Le Principe de relativité et la théorie de la gravitation/chap. 14

CHAPITRE XIV.

THÉORIE DE LA GRAVITATION ET DYNAMIQUE.


Un champ de gravitation (au sens généralisé : champ de force) peut être modifié par un changement de système de référence, mais il n’en est pas moins vrai que la matière modifie l’Espace-Temps d’une façon absolue. L’univers possède, en chaque point, une structure géométrique connexe de la présence ou du voisinage de la matière ; cette structure dépend des lignes d’Univers de toutes les portions de matière et d’énergie existante, car nous savons que toute substance est accompagnée d’un champ de gravitation permanent, un champ qu’il est impossible de faire disparaître dans son ensemble par un choix convenable du système de référence.

En d’autres termes, le système de référence est arbitraire, et le champ de force est relatif, en ce sens qu’il dépend du choix de ce système, mais la structure d’Univers en présence d’une distribution déterminée de matière est absolue, car cette structure ne saurait être changée par le fait qu’il plaît au mathématicien d’adopter tel ou tel système de coordonnées.

Il est donc évident que, dans un changement arbitraire de coordonnées, les valeurs des potentiels doivent rester compatibles avec une même structure d’Univers. C’est dire que les sont nécessairement assujettis à certaines liaisons.

Les équations les plus générales exprimant les liaisons qui doivent exister entre les dix potentiels de gravitation pour que ceux-ci, dans un changement arbitraire de coordonnées, se modifient en restant compatibles avec une même structure d’Univers, doivent être, comme toutes les lois physiques, des équations intrinsèques indépendantes de tout choix particulier de coordonnées.

Ces relations constituent la loi de la gravitation.

Pour résoudre ce problème, Einstein n’a eu que les données suivantes :

1o Les formules qui expriment les conditions générales auxquelles doivent satisfaire les dix potentiels sont des relations tensorielles ;

2o À distance infinie de toute matière ou de tout rayonnement, l’Espace-Temps est euclidien ;

3o La loi générale de conservation de l’impulsion et de l’énergie doit être satisfaite.

Il est remarquable que ces conditions aient suffi pour déterminer la loi de la gravitation.

I. — LOI DE LA GRAVITATION DANS LE VIDE.

74. Signification du tenseur Riemann-Christoffel.

Lorsque l’Espace-Temps est euclidien, on peut choisir des coordonnées galiléennes ; les étant constants, tous les symboles de Christoffel disparaissent et toutes les composantes du tenseur de Riemann-Christoffel s’annulent ; mais alors ces composantes s’annulent aussi dans tout système de coordonnées (propriété fondamentale du caractère tensoriel).

L’équation

(1-14)

exprime donc une condition nécessaire pour que l’Espace-Temps soit euclidien.

On a d’ailleurs démontré que cette condition, qui se réduit à 20 équations distinctes[1], est suffisante : lorsqu’elle est remplie, on peut mettre sous la forme galiléenne ( si ).

Ainsi, l’annulation du tenseur de Riemann-Christoffel exprime que l’Espace-Temps est euclidien.

Condition d’intégrabilité de la direction. — On peut envisager sous un autre aspect la signification du tenseur de Riemann-Christoffel.

Supposons d’abord un domaine euclidien à deux dimensions seulement, constitué par une surface plane. Nous savons que si un segment de droite a été tracé à partir d’un point on peut à partir d’un autre point quelconque mener un segment parallèle au premier (postulatum d’Euclide). Mais si, au lieu d’un plan, nous considérons une surface courbe (domaine non euclidien à deux dimensions), la solution devient impossible ; des êtres à deux dimensions, qui ne percevraient pas directement la troisième dimension de l’espace, confondant en chaque point la surface courbe avec son plan tangent, ne se rendraient pas compte immédiatement de l’impossibilité du problème et trouveraient que la direction qu’ils ont cru transporter en parallèlement (au sens de la géométrie euclidienne) à la direction en dépend du chemin qu’ils ont suivi entre et et s’ils revenaient en après avoir décrit un contour fermé, tout en cherchant à conserver la direction du vecteur, ils trouveraient au retour une direction différente de la direction initiale et qui dépendrait du chemin suivi. Autrement dit, sur une surface, la direction n’est en général pas intégrable.

Ces notions s’étendent à une multiplicité quadridimensionnelle. Soit un quadrivecteur, que nous supposons contrevariant ; faisons lui décrire un circuit fermé par « déplacement parallèle » (au sens généralisé du no 70), c’est-à-dire par déplacement tel que la dérivée covariante soit constamment nulle :

(2-14)

La variation de ce vecteur est

(3-14)

Posons

(4-14)

est un tenseur symétrique gauche qui fait correspondre à l’aire élémentaire une direction positive du parcours sur le contour qui la limite. L’équation (3-14) s’écrit

(5-14)

et pour un contour infiniment petit

(6-14)

Pour un quadrivecteur covariant on trouverait de même

(7-14)

La condition nécessaire et suffisante pour que la variation soit nulle est (ou ).

Ainsi, pour que la direction soit intégrable, nous trouvons la même condition (nécessaire et suffisante) que pour que l’Espace-Temps soit euclidien. Par conséquent, l’intégrabilité de la direction est une propriété qui n’appartient qu’à l’Espace-Temps euclidien ; la non-intégrabilité de la direction caractérise un Univers non euclidien, c’est-à-dire un champ de gravitation permanent[2].

75. Loi générale de la gravitation dans une région vide de matière et d’énergie électromagnétique (Loi d’Einstein).

L’équation n’exprime évidemment pas la loi générale que nous cherchons, car elle est beaucoup trop restreinte. Si c’était une loi naturelle, il ne pourrait y avoir qu’un Espace-Temps euclidien dans son ensemble, et il n’y aurait nulle part de champ de gravitation permanent ; la matière ne serait pas accompagnée d’un champ de gravitation[3]. Mais c’est un cas particulier ; la loi (1-14) conviendrait dans une région de l’espace située à l’infini de toute masse.

Il faut chercher une relation tensorielle plus générale, comportant la précédente comme cas particulier, c’est-à-dire qui se trouve satisfaite lorsque On ne peut faire appel qu’au tenseur de Riemann-Christoffel contracté ; on peut écrire

même solution

Quant à l’annulation du scalaire ce serait une condition trop générale, insuffisante pour déterminer un champ de gravitation.

On est donc conduit à la loi

(8-14)

Mais cette loi est-elle la seule possible ? oui, si l’on admet, ce qui a d’ailleurs été le point de départ, que l’espace est infini, qu’il peut y avoir des régions à l’infini de toute masse, et que par suite est une solution particulière.

Mais si l’Univers est courbe dans son ensemble, et si l’espace est fini, il n’est plus nécessaire de conserver comme solution limite, et la covariance est respectée si l’on pose

(9-14)

étant une constante, d’ailleurs inconnue.

C’est la seule expression générale[4] d’un tenseur du second ordre fonction seulement des et de leurs dérivées, ne contenant pas de dérivées d’ordre supérieur à et linéaire par rapport aux dérivées secondes.

La loi a d’abord été adoptée par Einstein. Puis Einstein a été conduit plus tard à introduire le terme correctif parce qu’il y a, ainsi que nous le verrons, des difficultés insurmontables dans la conception d’un espace infini. Cependant, comme nous sommes certains que l’espace est immense, que loin de toute matière le champ permanent de gravitation est pratiquement nul, qu’il y a des régions où l’Univers peut, avec une très haute approximation, être considéré comme euclidien, nous pouvons affirmer que la constante est extrêmement petite, et le terme additionnel peut être négligé dans les applications au mouvement des astres.

Nous admettrons donc la loi quitte à revenir plus tard à la loi (9-14), ce qui nous conduira à remplacer le tenseur par le tenseur ainsi que le scalaire par le scalaire Ce remplacement n’apportera d’ailleurs aucun changement aux principes généraux de la Mécanique que nous allons bientôt exposer.

Pour être acceptée, la loi d’Einstein doit recevoir la confirmation de l’expérience. Combinée avec les équations du mouvement, elle doit comporter en première approximation l’ancienne loi, celle de Newton ; elle doit, de plus, rendre compte d’un écart connu à la loi de Newton, le déplacement du périhélie de la planète Mercure. Nous verrons que la loi d’Einstein satisfait entièrement à ces conditions.

Le tenseur étant symétrique, l’annulation de ses composantes donne dix équations : six seulement de ces équations sont indépendantes ; c’était à prévoir puisque dix équations indépendantes, auxquelles on joindrait les conditions aux limites, détermineraient tous les dans l’expression de et par conséquent spécifieraient non seulement la géométrie particulière du champ de gravitation (la structure de l’Univers), mais encore le système de coordonnées d’Univers. Ce système de coordonnées doit rester arbitraire ; il est quatre fois indéterminé, ce qui correspond à quatre relations identiques entre les (voir le numéro suivant). La loi de gravitation dans le vide comporte donc six conditions. C’est une restriction considérable imposée aux géométries de l’Univers.

Signalons dès maintenant que l’invariant contracté (no 66) est l’extension de la courbure de Gauss (no 58), c’est, en chaque point-événement, la courbure totale. Pour éviter toute confusion, une remarque est nécessaire la condition de courbure totale nulle n’exprime pas la « planéité » de l’Univers, elle n’exprime pas que l’Espace-Temps est euclidien ; les tenseurs et donnent une mesure bien plus précise des divergences entre l’Univers réel et l’Espace-Temps euclidien.

76. Théorème fondamental de la Mécanique[5].

La divergence de est identiquement nulle.

Ce théorème est d’une importance capitale. Dans l’espace tridimensionnel, l’annulation de la divergence d’un vecteur exprime la continuité du flux de ce vecteur ; dans la théorie de l’Univers quadridimensionnel, où nous ajoutons une coordonnée de temps, l’annulation d’une divergence est la condition de conservation ou de permanence. Le théorème exprime la permanence du tenseur d’Univers considéré et nous verrons plus loin que, joint à la loi de gravitation, il a pour conséquence la conservation de l’impulsion et de l’énergie.

La dérivée covariante contractée ou divergence du tenseur

est

car pour et pour

Nous allons vérifier que

(10-14)

D’après (57-13) nous avons

et comme

il faut donc démontrer que

(11-14)

Maintenant, sans particulariser en rien la structure de l’Univers, nous pouvons choisir nos coordonnées de façon que :

a. en tout point d’Univers.

b. Les dérivées premières s’annulent au point considéré, car ces conditions peuvent être remplies dans n’importe quel genre d’Univers[6]. Nous simplifions ainsi les expressions sans restreindre la généralité du théorème ; en effet, la relation que nous voulons établir est une relation tensorielle et, si nous prouvons qu’elle est exacte pour un système de coordonnées particulier, nous savons qu’elle est encore exacte pour tout autre système de coordonnées dans le même Univers.

