. Qù il va, tu arriveras en même temps que lui.

Tandis que Puck rentrait dans le buisson d’azalées, Yolaine se mit en marche ; les cailloux où elle posait ses petits pieds chaussés de satin et de perles, disaient dans un joli bruit : « Merci, petits pieds d’Yolaine. »

III

Mais le malicieux Puck, qui se plaît à ces jeux, avait trompé la princesse. Vainement elle marcha tout le jour et tout le soir, elle ne rejoignit point le cavalier dont les yeux étaient bleus comme le ciel. Seulement, à minuit, sur la route, elle vit passer, sur un spectre de cheval, un grand fantôme blanc.

— Oh ! qui es-tu, forme qui passes ? demanda Yolaine.

— J’étais un beau jeune homme aux cheveux couleur de la nuit ; maintenant, je ne suis plus rien. J’ai rencontré au carrefour voisin le neveu de l’empereur de Golconde, mon rival ; nous nous sommes battus, et mon rival m’a tué.

— Où vas-tu ? reprit-elle.

— Je vais à la ville, dans le logis où dort ma bien-aimée.

— Tu lui feras grand’peur ! Penses-tu qu’elle t’aimera mort, toi qu’elle n’aima point vivant ? Viens avec moi, qui t’ai choisi ; je te ferai de mon lit un tombeau nuptial ; je m’y endormirai pour toujours auprès de toi et nous aurons de belles funérailles.

— Non. Cette nuit, profitant du sommeil de ma bien-aimée, je veux lui dire adieu dans ses rêves ; je baiserai, sur ses lèvres endormies, le songe de sa chanson.

— Permets du moins que je t’accompagne ; laisse-moi monter en croupe auprès de toi !

— Ce n’est point la coutume des fantômes d’aller visiter leurs bien-aimées avec une femme en croupe.

Et la forme s’évanouit. La fille du roi pleurait, plus désespérée encore. Comme il était minuit passé, la lune, mélancoliquement, argentait l’horizon, les champs, la route, d’une lueur de neige ; et les pinsons, avec les linots, endormis parmi le silence des feuilles, rêvaient de leurs folles volées à travers les bois printaniers.

IV

Puck sortit d’un buisson d’asphodèles ; il portait un habit de deuil fait avec deux moitiés d’une tulipe noire ; une petite toile d’araignée était le crêpe de son bonnet de fou.

— Yolaine, pauvre Yolaine, dit Puck, pourquoi te désoles-tu si fort ?

— Mon seul amour est mort, et je ne puis le suivre.

— Est-ce ton amour, ce fantôme qui vient de passer sur la route ?

— C’est lui-même. On lui a arraché ses cheveux couleur de la nuit, et, de regret de perdre sa bien-aimée, il a pleuré ses yeux bleus comme le ciel.

— Je sais les herbes qui font revivre et je sais les herbes qui font mourir. Retrouve le corps de ton préféré, je te donnerai l’herbe qui fait revivre.

— Ô Puck, tu m’as déçue ! Mais, si tu trompes quand il s’agit de faire le bien, tu dis vrai, quand il s’agit de faire le mal. Donne-moi l’herbe qui fait mourir.

— Prends-la donc ! dit le malicieux Puck. Dès que tu seras morte, tu rejoindras ton amour, et jamais plus vous ne vous quitterez.

Il lui donna quatre brins d’une herbe qu’en souvenir d’une histoire d’amour on appelle la Simonne ; lorsque Puck fut rentré dans le buisson d’asphodèles, Yolaine porta l’herbe à ses lèvres et mourut sans souffrances.

IV

Mais Puck, cette fois encore, avait trompé la princesse. Comme l’âme d’Yolaine montait vers le ciel, elle vit une âme qui descendait vers l’enfer. À la lueur d’une étoile, elle reconnut l’âme du beau jeune homme.

— Où vas-tu, âme de mon seul ami ?

— Hélas ! hélas ! j’ai parlé d’amour à ma bien-aimée dans ses rêves, et mes baisers posthumes ont effleuré sa bouche, comme un papillon noir qui tremble sur une rose. Je suis damné, je vais en enfer.

— Veux-tu que je te suive, moi qui suis morte pour te revoir ? Je te consolerai dans les tourments, je te relèverai dans les défaillances, je t’aimerai dans l’éternité. Mon amour sera la source de calme et de résignation offerte aux lèvres de ta douleur. Veux-tu que je te suive ?

— Non, le souvenir de ma bien-aimée doit seul m’accompagner.

Et l’âme du beau jeune homme se perdit dans les ténèbres, tandis que l’âme de la jeune fille s’élevait, seule, vers l’affreux Paradis ! Pendant ce temps, Puck, satisfait du succès de ses ruses, préparait dans la mousse d’un chêne, avec des brindilles en croix, des pièges où se prendraient les coccinelles réveillées.