Les Légendes des Pyrénées/Notre-Dame de Betharram

Michel Lévy (p. 163-175).


NOTRE-DAME DE BETHARRAM


BIGORRE


Oh ! qu’on se sent heureux dans l’église remplie
Du saint et si doux nom de la vierge Marie.
Poésies diverses de l’Auteur.


Arrivons à la légende de Betharram.

Elle est simple, — elle est vraisemblable, — elle doit être vraie. — Elle est surtout racontée d’une façon charmante, dans un tout petit livre plein d’intérêt, par M. l’abbé Meujoulet, l’heureux historiographe de cette pieuse fondation.

Essayons de la narrer à notre tour.

Un jour, une belle jeune fille de seize ans courait folâtrement, sur les rives escarpées du Gave, à la poursuite d’un brillant papillon dont les ailes chaudement colorées de pourpre et d’or l’avaient séduite au passage, en faisant miroiter leurs couleurs sous les mille feux flamboyants du ciel. Seulement comme le lépidoptère, en voyant sa liberté, sa vie peut-être menacées, avait redoublé d’adresse et d’agilité, la folle enfant, elle, tout entière à l’idée de sa capture, oublia si bien le sentiment de sa propre conservation qu’à un instant, — s’approchant trop du bord pour s’emparer du fugitif dans un suprême effort, — elle eût infailliblement roulé dans les profondeurs de l’abîme sans une grosse branche — beth arram dans la langue du pays — qui se trouva tout à coup sous sa main, au moment où elle venait d’invoquer Marie, et la retint dans sa chute en lui permettant de s’accrocher à elle convulsivement.

Par reconnaissance pour la bonne Vierge, dans laquelle elle vit sa vraie libératrice, la jeune fille plaça sur son autel une branche aux feuilles d’or, et, depuis ce jour, non-seulement le nom de Notre-Dame du beau rameau, de beth arram, lui fut invariablement donné par tous, mais encore les gens du pays, voyant dans ce salut inespéré un incontestable miracle, eurent plus que jamais en vénération la bien humble, mais bien sainte chapelle, consacrée à la mère de toutes les douleurs, à celle qu’on n’invoque jamais en vain lorsqu’on souffre.

Une autre légende nous a été transmise par les anciens chroniqueurs.

La voici dans toute sa simplicité :

« En ce temps-là, c’est-à-dire à une époque inconnue, mais déjà bien loin de nous, quelques petits bergers du village de Lestelle se livraient à leurs jeux enfantins pendant que leurs brebis paissaient tranquillement et que les agneaux bondissaient sur les rochers qui occupaient le bas de la montagne, au bord du Gave. Tout à coup les yeux de ces jeunes enfants furent frappés de l’éclat d’une vive lumière. Leur première impression fut celle de la frayeur. Mais bientôt rassurés par un sentiment intérieur de joie et de confiance, ils s’approchèrent et aperçurent avec surprise une belle image de la très-sainte Vierge. À cette vue, ils éprouvèrent des transports d’allégresse qu’on ne saurait redire. Ils coururent aussitôt au village et racontèrent la merveilleuse apparition à tous les habitants. Ceux-ci se hâtèrent d’aller contempler le prodige de leurs propres yeux. Le prêtre ne tarda pas de les y suivre, revêtu des ornements sacrés, et tous se prosternèrent avec respect devant la miraculeuse statue, le visage mouillé de pleurs et le cœur pénétré d’une sainte admiration.

« On comprit sans peine qu’il y avait dans cette merveille une manifestation des desseins de Dieu pour la gloire de la sainte mère de J.-C., et chacun se trouva persuadé que le ciel voulait qu’un oratoire fût construit en ce lieu. Mais comment bâtir sur ces âpres rochers ? Cela parut à ces pauvres gens d’une difficulté insurmontable. En conséquence, ce fut de l’autre côté de la rivière qu’on dressa une niche où la sainte image fut religieusement déposée[1].

« Mais, nouveau miracle ! autant de fois qu’on voulut l’y loger, autant de fois elle s’en retourna toute seule en sa première place. On ne put pas même la retenir dans l’église paroissiale, d’où elle revint encore sur les rochers des bords du Gave. Les habitants de Lestelle virent bien que c’était l’unique lieu choisi du ciel ; mais ils hésitaient toujours, lorsqu’une jeune villageoise, nommée Raymonde, prenant en main la cause de la reine des vierges, éleva la voix au milieu du peuple pour menacer ses compatriotes de la colère de Dieu, s’ils n’obéissaient promptement à des ordres donnés d’une manière aussi positive. Elle parlait encore, et déjà une grêle affreuse tombait sur les moissons. À ce coup, tout le monde effrayé demanda grâce. On ne balança plus et, sans autre retard, on jeta les fondements d’une pauvre petite chapelle à laquelle Raymonde promit avec enthousiasme d’heureux accroissements. »

Maintenant nous ne vous saurions, bien entendu, garantir l’authenticité de l’une ou l’autre de ces légendes, surtout en présence de ces paroles du grave Marca : « Il est arrivé à cette chapelle un accident semblable à celui que souffrent les anciens établissements, dont l’origine est presque toujours incertaine dans les histoires, la vieillesse qui les recommande leur faisant cette douce injure que de faire perdre la mémoire de leur commencement. » Et, plutôt que de nous lancer dans des discussions vaines sur le plus ou moins de fondement de cette dévotion, nous aimons mieux vous offrir bien vite les jolis vers qu’elle a inspirés à deux charmants poëtes, MM. Gabriel Azaïs et Vincent Bataille.