D’après a, le premier membre de (11) s’écrit

d’après (b)
en permutant et

On peut donc remplacer (11) par

(12-14)

Substituons à , etc. leurs valeurs d’après (63-13) ; d’après (a), les termes en disparaissent ; d’après (b), les symboles de Christoffel s’annulent au point considéré, mais leurs dérivées ne s’annulent pas. Le premier terme seul subsiste dans etc. et l’expression (12-14) devient

car à cause de (b) se comporte comme une constante à l’égard de la double différentiation.

Huit des neuf termes du crochet se détruisent deux à deux soit directement, soit par changement d’indices muets ; il ne reste que le terme

d’après (b)
d’après (51-13)
puisque en tout point,

ce qui démontre le théorème.

Les quatre identités (10-14)

(13-14)

sont précisément les identités qui étaient à prévoir à cause de l’indétermination des quatre coordonnées (no 75) et qui réduisent à six le nombre des équations indépendantes exprimant la loi de la gravitation.

Le même théorème s’applique au tenseur

la divergence de ce tenseur est identiquement nulle.

On peut enfin, comme l’a fait Eddington[7], généraliser ce théorème. À tout invariant d’Univers on peut faire correspondre un tenseur mixte du second ordre dont la divergence soit nulle.

Le tenseur est celui qui correspond au plus simple de tous les invariants d’Univers, l’invariant qui par sa signification physique (courbure totale) présente un intérêt particulier.

77. Conditions d’application du principe d’équivalence.

La différence entre un Univers où règne un champ de gravitation permanent et un Espace-Temps euclidien est que dans le premier alors que dans le second on a les conditions beaucoup plus restreintes Or ces deux groupes d’équations déterminent les dérivées secondes des en fonction des et de leurs dérivées premières ; nous pouvons donc toujours trouver, en tout point-événement du champ de gravitation, un Univers euclidien caractérisé par des fonctions ayant, en ce point, des valeurs respectivement égales aux de l’Univers réel, et telles que les dérivées premières soient aussi, au même point, respectivement égales aux dérivées premières des de l’Univers réel. C’est seulement à partir des dérivées secondes que les deux Univers diffèreront.

C’est l’Univers euclidien ainsi défini qui est l’Univers tangent à l’Univers réel au point-événement considéré. Ces deux Univers admettent un contact du premier ordre en ce point.

Le principe d’équivalence (no 55) n’est autre chose que l’affirmation de l’existence d’un Univers tangent en tout point de l’Univers réel. De ce principe, il résulte que toutes les lois relatives à des phénomènes se passant dans un Univers euclidien et qui ne dépendent que des et de leurs dérivées premières[8] seront également valables dans un champ de gravitation permanent. À ce point de vue, un champ de force « géométrique » dans un Univers euclidien, c’est-à-dire un champ où la force n’est que la manifestation de l’emploi d’un système de référence non galiléen, est entièrement équivalent à un champ de gravitation permanent (Univers non euclidien), c’est-à-dire à un champ dont la force ne peut disparaître par un choix convenable du système de coordonnées et qui est la marque de l’existence de matière ou d’énergie.

Par contre, pour les lois faisant intervenir les dérivées des d’un ordre supérieur au premier, il n’y a plus nécessairement équivalence entre un champ de force géométrique dans un Univers euclidien et un champ de gravitation permanent.

On voit que le principe d’équivalence est fondé sur le choix de la loi de la gravitation. C’est un principe et non un axiome.

78. Équations des géodésiques d’Univers (trajectoires des mobiles libres). Expression des composantes du champ de force.

Puisque l’élément de ligne d’Univers est une grandeur indépendante du système de coordonnées, l’intervalle entre deux points-événements de l’Espace-Temps, sur la ligne pour laquelle est stationnaire, a aussi une signification indépendante du système de référence. L’équation de cette ligne est

dans tout système de coordonnées.

On pourrait exprimer cette condition d’action stationnaire par le calcul des variations[9], mais les formules de différentiation covariante nous conduiront immédiatement au résultat.

Soit le vecteur contrevariant Sa dérivée covariante est donnée par (37-13)

Multiplions par nous obtenons

(14-14)

Puisque le premier membre est un tenseur, il en est de même du second membre, et si ce tenseur s’annule dans un système de coordonnées, il s’annule dans tous les autres systèmes.

Supposons un Univers euclidien et prenons des coordonnées galiléennes. Les étant constants, et, d’autre part, donne les équations d’une géodésique, car pour une « droite d’Univers » les coefficients de direction sont constants. Par conséquent, le tenseur formant le second membre de (14-14) est nul en coordonnées galiléennes et par suite nul quel que soit le système de coordonnées pour tous les points d’une géodésique.

Nous voyons donc que les équations

(15-14)
4 équations pour 1, 2, 3, 4.
Dans chaque équation sommation par rapport à et sommation par rapport à

sont les équations générales d’une géodésique, c’est-à-dire les équations de la trajectoire du point matériel libre dans un système de coordonnées quelconque, si l’Univers est euclidien.

Mais ces équations ne font intervenir que les dérivées premières des Elles restent donc exactes dans un champ de gravitation permanent (principe d’équivalence, no 77). Ce sont les équations fondamentales du mouvement du point libre dans un Univers quelconque, euclidien ou non. Elles sont covariantes pour toute transformation.

La ligne d’Univers d’un point matériel libre ne dépend pas de la masse de ce point ; elle ne dépend que des variations des (et des conditions initiales).

Les qui disparaissent dans le cas du mouvement de translation uniforme déterminent l’écart au mouvement rectiligne et uniforme. Einstein les a appelées « composantes du champ de gravitation ». Ce sont bien en effet des « forces » comme nous le montrerons bientôt.

79. Extension des équations de Lagrange.

Choisissons les coordonnées de manière que Le tenseur de Riemann-Christoffel contracté s’écrit

(16-14)

Nous pouvons considérer comme une coordonnée généralisée et comme quatre variables indépendantes qui vont jouer le rôle que joue le temps dans les équations de Lagrange en mécanique ordinaire. La « vitesse généralisée » sera

( n’est pas un tenseur).

Nous allons montrer que s’écrit sous une forme semblable à celle des équations de Lagrange

(17-14)

en posant

(18-14)

Calculons, en effet, la variation de Nous avons

(19-14)

puisque dans le dernier terme, et sont les indices muets. Nous pouvons écrire encore

(20-14)

Nous avons d’ailleurs

(21-14)

expression qui se simplifie beaucoup : d’abord les deux derniers termes de la parenthèse disparaissent après multiplication par car et et sont simultanément interchangeables. D’autre part, on a, d’après (47-13),

(22-14)

On a donc finalement

(23-14)

et par suite

(24-14)
(25-14)

ce qui démontre la formule (17-14).

La loi de la gravitation dans le vide s’exprimant par les équations

(26-14)

sont, comme en dynamique classique, équivalentes à

(27-14) stationnaire

pour les variations des de leurs dérivées . Il faut noter que cette équation est soumise à la restriction [10].

80. Énergie du champ de gravitation.

Conservons encore des coordonnées telles que et multiplions (17-14) par nous obtenons

(28-14)

or, on peut écrire

(29-14)

et

(30-14)

On obtient donc, en ajoutant (28-14) et (29-14),

(31-14)

en posant

(32-14) ,

étant une constante universelle (que nous déterminerons plus tard en fonction de la constante de la gravitation newtonienne).

La quantité n’est pas un tenseur, mais elle est l’extension de l’expression hamiltonienne de l’énergie

Dans l’espace vide, l’équation (31) devient

(33-14)

elle exprime la conservation de Pour le montrer, revenons à un Univers euclidien ; intégrons (33) dans un volume déterminé par les coordonnées d’espace, nous obtenons, étant la coordonnée de temps,

étant les cosinus directeurs de la normale (intérieure) à l’élément de la surface qui limite le domaine d’intégration. Si s’annule sur la surface, l’intégrale de volume de reste constante lorsque varie. Elle reste constante dans le temps, c’est-à-dire qu’elle obéit à une loi de conservation[11].

Les grandeurs ont été appelées par Einstein « composantes d’énergie » du champ de gravitation.

Autre forme de la loi de la gravitation. — Nous pouvons maintenant donner à la loi de la gravitation une forme nouvelle qui sera utile dans la suite. Multiplions par les termes de nous avons

(34-14)

Le premier membre s’écrit

(35-14)

En changeant la désignation des indices, (35-14) s’écrit

(36-14)

Cette expression est le premier membre de l’équation (34-14), son troisième terme annule le second membre de l’équation ; son deuxième terme est égal à

en posant

ainsi qu’il est facile de le vérifier d’après (32), (18), (24).

On obtient donc finalement la loi de la gravitation dans le vide sous la forme

(37-14)

qui a l’avantage d’expliciter les composantes de l’énergie de gravitation.

II. LOI DE LA GRAVITATION DANS LA MATIÈRE.

Il reste à résoudre un problème fondamental.

Les six équations expriment seulement la loi de la gravitation dans une région vide de matière ou d’énergie électromagnétique. Ces équations remplacent l’équation bien connue de l’ancienne théorie (équation de Laplace) :

(38-14)

étant le potentiel du champ newtonien.

Il s’agit maintenant de déterminer la loi qui doit remplacer la loi d’attraction proportionnelle à la masse et inversement proportionnelle au carré de la distance, loi traduite analytiquement par l’équation de Poisson

(39-14)

étant la constante de la gravitation newtonienne, la densité de la matière au point considéré.

La relativité restreinte a montré que la masse s’identifie avec l’énergie, et que l’énergie est la composante de temps de l’impulsion d’Univers (no 46). Or, nous allons voir que l’impulsion-énergie trouve son expression la plus complète dans un tenseur qui, précisément, se réduit à la densité dans le cas de la matière au repos par rapport au système de référence, dans un Univers euclidien. Puisque toutes les lois doivent, d’après le principe de relativité généralisé, s’exprimer sous une forme tensorielle, il est à peu près évident que le tenseur impulsion-énergie doit remplacer la densité qui figurait seule dans l’ancienne théorie.

81. Le tenseur impulsion-énergie ou tenseur matériel.

Nous supposerons la matière continue, ce qui signifie que les considérations qui vont suivre s’appliquent à l’aspect macroscopique (ou aspect moyen) des phénomènes.

Isolons une portion de matière infiniment petite, de densité propre (densité qui serait mesurée par un observateur lié à la portion de matière). Si nous multiplions par tous les produits deux à deux des est la « vitesse généralisée » de la portion de matière dans le système de coordonnées nous formons un tenseur contrevariant symétrique du second ordre

(40-14)

c’est le tenseur matériel ou tenseur impulsion-énergie contrevariant. À ce tenseur sont associés un tenseur mixte

(41-14)

et un tenseur covariant

(42-14)

Les seize composantes de ces tenseurs s’expriment aisément en l’absence d’un champ de gravitation (Espace-Temps euclidien) si l’on prend des coordonnées galiléennes [12].

