Traduction par Léon Pamphile LeMay.
Imprimerie de l’Étendard (Tome IIp. 264-275).


CHAPITRE LVII.

LA LAMPE DE REPENTIGNY.

I.

La révérende mère Migeon de la Nativité était très âgée, mais n’avait rien perdu de l’éclat de son regard et de la vivacité de son esprit. Comme toutes ces modestes femmes qui vivent dans les cloîtres, en priant et en méditant sans cesse, elle portait la vue et gardait le sourire placide que fait naître la paix intérieure. Aux avertissements que lançaient parfois ses yeux vigilants, on devinait une longue habitude de l’autorité. Au reste, elle savait commander, avait été réélue supérieure plusieurs fois et se voyait de plus en plus entourée de respect et d’amour.

Elle habitait le monastère depuis près d’un demi siècle. Elle était aidée, dans le gouvernement de la maison, par plusieurs conseillères, et surtout par la mère Esther, son assistante.

L’une des principales religieuses qui formaient le Conseil des Sages, avait nom Grand’mère St. Pierre. Elle était fille d’un homme remarquable, le seigneur de Boucherville, qui fut anobli pour avoir vaillamment défendu les Trois-Rivières contre les Iroquois en 1653.

Grand’mère St. Pierre comptait près de quatre-vingts ans, et elle en avait passé soixante dans le monastère. Elle jouissait toujours d’une santé florissanté et des hautes qualités de l’intelligence que Dieu lui avait données. Elle vit de nombreux jours encore.

À ses pieds, le bras appuyé sur ses genoux, dans une suppliante position, se tenait une femme, assez frêle, mais fort belle, la mère Charlotte de Muy de Ste.  Hélène, une de Boucherville aussi, la petite fille du Défenseur des Trois-Rivières.

Elle n’avait pas hérité de la robuste constitution de ceux de sa race, mais elle possédait les talents littéraires de son aïeul, et elle devint l’historienne de sa communauté.

L’histoire du Couvent des Ursulines est tellement liée à l’histoire de la Colonie que l’une complète l’autre, si elle ne la remplace tout à fait.

Mère Ste. Hélène vit descendre sur sa tête une partie des bénédictions que son aïeul mourant, comme un autre patriarche Jacob, demanda au ciel de répandre sur ses enfants ; et le vieux noble dût tressaillir de bonheur, s’il connut alors combien l’amour de la patrie devait faire battre le sœur de sa petite fille.

II.

Il est difficile, en ces temps de calme où nous vivons, de comprendre les émotions que les cris de guerre causaient partout.

Nulle retraite assez profonde où les bruits redoutables et les rumeurs sinistres ne réussissaient à pénétrer.

Sous la plume de la mère Ste. Hélène, les Annales du Couvent prennent un intérêt nouveau. Aux récits des combats de l’Église et des triomphes de la Foi, se mêlent les peintures de la guerre, les faits d’armes des héros Canadiens et les épanchements d’un amour sans bornes pour la jeune patrie.

Quelle joie ! quelle exaltation ! dans le Vieux Récit, quand triomphent les armes ! Mais quelles larmes sur les défaites des troupes françaises et leurs désastres sans retour !

Mère Ste. Hélène écrivit jusqu’à la fin de ses jours, l’alternative de revers et de triomphes, de tressaillements de bonheur et d’angoisses !…

III.

Elle tenait encore la plume quand éclata la guerre des sept ans. Du fond du cloître obscur, elle suivait avec anxiété le mouvement des armées de Montcalm sur la frontière. Elle poussa un cri de joie en enregistrant les victoires de Chouaguen et de Carillon.

Mais, plus tard, quand elle s’aperçut que la France épuisée abandonnait lâchement ses colonies ; que le cercle de fer des bataillons se rétrécissait de plus en plus pour étreindre Québec ; que Wolfe commençait à lancer dans la ville assiégée ces boulets et ces bombes qui devaient pleuvoir pendant soixante mortels jours ; ah ! alors, elle éprouva une douleur terrible et sa plume écrivit d’amers sanglots ! Puis quand tomba Montcalm, l’héroïque Montcalm ! que son cadavre sanglant, enveloppé dans le drapeau de la France, fut placé dans la tombe que les boulets avaient creusé bien avant sous les murs du Couvent, elle poussa un cri de désespoir :

« — Le pays est perdu ! »

et elle rendit à Dieu son âme brûlante de patriotisme.

