Le Satanisme et la magie/Livre I/Chapitre II

Ernest Flammarion (p. 36-56).


CHAPITRE II
LA SORCIÈRE


I
LA FEMME, MÈRE, ÉPOUSE ET FILLE DE SATAN


La femme impie ou même seulement indécise n’a pas besoin d’évoquer Satan, rituellement ; l’homme s’entête dans les cercles consacrés, sur les grimoires. Elle l’a sous la main, à son service, à son amour. Quand le père veut persuader le fils, il lui est nécessaire ou de le prier ou de le gronder en forçant sa voix ; la mère, elle, n’a qu’à pleurer. La sorcière pleure et Satan est là. La sorcière — toute femme — ne saurait rester seule dans les larmes sans que l’Autre n’accourre, entraîné par sa grâce, captivé par su faiblesse, ivre de cette sexualité où il espère se reposer, se reproduire, s’éjouir. La femme triomphante, à l’aurore du monde, créa les Dieux ; Fabre d’Olivet l’explique. La femme, souffrante et vidée de religion par l’ambiant scepticisme des hommes, enfanta le Diable. J’entends son corps, sa vie terrestre, comme Marie mit au monde l’homme, où le Verbe s’enveloppa. La femme règne dans l’empire de la chair, parce que l’Esprit la dévaste sans cesse, s’y blottit, profite de ses entrailles pour y devenir vivant. — Dans le décor ladre, exaltée par la gêne et son têtu espoir, elle crée lentement, sûrement, sous l’œil du père ou du mari, qui trop occupé, ne s’indigne guère, songe, pour excuser sa femme, à cette délicate impressivité, n’ose user d’énergie ; il la casserait. Elle parle la nuit, se lève, écrit d’étranges pages, qui semblent ne jaillir ni de ses souvenirs, ni de ses lectures, ni de ses conversations. D’où alors ? Autour d’elle on s’inquiète ; comment croire à des fraudes, on se récrie, on résiste ; puis, d’épouvante, on accepte tout. C’est que l’Invisible devient visible de plus en plus, il commande, il conseille, il investit la maison de sa présence outrecuidante, utile cependant. Il gère les affaires, prophétise, allonge dans la famille moderne l’ombre des vieux dieux. Le mari vient-il à mourir, l’Esprit le remplace, s’installe dans la chambre à coucher qui devient son sanctuaire, se sert même de l’âme du défunt ; tout lui est bon. Désormais, elle a beau être veuve, délaissée, sans âme parente ; Lui est autour d’elle, soufflant dans sa nuque, parlant dans ses meubles, délaçant par jeu autour de son bras le bracelet, posant un baiser à ses yeux qui se ferment, chantant comme un grillon menu dans le foyer où cuit le repas, ou bien, dans le poêle, ronflant un somme vigilant dont elle est bercée. Parfois elle le voit presque complètement, surtout à l’heure de s’endormir, quand les ombres se groupent dans la chambre où la bougie s’éteignit. Ses yeux émergent d’abord, vagues lueurs sur un fond sombre, douloureux, d’un rose morne où chatoie l’enfer. Elledilate ses paupières, cherche à comprendre, curieuse, inquiète, amoureuse. La face flotte ; elle danse, se déplace, se délimite enfin ; mais toujours lesyeuxs’érigent très hauts, semblables à ceux d’un qui magnétise. Il parle. Comment ? Elle ne sait l’expliquer. Dans son épigastre des paroles qui sont des vagues d’ombre rose frappent, oppressent, sont entendues par son cœur. Mystère ! Il grandit. Sa poitrine de noble garçon, au cou svelte, la tente comme celle de quelque mythique héros. Elle halète, ni extatique, ni endormie, à peine hypnotisée ; mais son flui de vital lui échappe, tiré hors d’elle par l’apparition. Le fantôme la vide. Elle distille de ses nerfs, de ses os ce rejeton, le nourrit avec elle ne sait quelle essence de soi. Vraiment sa mère à cet esprit, vraiment sa matérielle origine. Et lorsque le matin elle s’éveille à la lumière du jour, elle est plus brisée qu’après le plus surhumain effort ; si blême qu’on dirait une accouchée. Son âme en effet enfanta.