Nous obtenons, en effet,

(43-14)

Posons, comme en relativité restreinte, étant la vitesse de la portion de matière dans le système galiléen composantes nous avons

étant la densité mesurée dans le système galiléen considéré[13]. Le tenseur mixte, par exemple, s’écrit alors

(44-14)

ou, en donnant aux leurs valeurs galiléennes,

(45-14)

Les composantes (multipliées par ) sont les composantes de l’impulsion d’Univers (no 46). Les autres composantes représentent (à un facteur constant près) des courants d’énergie et des courants de quantité de mouvement dans les trois directions des axes de coordonnées.

Le scalaire (invariant contracté) n’est autre chose que la densité au repos on a, en effet,

(46-11)

résultat valable, bien entendu, dans n’importe quel système de coordonnées puisque est un scalaire.

Lorsque la vitesse est petite par rapport à la vitesse de la lumière, les composantes autres que sont négligeables par rapport à de sorte que le tenseur se réduit, en première approximation, à la densité très voisine de

82. Les équations de la gravitation dans la matière.

Nous avons dit que le tenseur matériel doit remplacer la densité dans l’expression de la loi de la gravitation. Il suffit de se reporter à la loi dans le vide, sous la forme (37-14) où l’énergie de gravitation est mise en évidence, pour comprendre comment il faut maintenant introduire le tenseur matériel. Nous devons penser que l’énergie de gravitation est équivalente à toute autre forme d’énergie : donnant alors à la constante [équation (37-14)] des dimensions telles que représente une densité (énergie par

de volume, divisée par ), c’est-à-dire telles que soit homogène à nous sommes logiquement conduits à ajouter les composantes du tenseur matériel aux composantes de l’énergie de gravitation. Nous remplaçons donc par et par

Nous obtenons ainsi, pour la loi de gravitation dans la matière (supposée continue), l’équation

(47-14)

qui s’écrit, après quelques transformations, d’après (16-14) et (36-14),

(48-14)
ou

ou encore

(49-14)

C’est la loi cherchée, qui remplace l’équation de Poisson.

Dans les équations (48) et (49) la restriction est levée : ce sont des équations covariantes, qui sont exactes dans tous les systèmes de coordonnées imaginables si elles sont vraies dans un système particulier.

La loi de la gravitation peut s’écrire sous d’autres formes en introduisant la courbure Multiplions (49) par il vient d’abord

ou

(50-14)

car

et

Remplaçant maintenant par dans (50), nous obtenons la nouvelle forme

(51-14)

Enfin, une dernière forme est la suivante. Remplaçons dans l’équation précédente par et multiplions par il vient

(52-14)

L’introduction, telle qu’elle vient d’être faite, du tenseur matériel, n’est pas exigée par le principe de la relativité seul ; nous avons admis, en outre, que l’énergie du champ de gravitation et l’énergie matérielle ont même action gravifique. Nous allons maintenant donner la meilleure justification de la loi d’Einstein en montrant qu’elle implique la conservation de l’impulsion et de l’énergie.

83. La conservation de l’impulsion et de l’énergie.

La loi d’Einstein, sous la forme (52-14), exprime l’égalité du tenseur mixte impulsion-énergie (multiplié par ) et du « tenseur d’Univers conservatif » La loi d’Einstein entraîne donc, par application du théorème fondamental de la Mécanique (no 76), la permanence du tenseur matériel, c’est-à-dire la loi de conservation de l’impulsion — énergie sous la forme la plus générale

(53-14)

Pour mieux comprendre que cette équation exprime la conservation, nous allons la présenter sous une autre forme. Écrivons l’expression de la divergence de le tenseur étant symétrique, nous avons, d’après (57-13), (59-13),

( densité tensorielle)

ou

La loi s’écrit donc

(54-14)

Choisissons d’abord des coordonnées telles que

L’équation (54-14) se simplifie et devient

(55-14)

Reportons-nous maintenant à la définition de c’est-à-dire à l’équation (31-14) :

nous pouvons écrire

car, lorsque

Appliquons, enfin, la loi de la gravitation en remplaçant par (51-14), nous obtenons

d’après (55-14)

finalement,

(56-14)

Cette équation étant soumise à la restriction

Par introduction de la densité tensorielle et de la densité d’énergie de gravitation on peut conserver la forme (56-14), en levant la restriction

Nous avons, en effet,

étant la densité tensorielle

Nous obtenons donc

(56′-14)

en posant[14]

Les quatre équations résumées dans (56′-14)

(57-14)

(où et doivent être remplacés par et lorsque ) expriment la loi générale de conservation de l’impulsion-énergie quand il y a action réciproque de la matière et du champ de gravitation. La démonstration a été faite au no 80 ; il n’y a qu’à remplacer dans cette démonstration par

Si nous supposons un système clos où le champ de gravitation soit négligeable, nous pouvons prendre des coordonnées galiléennes et les quatre équations qui précèdent (où les sont nuls), qui ne sont autres que les équations bien connues de l’hydrodynamique (voir numéro suivant), expriment la conservation de l’impulsion d’Univers au sens de la relativité restreinte (no 47).

Si le champ de gravitation n’est pas négligeable, la loi exprime la conservation de l’ensemble du tenseur matériel et de l’énergie de gravitation, c’est-à-dire que toute variation du tenseur impulsion-énergie de la matière peut être considérée comme empruntée ou cédée au champ de gravitation. Il n’y a plus conservation de l’impulsion-énergie matérielle, mais pour maintenir la loi de conservation, nous attribuons au champ de gravitation une énergie équivalente à toute autre forme d’énergie.

En posant dans le vide, mettant cette équation sous la forme (37-14), puis ajoutant à le tenseur matériel (47-14), nous avons suivi la voie indiquée par Einstein dans sa découverte de la loi de la gravitation[15].

On peut présenter autrement la question. La conservation de la quantité de mouvement et la conservation de l’énergie sont des lois expérimentales, vérifiées dans tous les phénomènes connus.

L’expression la plus générale de ces lois est facile à trouver : si le champ de gravitation est négligeable nous pouvons exprimer ces lois de conservation par

(58-14)

car cette équation symbolise les équations de l’hydrodynamique en coordonnées galiléennes.

Nous remarquons que cette équation est la forme dégénérée (en coordonnées galiléennes) de l’équation tensorielle La formule doit donc exprimer la loi générale de conservation, que nous avons toutes raisons de considérer comme rigoureuse.

Ceci posé, la loi de gravitation que nous cherchons est (comme la formule de Poisson) une relation entre la matière et la structure d’Univers : elle doit s’exprimer par une égalité entre le tenseur matériel et un certain tenseur de courbure. Le choix de ce tenseur géométrique est très restreint, car pour pouvoir être égalé au tenseur matériel il doit être conservatif comme lui. Le plus simple des tenseurs conservatifs est (théorème fondamental no 76) ; nous sommes donc conduits à essayer la loi :

( constante universelle),

quitte à vérifier ensuite expérimentalement les conséquences de cette loi. C’est bien la loi d’Einstein (52-14).

Partant de la forme précédente, nous obtenons facilement les autres formes de la loi, y compris (47-14), qui nous montre que les quantités (bien que ne constituant pas un tenseur) peuvent être considérées comme représentant une forme d’énergie que nous pouvons appeler l’énergie du champ de gravitation. Cette conclusion relative aux est d’ailleurs justifiée par les formules (32-14) et (17-14) (extension des équations de Lagrange).

Eddington regarde la loi de la gravitation « non comme une loi de la Nature, mais comme une définition de la signification que nous attribuons à la masse, à la quantité de mouvement, etc., dans notre description géométrique de l’Univers. L’identification a été faite de telle sorte que l’équation soit satisfaite et que, par conséquent, les lois de l’hydrodynamique et de la théorie des gaz soient également vérifiées ». Cette idée d’une « identification » sera discutée plus tard.

La loi de la gravitation n’est pas déterminée d’une manière univoque : nous pouvons écrire aussi

en posant

constante universelle,

puisque la divergence de est identiquement nulle (no 76).

Dans le vide, c’est-à-dire aux points d’Univers où il n’y a pas de tenseur d’énergie, on obtient alors

d’où l’on déduit

C’est la loi (9-14) (Univers courbe) que nous adopterons bientôt (avec très petit). On voit que cette loi est encore compatible avec la loi de conservation de l’impulsion-énergie.

Dans tout ce qui précède, nous avons supposé l’absence de champ électromagnétique. Nous montrerons dans la suite que s’il y a un champ électromagnétique, un autre tenseur doit être ajouté au tenseur matériel.

En résumé, la loi de la gravitation et la loi de conservation de l’impulsion-énergie sont étroitement unies. La loi de conservation est imposée par la loi d’Einstein, d’autre part celle-ci peut être écrite intuitivement en partant de la loi de conservation.

Remarquons toutefois qu’on pourrait, a priori, égaler le tenseur d’énergie à tout autre tenseur d’Univers ayant une divergence nulle (no 76), par exemple avec les tenseurs mixtes conservatifs qui correspondent aux invariants On aurait d’autres lois de gravitation compatibles encore avec la conservation de l’impulsion-énergie. Mais les tenseurs en question contiennent les dérivées du quatrième ordre des la loi dans le vide serait un groupe d’équations différentielles du quatrième ordre, et une difficulté proviendrait des conditions aux limites indispensables pour déterminer la solution particulière convenant au champ d’une particule matérielle. La loi choisie (avec ou sans la constante ) est la plus simple qu’on puisse adopter, elle comporte le minimum d’arbitraire, et il se trouve que dans les limites de précision des observations, cette loi est expérimentalement vérifiée.

84. Les équations de l’hydrodynamique.

Revenons au tenseur impulsion-énergie, dont l’expression en coordonnées galiléennes est (45-14). Nous pouvons, dans l’aspect macroscopique, considérer comme très petit un fragment de matière dans lequel s’exercent des tensions internes, c’est-à-dire dans lequel diverses portions de matière ont des vitesses de grandeurs et d’orientations différentes. Pour tenir compte de ces tensions internes, nous pouvons décomposer le tenseur en deux parties, la première se rapportant au mouvement d’ensemble du fragment de matière, de vitesse la seconde relative aux mouvements internes par rapport au centre d’inertie. Les termes rectangles s’annulent puisque les vitesses internes sont relatives au centre d’inertie. est la quantité de mouvement parallèle à l’axe qui traverse, par unité de temps, l’unité de surface normale à cette somme est précisément la tension interne Ainsi, il faut ajouter au tenseur (45-14) un tenseur d’espace à neuf composantes (le tenseur de la théorie de l’élasticité), ayant pour éléments les tensions internes. Nous obtenons

(59-14)

En coordonnées galiléennes (ce qui suppose l’absence de champ de force), les quatre équations de conservation s’écrivent

Faisons d’abord nous obtenons l’équation de continuité bien connue

(60-14)

Prenant nous obtenons les trois autres équations ; faisons par exemple nous avons

ou, en tenant compte de l’équation précédente,

(61-14)

est l’accélération de la matière.

