Le vol sans battement/Angle d’attaque

Édition Aérienne (p. 433-439).

ANGLE D’ATTAQUE


Cet angle moyen sous lequel l’aéroplane prend le vent, afin d’être supporté, qu’à tort on s’ingénie à chercher, nul ne peut le mesurer, parce qu’il est variable avec le vent qu’il fait dans l’instant, avec l’orientation de la course de l’oiseau par rapport à la direction du courant d’air, et enfin avec le but que le volateur se propose d’atteindre. On pourrait même encore adjoindre une foule d’autres considérations qui finalement font comprendre que cette recherche devient tellement compliquée qu’elle est absolument inextricable. C’est la vie, la locomotion intraduisible en chiffres ou en angles, parce que le changement est de tous les instants, c’est la gymnastique, en un mot, devant laquelle les données précises s’inclinent, et sont remplacées par l’intelligence spéciale qui chez l’être régit l’acte de mouvement de l’instant.

Cet angle est sous la pondération des centres nerveux qui sont à l’arrière de la tête : cervelet et moelle allongée, et non des masses cérébrales qui sont sur le devant de l’encéphale.

Pour essayer de faire comprendre la variété d’importance que peut avoir cet angle, je vais tâcher de décrire quelques-uns de ces exercices que fait l’oiseau voilier, et cela en termes les plus simples afin d’être compris de tous.

Le premier, celui qui est classique, est le mouvement produit par la chute, qui donne à l’aéroplane la vitesse suffisante pour être supporté, puis sa remontée pour atteindre un autre perchoir moins élevé ; le tout exécuté par le calme exact.

Cet exercice est produit par mes deux milans. Il y a vingt ans que j’assiste à cette manœuvre, elle est donc bien étudiée. Ils partent du sommet d’un observatoire et vont se poser à 75 mètres de là et ont fourni comme ensemble de course un angle de 12 degrés. Ces mesures, sans être exactes, sont très approchées. − La course produite a cette forme (fig. 12).−

Un seul battement est généralement donné au départ, il a pour but d’aider l’effort de projection en avant ; le reste de la course, abordage compris, est du glissement pur. Par cette chute d’un angle de douze degrés, l’angle de prise de vent n’est pas discernable, malgré les centaines d’évolutions étudiées avec la plus grand attention à ce point de vue spécial.

Je revois dans mes souvenirs une manœuvre à peu près pareille produite par la cigogne. Je l’ai perdu de vue ce charmant oiseau, elle ne niche pas ici. En Algérie, j’en avais un nid sur ma propriété. Il était placé au sommet de grands frênes, à la hauteur de 22 mètres, mesurée au moyen de l’ombre qu’il projetait. Souvent ces oiseaux se lançaient dans le vide de cette hauteur et se mettaient à glisser sans battement jusqu’à excinction. Encore là l’angle est nul, au moins dans la plus grande partie de la course. Dans la finale, la cigogne doit le produire ; mais comment s’en assurer et surtout le mesurer ? L’étude simple de l’espace parcouru par cet oiseau dans cette chute n’est même pas permise, parce que les renseignements qu’elle fournit sont faux. Je m’offris cependant quelques mesures ; la chose était facile, je comptais combien il y avait de pas du pied de l’arbre au buisson ou à la touffe d’herbe près de laquelle elle s’était posée, et chaque opération variait de la précédente de quantités énormes ; jusqu’à ce qu’un jour j’y renonçai, l’ayant vu produire une course indéfinie. Je la perdis de vue. Elle avait dû rencontrer un courant aérien qu’elle utilisait et qui n’existait pas sur le point d’où je l’observais, car je choisissais naturellement un moment de calme pour étudier ce cas.

On arrive à constater la presque impossibilité de l’analyse précise de l’évolution. Tout manque pour le faire : les mesures, l’absence de certitude que l’oiseau a volé dans le calme exact, et,., et,. Quand on étudie le volateur dans un courant, on ne sait jamais quelle est l’activité de ce mouvement ; toujours les données sérieuses échappent et entravent tout calcul.