Le drame s’accentue. Nous voici au deuxième acte. L’Esprit — le Diable en effet — ne se contente plus de son rôle de fils, il veut des étreintes plus étroites, des baisers plus libres, une sorte de communion où tout sans restriction lui soit accordé ; il ambitionne non plus son royaume de l’éther aux flammes ternes, mais ce sein d’où il jaillit et où il voudrait retourner, robuste et fécondateur. Elle se rétracte de stupeur, tend des mains qui traversent, sans l’atteindre, le fantôme ; lui se baisse, monstrueux, quitte à crisper mortellement cet organisme. Et son baiser sur les lèvres vaincues sonne jusqu’au ventre ; elle se sent inondée d’une impalpable, mais réelle, pressante, lassante pesée sur tout elle-même, à en pâmer de désespoir ! Ah ! elle se souvient. Ce n’est point vainement, sans motif, que le Diableacquit cette puissance inextricable d’où elle n’échappera pas. Elle épie ses souvenirs. Oui, le visage du Démon revêt l’aspect de son premier péché, de son crime inavoué toujours, de cette défaillance dont fut bouleversée sa vie. Symbole du pacte inconscient qu’elle trama, il ressemble à l’amant dévastateur de ses devoirs, à celui dont irrémédiablement s’affola son avenir ; il ressemble à tous les péchés d’au delà cette vie et de cette vie, il ressemble à ce karma[1] noir et souffrant qui domine ses présents jours ; il ressemble à son mauvais génie, il est sa douleur, son remords ; il est sa perversité depuis les premiers jardins édéniques. Ce fils, cet époux, est aussi le père de sa mission, l’origine de sa mésaventure, l’ancêtre de son mélancolique et solitaire destin.

Désormais, initiée par l’époux-fils-père, elle promène en l’agitation des heures son hystérie hallucinée ; elle porte l’uniforme de Satan, cette robe sans âge, sans mode, défraîchie et rutilante, encombrée de breloques, de faux bijoux, de strass. Elle colporte, trafique, vend, achète, guignant les soldes, les fortunes qui s’effritent, les désespérés qui ne savent, pour une bouchée de pain, comment liquider les débris de leur avoir. Eprise surtout des prêtres, elle est ravie de les tenter, de les gâter, de les pourrir jusqu’à l’abjection d’un sacrilège auquel elle coopérera de ses nerfs éperdus. Elle irrue dans les chapelles des moines, au soleil levée, dès l’office de cinq heures, pénètre dans le parloir, propice quoique âgée, sorcière mais chaude. Et toujours l’accompagne, passé à son bras convulsif, le Cabas inséparable où s’entassent des échantillons de fard, des denrées compatissantes, la sabine et la rue, des emménagogues, un Martial ( « c’est l’eucologe que je lis à l’Eglise », dit-elle), des houppes, de la parfumerie, des rosaires et des instruments plus bizarres encore, la trousse maudite et luisante de l’amour.


II
LES SORCIÈRES DES CAMPAGNES


Nous venons de pénétrer en la magicienne de tous les temps, du nôtre surtout ; or il faut parmi cette coterie distinguerles sorts divers, nuancer Celledes villes d’avec Celle des champs. Pareilles en fait, ces femmes, mais différentes par le milieu, la race, le ciel étroit, embué des cités ou le firmament large et rayonnant de l’air libre. Le même mystère les sacre, — sacrement à rebours ; la face docile reflète le Démon, selon le tempérament de chacune, tempérament façonné par de longs atavismes et coloré de la sève des terreaux, où, plantes misérables et ardentes, elles naquirent, les sorcières, avec une même âme, une même tige courbe, mais une fleur qui ressemble au climat.

La paysanne solitaire, sans autre contact avec les hommes ou les femmes que pour ses nécessaires travaux, blanchisseuse, repasseuse, lingère, faiseuse de fagots, sarcleuse et glaneuse comme la Ruth d’antan… Toute petite elle sut les magnétiques secrets et payait d’un mignon miracle son pain de mendiante. L’initiation s’accomplit par les ouï-dire, les hasards des rencontres avec les bohémiens. Elle grandit, sèche et plate, se coulant partout, en couleuvre. Les premières réunions ont lieu dans l’île ou au milieu de l’étang… Elle glisse au fond du vieil esquif dont l’amarre d’elle-même se détache ; et elle va vers la terre enchantée où sonnent les éclats de joie, sans rame, portée par le courant, par les fées, les nymphes, par le cantique qui s’essore de sa poitrine, oppressée longtemps. Chez elle, la statuette de la Vierge s’enguirlande de roses mortes, elle s’assied sous la lithographie d’un cœur vulgaire transpercé de flammes ou de glaives, — envoûtement divin de Jésus où s’enfoncent tous les péchés humains ! Ses bandeaux calmes, déjà grisonnants, ses yeux baissés et blessés vers la pelote, ses doigts laborieux déliant le fil — ô Circé, elle revit ta magique quenouille, — ne laissent pas deviner au passant, lorsqu’il s’écarte, au hurlement rauque, hagard, d’un invisible dogue derrière la haie drue, que c’est elle l’infernale aboyeuse, la chienne intarissable mordant les reflets des fantômes, projetant l’agonie vers les berceaux[2].

Son roman — son histoire, devrais-je dire — il est de toute époque, perpétuel depuis la pythonisse vénérable et persécutée, la fuyante éryge[3] du sanglant moyen âge jusqu’à la somnambule d’aujourd’hui, à l’œil mauvais, mais aux cartes compatissantes qui apportent avec leurs figures diaprées, raidies, comme cadavéreuses, momies peinturlurées, la promesse d’une surprise — on ne sait quelle, — sans cesse convoitée. Voyante à table convulsive et éloquente ; faiseuse de cercles, girouettant pour l’amoureux dédaigué, avec des syllabes maugréées dans le vent vers la maîtresse qui l’a lâché, mais reviendra férue de passion, prise au lazzo de l’incantatrice.