Nous trouvons donc les équations du mouvement d’un fluide, le champ de force étant nul. Les équations de l’hydrodynamique conservation formes dégénérées de

Quand il y a un champ de force, nous savons (Mécanique ordinaire) qu’on introduit les composantes de la force sur l’unité de volume les équations prennent la forme

(62-14)

Les coordonnées ne sont plus rigoureusement des coordonnées galiléennes car il n’y a plus de coordonnées galiléennes dans un champ de force, mais c’est un fait dont on ne tient pas compte dans la Mécanique classique.

85. Les forces.

Écrivons l’expression de la divergence de

La loi de conservation est

(63-14)

et dans le cas particulier où les coordonnées sont choisies de manière que

(64-14)

Sous cette forme, la loi de conservation constitue l’expression de la loi d’impulsion et d’énergie pour la matière : le second membre (qui disparaît quand les sont constants, c’est-à-dire quand le champ de force est nul) représente l’influence énergétique de la gravitation sur la matière, c’est-à-dire détermine l’impulsion et l’énergie communiquées à la matière par le champ de force (champ de gravitation permanent ou champ de gravitation géométrique).

Ces équations imposent quatre conditions (pour 1, 2, 3, 4) que le tenseur matériel doit satisfaire.

Ce sont les équations de l’hydrodynamique dans un champ de force et pour les milieux dépourvus de frottement.

En pratique, la vitesse de la matière est toujours très petite par rapport à la vitesse de la lumière, et nous pouvons faire une approximation. Nous pouvons prendre des coordonnées très peu différentes de coordonnées galiléennes, et admettre que le tenseur matériel se réduit à cette composante étant considérablement plus grande que les autres composantes de nous écrivons donc approximativement :

(65-14)

c’est l’approximation faite en Mécanique ordinaire.

Nous avons déjà appelé « composantes du champ » (no 78) les grandeurs représentées par les symboles de Christoffel. Comparant (65-14) aux équations habituelles de l’hydrodynamique dans un champ de force (62-14), nous voyons bien que ces symboles représentent des forces (divisées par )

Ces trois symboles (multipliés par ) sont les composantes de la force principale, la force d’inertie de la Mécanique, la seule qu’on envisage en Mécanique classique, qui produit sur la matière une action proportionnelle à la masse, c’est-à-dire proportionnelle à l’énergie ; la Mécanique newtonienne néglige les autres « forces » qui sont liées aux autres composantes du tenseur c’est-à-dire à la quantité de mouvement et aux tensions.

Les équations habituelles de l’hydrodynamique (dans un champ de force) ne constituent donc qu’une approximation, d’ailleurs excellente.

Écrivons maintenant la divergence de sous la forme (56-13), avec nous obtenons

(66-14) approximativement.

Nous voyons que

(67-14)

Si dérivent d’un potentiel (au sens de la Mécanique classique), la solution de (67-14) est

const.,

et si à l’infini, et ,

(68-14)

Nous avions déjà remarqué cette relation au no 60, dans la transformation de coordonnées relative à un système tournant (champ de force centrifuge). Il est à noter que si les forces sont les forces principales dans un champ de gravitation permanent et en coordonnées presque galiléennes, il peut en être autrement pour un champ de force purement géométrique dans un univers euclidien. Ainsi, dans un système de rotation (no 60), les sont nuls ; si est la vitesse angulaire, les forces sont déterminées par

(force de Coriolis),
(force centrifuge).

86. Les équations du mouvement du point matériel, en Mécanique classique, déduites, en première approximation, des équations de la géodésique[16].

Dans un Univers supposé euclidien, on peut choisir des coordonnées galiléennes de manière à avoir

(69-14) si

c’est la suppression totale du champ de force.

Dans la réalité, à distance finie de la matière, il y a toujours un champ de gravitation permanent, mais l’Univers est très peu déformé. Nous savons, de plus, qu’au champ de gravitation permanent peut se superposer un champ de gravitation « géométrique » qui n’est autre que la manifestation de l’état de mouvement du système de référence. Le champ de gravitation permanent disparaît à distance infinie de toute matière et le champ de gravitation géométrique est nul si l’on adopte un système de référence dans lequel les coordonnées deviennent galiléennes à l’infini.

Nous allons considérer le cas où les diffèrent très peu des valeurs galiléennes (69-14) ; nous négligerons les quantités de l’ordre du carré des différences ; nous supposerons que les tendent vers les valeurs galiléennes à mesure qu’on s’éloigne de toute matière, c’est-à-dire qu’on adopte un système de référence galiléen à l’infini.

Les vitesses de la matière étant toujours, dans la réalité, très petites par rapport à les composantes d’espace du quadrivecteur du mouvement sont toujours très petites par rapport à la composante de temps cette dernière peut être prise égale à 1, aux quantités du second ordre près.

Les forces sont très petites, ce sont des grandeurs du premier ordre au moins.

Soient alors les équations d’une géodésique (15-14)

Nous pouvons nous contenter de considérer les termes pour lesquels et nous pouvons remplacer par les par les valeurs galiléennes. Nous obtenons ainsi

.

Lorsque le champ de gravitation est quasi statique, c’est-à-dire lorsqu’on n’envisage que le cas où la matière, source du champ de gravitation, n’est animée (dans le système de référence employé) que d’une vitesse très petite par rapport à la vitesse de la lumière, on peut négliger les dérivées des par rapport à vis-à-vis des dérivées par rapport aux coordonnées d’espace, et l’on obtient simplement

(70-14) .

Ce sont bien les équations de la trajectoire du point libre en Mécanique classique, à condition d’identifier, à une constante près, avec le potentiel du champ de gravitation. On a donc, étant le potentiel, au sens de la Mécanique ordinaire,

+ const.

et, puisque à l’infini, et

(71-14)

Il est remarquable que la composante du tenseur fondamental donne à elle seule, en première approximation, le mouvement du point matériel.

87. La loi du mouvement du point matériel libre est contenue dans la loi de la gravitation.

La relation (71-14) qui vient d’être établie (en première approximation) est identique à celle que nous avons déduite (68-14) de la loi de conservation de l’impulsion-énergie, au même degré d’approximation.

Ce résultat nous laisse penser qu’il n’y a pas indépendance entre la loi de conservation et la loi suivant laquelle un point matériel libre a pour ligne d’Univers une géodésique.

Jetons un coup d’œil en arrière sur la suite des idées. Nous sommes partis de la loi galiléenne d’inertie : un point matériel libre dans un espace-temps euclidien, repéré dans un système galiléen, décrit une droite d’un mouvement uniforme ; sa ligne d’Univers est donc une géodésique de l’espace-temps. Cette propriété de longueur stationnaire, ne pouvant dépendre que de la structure de l’espace-temps, et étant nécessairement indépendante du système de coordonnées, nous avons cherché l’équation générale des géodésiques, c’est-à-dire des lignes d’Univers des mobiles libres dans l’espace-temps euclidien, en coordonnées arbitraires.

Le résultat établi pour un champ de gravitation « géométrique » dans un Univers euclidien a été étendu, par application du principe d’équivalence, à un champ de gravitation quelconque dans l’Univers réel.

Mais, jusqu’à présent, rien ne prouve que la loi de conservation impose au point matériel libre de suivre une géodésique d’Univers. Voici une démonstration (Jacques Rossignol). Pour simplifier les calculs, prenons les coordonnées telles que La loi de conservation est

avec

Portant ces expressions de et dans l’équation, et posant on obtient immédiatement (avec quelques changements d’indices muets)

ou

(a)

Multipliant par nous obtenons

c’est-à-dire

Les deux derniers termes du symbole se détruisent dans la sommation ; l’équation précédente s’écrit donc :

ou encore

(b)

Nous remarquons maintenant que

et, par conséquent,

ou

Les deux derniers termes de (b) se détruisent donc, et il reste

si l’on supprime la restriction cette équation se généralise par

Or, l’équation

n’est autre que l’expression de la conservation de la masse.

Tenant compte de l’équation (a) est bien l’équation générale des géodésiques. La restriction est levée, car le premier membre est un tenseur (voir no 78).

Eddington[17] donne la démonstration suivante, et établit en même temps que la masse au repos d’une particule est constante.

La loi de conservation peut s’écrire, en faisant passer en haut l’indice sous la forme ou, d’après (58-13),

Intégrons cette équation pour un quadrivolume très petit. On peut effectuer immédiatement une première intégration sur le premier membre, et l’on a

(72-14)

Supposons que dans le domaine d’intégration il n’y ait qu’une simple particule et que, par suite, le tenseur matériel soit nul en tout point sauf sur la ligne d’Univers de la particule.

On a

et, d’après (25-13),

étant l’élément de volume tridimensionnel pour l’observateur, au repos par rapport à la particule, qui mesurera l’élément de quadrivolume dans l’Univers tangent. Nous écrirons donc

étant la longueur de l’arc de ligne d’Univers continu à l’intérieur du domaine d’intégration et la masse au repos de la particule.

Donc, si le domaine d’intégration est très petit, nous pouvons remplacer le second membre de (72-14) par

(73-14)

Au premier membre, les intégrales triples étendues, à l’espace tridimensionnel qui limite le quadrivolume, s’annulent partout sauf aux deux points où la ligne d’Univers coupe cet espace tridimensionnel.

Pour simplifier, choisissons les coordonnées de manière qu’au voisinage de ces points d’intersection le quadrivolume soit limité par de sorte que la première des intégrales triples subsiste seule. Le premier membre de (72-14) devient l’expression

(74-14)

dont on doit prendre la différence des valeurs pour les deux valeurs limites.

Dans chaque élément d’intégration, nous pouvons remplacer

par ou

de sorte que (74) s’écrit simplement

le crochet indiquant qu’on doit prendre la différence des valeurs de cette quantité aux deux limites. On peut écrire encore

(75-14)

étant, comme dans l’expression (73-14), la longueur de l’arc de ligne d’Univers compris entre les deux limites.

L’équation (72) devient

(76-14)

formule qui donne le taux de variation de la quantité de mouvement et de l’énergie de la particule.

De cette équation on déduit :

Ajoutons membre à membre à cette équation la même équation obtenue en permutant et nous obtenons

ou

or, on a

d’où finalement

ce qui prouve :

1o Que la masse au repos d’une particule est constante ;

2o Que les équations du mouvement (76-14) sont bien les équations d’une géodésique.

Ainsi, nous obtenons ce résultat fondamental que la loi du mouvement est la conséquence de la conservation de l’impulsion-énergie. Elle est par suite contenue dans la loi de la gravitation puisque celle-ci englobe le principe de conservation.

