Traduction par Wikisource.
George Redway (p. 233-254).

CHAPITRE XII

LA DISPARITION DU DOCTEUR BATAILLE


La critique la plus évidente à propos des mémoires intitulés Le Diable au xixe siècle est le caractère absurde et impossible de ses récits surnaturels. Attribuer une véracité historique aux aventures du baron Münchhausen pourrait à peine sembler plus fantaisiste que d’accepter ce récit d’un témoin comme preuve de phénomènes transcendantaux. J’ai à peine besoin de préciser que je considère ce raisonnement comme si sensé et pertinent qu’il est presque inutile de le développer. Les aventures personnelles du docteur Bataille sont si évidemment fabuleuses en ce qui concerne leur élément surnaturel qu’il serait intolérable de les considérer autrement. Qu’un singe parle tamoul est au-delà des limites du possible ; il est également impossible qu’une femme fakir ou pythonisse, âgée de 152 ans, se laisse consumer tranquillement par le feu ; il est impossible que des ascètes aient pu survivre dans les conditions répugnantes régnant à l’intérieur du prétendu temple de Pondichéry ; il est impossible que quiconque ait pu survivre à l’épreuve que le Dr Bataille prétend avoir subie à Calcutta, l’avoir savourée et même prolongée ; il est impossible que des tables et orgues se trouvent suspendus au plafond à la fin d’une séance de spiritisme ; il est impossible que le serpent de Sophia Walder se soit allongé de la manière décrite. Quand je dis que ces choses sont impossibles, je parle en tenant dûment compte des phénomènes surnaturels affirmés par d’autres, et c’est du point de vue transcendantal que je les juge. De véritables phénomènes surnaturels peuvent étendre les limites acceptées du probable, mais lorsque des phénomènes surnaturels présumés font violence à toute probabilité, c’est la preuve sans faille de l’hallucination ou du mensonge de la part de ceux qui en témoignent. Ces choses n’auraient pas pu se produire comme elles sont racontées, et le Dr Bataille exploite l’ignorance de cette catégorie de lecteurs attirés par les penny dreadful. Comme produits de l’imagination, ses prestiges sont grossiers et incultes ; en d’autres termes, ils appartiennent précisément à ce genre caractéristique des fictions à gros tirage, et lorsqu’il jure de son honnêteté, il n’obtient pas notre confiance, mais indique le peu de valeur qu’il accorde à cet enjeu.

En même temps, deux raisons m’empêchent d’insister davantage sur cette argumentation. En premier lieu, nous devons nous rappeler que les instructeurs religieux ont enseigné à ses lecteurs illettrés la croyance au pouvoir illimité du diable, et ils ont probablement trouvé dans la nature scandaleuse de ses récits une véritable incitation à les accepter. En second lieu, ma propre position de transcendantaliste me relie plus ou moins à la croyance aux phénomènes surnaturels, et distinguer les limites de la possibilité dans ces questions impliquerait une discussion technique qui n’est pas possible dans ce livre. Il est bien entendu, toutefois, que dans l’intérêt de la science transcendantale, je rejette l’élément miraculeux des mémoires du Dr Bataille.