D’où lui vient ce pouvoir ? Qui lui a transmis ce désolant privilège d’être en dehors des femmes ? Qui la mit au banc de ses semblables, — si près du diable ?

Parfois elle se remémore l’époque tragique où la posséda le don des dons… Nuit du dimanche ; rien n’est à faire, les bêtes malfaisantes n’obéissent pas, la « haute-chasse » même se tait… Est-ce bien de son passé à elle ou de l’initiation des mères ancestrales, dont elle se souvient nettement tout à coup ?

…Il y a des années, elle était presque jeune encore et pas veuve ; elle se fâcha de ce que son mari ne voulait pas lui bailler un hocqueton[4]. La voilà qui passe dans les grands prés solitaires au crépuscule, ruminant sa jalousie, détestant le compagnon trop avare, grinçant des dents contre la paysanne sa belle-sœur, plus jeune qu’elle et si éclatante sous son fichu.

Maintenant que l’atmosplière est devenue moins propice au miracle, ce n’est plus le diable qu’elle rencontre, mais le sorcier. À qui se fier puisque son homme l’abandonne ? — Tout homme trahit lorsqu’il tient ce qu’il désire, et cette peau à sa volonté ne lui arrache plus la promesse de quelque don. Acquérir un mâle nouveau, différent ? c’est marcher vers semblable et sure désillusion… Et la hante la confuse idée de l’Autre, de celui dont le nom mystérieux est chu chote par certaines qui s’en trouvent si bien, si l’on en juge à l’irrésistible et pétillant éclat de leurs yeux… Celles-là, elles ont tout à foison… insolentes elles étalent une fiévreuse coquetterie sous des colifichets neufs et vibrants… Si elle consentait, elle aussi, certes l’Autre ne la dédaignerait point ; sans lui elle est déjà si belle, si ruisselante de désir… qui sait cependant ? s’il n’en voulait plus ! Non, impossible. Qu’il vienne et d’un sourire elle est sùre de cueillir le Robin… Ah ! ce n’est pas ce gentil compère qui lui refuserait ce hocqueton avec quoi elle éclipserait sa belle-sœur… Aie ! aie ! elle pousse un double cri ! là devant elle… qui ? L’émotion étouffe dans sa gorge toutes questions. Jamais elle n’eut si peur ni si espoir à la fois. L’Inconnu — roux et velu comme un renard — la salue avec politesse : « Je suis le Renard Rouget, tu es jolie, colère, que te faut-il ? — Un peu de drap seulement, sire Rouget, rien qu’un peu de drap, l’étoffe d’un hocqueton pour ne point faire honte à mon mari quand je vais avec lui à la messe le dimanche. — Tu auras ton drap si tu me rends hommage comme il se doit, et si tu me promets à l’Église de ne plus prier et de penser à ton nouveau Maître. — Et que faut-il faire encore. Renard Rouget ? — Te donner à moi entièrement et après ne t’en pas repentir. — Voici mon corps, messire, il est à ton commandement. »

Et la paysanne s’agenouille devant le Renard Rouget, qui se retourne ; obéissante à l’ordre silencieux, elle l’embrasse sous sa longue queue de bête et grommelé avec soumission : « C’est bien froid… bien froid. »

Se donner ! il se peut aisément, mais ne pas s’en repentir ? difficile. Le Diable a préjugé des forces de la femme. En rentrant elle raconte tout au mari, qui, lassé d’elle, semble soulagé de la voir moins grogronne, presque assouplie « Bien, bien, bougonne-t-il ; si bien tu as fait, bien tu trouveras… » Elle le trouvera et le trouve en effet, la Bête rousse reparaît sous l’orme des fées à l’heure où elle va prendre de l’eau fraîche à la fontaine. « Traitons, dit-il, donne-moi de tes cheveux, voici un morceau de pain noir. » Elle arrache une mèche de sa bondissante chevelure brune ; la patte crochue l’enlève et l’enfouit dans son épaisse toison. En revanche ses lèvres à elle grimacent au goût de la miche étrange, amère comme du peyret. « N’es-tu pas le Diable, Beau Renard ? » Mais le voilà tout à fait semblable à un homme qui lui dit : « Je me nomme Morguet ; je serai, si tu veux, ton véritable époux. — Je veux bien, » dit-elle… Aussitôt après, plus puissant d’être satisfait, le regard en étincelles comme un feu de Saint-Jean : « Vois tu ce bâton ? explique-t-il ; quand tu me voudras, tu le chevaucheras, et il te portera à la Synagogue. — Mais comment pourra-t-il me transporter, messire ? — Tu n’auras qu’à t’écrier : « Bâton blanc. Bâton noir, porte-moi là où tu dois… »

Brusquement elle sursaute ; que s’est-il passé sous l’orme des fées ? Il lui semble qu’elle se réveille… mais entre ses mains reste le petit bâton blanc. D’où lui vient cette branche taillée ?…