88. Champ statique. Loi de Newton déduite,
en première approximation, de la loi d’Einstein.

Avec les mêmes approximations qu’au no 86, nous pouvons, dans l’expression du tenseur

négliger le produit des forces, c’est-à-dire supprimer le second et le quatrième terme. La loi d’Einstein s’écrit donc approximativement :

(77-14)

Développant le premier membre et remarquant que les ont des valeurs extrêmement voisines des valeurs galiléennes ce qui permet d’écrire pour 1, 2, 3 et nous obtenons :

(61-14)

Supposons un champ rigoureusement statique, c’est-à-dire tel que les dérivées des par rapport à soient nulles ; le premier membre devient, pour

c’est-à-dire

D’autre part, la matière étant au repos dans le système de référence (puisque le champ est supposé statique), si l’on néglige les forces internes, le tenseur se réduit à

De sorte que, pour l’équation (78-14) s’écrit

c’est-à-dire, d’après (71-14),

(79-14)

en posant

La formule (79) est la formule de Poisson ; c’est, comme on le sait, l’expression analytique de la loi de Newton : elle caractérise un champ de force proportionnel à la masse et en raison inverse du carré de la distance. On a, en effet, par intégration,

De plus, la constante d’Einstein se trouve maintenant déterminée en fonction de la constante connue de la gravitation newtonienne. Ce facteur de proportionnalité entre le tenseur et le tenseur d’Univers conservatif a pour valeur

(80-14) unité C. G. S.

On doit remarquer que, même dans un champ rigoureusement statique, la loi de Newton n’est qu’approchée car les équations (77) et (78) ne sont pas rigoureuses, mais elle est d’autant plus exacte que les diffèrent moins des valeurs galiléennes.

Nous voyons, par ce qui précède, qu’il y a identité entre la masse d’inertie et la masse gravitationnelle de la théorie de Newton, c’est-à-dire que la même qualité de la matière subit l’action d’un champ de force et est elle-même la source d’un champ de gravitation ; mais, pour des champs intenses, la terminologie newtonienne devient ambiguë, puisque la loi de Newton n’est pas rigoureuse.

89. Champ non statique. Propagation de la gravitation.

Les potentiels de gravitation sont des relations entre l’Univers et le système de coordonnées employé. Comme l’a fait remarquer Eddington, il ne saurait être question d’une condition générale de propagation, puisque le système de coordonnées est arbitraire ; toutefois, si les coordonnées sont convenablement choisies, l’influence gravifique apparaît comme se propageant avec la vitesse de la lumière[18]. Voici la démonstration d’Eddington.

On sait que, dans la théorie de l’élasticité, l’équation générale exprimant la propagation d’une petite perturbation, avec la vitesse est

est nul, sauf à la source de la perturbation.

Les sources de la gravitation se trouvent dans toutes les régions où il y a de la matière, et est nul partout, sauf dans ces régions ; il est donc logique de considérer comme l’analogue de Nous allons chercher si une perturbation gravifique peut être représentée par des quantités satisfaisant l’équation

(81-14)

dont le premier membre est la forme généralisée du dalembertien

sont des coordonnées galiléennes.

Posons donc a priori (81-14) ; nous aurons à chercher la signification des Nous prendrons un système de coordonnées tel que les diffèrent très peu des valeurs galiléennes, les écarts à ces valeurs étant considérés comme du premier ordre ; d’autre part, nous supposerons que les sont du premier ordre. Nous négligerons toutes les quantités du second ordre.

Multiplions (81-14) successivement par et nous obtenons (les dérivées des étant très petites du premier ordre),

et

en écrivant

et

Des équations précédentes, nous tirons au degré d’approximation indiqué

et

Si le système de coordonnées est tel que la solution, eu égard aux conditions aux limites, est

Ceci posé, considérons l’expression

(82-14)

qui, au degré d’approximation, se réduit à

d’après la condition qui précède, les deux premiers termes détruisent le dernier terme, et il ne subsiste que le terme

que nous avons posé égal à

D’autre part, les coordonnées étant très voisines de coordonnées galiléennes, se réduit à

comparant cette expression à (82-14) qui, dans un système de coordonnées tel que représente aussi il est clair que les quantités très petites peuvent être prises égales aux écarts des à partir des valeurs constantes galiléennes. Dans un tel système de coordonnées, ces écarts satisfont l’équation (81-14).

Il importe maintenant d’examiner la condition et de voir, d’abord, si cette condition est réalisable avec notre degré d’approximation, ensuite quelles sont les coordonnées employées et quelle est la signification physique du résultat.

Dans toute région vide, on a évidemment Quelles que soient les coordonnées, pourvu que celles-ci diffèrent très peu des coordonnées galiléennes, l’équation de propagation généralisée

est satisfaite au degré d’approximation admis.

Dans une région contenant de la matière, les équations de l’hydrodynamique qui expriment la conservation de l’impulsion-énergie de la matière seule ne seraient exactes qu’en l’absence de tout champ de force, mais nous savons par expérience qu’elles sont pratiquement valables si le champ de gravitation est très faible et avec les coordonnées quasi galiléennes habituellement employées en Mécanique. L’équation (81-14) est alors valable avec notre degré d’approximation.

Supposons un champ statique, c’est-à-dire dans lequel les dérivées sont nulles ; l’équation (81-14) se réduit, toujours au même degré d’approximation, à

ou

On a, de plus, pour la matière au repos, les autres composantes sont nulles ; on obtient par conséquent,

si

et

c’est une généralisation de l’équation de Poisson, la solution est

si

L’intervalle élémentaire s’écrit donc, dans le cas d’une particule unique de masse

(83-14)

à l’infini, il devient

ce qui montre que les coordonnées employées deviennent galiléennes à l’infini.

L’interprétation physique des résultats qui précédent est donc la suivante. Si l’observateur considère que l’Univers est quasi euclidien, c’est-à-dire euclidien mais légèrement déformé par le voisinage de matière ; s’il prend, comme dans la Mécanique céleste habituelle, des coordonnées qu’il considère comme galiléennes, c’est-à-dire des coordonnées aussi voisines que possibles des coordonnées galiléennes et devenant galiléennes à l’infini ; s’il considère enfin des petites variations du champ de gravitation, produites par de la matière animée, dans le système de référence, de vitesses petites par rapport à la vitesse de la lumière, les déformations du champ de gravitation dans le vide obéissent très approximativement à l’équation

qui peut s’écrire

Au même degré d’approximation que l’équation de Poisson, c’est-à-dire que la loi de Newton, et même avec une approximation un peu plus grande représentée, dans le cas d’un champ statique, par l’équation (83-14) résultant de la généralisation de l’équation de Poisson[19], les perturbations gravifiques apparaissent à l’observateur comme se propageant avec la vitesse de la lumière.

Pratiquement, si nous considérons une distribution arbitraire de matière se mouvant, avec une vitesse faible par rapport à la vitesse de la lumière (ce qui est toujours le cas), on peut écrire, en désignant par le potentiel au sens de la Mécanique ancienne,

cette équation a pour solution

Les effets de gravitation obéissent à la loi des potentiels retardés. est, à l’instant le potentiel en un point qui, à l’époque

était situé à la distance de l’élément matériel dont la densité était et dont le volume était .

Le temps dépend de l’élément de volume considéré. Le domaine d’intégration, c’est-à-dire le domaine dans lequel ne coïncide pas avec l’espace occupé à un instant déterminé par les corps sources du champ de gravitation.

Le fait que le potentiel de gravitation satisfait à l’équation des potentiels retardés explique, comme dans le cas des actions électriques, l’apparence des actions de gravitation centrales et instantanées.

90. Remarques sur la loi de la gravitation.

La loi de la gravitation dans le vide, constitue, comme nous l’avons déjà dit, une restriction considérable imposée aux géométries de l’Espace-Temps. Par contre, dans la matière, supposée continue, c’est-à-dire envisagée sous l’aspect macroscopique, tous les genres d’espace-temps deviennent théoriquement possibles : nous pouvons, en effet, nous donner arbitrairement les dix potentiels et déterminer par les dix équations

les conditions que doit remplir la matière pour produire ces potentiels. Il importe toutefois d’observer que c’est là seulement un résultat théorique, car on peut se trouver ainsi conduit à une distribution physiquement impossible (densité excessive ou, au contraire, densité négative).

Dans le vide, les équations se réduisent à six conditions, à cause des quatre identités (13-14) :

qui correspondent à la quadruple indétermination des coordonnées.

Quand il y a de la matière présente, ces quatre identités se transforment en quatre équations :

entre les grandeurs qui forment le tenseur impulsion-énergie de la matière.

Le degré d’indétermination des coordonnées, c’est-à-dire le nombre des dimensions de l’Univers, impose donc à la matière un nombre égal de conditions qui doivent être nécessairement remplies. Ces quatre conditions constituent la loi de conservation de l’impulsion et de l’énergie.

Nous avons montré (no 83) qu’en posant comme postulat la loi de conservation, il existe d’autres identifications théoriquement possibles du tenseur c’est-à-dire d’autres lois de gravitation, mais beaucoup plus compliquées que la loi adoptée ; cette dernière, en excellent accord avec l’expérience, paraît bien être la loi exacte à condition toutefois de remplacer le tenseur par le tenseur (courbure constante et différente de zéro dans le vide), comme nous le verrons plus loin.

À la question « la loi d’Einstein est-elle bien conforme aux lois de la Mécanique » ? il faut répondre : « C’est elle qui résume la dynamique tout entière ». La loi de la gravitation contient, sous sa forme la plus générale, la loi de conservation de l’impulsion, de l’énergie et de la masse ; elle contient la loi du mouvement du point matériel libre : c’est la loi de l’inertie, car gravitation et inertie ne sont qu’une seule et même chose ; elle contient enfin la dynamique du point matériel.

III. APPLICATIONS ET VÉRIFICATIONS DE LA LOI D’EINSTEIN.

91. Le champ de gravitation d’un centre matériel.

L’application la plus directe de la loi d’Einstein est l’expression de l’intervalle élémentaire dans l’Espace-Temps modifié par la présence d’un centre matériel[20].

Dans un Univers euclidien, c’est-à-dire en l’absence de tout champ de gravitation permanent, si l’on prend des coordonnées polaires

l’intervalle élémentaire est représenté par

(84-14)

S’il y a une particule matérielle à l’origine des coordonnées, un champ de gravitation règne autour de cette particule, l’Espace-Temps n’est plus euclidien et l’expression précédente de n’est plus exacte, mais nous pouvons tenter de mettre sous une forme analogue, qui se réduise à (84) à une distance infinie de la particule, puisqu’à l’infini le champ de gravitation doit disparaître.

