Traduction par Wikisource.
George Redway (p. 225-232).

CHAPITRE XI

LA FRANC-MAÇONNERIE FÉMININE


Le dernier sur la liste de nos récents témoins qui ont contribué à la création de la question de Lucifer — non pas le dernier dans l’ordre chronologique mais le moins important pour notre propos — est M. Abel Clarin de la Rive, auteur de La Femme et l’enfant dans la franc-maçonnerie universelle. Il remplit très justement la promesse qui est contenue dans son nom ; il ne prétend pas être sorti du torrent trouble du satanisme et de la franc-maçonnerie qui entraîne des multitudes dans l’abîme et emporte les temples et les trônes dans son cours furieux. Il s’est contenté, en personne sensée, de rester sur la rive et de regarder la fureur et le courant. Il ne nous dit nulle part dans son récit qu’il est lui-même franc-maçon ; il ne connaît pas personnellement Satan ; il ne s’est pas rendu coupable de magie, ni n’a assisté à une messe noire. Il appartient à une espèce de témoins totalement différente, et il a produit ce qui est en soi un livre authentique, qui ne prétend pas être plus qu’une compilation minutieuse de sources rares mais publiées, nous pouvons tous nous en remettre à l’érudition d’un Français qui a effectivement consacré à la collecte de ses matériaux l’espace quasi inouï de douze mois. Le résultat est correctement qualifié de « grand in octavo, 746 pages » et constitue en réalité une compilation surdimensionnée de la chronologie maçonnique, extrêmement déséquilibrée, mais indéniablement utile. Il couvre la période de 1730 à 1894 et a pour but de démontrer l’existence actuelle de « loges d’adoption », dans lesquels la galanterie française offrait autrefois un substitut peu coûteux à la franc-maçonnerie, et auquel les dames avaient le privilège de participer. Jean-Marie Ragon, l’un des écrivains maçonniques français les plus savants et les plus illustres, décrit ces loges androgynes ou loges de femmes comme « d’aimables institutions » inventées par un inconnu avant 1730, sous le nom d’« amusements mystérieux », qui semble les décrire exactement, et on ne peut qu’être étonné de l’extraordinaire gravité des personnes nerveuses et bien intentionnées qui leur attribuent une si grande importance. Alors qu’elles sont à la marge de la franc-maçonnerie, des écrivains comme M. de la Rive persistent à les considérer comme son cœur et son centre, et c’est aussi dans de telles institutions que lui-même et d’autres personnes de son calibre s’attendent à découvrir le satanisme. Une religion célibataire soupçonne toujours le serpent dans le voisinage de la femme. Il découvre donc le satanisme en le lisant dans les passages qui lui conviennent et en tirant ses propres interprétations entre parenthèses lorsque le texte ne peut pas être manipulé autrement. Ainsi, il obtient des oracles partout et, pour piéger Satan, il trouve la parenthèse tout aussi utile que le cercle de la magie noire ; c’est une méthode de jongleur, mais parmi les anti-maçons français, elle est tenue en haute estime. La question de la franc-maçonnerie féminine, en dehors de l’ordre palladique, est tout à fait en dehors de notre sujet ; son existence en Espagne est de notoriété publique, et je peux déclarer grâce l’expertise de M. Yarker, que dans certains pays dont un en Amérique du Sud, le rite de Memphis et Misraïm et le rite écossais ancien et accepté ont tous deux initié des femmes, et ce dernier jusqu’au 33e degré. Aucune loge d’adoption n’existe ou ne serait tolérée en Angleterre dans la juridiction de la Grande Loge, et s’il est possible de prouver que l’ordre palladique initie des femmes anglaises à des secrets maçonniques, cela est fait subrepticement et au mépris de nos constitutions maçonniques. En ce qui concerne le Grand Orient de France, qui est schismatique, tout ce qui peut être fait en secret ou imaginé publiquement sur ce point est sans importance ici, mais je dois ajouter que peu de crédit, et à juste titre, est accordé en Angleterre aux prétendues révélations qui viennent occasionnellement de Paris.