On ne tranchera les premiers éléments de ces questions qu’au moyen d’expériences faites avec des surfaces, des poids, des formes connues et expérimentées dans des endroits fermés.

Si nous passons à l’étude du vol de parcours, je dois avoir avoué n’avoir discerné nettement l’angle de présentation que chez un oiseau : le milan, et dans un seul cas : c’est quand l’air du soir est absolument au repos. Dans cette circonstance, l’angle est visible à l’œil nu ; il est quelquefois très accentué. L’oiseau se traîne péniblement dans cet air lourd et embrumé qui ne semble pas porter comme dans les autres heures du jour. Le dénivellement entre le bec et le bout de la queue est souvent estimable à 15 degrés. C’est l’angle utile pour ce cas particulier, pour cet air électrisé qui a des effets physiques et physiologiques curieux absolument inconnus de l’Europe, entre autres, certaines fois, celui-ci : soutenir les poussières d’une façon incroyable. J’ai vu un soir la trace du passage d’un homme marquée par un petit nuage d’un mètre d’épaisseur, d’une dizaine de mètres de largeur, et qui se soutenait indéfiniment à 50 centimètres du sol, sans s’élever ni retomber.

Ceux que la recherche de l’angle de prise de l’air intéresse, trouveront ce renseignement au moyen de la photographie instantanée ; l’appareil de M. Marey le leur fournira. L’allure de l’aéroplane copié dans cet instant précisera cet angle d’une manière exacte pour la vitesse de ce moment, et pour l’aéroplane qu’on aura photographié. Si on opère sur un autre aéroplane, l’angle trouvé sera différent. Si, maintenant, on photographie un aéroplane mal réglé, c’est-à-dire produisant une course qui a des ressauts, on obtient autant d’angles différents qu’on obtient d’épreuves, et cela, parce que l’angle d’attaque de l’air a varié progressivement avec la variation de la vitesse de translation. Cet angle n’est précis que quand la course est précisément régulière ; sitôt que l’aéroplane animé ou inanimé quitte cette translation ponctuellement la même, sitôt l’angle est changé. Et il est bien entendu que toutes ces expériences sont faites dans l’air tranquille ; s’il y a un mouvement aérien, tout est encore à changer.

Ce qu’il y a de singulier dans cette recherche, c’est que ce ne sont pas les aviateurs à la voile qui s’en préoccupent le plus, mais au contraire, ceux qui cherchent à produire l’aviation par une propulsion quelconque. Au point de vue où ils se placent, l’aéroplane poussé par une force qui procure plus que la sustention, ils devraient négliger cet angle qui devient absolument inutile, puisque l’excès de vitesse, celle qu’il y a en plus de la sustentation, permet la direction et même l’ascension de l’appareil.

Ceux, au contraire, qui doivent s’en occuper sont les aviateurs voiliers, parce que, dans le vol à la voile, la vitesse et la sustentation sont données assez souvent par cet angle. Seulement il est à espérer que ces considérations feront comprendre qu’il est souverainement variable ; il est dispensateur du mouvement, c’est vrai, mais, comme le mouvement dans l’air est tout à fait irrégulier, il doit l’être également.

Le cas où il semblerait utile de le chercher par la théorie plutôt que par la pratique est celui du parcours régulier de longueur : l’aéroplane partant du haut et baissant jusqu’à arriver à toucher la terre. Si nous consultons le gyps fulvus, le grand maître sur ce mode de translation, l’oiseau qui semble ne pas ressentir l’action du traînement, nous voyons quelquefois une course inclinée descendante de 5 degrés environ, absolument régulière ; son aéroplane est pour ainsi dire immobilisé ; c’est donc bien le cas d’étudier cet angle. La difficulté est d’abord de le faire. Il est assurément inutile de songer à le photographier autrement que vu par dessous, il faut donc renoncer à ce moyen ; un autre système de reproduction de son allure est encore à trouver, il ne reste donc que la réflexion.