Une autre critique, donnant également des résultats probants, repose sur l’invraisemblance flagrante de toute l’histoire en dehors de cet élément miraculeux. Par exemple, il est tout à fait improbable qu’il existe un lien établi entre des fakirs et des francs-maçons, ou entre des sociétés secrètes en Chine et une secte de lucifériens à Charleston. Mais les partisans du Dr Bataille sont prêts à croire n’importe quoi au sujet de la franc-maçonnerie et à écarter la vraisemblance comme ils écarteraient l’impossibilité. Certains arguments sont inattaquables en raison de leur stupidité et je compte priver mon témoin de cet abri. Je ne ferai donc que constater que cette critique va au but. Pour la même raison, je ne ferai que me référer à une autre question qui suffit en elle-même à écarter ces mémoires du domaine de la réalité ; ils recèlent de ce genre de coïncidences qu’emploient fréquemment les mauvais romanciers pour créer des intrigues ou s’en échapper, et qui sont rejetées même par la fiction légitime, car elles ne sont pas fidèles à la vraie vie. À l’heure actuelle, la coïncidence est laissée à ses véritables détenteurs, la Society for Psychical Research et les fabricants de penny dreadful. Cependant, le Dr Bataille est déraisonnablement exigeant envers la coïncidence ; jamais, dans une situation délicate, elle ne lui fait défaut ; où qu’il aille, elle le fait arriver à point nommé pour assister à un événement ponctuel et rare, et le met immédiatement en communication avec la personne indispensable dont la présence était auparavant improbable. L’existence même de ses mémoires aurait été mise en péril si l’Anadyr avait atteint Point-de-Galle juste avant, et non pas juste après la catastrophe qui a transformé Carbuccia. Au début de sa mission contre la franc-maçonnerie, la coïncidence arrangea la dernière maladie de la pythonisse cingalaise par rapport à sa date d’arrivée ; elle amena John Campbell à Pondichéry et Phileas Walder à Calcutta ; à Singapour, elle organisa une initiation palladique au grade de Maîtresse-Templière à la date même de sa visite éclair, alors qu’il faisait route vers Shanghai. Or, toutes ces coïncidences sont de la sorte qu’on trouve dans la fiction, mais qui manquent dans les combinaisons de la vie réelle, mais insister sur ce point ne désillusionnerait pas les tenants du Dr Bataille, qui diront qu’il était assisté par la Providence. Nous devons montrer qu’il les a trompés dans des affaires qui permettent une vérification, sur certains points purement factuels, qui peuvent être placés au-dessus de la controverse, et par lesquels la véracité de son récit peut être vérifiée. Je me limiterai pour cela à ce qu’il énonce d’emblée en sa qualité de témoin oculaire et à deux cas saillants qui peuvent être considérés comme représentant l’ensemble. Pour le reste, certains sont en cours d’investigation et donnent à ce stade des résultats tout aussi prometteurs ; l’emplacement d’autres épisodes a été choisi de manière à dérouter l’enquête ; et dans un ou deux cas, j’ai échoué à obtenir des résultats. Il est évidemment impossible de prouver qu’il n’existe pas de hutte indigène dans « une forêt inextricable et touffue » à une distance non indiquée de Point-de-Galle, ou que cette cabane ne possède pas une vaste chambre souterraine. Lorsque nous ne pouvons pas vérifier notre témoignage, nous devons considérer ce qu’il nous dit à la lumière des exemples dans lesquels il est possible de l’examiner précisément. Parmi les résultats négatifs, je citerai une enquête sur le décès présumé d’un certain George Shekleton dans une loge maçonnique à Calcutta. Sir John Lambert, K. C. S. I. E., le commissaire de police à cet endroit, a fait des enquêtes très courtoises à ma suggestion, d’abord auprès du coroner, mais les archives de l’année 1880 n’existent pas et par la suite, parmi les plus anciens policiers, mais aussi sans résultat. Je me suis adressé à M. Robert William Shekleton, Q. C., J. P., pour lui demander si un membre de sa famille était décédé à Calcutta dans de curieuses circonstances vers 1880. Sa réponse est la suivante : « Je n’ai jamais entendu parler de la mort d’un George Shekleton à Calcutta. Mon frère aîné et mon frère cadet vivaient tous les deux à Calcutta et si quelqu’un du même nom y avait vécu, j’aurais dû en entendre parler. Mon frère cadet, Alexander Shekleton, est décédé à Madras, sur le chemin du retour, de la petite vérole, en même temps que son épouse et ses enfants ; mon frère aîné, Joseph, est toujours en vie. » On présume donc que l’histoire de Carbuccia sur l’étrange décès qui s’est produit en sa présence dans une loge maçonnique est sans fondement, mais j’estime que le résultat est négatif, car il est insuffisant. Je mets maintenant d’autres moyens en jeu, mais comme il ne s’agit pas d’un cas révélateur, ni d’un événement dont le Dr Bataille prétend avoir été témoin, il est inutile d’attendre.