Nous allons essayer une solution de la forme

(85-14)

sont quatre variables dont nous préciserons plus tard la signification ; sont des fonctions de et non de elles doivent s’annuler à l’infini ; nous allons voir si nous pouvons déterminer de manière que la loi d’Einstein soit satisfaite : si nous réussissons, nous aurons obtenu une solution du problème et c’est seulement alors que nous pourrons donner l’interprétation physique des coordonnées employées.

Nous n’écrivons pas de termes produits à cause de la symétrie du champ dans l’espace ; il n’y a pas non plus de termes en car suivant l’expression d’Eddington, il y a symétrie dans le temps de l’histoire passée et future de la particule[21].

Nous pouvons simplifier l’expression (85) en prenant une nouvelle coordonnée supprimant l’indice et choisissant une nouvelle fonction Nous allons donc essayer l’expression

(86-14)

Les potentiels de gravitation sont ainsi

(87-14)
lorsque

Le déterminant se réduit à sa diagonale principale

(88-14)

et l’on a

(89-14)

Les potentiels doivent satisfaire aux équations

(90-14)

Il faut calculer tous les symboles de Christoffel

(91-14)

mais, puisque les potentiels sont nuls sauf quand leurs deux indices sont égaux, la sommation par rapport à disparaît et l’on a

(92-14) (sans sommation).

Les cas possibles sont les suivants, désignant des indices différents :

(93-14)

Nous obtenons ainsi, en désignant par et les dérivées par rapport à des exposants et [équations (86) et (87)],

(94-14)

Les 31 autres symboles sont nuls. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que


............

Nous allons maintenant développer les équations qui expriment la loi de gravitation. Ces équations se réduisent ici à quatre :

les autres étant identiquement nuls :

En substituant la valeur de (88) et les valeurs (94) des symboles puis réduisant, nous obtenons

(95-14)

De la première et de la dernière équation résulte et comme et doivent tendre vers zéro quand croît indéfiniment (conditions aux limites)

La seconde et la troisième équation sont identiques et en vertu de l’équation elles donnent

Pour intégrer cette équation posons nous avons

d’où

(96-14)

étant la constante d’intégration. Cette constante est arbitraire dans le calcul, mais physiquement, pour une particule donnée, elle est évidemment déterminée et elle caractérise la particule au point de vue gravifique, puisque la particule produit un champ déterminé. Nous pouvons poser

d’où

(97-14)

étant la constante de la gravitation newtonienne ; est une nouvelle constante que nous identifierons plus loin avec la masse de la particule.

Remplaçons dans (86-14) et par nous obtenons l’expression définitive de

(98-14)

dont nous avions obtenu une expression approchée (83-14) au no 89.

Cherchons maintenant la signification des coordonnées

1o Le temps. — En un point fixe par rapport au centre matériel l’intervalle du temps mesuré entre deux événements infiniment rapprochés est

(99-14)

Comme lorsque est infini, on voit que la coordonnée est le temps à une distance infinie de la particule dans le système de référence lié à cette particule.

2o L’espace. — Dans l’expression de le terme d’espace, représentant le carré de la distance de deux points infiniment voisins, est

(100-14)

Dans les champs les plus intenses que nous connaissons, reste toujours extrêmement voisin de de sorte que l’espace est très peu différent d’un espace euclidien. Supposons d’abord que nous portions transversalement une règle extrêmement courte nous aurons

l’expression de est la même que celle d’un arc de sphère en géométrie euclidienne, étant le rayon vecteur, l’angle du rayon vecteur avec un axe fixe et l’angle azimuthal.

Supposons maintenant que la règle très courte soit portée radialement de manière que, partant d’un point éloigné de la particule, on s’en rapproche peu à peu. Nous avons

et par suite diminuent à mesure qu’on s’approche de la particule, et tend vers une valeur limite que nous obtenons en faisant d’où C’est là d’ailleurs un cas purement théorique qui ne se présente que parce que nous avons supposé un point matériel sans dimensions, c’est-à-dire une concentration infinie de matière ; la valeur de est excessivement petite et ne correspond à aucune réalité ; la matière occupe toujours un volume trop grand pour qu’on puisse atteindre cette limite, qui, par conséquent, n’a pas de signification physique.

On voit que les longueurs mesurées transversalement (une circonférence, par exemple, ayant pour centre la particule) sont les mêmes que si l’espace était euclidien, mais qu’il en est autrement pour les longueurs mesurées radialement (le diamètre de la circonférence), les mesures étant faites dans les deux cas avec la même règle. Il résulte de là que le rapport de la circonférence au diamètre est légèrement inférieur à mais l’écart est faible : si une masse de 1 tonne était à l’intérieur d’un cercle de 5m de rayon, c’est seulement la 24e décimale qui serait changée (Eddington).

On pourrait exprimer l’élément de lignes avec d’autres coordonnées, mais celles que nous avons utilisées, d’après Schwarzschild, sont celles qui se rapprochent le plus de coordonnées polaires euclidiennes. Pratiquement, et sont la « distance » et « le temps ».

La quantité nous l’avons dit, est extrêmement peu différente de l’unité, et c’est pourtant ce faible écart qui détermine tous les phénomènes de gravitation. intervient dans deux termes, le terme en et le terme en il est évident que pour la mesure d’un intervalle d’Univers c’est surtout par le terme en que l’influence de se manifeste, puisque ce terme contient le facteur

La loi de Newton. Si nous appliquons la formule (68-14) nous retrouvons la loi de Newton, car nous obtenons l’expression

(101-14)

caractéristique d’un champ newtonien. En première approximation, dans un champ statique et pour les mobiles animés d’une faible vitesse dans le champ de la particule, tout se passe comme si la particule produisait une « force attractive » en raison inverse du carré de la distance et proportionnelle à la constante qui la caractérise ; on voit que cette constante d’intégration s’identifie avec la masse gravifique de la théorie de Newton, que nous avons elle-même identifiée avec la masse d’inertie (no 88).

92. Le mouvement d’un point matériel
dans le champ de gravitation produit par un centre.

Un point matériel libre suit une géodésique, dont les équations sont (no 78)

Dans le cas du champ de gravitation d’un centre, il est facile d’écrire ces équations : les valeurs des symboles de Christoffel ont été calculées précédemment (94-14). Faisons d’abord nous obtenons :

(102-14)

Nous pouvons choisir les coordonnées de manière que la vitesse initiale du mobile soit dans le plan comme nous avons initialement et il en résulte que la trajectoire reste dans un plan.

Pour étant égal à nous avons les équations

(103-14)
(104-14)
(105-14)

L’intégration des deux dernières équations donne

(106-14)
(107-14)

et étant deux constantes d’intégration.

Au lieu de chercher à intégrer (103), il est plus simple de déduire de l’expression (98-14) de en y faisant l’équation suivante

(108-14)

qui joue le rôle d’une intégrale d’énergie.

Des trois équations précédentes (106, 107, 108) nous déduisons, par élimination de

et par substitution de la valeur de

(109-14)

On sait, d’autre part, que les équations du mouvement elliptique résultant de la loi newtonienne sont les suivantes :

(110-14)

étant le demi grand axe de l’orbite.

Comparons ces équations newtoniennes à celles qu’on déduit de la théorie d’Einstein : la première des équations (109) contient un terme supplémentaire que ne prévoyait pas l’ancienne théorie. Dans (109), étant le temps propre du mobile, très peu différent de peut être confondu pratiquement avec la distance, au sens euclidien ; donc, à part le terme supplémentaire, on peut identifier les équations (109) et (110) en posant et l’on voit encore de cette manière que la quantité qui avait été introduite comme constante d’intégration est la masse de la particule attirante.

À grande distance du centre, le terme supplémentaire est négligeable et l’on retrouve le mouvement prévu dans la théorie de Newton.

93. Première vérification de la loi d’Einstein.
Le déplacement du périhélie de la planète Mercure.

Les calculs qui précèdent s’appliquent au mouvement des planètes ou de leurs satellites[22].

Des équations (109-14) on déduit immédiatement

ou, en posant ,

par dérivation, il vient

(111-14)

Pour intégrer cette équation, nous allons procéder par approximations successives.

Le second terme du deuxième membre est très petit par rapport au premier terme ; leur rapport est

[d’après (109-14)],

c’est trois fois le carré du rapport de la vitesse transversale de la planète à la vitesse de la lumière. Dans le système solaire est de l’ordre de nous pouvons donc d’abord négliger le terme en dans (111) et nous obtenons l’ancienne solution de la mécanique céleste newtonienne

(112-14)

étant l’excentricité de l’orbite, et la longitude du périhélie.

Une seconde approximation s’obtient en substituant la valeur (112) de dans le terme de (111), de sorte que cette équation (111) devient

(113-14)

Parmi les termes additionnels ainsi obtenus, le seul qui donne un effet appréciable est le terme en parce qu’il constitue une solution de l’équation sans second membre (effet de résonance). On sait qu’une intégrale particulière de l’équation

est

il en résulte pour un terme

qui vient s’ajouter au terme (112), de sorte que, finalement, on obtient une seconde approximation

en posant et négligeant

La planète décrit une courbe non fermée, mais voisine d’une ellipse dont le périhélie avance proportionnellement à c’est-à-dire tourne pendant une période d’une fraction de tour

(114-14)

se calcule aisément d’après (109) en remplaçant par sa valeur négligeant le terme en et remarquant que lorsque le rayon vecteur coïncide avec le grand axe on a On trouve

remplaçant dans (114), la rotation du périhélie, exprimée en fraction de tour par période, est

(115-14)

Le périhélie des planètes doit donc, du fait de l’écart à la loi de Newton, posséder un lent mouvement de rotation. Le calcul numérique, par application de la formule qui vient d’être établie, montre que pour les planètes autres que Mercure, l’écart entre les prévisions conformes à la loi de Newton et celles qui résultent de la loi d’Einstein, est de l’ordre des erreurs d’observation.

Par contre, pour Mercure, en donnant aux constantes les valeurs connues

( masse du Soleil),

et prenant 88 jours pour la durée de révolution, on obtient d’après la formule une rotation de 42,9″ par siècle.

Depuis que Leverrier a établi la théorie de Mercure, en tenant compte des perturbations dues aux autres planètes, à Vénus en particulier, le désaccord entre les prévisions de la mécanique newtonienne et les observations est, aux erreurs d’observation près, précisément 43″ par siècle. On n’avait pas réussi à expliquer cet écart.

La nouvelle mécanique céleste fondée sur l’emploi de la loi d’Einstein et sur la loi d’inertie se développe actuellement, en particulier en ce qui concerne la théorie de la Lune.