En tout cas, comment résisterait-elle à sa curiosité de femme, chatouillée par l’Incube ? La nuit même, tandis que sommeille la brute à qui la lia le prêtre, elle saute par la fenêtre, va dans un buisson, sous les lueurs d’Hécate, ramasser le cadeau de Morguet. Un trouble étrange lui vient de la lune, de se sentir presque nue parmi la nature complice qui la frôle de brindilles concupiscentes ; un vertige l’entraîne tandis qu’elle prononce la brève conjuration, que le bâton magnétique froidit ses jambes. Qu’est-ce qui la fouette et la soulève ? partirait-elle en effet ? Le paysage tourne devant ses yeux qui se closent à demi, et elle ressent la volupté d’une fuite involontaire sur un mince cheval qui aurait pris le mors. Tout à coup une brutalité la renverse… elle ouvre les paupières ; autour d’elle des hommes, des femmes, boivent et mangent, on lui rit au nez, on lui souffle au visage, on la fait boire… « Tu as froid, tu auras chaud. » Mais il lui semble qu’elle boit les froids rayons d’Hécate, diminuante, comme rongée chaque fois qu’elle boit un peu plus. Elle reconnaît le Rousset, mais avec un visage de bouc cette fois ; et comme elle en a terreur : « Tu m’avais demandé mon nom, dit-il ; mon vrai nom, c’est « Le Laid ». Fais du mal aux gens et aux bêtes, tu me donneras satisfaction. »

Deux mois après, au contact de cette chair parfumée des odeurs de la lande, mouillée par la rosée des fleurs sauvages, transformée par l’épousaille du rustique satan, — son mari, que gagne le maléfice la harcèle : « Où vas-tu de la sorte certains soirs ? — Je vais à la Synagogue. — J’irai bien avec toi. — Soit dit. » Ils chevauchèrent ensemble le bâton blanc, l’homme disant : « Bâton blanc, bâton noir, mène-nous là où tu dois de par le Diable » ; et se trouvèrent transportés au milieu des prés, proche un buisson où était le Diable et sa compagnie mangeant et sautant lascivement. Le Laid lui donna à elle un autre bâton, mais plus court, qu’elle cacha dans une haie près le pouiller et nul ne l’eût pu trouver sinon quelqu’un de sa secte[5]. « Tu te fâches toujours, dit le Laid, tu me plais. — Je me fâche et je pleure aujourd’hui à cause d’une jument au poil rouge qui m’a baillé un coup de pied au bras. — Prends ton bâton caché, continua le Maître, et frappes-en jument ou être humain qui te nuirait, tu verras ce qui s’ensuivra. » Elle toucha de son bâton la jument, qui mourut. Tous ceux qu’elle touchait de la sorte moururent aussi. Une ivresse lui vint de sa puissance à nuire. Ses sens d’ailleurs s’aiguisaient à ces corruptrices agapes ; elle s’embellissait de perversité. Ayant mis un peu de poudre sur la tête de son fils le plus petit qui crie sans cesse, il languit trois ou quatre jours, puis mourut sans baptême. Alors elle se sentit l’adepte vraiment de Morguet, ayant été amplement criminelle. Adepte et apôtre. Un autre enfant à elle, les fils à son mari, son frère, elle mène tout le monde au sabbat, poussant à la grande faute incestueuse… Le moulin voit de nuit la famille maléficée, gagnée par la gangrène satanique, apaisant une brûlure furieuse… et tandis qu’elle baise le Diable au genou, — obéissance prêtée à celui qui ne voulut pas obéir — lui la mord au front pour y tuer le baptême, la lumière, le souvenir d’un Dieu.


III
LA SOMNAMBULE DES VILLES


Elle n’émigre pas de son village, de sa forêt, de sa fontaine, l’épouse du Dieu Pan, saoule des effluves de la grossière Isis. Affiliée aux sectes vagabondes, elle regarde la ville, Paris surtout, comme une sorte de piège, où s’étiolerait sa puissance, où son charme tomberait à ses pieds comme un noir oiseau sans ailes ; car dans les cités Satan n’a pas besoin de magie pour régner. Toutes les maisons lui sont vouées, les temples eux-mêmes regorgent de luxure, d’orgueil, de coquetterie et de l’abominable médiocrité, blandices du plus laid des Démons. La nuit sainte de Noël n’est-elle pas choisie à Notre-Dame par les lubriques vieillards pour les antinaturelles chasses ? Satan ne fait pas de vrais prodiges ; il se contente de ses messes noires, officielles, discrètes, en les principaux quartiers. Il se paie cependant quelques nécromanciennes, mais pas pour de vrai, vaudevillesques singes de ses suprêmes vellédas, pour qui il n’est qu’un maître Gonin, un prestidigitateur, l’archifaiseur de tours.


