Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CXCIII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 165-166).
Livre I. — Partie I. [1342]

CHAPITRE CXCIII.


Comment le roi d’Angleterre envoya l’évêque de Lincolle pour avoir trêves aux Escots ; mais le roi d’Escosse n’en voulut rien faire sans le congé du roi de France.


En ce temps que les parlemens étoient à Londres, des seigneurs et barons d’Angleterre dessusdits, sur l’état que vous avez ouï, conseillèrent les princes au roi en bonne foi, considérées les grosses besognes qu’il avoit à faire, qu’il envoyât l’évêque de Lincolle à son serourge le roi d’Escosse, pour accorder une trêve ferme et estable, s’il pouvoit, à durer deux ou trois ans[1]. Le roi à ce conseil s’accorda moult envis[2], et lui sembla grand blâme de requérir son adversaire de trêves, selon ce que on lui avoit fait de nouvel à savoir ; mais le guerroyeroit si fortement que les dits Escots seroient tous désirans de prendre trêves. Les seigneurs d’Angleterre lui dirent, sauve sa grâce, que non étoit selon ce que autrefois il avoit gâté tout, et qu’il avoit à faire en tant de pays hors de son royaume ; et dirent qu’on tenoit à grand sens d’un seigneur, quand il a plusieurs grands guerres en un temps, et il en peut une atréver, l’autre appaiser, et de la tierce guerroyer. Tant lui montrèrent de raisons qu’il s’y accorda, et pria au prélat dessus dit qu’il y voulût aller. L’évêque ne le voult mie escondire, ains se mit au chemin et alla celle part : mais il perdit sa voie et revint arrière sans rien faire. Si apporta au roi d’Angleterre que le roi David d’Escosse n’avoit point de conseil de donner trêves ni souffrance, ni de faire aucune paix ou accord, sans le gré et consentement du roi Philippe de France. De ce rapport eut le roi anglois plus grand dépit que devant. Si dit tout haut que ce seroit amandé brièvement, et qu’il atourneroit tellement le royaume d’Escosse que jamais ne seroit recouvré. Si manda partout son royaume que chacun fût à Bervich à la fête de Pâques, appareillés d’aller où il les voudroit mener, excepté ceux qui devoient aller en Bretagne avec messire Robert d’Artois et la comtesse de Montfort.

  1. Tout ce que dit l’historien des trêves entre l’Angleterre et l’Écosse me paraît déplacé et devoir être reporté au commencement de l’année 1342, à la suite du chapitre 169 où il est question de cette trêve et des négociations, qui les précédèrent.
  2. Avec peine, invitus.