94. Seconde vérification de la loi d’Einstein.
La déviation des rayons lumineux.

La ligne d’Univers d’un rayon lumineux est une géodésique de longueur nulle. Faisant dans l’équation (98-14) nous obtenons pour le mouvement dans le plan

(116-14)

1o Propagation radiale. — On a , donc

La vitesse, dans le système de coordonnées choisi, diminue à mesure que l’onde se rapproche du centre qui produit le champ de gravitation : il y a en réalité répulsion de la lumière par ce centre : il est donc, au fond, inexact de qualifier le centre matériel de « masse attirante ». La matière est un centre de déformation de l’Espace-Temps et l’effet produit sur un mobile nous apparaît, selon la grandeur et l’orientation de la vitesse, soit sous l’aspect d’une attraction, soit sous l’aspect d’une répulsion.

2o Propagation transversale. — On a

La vitesse de la lumière n’est donc pas la même que dans le cas d’une propagation radiale.

Il est essentiel de remarquer que ces vitesses radiale et transversale sont définies à l’aide des coordonnées que nous avons choisies. Il n’en reste pas moins vrai que, localement, un observateur en chute libre placé en un point quelconque du champ de gravitation, faisant avec des règles et des horloges la mesure de la vitesse de la lumière dans son voisinage immédiat, confondrait l’Univers réel avec l’Univers euclidien tangent et trouverait toujours dans toutes les directions une vitesse égale à la constante universelle Les résultats qui précèdent sont valables seulement pour celui qui observe l’ensemble du champ de gravitation en utilisant les coordonnées que nous avons employées et en mesurant les vitesses à l’aide de ces coordonnées. Si le centre matériel est le Soleil, ces coordonnées, qui deviennent à distance infinie des coordonnées polaires euclidiennes, seront celles qu’utilisera un observateur terrestre prenant le Soleil comme corps de référence (nos formules s’appliquent dans un champ statique et l’origine des coordonnées est le centre matériel), puisque cet observateur est dans une région où le champ de gravitation est faible comparativement au champ dans le voisinage du Soleil, et où l’Univers diffère excessivement peu d’un Espace-Temps euclidien.

La déviation d’un rayon lumineux dans le champ de gravitation se conçoit aisément. Soit un rayon passant dans le voisinage du Soleil, et considérons le front de l’onde : les parties les plus rapprochées du Soleil se propageant moins vite que les parties plus éloignées, le front d’onde pivote, et la direction de propagation est déviée. Eddington a comparé ce phénomène au pivotement du front des vagues de la mer, lorsque celles-ci arrivent obliquement sur le rivage et que les parties les plus voisines de la rive sont ralenties.

Avant d’aborder la théorie, considérons de nouveau l’expression de (98-14). L’effet de gravitation sur un mobile est déterminé par deux termes, celui en et celui en C’est ce dernier terme qui détermine la gravitation newtonienne (note du no 89), et comme nous l’avons déjà fait remarquer, pour une masse matérielle toujours animée d’une faible vitesse, c’est presque uniquement l’effet de ce terme qui se manifeste, parce que est très grand vis-à-vis de en d’autres termes, le caractère non euclidien de l’espace considéré indépendamment du temps (100-14) n’a que peu d’influence[23]. Mais, pour la lumière, les deux termes ont même importance et nous devons nous attendre à un résultat très différent de celui qu’on obtiendrait en calculant le poids de la lumière d’après la loi de Newton. Nous allons effectivement trouver une déviation double de celle que donnerait la loi newtonienne.

Soit la vitesse de la lumière dans une direction faisant un angle avec le rayon vecteur ; d’après (116-14) on a

(117-14)

Pour ne pas avoir une vitesse variable avec la direction, changeons de coordonnée en posant

(118-14)

ce qui revient, dans le cas du Soleil, à diminuer les distances de la quantité insignifiante Nous obtenons, en négligeant le carré de

sensiblement

L’équation (116-14) peut alors s’écrire

et la vitesse, avec ces coordonnées est la même dans toutes les directions

(119-14)

Mais cette vitesse dépend de la distance Le trajet du rayon lumineux est déterminé par la condition de temps minimum (condition de Fermat) : tout se passe comme si l’espace était euclidien et rempli d’une matière ayant un indice de réfraction

(120-14)

La trajectoire du rayon lumineux, dans un milieu réparti en couches concentriques, satisfait à la condition

(121-14) const.,

étant la distance du centre à la tangente.

D’autre part, d’après (120-14), nous avons approximativement

(122-14)

(121) et (122) sont l’intégrale des aires et l’intégrale de l’énergie dans le mouvement, suivant la loi de Newton, d’une particule de vitesse attirée par une masse

L’orbite est une hyperbole dont le demi-axe est

(123-14)

cette hyperbole est la trajectoire de la lumière.

Si la distance du sommet au foyer est nous avons

et par suite, en tenant compte de (123-14),

ou sensiblement

L’angle très petit des asymptotes est

ou ou

Pour un rayon venant de très loin et parvenu à grande distance du centre après être passé à la distance minimum de ce centre, la déviation totale est donnée précisément par l’angle des asymptotes, elle est égale à

(124-14)

Cette déviation est double de celle qu’on calculerait par la loi de Newton pour une particule de vitesse initiale attirée par la masse

Pour un rayon passant tangentiellement au bord du Soleil, on a

1km,47,
rayon du Soleil 697 000 kilomètres ;

par suite

1″,74.

La déviation de la lumière constitue l’experimentum crucis permettant de décider entre la loi d’Einstein et celle de Newton. Si une étoile, vue près des bords du Soleil, est déviée vers l’extérieur du Soleil, de 1″,74 à partir de sa position normale sur la sphère céleste, la théorie de Newton doit certainement être abandonnée, et le résultat est favorable à la théorie d’Einstein.

Les astronomes de Greenwich et d’Oxford ont vérifié l’exactitude du résultat d’Einstein, en profitant de l’éclipse totale de Soleil du 19 mai 1919.

La zone de totalité traversait l’Atlantique au voisinage de l’équateur, commençant au Brésil et finissant en Afrique. Les conditions étaient favorables, plusieurs étoiles brillantes devant être vues au voisinage du disque solaire pendant l’éclipse.

Une première expédition (Crommelin et Davidson) se rendit à Sobral, au Brésil, et prit une dizaine de photographies pendant les 5 minutes que dura la totalité de l’éclipse. Deux mois après, la même région du ciel fut visible la nuit et fut photographiée avec les mêmes appareils pour permettre la comparaison. Le déplacement moyen fut ramené au bord du Soleil [déplacement proportionnel à d’après la formule (124-14) et trouvé égal à 1″,98].

L’autre expédition (Eddington et Cottingham), installée dans l’île du Prince (golfe de Guinée) a trouvé une moyenne de 1″,60.

La moyenne des deux résultats 1″,79 concorde remarquablement avec la valeur prévue par la loi d’Einstein. L’accord existe, non seulement en moyenne, mais dans les déplacements individuels des diverses étoiles : ces déplacements varient bien en raison inverse de la distance au centre du Soleil.

La déviation observée ne peut d’ailleurs pas être attribuée à une atmosphère ou à de la matière cosmique entourant le Soleil et s’étendant jusqu’aux distances pour lesquelles les mesures ont été faites. Le calcul indique, en effet, que le pouvoir absorbant et la densité d’une telle atmosphère seraient assez grands pour affaiblir notablement, par absorption et par diffusion de la lumière, l’éclat Fig. 17.
des étoiles ; d’autre part des comètes ont été suivies dans ces régions et n’ont manifesté aucun ralentissement.

La figure ci-dessus fait comprendre que la déviation d’un rayon lumineux ne peut être appréciable que si la lumière vient d’une source extrêmement éloignée de l’astre qui produit le champ de gravitation. Si la source était en elle serait vue dans une direction pratiquement confondue avec sa direction réelle ; tel serait le cas pour une étoile double

95. Un champ de gravitation ralentit le cours du temps.

Soient deux événements infiniment voisins se produisant au même point du champ de gravitation d’un centre matériel, c’est-à-dire tels que La formule (98) se réduit à

Nous avons vu (no 91) que est le « temps » à une distance très grande (théoriquement infinie) du centre gravifique ; est donc l’intervalle de temps mesuré, entre les deux événements considérés, par un observateur lié au centre matériel, mais situé très loin de ce centre, pratiquement en dehors du champ de gravitation.

Mais d’autre part l’intervalle de temps propre entre ces deux événements, c’est-à-dire l’intervalle qui serait mesuré par une horloge placée au point du champ où ils se sont produits tous deux est

est plus petit que

Soient alors deux horloges identiques et placées à côté l’une de l’autre, en un point très éloigné du centre matériel, et marquant la même heure. Elles mesurent toutes deux le temps Transportons l’horloge en un point où le champ est plus intense, à la distance du centre ; cette horloge va mesurer le temps plus court que elle va donc marcher plus lentement, et si on la ramène près de l’horloge on devra constater qu’elle a pris du retard sur cette dernière.

96. Troisième vérification de la loi d’Einstein.
Le déplacement des raies du spectre solaire.

Le ralentissement du temps par l’effet de la gravitation est susceptible d’une vérification expérimentale si l’on admet, ce qui paraît bien probable, que l’intervalle de ligne d’Univers d’une source lumineuse, entre deux phases égales de l’émission, peut être considéré comme invariable[24] ; en d’autres termes qu’une source lumineuse est une horloge naturelle donnant une mesure invariante de l’intervalle

Si cette hypothèse est exacte, une source lumineuse sur le Soleil permet la comparaison du temps solaire et du temps terrestre.

Soit l’intervalle, indépendant du champ de gravitation, entre deux phases égales de l’émission. Si la source est sur le Soleil, l’observateur terrestre qu’on peut considérer comme étant dans un champ de gravitation négligeable, mesure entre deux émissions consécutives un temps

étant le rayon du Soleil.

Pour l’observateur terrestre, la période de la source solaire est alors que la période propre qu’il mesure en observant la même source sur la Terre est étant plus grand que les raies du spectre solaire doivent nous paraître légèrement déplacées vers le rouge.

La confirmation expérimentale a été donnée par A. Pérot[25]. La vérification était difficile, car les raies spectrales sont modifiées par la pression et par l’effet Doppler dû, non seulement au mouvement relatif de la Terre et du Soleil (dont on tient compte aisément), mais au mouvement des vapeurs dans l’atmosphère solaire.

Par une méthode interférentielle (étalons de Pérot et Fabry), A. Pérot a d’abord étudié, au laboratoire, l’influence de la pression sur des raies (têtes de bandes du cyanogène) jusqu’alors considérées comme insensibles à la pression. Il a reconnu que ces raies ont une longueur d’onde légèrement plus grande lorsque la source est dans le vide. L’observation de la raie (tête de bande) 4 197 angströms du cyanogène a été faite, par la même méthode interférentielle, dans le spectre d’absorption de l’atmosphère solaire ; la région absorbante est, d’après ce qu’on sait actuellement de la constitution du Soleil, dans les régions hautes de cette atmosphère, régions où la pression est faible. La longueur d’onde solaire a été comparée à la longueur d’onde terrestre à basse pression. Après correction de l’effet du mouvement relatif de la Terre, la longueur d’onde solaire est plus grande que la longueur d’onde terrestre ; leur différence est 0,009 unité angström. En faisant la correction du mouvement de chute des centres absorbants, on obtient 0,007.