Elle ne vit pas l’esclavage de sa patrie.

IV.

Mais ces tristes événements reposaient encore dans le sein de Dieu. Le traité d’Aix-la-Chapelle promettait le repos à la Colonie et lui donnait l’espoir de voir refleurir l’agriculture et le commerce.

Mère Ste. Hélène venait de retracer, d’une main ferme, les consolations dont le cloître se voyait tout à coup rempli, et les actions de grâces qu’il faisait monter vers le Dieu de la paix.

V.

Mère Migeon avait voulu recevoir les deux nouvelles postulantes, au jardin, sous le vieil arbre de la mère Marie de l’Incarnation.

Elle se leva à leur arrivée, les embrassa tendrement et les félicita sur leur pieuse déterminaison.

— Petites enfants prodigues ! dit-elle en souriant, le monde n’est pas fait pour vous. Ses vanités, ses fausses promesses, ses plaisirs menteurs nourrissent mal les âmes ! Vous vous trouverez mieux ici ; vous serez plus près de Dieu !…

— Ô mère ! s’écria Amélie, vous ne savez pas ce que je sacrifie ! non ! vous ne le savez pas ! Mais que le ciel m’aide à souffrir en silence… je ne veux plus, je ne puis plus sortir de la retraite où le crime d’un autre m’a poussée !…

— Ma pauvre enfant ! je sais tout !… Vous alliez épouser le fils du bourgeois… Allons ! consolez-vous !

C’était dit d’une singulière façon. Mère Migeon était la tante de Varin ; elle aimait assez ce vilain neveu, et même, à cause de lui, étendait ses sympathies jusque sur la Grande Compagnie.

Grand’mère St. Pierre reprit aussitôt.

— Vous êtes une bonne enfant, Amélie, une enfant digne de votre race illustre. Des filles comme Héloïse et vous sauvent le monde où elles vivent, et se sauvent dans les cloîtres où elles meurent.

Mère Ste. Hélène embrassa les nouvelles arrivées.

— J’ai enregistré bien des noms aimés dans nos annales, dit-elle, mais aucun, jamais, avec le plaisir que j’éprouve en ce moment… Vous semez dans les pleurs, mes enfants, pour moissonner dans la joie !

— Votre tante s’intitulait l’humble servante de Marie, reprit la mère Supérieure, et la lampe qu’elle a suspendue devant la madone brillera désormais d’un éclat nouveau, par les soins de ses nobles nièces.

VI.

Quelques novices en voile blanc causaient à quelques pas du grand arbre. L’arrivée d’Amélie et d’Héloïse les avait détournées de leur pieux entretien de coutume. L’une d’elles disait qu’Héloïse devait épouser Le Gardeur.

— Non, répliqua une autre, c’est Angélique Des Meloises.

Le Gardeur l’aim à la folie, Angélique Des Meloises, riposta une troisième, mais la belle coquette l’a désespéré et elle doit se marier avec l’Intendant ; c’est une affaire décidée.

— Je le crois bien, fit une autre voix ; ma sœur qui se trouvait au bal de l’Intendant, doit en savoir quelque chose, et elle me l’a assuré. Mais il paraît, ajouta-t-elle en rougissant, qu’il a sa femme à Beaumanoir.

— Ce n’est pas sa femme, riposta vivement la première, ma tante de Grand’maison, qui connaît bien madame Varin…

Elle n’acheva pas. La maîtresse des novices, mère St. Charles, aux aguets à une petite distance, surprit une partie de leur conversation et l’interrompit brusquement.

— Venez à la chapelle, mes chères enfants, ordonna-t-elle, en leur jetant un regard chargé de reproches et toujours doux cependant, venez à la chapelle demander pardon à Dieu de ce moment d’oubli !