La plupart des officines diaboliques s’affadissent, vénales et piètres. À peine si, çà et là, quelque agitée respire et aspire l’haleine du vieux Pithon. D’ordinaire c’est bien la somnambule, dans le sens scientifique de ce mot, la femme qui marche dans son sommeil, jacasse, rêvasse, esclave d’un nerveux malaise. Elle n’est rien par soi ; non la fauve prêtresse, mais la dégénérée, l’hallucinée, l’ensorcelée, la possédée. Elle n’apparaît pas maîtresse d’occultes courants ; à la dérive elle est poussée par eux. Seulement une domestique de larves. Lucide parfois, — je parle ici des deux ou trois rares qui ne truquent point — elle débute par l’inconsciente découverte d’un crime, d’un vol. La police s’en empare aussitôt, la surveille, la lance, lui fait sa clientèle, en fait sa cliente. Celles qui ne sombrent pas dans les envoûtements de pacotille et les pharmaceutiques charmes, se contentent, — endormies par une main choisie, — de révéler, selon un contact d’objet ou de personne, les visions passant et repassant devant leurs yeux baissés. Elles peuvent, restant à peu près pures, être utiles quelquefois, et le plus souvent apaiser les banales inquiétudes de malades et de filles, de spleenétiques et d’oisifs.

La sorcière — celle-là comme les autres — est âgée ; c’est un fait[6]. Jules Michelet soutient que la sorcière est jeune, jolie souvent. Il se méprend. Non, les poètes ne trompèrent pas. Il faut au Diable une proie coriace, fourbie, fourbue, durcie, tannée aux épreuves, recuite aux rebuffades. La sorcière est âgée, belle peut-être, pour des yeux sadiques, (non sans difformité) malfaisante presque toujours (la bonne sorcière n’a guère existé que dans l’imagination de Michelet), attifée avec un goût affreux, maniaque de la drogue. Elle n’a point de patrie, elle est nomade, propulsée de toutes parts par cette malédiction du Juif-Errant : ne pouvoir rester en place. Elle fuit toujours quelqu’un, le juge, le gendarme, le savant, le bon prêtre, le grand jour, fuit aussi quelqu’un en elle, le remords, le fantôme du crime initial qui la lie à l’invisible et universel malfaire, tourne autour de la jeune fille crédule, des receleurs, des charlatans, redoute la moquerie et la clarté, plie avec un dos de chienne sous l’insulte, joue cette comédie de la consolatrice à laquelle Michelet se pipa : « Votre mère est morte, pauvre petite… Mais je vous la montrerai ce soir en la crypte… nous sommes quelques personnes à peine… nul ne saura… on paie si peu… » Ou bien : « Il est parti, loin de vous, il avait promis cependant d’être fidèle… d’épouser peut-être… venez me voir, avec mes chapelets, mes prières, mes chandelles… il reviendra. » Plus bas encore : « Le mari vieux, sale… avare… oui… il y a le breuvage, le philtre… le cœur de mouton… le philtre est plus sûr… dans le café du matin. »

Basses et perfides manœuvres pas aussi éteintes qu’on voudrait le croire ; car l’ignorance est profonde, le vice aveugle et profond aussi. J’ai vu dans l’antichambre d’une somnambule (demi-sorcière seulement puisqu’elle se contente de raconter au consultant la vision qu’elle a de lui) un monde lunatique, cossu, pittoresque où d’illustres perverses coudoient des épouses de ministres, des agents d’affaires accostent des fils d’empereurs et de rois angoissés de leur décadence — et les actrices de la Comédie-Française. La femme a besoin de l’oracle. L’officine de ces voyantes inférieures recueille celles qui ne s’agenouillent pas au temple. Le vieux Satan, anonyme parfois, rafle toujours les hérétiques, les séparés, les dissidents. La femme ne se passera jamais, trompeuse ou trompée, du mystère.

Et même celles qui croient et pratiquent les cultes orthodoxes s’exaltent volontiers jusqu’à la superstition, n’osant, quand elles déraillent de la norme, s’adresser au confesseur pour le cas ambigu, louche : — afin de savoir s’il faut quitter cet amant pour un autre ou le garder… il répondrait : « il ne faut pas d’amant », — afin de connaître où placer tel argent soustrait ou frauduleusement gagné… il répondrait : « il faut le rendre. » Et tous les secrets qu’on n’ose avouer au mari : comment sauver le fils de ses dettes ? où trouver la soubrette modèle ? comment gagner le gros lot ? À qui se fieront-elles pour les mille minuties de leur vie, pour tout ce qui exige un conseil dégagé de leur milieu, réclame une confiance solennelle ? Mais à la sorcière. Elle a de plus que les autres le prestige sinon du divin, au moins de l’infernal.

Seulement, je le répète : quelles lueurs jailliraient de ces pythonisses vénales, usées (si elles furent douées de quelques instincts divinatoires), à d’idiotes prophéties, détraquées, si elles « dorment » vraiment, par les suggestions des consultantes, pressées aussi, afin de satisfaire, pressées de promettre, d’illusionner, de parler, quand même elles ne verraient rien, ne sentiraient rien, n’entendraient rien ? Au hasard, elles touchent juste, en profitent ; et comme l’oracle tatillonne, vague, ambigu, devant l’événement précis il a toujours les chances d’être interprété dans le sens d’un accomplissement.