Si le lecteur jette un coup d’œil sur les différentes sections du sixième chapitre, il trouvera que l’une des plus importantes est celle intitulée « Les sept temples et un sabbat au Shéol », où le Dr Bataille nous dit qu’il a été témoin d’opérations de magie noire inouïes faites par des maçons palladistes et des fakirs diabolisants. La localité était une plaine appelée Dappah, à deux heures de route de Calcutta. Les détails qui sont donnés concernent les édifices sur la montagne de granit, mais plus particulièrement concernant un charnier ouvert où les cadavres d’innombrables êtres humains, mélangés indifféremment avec ceux d’animaux et avec les ordures de la ville, sont laissés à pourrir à ciel ouvert, à proximité de la capitale coloniale anglaise et du siège du gouvernement, ne semblent pas particulièrement vraisemblables, même pour qui ne connaît pas l’Inde. Les faits sont les suivants : un lieu appelé Dhappamanpour et, par souci de brièveté, Dhappa existe effectivement dans les environs de Calcutta et, à cet égard, les déchets de la ville sont en réalité transportés par une voie ferrée spéciale ; il n’y a pas de montagne de granit ni de temples, non plus que de charnier dans lequel sont jetés des corps humains ou même un lieu où les adeptes du Palladium pourraient célébrer un sabbat noir et former une chaîne magique avec des cadavres putrides, c’est un grand lac couvrant une superficie de trente miles carrés, et que les Anglo-Indiens apellent le lac Saltwater. En 1886, il était en cours d’assèchement, mais tout ce que le Dr Bataille nous dit est tout à fait faux, et il n’aurait jamais pu être témoin des événements qu’il décrit comme se déroulant en 1880. Le « récit d’un témoin » est en cette matière une histoire inventée.