— Mais, bonne mère, demanda Marie Cureux, la plus hardie des novices, y a-t-il donc tant de mal à parler du mariage ? Papa et maman se sont mariés et c’est à l’église qu’on se marie !… Au reste, nous n’avons fait que chuchoter.

Les autres sourirent en se cachant.

— Les religieuses ne doivent songer qu’à leur divin époux, Jésus-Christ, répondit la bonne maîtresse en regardant le ciel.

— Ah ! nous ne sommes que de vilaines pécheresses ! soupira la petite sœur Bédard, une cousine de Zoé Bédard, de Charlesbourg.

Elle ne se croyait pas si pécheresse que cela, et elle ne faisait pas encore le signe de la croix au souvenir des gaietés de la jeunesse.

Elle devint une religieuse exemplaire tout de même, et ce fut elle qui — dans un autre ordre de choses, c’est vrai — inventa le fameux potage du Couvent, dont raffolait la baronne de Longueil.

La gourmande baronne en envoyait chercher un bol tous les jours. C’était ce qu’elle aimait le mieux, disait-elle, après les sacrements.

VII.

Le bonhomme Michel envoyait, de moment en moment, des émissaires par les rues de la ville, pour recueillir toutes les rumeurs qui circulaient. Le calme se rétablissait ; la ville reprenait son aspect ordinaire.

Le Gardeur avait rendu son épée et demandé d’être jeté dans les fers. Il fut enfermé dans une pièce du château, mais traité avec certains égards.

Amélie et sa cousine sollicitèrent la faveur d’aller s’agenouiller dans la chapelle des Saints, devant la madone.

Cette chapelle renfermait les reliques de plusieurs saints et resplendissait d’or et de peintures. Dans une niche, au-dessus de l’autel, une statue de la Vierge, les mains baissées comme pour laisser tomber des grâces sans nombre, et devant la statue, une lampe qui brûlait depuis deux générations, la lampe de Repentigny, allumée par Madeleine en souvenir de sa pieuse vocation.

VIII.

La belle et noble Madeleine de Repentigny faisait les délices de Ville-Marie. Son fiancé, un jeune et vaillant officier, fut tué, et elle vint se réfugier avec sa douleur immense, dans le cloître de Québec. Elle pria longtemps, demandant au ciel un signe qui lui ferait connaître sa volonté. Le signe fut accordé. Elle se dépouilla de ses vêtements précieux pour se couvrir de deuil et alluma cette lampe votive en témoignage de sa reconnaissance.

Sept générations d’hommes ont passé ; la maison de Repentigny est disparue de nos bords ; son nom, sa gloire sont oubliés, mais dans la chapelle des saints, la lampe brûle toujours !

IX.

Héloïse et Amélie demeurèrent longtemps en prière à genoux devant la Vierge, mère des affligés. Elles versèrent des larmes abondantes, en demandant miséricorde pour Le Gardeur et paix éternelle pour l’âme du bon bourgeois.

Le souvenir de Pierre Philibert se mêla au souvenir du criminel et à celui de la victime, ils étaient inséparables !…

Amélie, dans son angoisse extrême, sentait par instant son cœur se révolter… Devait-elle donc s’offrir ainsi en sacrifice pour la faute d’un autre ?…

Tout à l’heure, son âme débordait de joie comme une fontaine de vin généreux ! tout à l’heure elle, la pauvre désespérée, elle était un objet d’envie !… Le cloître, le voile qui l’envelopperait comme un suaire, c’était donc tout ce qui lui restait de ses félicités promises !

Une religieuse priait, et tout absorbée dans sa méditation, les yeux cloués sur le tabernacle, ne voyait rien, n’entendait rien de tout ce qui se passait autour d’elle.

— Mère Sainte Vierge, lui dit Amélie qui se sentait faiblir sous le poids de sa croix, mère Sainte Vierge, priez pour moi !…

La religieuse tourna vers elle des yeux pleins de pitié :

— Il faut s’humilier avec le divin époux avant de partager sa gloire ; il faut souffrir et monter avec lui la route du calvaire avant de monter au ciel et de boire à la source de l’éternelle félicité !…

Son regard s’anima soudain, sa voix devint presque vibrante dans le silence sacré quand elle ajouta :

— Voilà trente ans que j’entretiens votre lampe, ô filles de Repentigny, venez prendre ma place, Dieu le veut… Laus Deo !