Cependant, au milieu du torrent des mensonges et des menteuses, des vérités surnagent comme d’abruptes îles, d’intuitives voyageuses s’y dressent hésitantes parmi les rocs glissants d’erreurs. Dernières preuves de l’immortel don en la femme de communier avec la mort : et ce qui ressemble tant à la mort, ce qui encore n’est pas. Néanmoins souvenez-vous de cet axiome caché, ô vous frénétiques d’une curiosité périlleuse ; le néant, la vulgarité, la sottise n’excitent point la prophétie ; il ne peut être prévu amplement que la prouesse, le succès inouï, ou le désastre :

LES PORTES DE L’AVENIR NE S’ENTRE-BAILLENT QUE POUR LES PRÉDESTINÉS


IV
LES PRODIGES ET LES CRIMES DES SORCIÈRES


En somme nous touchons à une niaise déchéance ; nos magiciennes s’accordent à la vulgarité de nos mœurs démagogiques. Nous avons perdu, en nos pourritures, jusqu’au bel éclat de ces pourritures, leur coruscation, leur sourd flamboiement, cette merveilleuse scintillation qui est la lèpre de l’art sur la plaie suppurente des âmes. Ce sont aujourd’hui, à côté des exploits somptueux de Gilles de Rais, de médiocres commerces en de trop peu pittoresques repaires ; nos recueilleuses d’enfants pour le trafic de leurs souillures ne vaudront jamais la vieille mémorable, cette ogresse, Perrine Martin, la meffraye, faisant sa retape d’innocents, avec sur le visage une étamine noire.

La chasse à l’enfant fut autrefois la plus monstrueuse hantise des vieilles habitées par le démon du massacre, Horace nous a décrit les supplices inventés par Ganidie. Elle dépouille l’enfant ; et devant cette chair impolluée ses cheveux se dressent comme les soies du sanglier traqué par une meute. Dans un trou, creusé par un lourd hoyau, l’enfant est englouti jusqu’à la tête, et il mourra de faim devant les viandes étalées autour de lui et qu’il ne peut atteindre. Cette haine de l’enfant s’explique de la part de la damnée parce qu’il est plus céleste ; se souvenant des linges des anges, c’est déjà la pure hostie, le corps du Christ. Plus tard, avec les Eryges du moyen âge, cette persécution s’accrut. Elles volaient les enfants non baptisés, encore dans le délicat et blanc vagissement des berceaux. Alors, marmottant les syllabes fatales, elles s’enfonçaient dans les cimetières. Là, elles élevaient en l’air, sur les tombes des païens, les frêles proies gémissantes ; puis les ayant laissé choir sur la pierre sans croix, avec un soin maternel, elles dirigeaient, sur ces crânes mous, une très longue épingle qui du haut de la tête jusqu’au menton pénétrait avec une petite bavure grise autour du mince fer ; joignant le cadavre chaud à des cadavres en décrépitude que leurs ongles recourbés avaient arrachés à la terre du repos, elles les faisaient bouillir jusqu’à ce que dans la marmite, dont les sorcières de Macbeth elles-mêmes auraient eu horreur, une gélatine se formât épaisse et beurrante au-dessous d’un infect liquide écumant de la moelle des tendres os.

Encore d’autres jeux : arracher la chevelure de ces petits ; pousser les uns dans l’eau jusqu’à ce que, quelques bulles claquant à la surface, l’indice de la noyade soit certain ; précipiter les autres dans les fosses d’aisance ou dans des fours embrasés en écoutant l’affreux glouglou de dessous la soupape ou le pétillement sanglant de la flamme ; — ou bien, les ayant étouffés en comprimant leur face effarée entre les plis de la robe ou sous la robe : — « Enfant, disaient-elles, retourne d’où tu viens, meurs où tu es né » ; fouiller en la fine poitrine avec des dents de fauve jusqu’à ce que le cœur atteint craque en éclaboussement.


Aussi, fortifiées par ces lamentables sacrifices, elles passaient sur le monde, déjà émancipées de nos lourdeurs, ascètes du forfait solitaire, ou mieux bêtes-femmes, vampires humains, chauves-souris où il y a de l’oiseau ténébreux et de l’animal qui rampe, amphibie vivant dans l’astral et sur la terre, monstres ayant développé en soi le surhumain à force d’inhumain.