Conséquence de ce faux évènement à Calcutta, le Dr Bataille prétend avoir été admis dans le cercle bienheureux du Palladium Nouveau et Réformé. Il était donc habilité à assister à l’initiation d’une Maîtresse-Templière peu après à Singapour. Son récit de cette initiation s’articule autour de deux ou trois points qui n’apparaissent pas dans le synopsis du sixième chapitre. L’un d’entre eux est l’existence d’un aréopage de Kadosch du rite écossais ancien et accepté. Mais au moins, à la période en question, cet aréopage n’existait pas et le rite écossais n’existait pas à Singapour. La seule institution maçonnique était une Grande Loge de District des anciens maçons libres et acceptés d’Angleterre dans l’archipel oriental, travaillant sous le mandat de la Grande Loge anglaise, tenant des communications semestrielles et des réunions spéciales lorsque le Grand Maître de district le jugeait nécessaire. Son brevet date du 3 mars 1878 et le Grand Maître de District à cette époque était l’Hon. William H. Macleod Read. Trois loges travaillaient sous sa juridiction, dont deux à Singapour et une à Penang, et un chapitre de Royale-Arche était rattaché à l’une des deux premières. Il est inutile de dire que le diplôme de Misraïm de notre auteur ne lui aurait donné accès à aucune, et personne ici en Angleterre n’aurait le courage de prétendre qu’il aurait pu mieux s’en tirer grâce à son grade palladique. Il suffit toutefois d’indiquer qu’il n’y avait pas de loge du rite écossais ancien et accepté à Singapour au moment de sa visite. Mais la tromperie ne s’arrête pas là ; le Dr Bataille ne se contente pas de décrire ce qui s’est passé dans une loge qui n’existait pas, il donne des détails sur un discours prononcé par un certain M. Murray lors d’une réunion à laquelle il a assisté. Or, à la date en question, il n’y avait personne de ce genre dans la ville, dans ses environs, ou à Penang. Il existe heureusement chez nous une institution appelée British Museum, qui nous permet de vérifier des questions de ce type. En outre, lors de la description de la réunion palladique à la chapelle presbytérienne — il y avait une telle chapelle, soit dit en passant — il nous dit que le Grand Maître s’appelait Spencer et qu’il était un négociant de Singapour, mais là encore il n’y avait personne de ce nom dans la ville ou ses environs à l’époque, et c’est pourquoi tout son récit, dont le rituel repris chez Léo Taxil, est complètement démoli. J’estime que ces deux exemples sont suffisants pour indiquer le genre d’homme auquel nous avons affaire. Cela peut être un sujet d’étonnement pour mes lecteurs qu’un ouvrage, même trompeur, soit écrit avec une maladresse telle qu’il se trahisse tout de suite par des recherches faciles et rapides, mais il faut rappeler que les lecteurs français attirés par le Dr Bataille sont si ignorants de tout ce qui concerne les Anglais qu’aucun talent n’est nécessaire pour les duper ; il suffit d’insulter les Anglais. Nous avons déjà donné quelques exemples de la compétence de notre auteur dans ce domaine, mais ils ne donnent aucune idée de ses vraies ressources en matière d’injure et de calomnie. Une citation directe sera pertinente pour notre propos : « Tandis que, partout, la femme et jeune fille sont, chaque fois que l’influence religieuse se fait sentir, l’expression la plus pure, la plus naïve de la création et l’idée divinement touchante que synthétise la Mère immaculée du Christ, la Vierge Marie, par contre, en Angleterre, et plus particulièrement encore dans les colonies anglaises, sous l’influence pernicieuse de l’hérésie protestante engendrée par des révoltes vraiment d’inspiration diabolique, la femme et la jeune fille sont en quelque sorte l’opprobre de l’humanité. L’exemple, d’ailleurs, part de très haut, on le sait. Le monde entier connaît ce que John Bull n’avoue pas, à savoir l’histoire intime de celle que les Indiens appellent « la vieille dame de Londres », tombée dans son jeune âge dans le vice et l’ivrognerie, Sa Majesté Wisky 1re. » J’ai livré cette citation, parce qu’elle donne l’occasion de se passer de la politesse de mise dans une discussion entre gentlemen, mais qui ne sied pas à un gentleman administrant une correction méritée à un gredin dégoûtant et grossier. C’est un déchet sans nom qui se lance sur la franc-maçonnerie pour l’éclabousser. Couche-toi, chien impur, et retourne à tes abats, charognard ! Je pense que les commis de cuisine de la reine ne daigneraient pas te fouetter.

En mettant de côté ces calomnies scandaleuses et en revenant au sujet qui nous occupe, il est clair que lorsqu’un écrivain qui présente de nombreuses révélations surprenantes s’avère avoir inventé ses matériaux dans certains cas remarquables, il devient superflu de soumettre tout son témoignage à un tamisage laborieux, et il n’y a vraiment aucune excuse pour s’attarder beaucoup plus longtemps sur les mémoires du {{Dr} Bataille. Inutile de dire que mes recherches n’ont pas permis de découvrir un temple démantelé comme celui décrit à Pondichéry, qui se trouverait sur un territoire anglais proche de la ville française. Il est également inutile de dire que l’histoire des grottes de Gibraltar est une imposture grossière et absurde, qui se trahit elle-même. La littérature parisienne des boulevards a ses propres méthodes et ses fournisseurs sont assez perspicaces pour savoir ce qui sera toléré et apprécié par leur clientèle ; la toxicologie surnaturelle et une industrie d’idoles produites par des criminels parlant Volapük peuvent leur être laissées.

Je passerai rapidement, car il n’est guère besoin d’insister sur la plaisante méthode de plagiat qui permet au Dr Bataille d’alléger son travail d’écriture. Il a fait mieux que tout autre parmi les témoins de Lucifer dans ses emprunts à Éliphas Lévi. À la page 32 de son premier volume, il y a un vol éhonté concernant la chimie de la magie noire, et il y en a un autre, un peu moins audacieux, page 67, concernant la description d’une idole baphométique. Il va sans dire que la Conjuration des Quatre est copiée, comme d’autres l’ont copiée, dans le Rituel de la Haute-Magie. Le vêtement du maître de cérémonie qui a officié dans le sanctuaire du Phénix, l’un des temples mythiques de Dhappa, vient de la même source. Ainsi, on peut dire de même d’une adjuration magique dans le récit du sabbat au Shéol. Enfin, une méthode de divination décrite plus loin (vol. I, p. 343-344) se trouve dans l’Histoire de la Magie de Paul Christian.