LA CHAPELLE DE BÉTHARRAM


Notre-Dame du bout du Pont,
Venez à mon aide à cette heure.


I

Quand le Gave quittant les rochers pour les plaines,
S’élance, en bondissant, dans les bois, dans les prés,
On dirait qu’il a peur de rencontrer des chaînes
Dans les touffes de fleurs dont ses bords sont parés.

Au bon temps des Gaston, une chapelle sainte
Qu’à la Mère de Dieu, bâtirent nos aïeux,
Ouvrait déjà, non loin du Gave, son enceinte
Aux nombreux pèlerins accourus en ces lieux.

Il n’avait point alors ce modeste ermitage
Le nom de Bétharram inscrit sur son fronton.
Fils du Béarn, je vais dans votre vieux langage
Vous conter d’où lui vient ce nom.


II

Près du toit où la Vierge veille,
Une fille des lieux voisins,
Vive, leste comme une abeille,
Allait, remplissant sa corbeille
Des fleurs que moissonnaient ses mains.


Oh ciel ! quelle fleur séduisante
Là, se mire au cristal de l’eau,
De cette eau pure et transparente
Qui, suivant sa rapide pente,
Baigne en passant les pieds de Pau !

Pour la cueillir, elle se presse…
Son pied glisse… Jeunes garçons,
Ombragez vos fronts de tristesse !…
Le Gave qui bondit sans cesse
L’emporte dans ses tourbillons…

La pauvrette élève son âme
Vers celle qu’émeut le malheur…
D’auprès des murs où Notre-Dame
Vient en aide à qui la réclame,
Soudain tombe un rameau sauveur.

La jeune fille qui se noie,
Saisit, en l’étreignant bien fort,
Ce rameau que le ciel envoie,
Qui sous son étreinte se ploie,
Et la soutient jusques au bord.

Tel dans l’arche que l’eau balance
Noé croit son trépas certain,
Quand le rameau de l’espérance
Au bec de l’oiseau qui s’avance
Du déluge annonce la fin.

Puisqu’une aide surnaturelle
Te sauve du flot courroucé,
Petite amie, à la chapelle

De la Vierge à ta voie fidèle
Va réchauffer ton cœur glacé.

Oh ciel ! que te voilà tremblante
Tes dents craquent sous le frisson !
De ta robe blanche collante
L’eau goutte à goutte ruisselante
À tes pieds mouille le gazon.

« Sans votre aide j’étais perdue,
« Dit-elle alors, Reine du ciel ;
« Ma chute, nul ne l’avait vue ;
« Mais vous qui m’avez entendue
« Êtes venue à mon appel.

« Votre amour, ô douce patronne,
« Pour nous toujours veille d’en haut :
« Quand l’eau m’entraîne et m’environne,
« Au chêne votre voix ordonne
« De m’envoyer vite un rameau.

« Ô Vierge, je vous fais hommage
« De ce rameau qui séchera ;
« Mais, sur mon âme, je m’engage
« À mettre au pied de votre image
« Un rameau qui toujours luira.

« Trouverai-je, ô Vierge divine,
« Mon père contraire à mon vœu !
« Ses agneaux paissent la colline,
« Dans les champs sa moisson s’incline,
« Ma mère obtiendra son aveu.

« Et moi, dans une ardeur nouvelle,
« En souvenir de ce bonheur,
« Tous les mois, à cette chapelle
« Où votre saint amour m’appelle,
« Je vous ferai don de mon cœur. »


III

La Chapelle depuis fut de tous vénérée.
Parmi les ex-voto de son riche trésor,
On voit briller aux mains de l’image sacrée
L’offrande du beau rameau d’or.

De là le nom du lieu… Loin du bruit de la ville,
Là de ses passions se guérit plus d’un cœur ;
Et l’âme s’y retrempe à la pensée utile
Des tourments que pour nous endura le Sauveur.

Courez à Betharram, enfants de la Navarre,
Peuples de la Gascogne et des bords de l’Adour ;
À Betharram jamais la Vierge n’est avare
Des trésors du divin amour.

G. Azaïs.


  1. Cette niche subsiste encore au milieu des ronces, vis-à vis de la chapelle. Elle est pour ainsi dire incrustée dans le talus du lit de la rivière, et devant elle passe un chemin étroit qui divise ce talus en deux étages. C’est un corps de maçonnerie ayant une base d’un peu plus de 2 mètres de large, un couronnement circulaire et une hauteur totale de près de 4 mètres. L’embrasure de la niche a 71 centimètres de haut, ce qui peut donner une idée de la grandeur de l’image miraculeuse. La muraille, formée de pierres à demi disjointes, ne présente aucun caractère particulier ; mais comme on trouve le plein cintre au haut et au fond de la niche, et qu’il n’y a aucune trace d’ogive, on pourrait en conclure que ce monument date au moins du xiie siècle ; car on sait qu’à partir de cette époque presque toutes les constructions religieuses se font remarquer, pendant près de quatre cents ans, par des arcades ogivales ou en pointe.