La réflexion commence par faire cette remarque : qui doit servir de base à l’estimation de cet angle ; est-ce la ligne d’horizon qui doit le mesurer ? Dans le cas présent, la base ne serait pas bonne puisqu’elle donnerait un angle négatif, étant d’observation très exacte que, dans sa course descendante, le gyps fulvus ne fait aucun angle visible sur la ligne qu’il poursuit. Force est donc de prendre pour base cette ligne qu’il parcourt.

L’angle est donc, dans ce cas, égal à 0 sur cette ligne. Maintenant comment esquive-t-il tous les apports d’exhaussement qui lui sont fournis par l’onde aérienne et qui devraient le déniveler. Comment les détruit-il, sans changer sa voilure, car rien ne varie, dans la tournure de son aéroplane, observation précise. — Il faut admettre, absolument, l’effet d’une inertie prépondérante fournie par la masse de 7500 grammes, supportée par un mètre carré qui permet et tolère cette continuité dans le mouvement.

Nous ne trouvons donc pas d’angle dans ce parcours qui est cependant un exemple choisi, et nous ne commençons à le soupçonner que quand cette course, au lieu d’être descendante, est horizontale ou même légèrement ascensionnelle.

Cette digression nous amène à envisager une autre manœuvre importante : l’ascension.

Que dire de sérieux sur une évolution qu’on voit constamment d’en bas et toujours de très loin ? On approche difficilement le vautour à cent mètres. Je l’ai vu de très près en ascension, mais dans un cas particulier de courant ascendant ; on ne peut donc que faire des estimations instinctives.

La vue de cet acte de vol fait remarquer que, dans l’orbe ascensionnel, cet angle existe dans une partie de la courbe qui est le moment où l’exhaussement se produit et l’instant où l’oiseau va contre le vent. Il s’éteint ensuite, et c’est logique, dans la partie où, poussé par le vent, il fait provision de vitesse.

Mais toutes les ascensions ne sont pas aussi simples que celle-là il en est d’autres qui semblent inexplicables ; ainsi celle-ci la courbe entière est une montée presque régulière, sans ressaut, et même presque concentrique, c’est-à-dire dont toutes les parties de l’orbe sont presque semblables entre elles. C’est une spirale inclinée qui n’est presque pas déformée. Le milan produit ce tour de force quand il est en retard pour prendre le frais et que le vent est actif ; il se dépêche afin de se soustraire le plus vite possible à la chaleur. Sa grande surface doit lui faciliter cette manœuvre extraordinaire ; il doit assurément offrir à l’air un angle très fort ; le courant aérien doit le pousser énergiquement, et le résultat est cette ascension, difficile à admettre, mais dont je m’offre le spectacle presque tous les jours, dans les mois d’été.

Je suis convaincu que cette manœuvre serait plus facile à reproduire qu’à expliquer.

On peut dire avec justesse que cet angle est très fort dans l’instant du départ de l’oiseau qui s’élève du sol plat ; il est tout à fait visible dans ce cas. À chaque battement des ailes correspond un battement de la queue qui a pour effet de transformer l’exhaussement en une résultante qui est l’avancement.

On voit cet effet d’une façon très claire dans le départ des gros voiliers.

L’angle est, aux deux ou trois premiers battements, de plus de 25 degrés ; il diminue ensuite très rapidement ainsi que le battement de la queue, à mesure que l’oiseau s’étale de plus en plus sur l’air. Une fois lancé, le mouvement de la queue cesse, l’angle s’éteint progressivement ; et, dès que le volateur se met à planer, il n’est plus discernable.

Il résulte donc de toutes ces considérations que la grandeur de cet angle est en raison de la réaction que le volateur veut produire sur l’air. Il l’exagère dans le cas du départ, de l’ascension extra-rapide ou du poser, mais ne s’en sert pour ainsi dire pas dans celui de simple parcours.