Leurs dons mystiques les reliaient aux phantasmes des légendes. Ne possédaient-elles pas la faculté des métamorphoses pour elles et pour ceux qu’elles approchaient ? La Pamphile d’Apulée savait avec une pommade se couvrir le corps de duvet et de fortes plumes, durcir et courber son nez, allonger en griffes ses ongles. Changée en hibou, elle fuyait avec un cri plaintif. Lucius se trompe d’onguent et le voilà devenu âne ! Circé mue en porcs les compagnons d’Ulysse. Les Eryges du moyen âge s’envolent par les cheminées, se précipitent sans danger du haut des montagnes, deviennent aussi des chattes pour mieux se faufiler et courir discrètement. (Voir le Manuel des confesseurs italiens.) Ainsi que dans le passé grec et latin, elles donnent l’amour et le rompent, lient les torces de la génération, infusent à leurs amis une vie nouvelle, dessèchent leurs adversaires par les langueurs ; dépravent, dans les ténèbres où il se débat, sans se résigner à être complice, le jeune homme que leur décrépitude choisit. Leurs pouvoirs sur les êtres, bêtes et gens, ne donnent qu’une faible idée de leur influence sur les éléments, que le savant croit inébranlables pour des volontés humaines. Une femme du pays de Constance, pas invitée aux noces de son village, se fit porter par le Diable sur un sommet, creusa une fosse, y répandit son propre liquide, prononça quelques mots et excita une tempête qui mit en déroute la noce, les ménétriers et les danseurs. Les sorcières apaisent ou excitent les orages, soulèvent comme Velleda ou nivèlent les flots ; elles éteignent les astres comme Médée, afin de mieux illuminer les enfers ; elles constipent les fontaines, dissolvent les montagnes, abaissent le soleil, suspendent la terre, font descendre, telle Canidie, la lune écumante dans les herbes. Pareilles à ces Indiens qui remplissent de mirages l’univers par leur seule puissance de suggestion sur ceux qui les regardent, savent-elles illusionner des hallucinés par de menteuses merveilles ? ou bien leur douleur, leur haine, leur science, leur sacrifice aussi sont-ils si profonds, qu’ils en arrivent à remuer l’âme du monde et à ravir au Démiurge paresseux ses suprêmes commandements ?


  1. Selon les doctrines ésotériques, le Karma est la somme de tous les actes du passé et des précédentes incarnations. On peut admettre deux Karmas, le noir et le blanc, celui des péchés et des vies mauvaises, celui des bonnes actions et des existences pures. De là sortirait la conception des deux anges, de l’Ange gardien et du Démon gardien.
  2. L’ancienne sorcière aboyait comme la moderne hystérique.
  3. Eryge-Erinnye ? C’est lavis des démonographes ; mais ils ont le sens étymologique si biscornu !
  4. C’est la coquetterie, au moins autant que l’ennui et la souffrance, qui livre la femme à Satan. Gœthe en a écrit la légende de Marguerite ; mais Satan choisit ses disciples. Celles qui s’offrent à lui, vaincues et toutes faibles, s’il ne sait comment les utiliser à son service, il se contente de leur confisquer leur petite âme frivole. Il ne conserve que les fortement trempées, celles qui serviront à son apostolat. Témoin l’histoire suivante à laquelle il convient de laisser son caractère de vétusté.

    Histoire miraculeuse et admirable de la comtesse de Hornoc Flamande, qui a esté estranglée par le Diable dans la ville d’Anuers pour n’avoir trouué sô rabat bien goderonné le quinziesme Décembre 1615.


    Le luxe a esté de tous temps si dépraué par dedans les femmes principalement, qui semble qu’elles se soyet estudiés le plus à ce subjet qu’à autre chose quelle qu’elle soit. Geste laxiue Egyptienne Cléopatre ne se contentoit de porter sur soy à plus d’vn million d’or vaillant, des plus belles perles que produise l’Orient. Mais en un festin elle en faisoit dissoudre & manger à plus de vingt mille escus à ce pauure abusé de Marc Anthoine, à qui à la fin elle coustat et l’honneur et la vie.

    Je laisse une infinité d’histoires qui serviront à se subjet pour racompter ceste très véritable modernement arriuée d’Anuers, ville renommée et principale de la Flandre.

    La comtesse de Hornoc, fille unique de ceste illustre maison, estoit demeurée riche de plus de deuœ cent mille escus de renie, mais elle estait fort colérique, & lorsqu’elle estoit en colère, elle iuroit & se donnoit au diable, & outre elle estoit fort ambitieuse & sujette au Luxe, n’espargnant rien de ses moyens pour ce faire paroistre la plus pompeuse de la ville d’Anuers.

    Au moys de Décembre dernier elle fut enuoyée en vn festin qui ce faisoit en l’vne des principales maisons d’Anuers, où pour paroistre des plus releuées, elle ne manquait à ce subjet de ce faire des plus riches habits, & de plus belles façons qu’elle se pouuoit aduiser.

    Entre autre des plus belle & des lie toille, dont la Flandre, sur toutes les provinces de l’Europe, est la mieux fournie pour se faire des rabats des mieux goderoné, à ces fins elle auoit mandé quérir une empeseuse de la ville pour luy en accomoder vne couple, & qui fussent bien empesez, ceste empeseuse y met toute son industrie, les luy apporte, mais aueugle du Luxe, elle ne les trouue point à sa fantaisie, iurant & se donnant au Diable qu’elle ne les porterait point.

