Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CXL

Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 187-188).

CHAPITRE CXL.


Comment le chanoine de Robertsart et sa route prirent la ville du Bas et le chastel, et un autre fort nommé la Courtoise, puis tournèrent vers Séville.


Tant chevauchèrent Anglois et Gascons que ils vinrent devant le Bas où il y avoit un bon fort. Si l’environnèrent à une des portes, là où elle étoit la plus prenable et la plus légère à assaillir. Si descendirent toutes ces gens d’armes à pied ; et se mirent en arroy et en ordonnance d’assaut, et entrèrent dedans les fossés où il n’avoit point d’eau ; et vinrent jusques aux murs, et commencèrent à piquer et à houer et fort à assaillir. Pour ce jour n’avoit en la ville du Bas nulles gens d’armes, fors les hommes de la ville qui étoient moult mal armés. Toutefois ils étoient à leurs défenses et avoient lances et javelots et archegayes, dont ils traioient, lançoient et se défendoient ce qu’ils pouvoient. Mais ils virent bien que à la longue ils ne pourroient durer ni contrester qu’ils ne fussent pris ; si commencèrent à traiter à ceux qui les assailloient. Finablement ils se rendirent, sauves leurs vies et le leur ; et dirent que ils se mettroient et demeureroient en l’obéissance du roi Ferrand de Portingal. Ainsi furent-ils reçus ; et entrèrent toutes gens en la ville et s’y rafreschirent ; et allèrent aviser et regarder ce jour comment ils se pourroient chevir du chastel, et perçurent que il étoit bien prenable. Dès le soir commencèrent les aucuns de l’ost à escarmoucher ; et quand ce vint au matin on commença à assaillir de grand’volonté ; et ceux qui étoient dedans à eux défendre.

Dedans le chastel avoit un gentilhomme du pays qui en étoit capitaine, et n’étoit mie trop bon homme d’armes, et bien le montra, lequel se nommoit Piètre Jagousès[1] ; car si très tôt que il se vit assaillir et tant de bonnes gens d’armes devant, il se effréa et entra en traités ; et rendit le fort, sauve sa vie et de ceux qui dedans étoient. On le prit, et rafreschit-on de bonnes gens d’armes et d’archers. Et puis s’en partirent et chevauchèrent devers un autre chastel à sept lieues de là, qu’on dit la Courtoise[2]. Quand ils furent venus jusques à là, si se mirent en ordonnance d’assaillir, et assaillirent fort et roide. Ceux qui dedans se tenoient étoient vaillans gens, et bien se défendirent ce qu’ils purent et ne se daignèrent rendre. À l’assaut qui fut grand et fort, fut mort le capitaine du chastel, qui s’appeloit Radhigos[3]. Soutif et appert homme d’armes étoit ; et fut mort d’un trait de flèche d’un archer d’Angleterre ; car il s’abandonnoit trop follement avant à la défense. Depuis qu’il fut mort, les autres n’eurent point de durée. Si fut le chastel pris, et le plus de ceux qui étoient dedans morts. Ainsi orent le chanoine et ses gens le chastel de la Courtoise. Si le rafreschirent de nouvelles gens et le réparèrent bien et fort ; et puis passèrent outre en approchant la cité de Séville la grande.

  1. C’est le même qu’il a déjà appelé Dam Piètre Gousès.
  2. Cortijo.
  3. Ruy Diego.