L’artiste qui a illustré les mémoires a agi de la même manière. Les deux figures baphométiques (vol. I, p. 9 et 89) sont des reproductions des planches de Lévi. La figure sabbatique (Ibid, p. 153) est une modification de celle de Christian. L’idée originale de l’ombre en forme de démon à la page 201 se trouve dans la main sacerdotale de Lévi faisant le signe de l’ésotérisme. Les quatre figures de l’urne palladique page 313 sont plagiées de la même manière. L’illustration page 337, qui prétend être un symbole gnostique de la double divinité, est en réalité le frontispice du Dogme de la Haute Magie de Lévi. L’urne magique, page 409, est le fac-similé d’un objet similaire dans un autre dessin de Lévi ; et s’il vaut la peine de continuer, la matière nécessaire à une énumération plus poussée ne manque pas. Mais ces questions, après tout, sont d’un intérêt moindre, et pour compléter l’examen de ce témoin, je passe aux derniers points de ma critique.

Le Dr Bataille publie un prétendu tableau de la franc-maçonnerie des hauts grades, telle qu’elle existait le 1er mars 1891, et ce document, qui est semblable en de nombreux aspects à un autre, légèrement plus ancien, produit par M. Margiotta, qui aurait été écrit par Albert Pike lui-même ; il comprend une longue liste des personnes en correspondance avec le Directoire Dogmatique Suprême en tant qu’inspecteurs généraux « en mission permanente ». C’est un mélange bizarre qui comprend les Ordres des Druides, les Mopses, les Oddfellows et les Mormons Moabites de même que le rite écossais ancien et accepté, les rites de Memphis et Misraïm et les San-Ho-Hei. En tant que tel, c’est beaucoup exiger de la crédulité des lecteurs, en dehors des ruelles parisiennes. Mais j’ai décidé de faire des recherches parmi les noms anglais mentionnés. Par exemple, Mr R. W. Shekleton, dont j’ai déjà parlé, aurait été, à l’époque en question, en correspondance officielle avec le Directoire Dogmatique, représentant particulier en Irlande, et ayant attiré son attention sur ce point, il m’a fourni le démenti suivant : « La déclaration dans votre lettre, extraite du livre auquel vous faites référence, selon laquelle j’aurais été en correspondance directe, en 1891, avec le Directoire Dogmatique Suprême de Charleston est totalement fausse. Je n’ai même jamais entendu parler d’un organisme nommé Directoire Suprême ou de ce qu’on appelle le Palladium Nouveau et Réformé. La seule communication que j’ai eue avec le général Albert Pike (que je n’ai jamais vu) concernait une question de procédure maçonnique en Amérique. Autant que je sache, aucune des obédiences maçonniques d’Irlande ne connaît l’existence de l’un ou l’autre des ordres dont vous faites référence, et je peux presque en dire autant en ce qui concerne les maçons anglais et écossais. Ayant été pendant près de vingt-sept ans le chef effectif de l’ordre en Irlande, je peux parler avec autorité et vous êtes libre de donner en mon nom le démenti le plus catégorique des déclarations citées dans le livre. Autant que je sache, le général Pike n’a jamais été que le Souverain Commandeur Grand-Maître du Suprême Conseil de la Juridiction Sud des 33e d’Amérique. »

Concernant le cas de M. John Yarker, Grand Maître du rite de Memphis en Angleterre, j’ai déjà eu l’occasion de le mentionner et j’ai cité son démenti explicite de tout lien avec le Palladium Nouveau et Réformé, mais le Dr Bataille l’inclut dans sa merveilleuse énumération. Sur la question générale, M. Yarker observe : 1° que le rite écossais ou rite ancien et accepté n’a rien d’occulte, mais que les rites de Memphis et de Misraïm le sont occultes dans leur ensemble. 2° Cependant, dans ses conférences, Pike a utilisé des éléments de ces rites occultes. 3° Que Pike, en tant qu’homme très capable, gouvernait l’ensemble des Grands Suprêmes Conseils des 33e (anciens et acceptés), qui dépendaient presque tous de Charleston. 4° Que c’est la seule forme sous laquelle on peut dire qu’il y a eu un Directoire Dogmatique.

