Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCIX

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 175-176).
Livre I. — Partie I. [1342]

CHAPITRE CCIX.


Comment le duc de Normandie se partit d’Angiers et s’en vint à Nantes ; et comment ceux qui tenoient le siége devant Nantes s’en allèrent à Vennes au roi d’Angleterre.


Nous retournerons à la chevauchée que le duc de Normandie fit en cette saison en Bretagne pour conforter son cousin messire Charles de Blois. Le duc de Normandie, qui avoit fait son assemblée et son amas de gens d’armes en la cité d’Angiers, se hâta tant qu’il put, car il entendit que le roi d’Angleterre travailloit durement le pays de Bretagne, et avoit assiégé trois cités et pris la bonne ville de Dynant : si se partit d’Angiers moult efforcément à plus de quatre mille hommes d’armes et trente mille d’autres gens. Si s’arrouta tout le charroi le grand chemin de Nantes ; et le conduisoient les deux maréchaux de France, le sire de Montmorency et le sire de Saint-Venant. Après chevauchoit le duc de Normandie, le comte d’Alençon son oncle, et le comte de Blois son cousin. Là étoient le duc de Bourbon, messire Jacques de Bourbon comte de Ponthieu, le comte de Boulogne, le comte de Vendôme, le comte de Dampmartin, le sire de Craon, le sire de Coucy, le sire de Sully, le sire de Fiennes, le sire de Roye, et tant de barons et de chevaliers de Normandie, d’Auvergne, de Berry, de Limousin, d’Anjou, du Mayne et de Poitou et de Xaintonge, que jamais je ne les aurois tous nommés. Et encore croissoient-ils tous les jours, car le roi de France renforçoit son mandement, pour ce qu’il avoit entendu que le roi d’Angleterre étoit si efforcément venu en Bretagne. Ces nouvelles vinrent aux seigneurs d’Angleterre qui séoient devant Nantes, que le roi y avoit laissés, que le duc de Normandie venoit là pour lever le siége, ainsi que on l’espéroit ; et avoit bien en sa compagnie quarante mille hommes. Ces seigneurs le signifièrent hâtivement au roi d’Angleterre, à savoir quelle chose il vouloit qu’ils fissent, ou si ils les attendroient, ou s’ils se retrairoient. Quand le roi d’Angleterre entendit ces nouvelles, il fut moult pensif, et eut une espace une imagination et propos de briser son siége[1], et aussi celui de Rennes, et de soi retraire devant Nantes. Depuis fut-il conseillé autrement ; et lui fut dit ainsi : qu’il étoit en bonne place et forte et près de sa navie, et qu’il se tînt là, et attendit ses ennemis, et mandât ceux de Nantes, et laissât encore le siége devant Rennes ; car ils n’étoient mie si loin de lui qu’il ne les confortât et r’eût bientôt, si mestier étoit.

À ce conseil se tint et accorda le roi d’Angleterre ; et furent mandés ceux qui séoient devant Nantes, et s’en revinrent au siége devant Vennes. Et le duc de Normandie, et les barons de France exploitèrent tant qu’ils vinrent en la cité de Nantes, où messire Charles de Blois et grand’foison des chevaliers de Bretagne étoient, qui le reçurent à grand’joie. Si se logèrent les seigneurs en la cité, et leurs gens environ sur le pays ; car tous n’eussent pu être logés dedans la cité ni ès faubourgs, si grand nombre étoient-ils là venus.

  1. Le siége de Vannes, où il était en personne.