Flammarion (p. 111-114).

XIII

Le chasseur en défaut

À six heures un quart, Patrice revint du balcon, le visage décomposé.

— Voici Delbot, je l’ai vu descendre de voiture.

— Alors, nous sommes perdus ?

— Je ne crois pas. Il est seul. Ils seraient venus à trois ou quatre.

Elle essaya de plaisanter.

— Tu espères donc qu’il est venu pour faire un bout de causette ?

— Je ne sais rien. Je ne sais rien.

Il avait posé le revolver à côté de lui après en avoir vérifié le chargeur.

— Tu es toujours résolue, Dominique ?

— Absolument, mon chéri. Nous avons eu, autrefois, une vie merveilleuse, il faut s’en aller avant la souillure publique d’un procès. Je t’aurai aimé comme pas une femme n’a aimé son mari. Tu me crois ?

— Du fond du cœur. Tu as été si longtemps ma parfaite compagne. Mais le destin est trop cruel parfois ! Une petite faute, un moment de griserie… et le châtiment impitoyable… Tant pis pour nous.

Ils s’embrassèrent gravement et profondément.

Un coup de sonnette dans le vestibule.

— Monsieur le brigadier Delbot, annonça le domestique qui s’effaça.

Patrice saisit le revolver et le braqua sur Dominique.

— Ça y est, Delbot ? C’est l’arrestation ?

— Tonnerre de D…, cria l’inspecteur, en lui saisissant le bras.

— Un répit alors ? Tout ne va pas comme vous voulez ? Que s’est-il donc passé ? acheva Patrice, railleur…

— Vous en avez de la veine ! répondit Delbot rageur.

— De la veine. Nous ? Mais Julot a déposé contre nous ? devant témoins ? Il a signé sa déposition ?

— Il n’a ni parlé ni signé. Quand je l’ai cueilli chez votre copain Richard il a demandé qu’on le détache pour causer plus à l’aise et vlan ! il m’a démoli la figure d’un coup de poing, et il a sauté par la fenêtre.

— Vous ne l’avez pas repris ?

— Si, mais mort. Cet imbécile d’Andermatt lui avait fichu une balle dans les reins.

— Et Julot supprimé, vous n’avez plus aucune preuve ? Alors que venez-vous faire ici ?

Delbot ne répondit pas. Il comprenait sa défaite et ne s’y résignait pas. C’est pour cela qu’il était venu, il voulait prouver à l’ennemi qu’il ne désarmait pas.

Patrice respirait, ivre de joie contenue. Dominique, dans la réaction du salut inespéré, pleurait.

Delbot, soudain se redressa, se ressaisissant :

— Après tout, on se passera de Julot. Au fond, il me l’a confié son témoignage. Et ça suffit. Mon cher maître, la Justice a toujours le dernier mot. C’est la règle de ma vie, ma religion… la Justice !… la Justice !…

— La justice demande des preuves, observa Patrice sèchement. Monsieur Delbot, je ne vous retiens pas.

Il était tard. Ce ne fut que le lendemain matin que le brigadier put, au Palais, voir le juge d’instruction. Il espérait, malgré tout, obtenir son mandat d’arrêt. Le magistrat s’y refusa péremptoirement. L’après-midi, poussé par une impulsion de haine aveugle, il retourna au quai de Passy. Les Martyl venaient de quitter Paris en automobile pour un long voyage à travers la France. Pas d’adresse.

La rage au cœur, il rentra se coucher.

La première étape des Martyl fut près d’Alençon, au château de Courjeul, lequel appartenait à une vieille dame, lointaine cousine de Dominique, et qui avait pour la jeune femme une profonde affection. Ils ne repartirent point.

Dans la succession des nuits et des jours, avec la seule diversité du temps qu’il faisait, ils se laissèrent vivre. La santé pénétrait en eux avec l’air qu’ils respiraient, qui semblait balayer tous les troubles ferments, tous les bas souvenirs. Patrice faisait beaucoup de sport et, dans la fatigue physique, trouvait le soulagement et l’apaisement.

La menace, le scandale un moment suspendu sur leur tête ne les troublaient plus guère.

— C’est fini, n’est-ce pas ? disait Dominique.

— L’aventure policière est finie. Mais le drame continue en nous jusqu’à ce que nous sachions avec qui tu es tombée sur le Gazon Bleu.

— Le saurons-nous jamais ?

— On sait toujours… Mais, en attendant que nous sachions, la maladie du doute est au fond de nous, sournoise, épuisante, et ne peut pas guérir.

Patrice avait raison. Dominique ne se consolait pas des minutes de faiblesse qui avaient bouleversé leur existence.

Patrice ne pouvait oublier l’immonde confession du sieur Julot, qu’il avait entendue un soir chez les Langrenet. Il arrivait parfois à n’y plus penser. Brefs répits. La jalousie, la colère, le dégoût revenaient, le torturaient, le poussaient à la méchanceté, à l’injustice, à l’insulte. Et il s’élançait, les mains crispées, pour saisir au cou la malheureuse. Mais il s’enfuyait, épouvanté par l’impulsion du crime qui montait en lui.

Pourtant le temps atténuait un peu ces crises. On était au mois d’août. Un lundi matin, Patrice retourna à Paris, pour affaires.

Dominique resta seule dans le vaste domaine, avec sa vieille parente dont l’affection tendre et attentive lui faisait tant de bien. Et puis, trois jours après le départ de Patrice, un aide-jardinier s’approcha de Dominique étendue dans le parc sur sa chaise longue, et, mystérieusement, lui remit une lettre.

— On m’a dit de vous la donner à vous-même, madame.

Il s’enfonça dans la charmille.

Dominique, surprise, retourna la lettre, puis l’ouvrit, et lut :

« Je connais vos tortures. Les révélations très graves que j’ai à vous faire les atténueraient, j’espère, en partie. Ce soir, à onze heures, je serai sur le balcon de votre chambre. Je vous supplie de m’y rejoindre et de m’accorder quelques minutes de conversation. Vous serez libérée, je le crois, du plus affreux de vos soucis.

« Respectueusement
« Richard L’Heurois. »

En lisant cette signature, Dominique rougit. Elle savait combien profonde et sincère était l’affection que le jeune homme avait pour elle. Mais elle savait aussi quel désir tenace et ardent doublait cette affection, l’altérait, en faisait un amour sensuel. Elle se souvenait de certains regards de Richard, fixés sur son visage, sur son corps, regards brûlants qui étaient comme l’ébauche d’une possession.

Cependant, elle avait confiance en la loyauté du jeune homme, elle avait confiance aussi en l’empire qu’elle se savait sur lui. Elle ne doutait pas d’ailleurs qu’il ne fût à même de la secourir dans sa détresse…