En ce qui concerne M. de la Rive, à part ce sujet, nous ne pouvons pas extraire de ses pages quoi que ce soit de frais ou d’éclairant sur le sujet de notre enquête. Malgré le tableau sensationnel qui figure sur la page de titre, où un Baphomet représenté en pied dirige une Maîtresse Templière en décolleté à travers les piliers Jakin et Boaz, il n’y a pas une seule page dans toute cette vaste compilation qui montre un lien quelconque entre le satanisme et la franc-maçonnerie, à part à la fin, lorsqu’un emprunt adroit est prélevé dans le bien plus vaste entrepôt du docteur Bataille. L’auteur nous dit assez clairement comment la maçonnerie adoptive est née, quels rites ont été institués, quels rituels sont publiés, ce qui est contenu dans ceux-ci, et tout est solide et instructif. Comme il a déjà été indiqué, ses faits sont des faits empruntés, mais ils proviennent de sources très diverses. On ne pouvait guère s’attendre à des recherches originales de la part d’un écrivain à qui les voies de la connaissance sont fermées par son manque d’initiation. Il conclut cependant que la maçonnerie d’adoption est satanique par intention et que même les orphelinats de la fraternité font partie d’un dessein profond et infâme de corrompre les enfants de l’humanité et de parfaire des prosélytes pour la perdition.

La parution de La Femme et l’enfant dans la franc-maçonnerie universelle a été saluée avec acclamation dans les colonnes de la Revue Mensuelle ; elle en a fait des critiques ennuyeuses, et quand ce n’était plus le moment pour les critiques, elle en faisait d’immenses citations ; comme dernier effort, elle fournit un index exhaustif de l’ensemble de l’œuvre — une action charitable et nécessaire, car les douze mois de travail de l’auteur s’étaient écoulés sans réaliser cet outil de référence utile. Et encore, quand l’occasion se presente, elle lui donne une forte publicité.

Les méthodes étranges des témoins précédents sont amplifiées par M. de la Rive. Comme le Dr Bataille, il nous dit que l’Ordre des Oddellows, bien que très distinct du palladisme, est « essentiellement luciférien », mais il ne dit pas pourquoi ni comment — exemple de sa méthode de démonstration. Il considère les Juifs avec une sainte haine comme principaux serviteurs de l’Anti-Christ et les caractérise comme « la nation dont Judas fut l’un des plus célèbres personnages » — exemple de recette pour produire de la haine à bon marché en grande quantité ; mais qu’en est-il de Jésus-Christ, que les hommes ont appelé le roi des Juifs ? Fi, M. de la Rive ! Il nous informe que Mlle Alice Booth, fille du général Booth, fondateur de l’Armée du Salut, est l’une des palladistes les plus en vue d’Angleterre — exemple de calomnie absurde qui se réfute elle-même.

M. de la Rive doit donc, sur tous les points de sa déposition, être exclu de la liste des témoins. Personne ne nie l’existence de loges d’adoption dans quelques pays et dans des circonstances spéciales, et aucune personne sensée ne leur attribue une importance quelconque. La franc-maçonnerie en tant qu’institution n’est pas plus adaptée aux femmes que le cricket en tant que sport, mais elles ont parfois souhaité y jouer comme elles ont souhaité jouer au cricket ; l’occasion leur a été offerte, mais, à part un effet de mode, elle n’a mené à rien. Cela n’aurait d’ailleurs aucune importance pour notre enquête si l’on pouvait prouver que le véritable chef de la Grande Loge en Angleterre est la princesse de Galles et non son royal mari ; en ce qui concerne l’existence du culte du diable, M. de la Rive n’a rien de nouveau à nous dire, ni rien de première main. Je demande donc l’autorisation de le renvoyer, en espérant qu’il consacrera une autre année laborieuse à la réédition de rituels maçonniques, authentiques ou non, au prix extrêmement modéré qu’il demande pour son premier volume ; les originaux sont rares et coûteux, et l’invention est une faculté plaisante. L’interprétation qu’il choisit de leur donner est une interprétation sans conséquence, et ne peut jamais avoir trompé quelqu’un qui vaut la peine d’être trompé.