    Mande quérir une autre empeseuse, fit marché Wune pistole avec soy pour luy empeser un couple, à la charge de n’y rien espargner, Ceste y faict son possible, les ayant accommodez au mieux qu’elle auoit peu, les apporte à ceste Comtesse, laquelle possédée du malin esprit, ne les trouue point à sa fantaisie. Elle se met en colère, dépitant, iurant et maugréant, disant qu’elle se donnait au Diable corps & âme avant qu’acné parlasse des colets ou rabats de la sorte, réitirant ces paroles par plusieurs et diuerses fois.

    Le Diable, ennemy capital du genre humain, qui est iousiours aux escoutes pour pouuoir nous surprendre s’apparut à ceste Comtesse en figure d’homme de haute stature, habillé de noir. Ayant faict vn tour par la salle, s’accoste de la Comtesse, luy disant, & quoy, madame, vous estes en colère, qu’est-ce que vous auez, y peux ie mettre remède, ie le feray pour vous, cest un grand cas dit la Comtesse, que ie ne puisse trouuer en ceste ville vne femme qui me puisse accommoder vn rabat bien goderonné a ma fantaisie en voila que l’on me vient d’apporter, puis les iettant en terre, les foulant des pieds, dit ces mois, ie me donne au diable corps et âme, & iamais ie les porte.

    En ayant proféré ce détestable mot plusieurs fois, le diable sort vn rabat de dessous son manteau, luy disant : Madame, celuy-là vous airees il point, ouy, dit-elle, voila bien comme je les demande. Ie vous prie mettez le moy, et iesuis toute à vous de corps & d’âme, le diable le luy présente au col, & le luy tordit, en sorte qu’elle tomba morte à terre, au grand épouvantement de ces serviteurs. Le Diable s’esuanouyt faisant vn si gros pet comme si l’on eust tiré un coup de canon, & rompit toutes les verrines de la salle.

    Les parens de la dicte Comtesse, voulant cacher le faict, firent entendre qu’elle estait morte d’vn catarre qui l’auoit estranglé, & firent faire une bière, & firent préparer pour faire les obsecques à la grandeur, comme la qualité de celle dame portait, les cloches sonnent, les Prestres uiennent, quatre veulent porter la bière, ils ne peuuent remuer la bière, ils s’y mettent six autant que deuant, bref toutes les forces de tant qui sont ne peuuent remuer la bière, en sorte qu’on est contraint d’ateler des cheuaux, mais pour cela elle ne peut bouger, tellement que ce que l’on vouloit tenir caché fut descouuert, toute la mile en est, abreuée, le peuple y accourut ; de ravis des Magistrats, on ouvre la bière, il ne se trouue rien qu’en chat noir qui court & s’esvanouyt par dedans le peuple, voilà la fin de ceste misérable Comtesse, qui à perdu &. corps & âme par son trop de Luxe.

    Cecy doibt seruir de miroir exémplaire à tant de poupines, qui ne désirent que de paroistre de mieux goderonnez, mieux fardez, avec des faux cheueux, & dix mil fatras pour orner ce misérable corps, qui n’est à la fin que carcasse, pourriture, pasture des vers, & des plus vils animaux. Dieu leur doint la grâce ceste histoire leur profite & les conuie à amander leurs fautes. Ainsi soit il.

  5. Secte de Bohémiens, d’Albigeois, de Templiers, de Vaudois, de Turlupins… secte, certainement culte religieux de Satan, franc-maçonnerie de toute époque.
  6. Il y a en effet une sorcière jeune et belle, c’est celle qui ne l’est pas, sorcière, mais que le peuple prend pour telle parce qu’elle se distingue, plus svelte de mysticisme, parfois instrument de divins miracles. Wilhelm Meinhold, dans Marie Schweidler, créa une semblable héroïne. C’est une jeune fille poursuivie pour sorcellerie et condamnée injustement. Pendant la guerre de Trente ans, la contrée a été ravagée par les amis et les ennemis ; famine et maladies déciment le bétail et les habitants. On croit à des possessions diaboliques. Une seule vierge dans le village a été épargnée par les soldats ; elle est la fille du pasteur. Et la légende dit qu’une innocente est nécessaire pour rompre les maléfices. Une vache est malade ; on cherche la jeune Marie pour qu’elle enterre sous le porche de l’écurie trois poils de sa queue. La vache guérit. Des porcs tombent malades, des hommes sont tourmentés par le diable. Poussée par la population, la jeune fille devient un thaumaturge vénéré ; par malheur, elle ne réussit pas toujours ; alors elle est dénoncée à l’inquisition, emprisonnée, mise à la question, interrogée selon le Malleus. Affolée, elle avoue des rapports avec le diable, va devenir la proie du bûcher, lorsqu’un chevalier amoureux d’elle, témoigne en sa faveur et la sauve.

    Le livre de Meinhold, écrit en allemand du xxiie siècle, a ravi Swinburne ; à vrai dire, il nous révèle de combien d’erreurs furent coupables des tribunaux superstitieux et il désigne comme victime la tendre innocente, la vierge aimable et inspirée, celle que le bûcher menace aussi bien que l’abominable vieille. Cette prétendue sorcière-là, c’est la sainte, la salvatrice, la Jeanne d’Arc.