Amélie éclata en sanglots, saisit la main de la vieille religieuse et la colla à ses lèvres.

X.

Au même instant, des voix tristes et mélodieuses flottèrent comme des ailes de chérubins, sous la voûte de la chapelle, et les plaintes de l’orgue s’unirent à ces voix :

Pia mater, fons amoris,
Me sentire vim dotons,
Fac ut tecum lugeam !

disaient-elles avec l’accent de la douleur et de la supplication.

— Ceux qui sèment dans les pleurs moissonnent dans l’allégresse, murmura la religieuse, mais au ciel seulement !

Le chœur suave et l’orgue sonore continuèrent.

Quando corpus morietur,
Fac ut animæ donetur
Paradisi gloria ! Amen
 !

XI.

Cette harmonie sainte et douce résonnait aux oreilles d’Amélie et d’Héloïse comme le chant mystérieux des vagues de l’éternité qui seraient venues mourir sur les rivages du temps.

XII.

Madame de Tilly arriva au couvent au moment où ses nièces désolées sortaient de la petite chapelle.

— Mes chères enfants ! Mes pauvres infortunées ! s’écria-t-elle en leur ouvrant ses bras, qu’avez-vous donc fait pour être ainsi frappées par la colère de Dieu ?…

— Bonne tante ! répondit Amélie, pardonnez-nous de vous avoir ainsi laissée !… Nous renonçons au monde !

— Pardonnez-nous, bonne tante, répéta Héloïse…

— Pauvres petites, vous pardonner !… Ah ! je voudrais aussi, moi, pouvoir m’enfermer dans le cloître avec vous, en ce jour de désolation !… Mais ma place est ailleurs et mon œuvre n’est pas finie !…

— Avez-vous vu Le Gardeur, tante, demanda vivement Amélie, en lui saisissant la main dans une étreinte douloureuse ?

— Oui, je l’ai vu et j’ai pleuré sur lui !… Sa douleur est mortelle. Il demande à passer par une cour martiale. Il veut s’accuser ! il veut expier !

— Ô tante ! et il aimait tellement le bourgeois ! Cela ressemble à un affreux cauchemar… Le Gardeur tuer le père de Pierre !… celui qui devait être mon père !…

Et elle se mit à sangloter, et elle demanda en gémissant :

— Mon Dieu ! mon Dieu ! que vont-ils faire de lui ? Vont-ils le mettre à mort ?

— Non, Amélie, non. Le gouverneur va, d’après l’avis de ses plus intimes conseillers, et vu les circonstances étranges qui entourent son crime, l’envoyer en France, par le Fleur de Lys, qui part demain. Le roi lui-même prononcera. Il sera plus facile d’élucider cette affaire là-bas. Les factions sont trop puissantes ici :

Amélie se cacha le visage dans ses mains. Elle paraissait terriblement agitée, terriblement souffrante : C’était toujours un long répit, songeait-elle, et le roi serait juste… Il verrait que Le Gardeur a été poussé et qu’il a frappé en aveugle… Un roi, ça doit être juste comme Dieu !…

— Pourrai-je le voir avant son départ ? tante, demanda-t-elle.

— Hélas ! c’est impossible ! Le gouverneur est inflexible sur ce point. Il ne veut pas. Personne ne pourra communiquer avec lui.

— Ah ! je ne le verrai plus en ce monde ! s’écria-t-elle, je ne le verrai plus !

Et elle s’appuya sur Héloïse, car elle se sentait défaillir.

— Le roi lui pardonnera peut-être, reprit celle-ci, en la soutenant dans ses bras…

— Le roi ?… ah ! que le Seigneur lui fasse miséricorde d’abord !… Et que les hommes lui pardonnent ou ne lui pardonnent pas, j’offre le reste de ma vie à Dieu, en expiation de ses fautes…

— Moi aussi, Amélie ! fit Héloïse. Nous avons franchi pour la dernière fois le seuil de cette maison : nous n’en sortirons plus !