De même, M. William Officer d’Édimbourg, un initié du rite écossais, inspecteur général du Suprême Conseil du Grand-Orient français, et Membre honoraire de son Grand Collège des Rites, nie son lien présumé avec un Directoire central et n’a jamais entendu parler de rien de tel.

Je ne trouve pas pertinent de remplir des pages par la multiplication de ces dénégations, et il me suffit donc d’ajouter que j’en ai d’autres tout aussi explicites en ma possession. La conclusion évidente est que le prétendu tableau de la franc-maçonnerie des hauts grades est un faux document fondé sur certaines listes officielles du rite écossais ancien et accepté.

Enfin, le Dr Bataille a fait certaines déclarations qui permettent de présumer qu’il avait très peu, voire pas du tout, de relations actives avec le rite de Memphis. Qu’il ait peut-être acheté un diplôme à Pessina est assez probable ; ce que j’apprends du Grand Maître du Sanctuaire Souverain Napolitain, par le biais de sources non corrompues par celles des témoins de Lucifer, indique qu’il n’était pas insensible aux contreparties financières, mais Pessina n’était reconnu par aucune obédience maçonnique dans le monde. Au lieu donc, d’un diplôme faisant office de sésame, il aurait fermé toutes les portes à son détenteur, et cette affirmation est vraie non seulement pour la franc-maçonnerie ordinaire, mais aussi dans la grande majorité des loges de l’obédience de Misraïm. Le Dr Bataille n’aurait donc pas beaucoup d’occasions de participer à ce rite auquel il avait acheté l’accès et, de fait, il en est totalement ignorant. Par exemple, il semble représenter les rites de Memphis et de Misraïm comme bénéficiant d’une reconnaissance du rite écossais, ce dernier étant consciemment subordonné et inférieur, alors que la situation est la suivante. Memphis reconnaît les 33 degrés du rite ancien et accepté comme ses premiers pas et leur ajoute 62 degrés, qui ne sont pas reconnus en retour. Misraïm comprend également les 33 degrés du rite écossais, mais selon un arrangement plus irrégulier, d’autres degrés étant intercalés entre eux. Le rite de Misraïm de Pessina a été réduit par lui de 90 degrés à 33 degrés, qui sont pratiquement équivalents à ceux du rite ancien et accepté, avec l’enseignement de Misraïm. Ainsi, il déclare également que le général Garibaldi était en 1860, et ce depuis plusieurs années, le Grand Maître et le Grand Hiérophante du rite de Memphis pour tous les pays du monde. Ceci est complètement faux, car, en fait, Garibaldi succéda à Jacques Étienne Marconis de Paris, devenant président d’une confédération de rites créée par M. John Yarker en 1881. Avant cette période, il était tout simplement un Grand Maître Honoraire de l’obédience de Pessina. Les articles de ce traité, avec une copie conforme de toutes les signatures qui y sont attachées, ainsi que les sceaux des Souverains Sanctuaires, sont sous mes yeux. Je puis dire en conclusion que le Dr Bataille prétendait également avoir rencontré M. Yarker, qui lui aurait dit qu’il avait personnellement aspiré à la succession de Garibaldi, à la mort de ce dernier, ce que M. Yarker qualifie de « concoction infâme ».

Je suis en possession de tout le matériel nécessaire pour illustrer de manière plus complète les merveilleuses inventions produites par ce témoin de Lucifer, mais la présentation faite ici est suffisante pour mon besoin.