XIII.

— Je viens aussi de voir Pierre Philibert, dit madame de Tilly, après un moment d’amer silence.

— Vous avez vu Pierre ? s’écria Amélie dans une étreinte nouvelle de la douleur.

— J’étais en prière auprès des restes de son père quand il est entré. Il n’était pas attendu si tôt… Chère Amélie, je n’ai rien vu jamais de navrant comme son muet désespoir !

— Et qu’a-t-il dit ? qu’a-t-il fait ? Ne nous a-t-il pas tous maudits, vous ! moi ! et surtout Le Gardeur ?… N’a-t-il pas appelé la vengeance du ciel sur la maison de Repentigny ?

— Dans l’effondrement de son bonheur, il n’a maudit personne ! Il n’a accusé personne du mal qu’on lui faisait. Il s’est bien douté que Le Gardeur était un aveugle instrument.

— Comme il est bon !…

— Il m’a demandé où tu étais ; qui tu avais pour te consoler ou pleurer avec toi…

— Il vous a demandé cela ?… ô le bon cœur !… le noble caractère !…

Et elle fondit en larmes.

— Et il ne provoquera point Le Gardeur, demanda Héloïse d’une voix tremblante ?

— Il est touché du désespoir de Le Gardeur et il sait d’où part le coup qui a tué son père.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! exclama Amélie, au milieu de ses pleurs, combien la perte que je fais est grande !… Pierre, mon noble Pierre, mon fiancé ! mon époux ! ah ! c’est donc vrai que nous sommes à jamais séparés ? à jamais perdus l’un pour l’autre !… Ô ma tante ! je lui ai juré ma foi… je lui appartiens… je ne puis plus me séparer de lui !… Il sera à moi pour toujours… À moi dans le ciel !…

— Calme-toi, mon enfant ! Ma pauvre Amélie ! calme-toi, ou je ne te dirai pas tout.

— Tout ? vous ne dites pas tout ? Ah ! parlez, je serai calme. Tenez ! voyez comme me voilà raisonnable ! … j’écoute. Je ne dis plus rien…

Et la pauvre enfant cherchait à comprimer les rudes battements de son cœur, essuyait ses paupières humides, essayait de sourire même, malgré l’amertume de ses pensées.

— Il est venu pour te voir, reprit madame de Tilly.

— Ici ? fit vivement Amélie en pâlissant.

— Ici. Mais il n’a pas eu la permission d’entrer dans le parloir même.

— Il est venu pour me voir ! pour me voir ! répéta la jeune novice avec une émotion pleine de ravissement et de tristesse aussi pourtant…

Et ses beaux yeux levés au ciel roulaient de grosses larmes.

Elle ajouta presque aussitôt :

— Je serais morte de honte à ses pieds… Il valait mieux ne pas le recevoir sans doute… Mais pourquoi lui refuser cela ?

— La mère Migeon est juste mais sévère. Elle est la tante de Varin, et n’aime point les Philibert. Ton entrée au couvent cause un mortel chagrin à Pierre, ajouta-t-elle, car il sait ce que cela veut dire.

— Hélas ! pouvais-je faire autrement ? Oserais-je mettre dans sa main loyale, ma main souillée de sang ?… Mais il me pardonne ; il ne m’oublie point ; il m’aime encore ! Ah ! c’est une consolation qui me reste dans ma triste infortune !…

— Mes chères enfants, je vous quitte pour vous revoir bientôt, fit madame de Tilly en embrassant ses nièces.

Soumettons-nous à la volonté du Seigneur, continua-t-elle ; quand vient la nuit, les objets disparaissent dans l’obscurité, et nous ne les apercevons plus ; ils sont comme s’ils n’existaient point, et cependant, ils existent toujours, et quand rayonne la lumière ils apparaissent de nouveau. Nous sommes dans les ténèbres à cette heure, et nos regards ne voient plus que l’image de Notre-Dame de Grand Pouvoir, au pied de laquelle brûle la lampe de Repentigny ; mais le soleil de la justice se lèvera un jour pour tous.