Le nombre d’Einstein est compris entre le nombre brut et le nombre corrigé.

Dans un travail plus récent, Pérot a comparé la longueur d’onde de la raie b1, du magnésium dans l’atmosphère solaire à la longueur d’onde de cette même raie au laboratoire. La raie b1 et la raie b2 ne subissant pas la même variation de longueur d’onde sous l’influence de la pression, le rapport de leurs longueurs d’onde permet de mesurer la pression : les mesures ont prouvé que sur le Soleil, dans la couche d’absorption des raies b1, la pression est pratiquement nulle. On peut donc comparer la longueur d’onde de b1 solaire à la longueur d’onde de b1 terrestre à très basse pression ; la différence obtenue après correction de l’effet Doppler est, dans les limites d’approximation des mesures, celle qui résulte de la formule d’Einstein.

Enfin Buisson et Fabry, qui ont mesuré les longueurs d’onde de nombreuses raies du fer, ont obtenu les résultats suivants :

Pour 22 raies entre 4 000 et 4 500 angströms, le déplacement moyen des raies solaires par rapport aux positions des raies de l’arc au fer dans le vide, est 0,0076 ; la théorie prévoit 0,0089.

Pour 10 raies entre 5 100 et 5 500 angströms, le déplacement observé est 0,0127 ; le chiffre théorique est 0,0111.

La concordance est parfaite, les différences entre les déplacements mesurés et les déplacements calculés étant du même ordre de grandeur que l’incertitude des mesures. Les écarts observés s’interprètent donc entièrement en admettant :

1o Que la pression dans la couche renversante est faible et par suite que l’effet de pression est négligeable, ainsi qu’il résulte des observations de Pérot pour les raies du magnésium ;

2o Que l’effet Einstein est la seule cause des écarts observés, après avoir, bien entendu, tenu compte de l’effet Doppler.

La loi de la gravitation a donc reçu de remarquables confirmations dans deux domaines différents : mouvement d’un mobile (astre ou onde lumineuse) ; influence d’un champ de gravitation sur le cours du temps.

97. Retour sur l’expérience de Sagnac.

Pour répondre à une Note[26] quelque peu empreinte de scepticisme, P. Langevin[27] a récemment établi que la théorie de la relativité généralisée fournit l’interprétation la plus simple de l’expérience de Sagnac (no 32).

Reprenons l’expression de établie au no 60 et négligeons le terme du second ordre en ( vitesse de rotation ; distance d’un point du disque au centre), c’est-à-dire négligeons le terme du second ordre en étant la vitesse linéaire du point du disque,

Pour un rayon lumineux, nous avons

Au premier ordre, peuvent être considérées comme les coordonnées d’espace pour un observateur lié à la plate-forme tournante ; est le double de la surface du triangle ayant pour sommet l’origine des coordonnées et pour base la projection sur le plan des de l’élément du rayon de lumière vu par les observateurs liés à la plate-forme ; est le temps mesuré par un observateur du système galiléen dans lequel le disque est en rotation.

Au degré d’approximation admis, l’équation précédente s’écrit

Intégrant le long d’un contour fermé, nous obtenons

est l’aire du contour projeté sur un plan normal à l’axe de rotation. Pour le rayon qui suit le même contour en sens inverse, l’aire est de signe contraire et nous obtenons

D’où la différence

(vitesse de rotation ),

ce qui est précisément le résultat de Sagnac.

L’expérience de Sagnac mesure l’influence sur la propagation de la lumière des potentiels et qui seuls sont modifiés au premier ordre par la rotation. Langevin fait remarquer que les effets de la force centrifuge composée sont déterminés par les mêmes potentiels et sont du premier ordre, alors que les effets de force centrifuge statique, correspondant à sont du second ordre.

L’expérience de Sagnac, du premier ordre, expliquée qualitativement et quantitativement dans toutes les théories, ne témoigne d’ailleurs ni pour ni contre aucune d’entre elles.

Séparateur

  1. Ceci résulte du fait que est symétrique gauche en et ainsi qu’en et
  2. Nous verrons plus tard que, de même que la non-intégrabilité de la direction caractérise le champ de gravitation, la non-intégrabilité de la longueur (généralisée) doit caractériser un champ d’une autre nature qui jouit précisément des propriétés du champ électromagnétique.
  3. Il est clair que le champ produit par un centre matériel, par exemple, ne peut pas être annulé dans son ensemble, c’est-à-dire qu’on ne peut pas, par un choix convenable du système de coordonnées, rendre les constants en tout point.
  4. Voir Von Laue. Die Relativitätstheorie, II Band 5, p. 100.
  5. Eddington, Espace, Temps et Gravitation, partie théorique, no 38.
  6. Le système de coordonnées ainsi caractérisé est un système géodésique ; c’est l’analogue exact du système de coordonnées rectilignes dans un Univers euclidien.
  7. Espace, Temps et Gravitation, partie théorique, no 45.
  8. Pour l’application de ce principe, il importe de remarquer qu’il peut se présenter des cas où des lois, établies dans l’Univers euclidien, paraissent ne pas contenir de dérivées secondes parce que celles-ci ont disparu dans l’Univers euclidien et, pour le système de coordonnées employé ; il serait nécessaire, dans ce cas, de rétablir la forme tensorielle dans les équations générales.
  9. Voir Einstein, Ann. d. Physik, t. 49, 1916, § 9, 10, 11, et Eddington, Espace, Temps et Gravitation, partie théorique, nos 20 et 21.

    Si l’on établit directement, par le calcul des variations, les équations d’une géodésique, on peut en déduire l’expression de la dérivée covariante d’un vecteur. Ici nous suivons la marche inverse.

  10. On peut, par des calculs un peu plus longs (voir Eddington, Espace, Temps, Gravitation, partie théorique, no 44), mettre sous la forme des équations de Lagrange en conservant des coordonnées complètement arbitraires c’est-à-dire sans imposer la restriction

    Il faut dans l’équation (26-14) remplacer par

    et remplacer aussi par ainsi que par

    on a alors

  11. Ce résultat relatif à envisagé seul est purement théorique, car, dans un champ de gravitation permanent, il y a nécessairement de la matière quelque part et les équations ne sont pas valables aux points où il y a de la matière. Nous verrons plus loin que la loi réelle de conservation (avec ) est étant le tenseur impulsion-énergie de la matière.
  12. Nous emploierons la notation pour distinguer les coordonnées rigoureusement galiléennes (qu’on ne peut employer que dans un champ de force rigoureusement nul) non seulement de coordonnées quelconques, mais aussi des coordonnées à peu près galiléennes employées en Mécanique quand il règne un champ de force.
  13. Soit, en effet, le volume élémentaire de la portion de matière, mesuré dans le système de cette portion de matière, on a

    or

    (contraction du volume)

    et

    (accroissement de masse).

    Donc

  14. L’expression de est

    avec

    (voir note du no 79).
  15. Die Grundlage der allgemeinen Relativitätstheorie (Ann. d. Physik, t. XLIX, 1916).
  16. A. Einstein, Ann. d. Physik, t. XLVI, 1916.
  17. Espace, Temps, Gravitation, partie théorique, no 41.
  18. Einstein, Sitzungsber. d. Preusz. Akad. d. Wissensch., 1916, p. 688 ; 1918, p. 151. — Hilbert, Nachr. d. Gesellsch. d. Wissensch. zu Göttingen, 1917. — De Sitter, Monthly Notices, décembre 1916, p. 159. — Eddington, Report on the relativity theory of gravitation, 1920, p. 67. Espace, Temps, Gravitation, partie théorique, p. 102.
  19. Avec l’approximation de la loi de Newton, il ne subsiste que de sorte que l’intervalle élémentaire s’écrit

    l’espace envisagé seul () est considéré comme euclidien.

    Nous établirons, au Chapitre suivant, que l’expression exacte de dans le champ d’une particule, est, en coordonnées polaires,

    remplaçant, dans les trois premiers termes, par et négligeant nous obtenons

    ce qui est précisément l’expression approchée (83-14).

  20. Einstein, Sitzungsber. d. Preusz. Akad. d. Wissensch., t. XLVII, 1915, p. 831. Schwarzschild, Ibid., t. VII, 1916, p. 189. Eddington, Espace, Temps, Gravitation, partie théorique, no 29. L’exposé qui suit est celui d’Eddington.
  21. Ces conditions sont imposées si l’on veut conserver les notions d’« espace » et de « temps ». L’objection faite par M. Painlevé (C. R. de l’Ac. des Sc., 24 oct. 1921) entre les conclusions physiques déduites de la formule de Schwarzschild, que nous allons établir, n’est pas justifiée. M. Painlevé a employé d’autres coordonnées et a, naturellement, trouvé une autre expression exacte de Mais si le mathématicien considère, à son point de vue, tous les systèmes de coordonnées comme également bons, il n’en est pas de même pour le physicien qui a besoin d’interpréter les résultats, et qui doit pour cela introduire les grandeurs mesurables avec ses instruments : le choix des coordonnées est alors nécessairement assujetti à certaines conditions. La formule de M. Painlevé ne peut pas être interprétée physiquement, parce qu’elle contient un terme en incompatible avec la symétrie dans le « temps ». Ce point paraît avoir échappé à l’auteur.

    La réponse à ces objections est implicitement contenue dans l’Ouvrage de Laue (Das Relativitätsprinzip, B. II) et dans un Mémoire de Mie (Ann. der Physik, 1921)

  22. Beaucoup d’auteurs simplifient les formules en prenant pour unités naturelles la vitesse de la lumière et la constante de la gravitation newtonienne Nous avons préféré conserver l’homogénéité habituelle des formules.
  23. Il produit cependant les 2/3 du déplacement du périhélie de Mercure. Si l’on supprimait le coefficient de ce qui reviendrait à adopter l’ancienne théorie en tenant compte toutefois de l’accroissement de la masse avec la vitesse, on ne trouverait que le tiers du déplacement du périhélie.
  24. Ceci ne doit cependant pas être rigoureux. D’après la théorie de Weyl (Chap. XVII), les dimensions d’un atome dépendent des champs électromagnétiques que cet atome a antérieurement subis ; il se peut donc qu’un atome de matière solaire et l’atome du même corps pris sur la Terre, amenés à côté l’un de l’autre, ne soient pas rigoureusement identiques ; mais l’écart doit être beaucoup trop faible pour qu’il y ait lieu de l’envisager.
  25. Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 26 avril, 26 juillet 1920, 7 mars 1921.
  26. E. Picard, Comptes rendus Acad. Sc., 24 octobre 1921.
  27. P. Langevin, Ibid., 7 novembre 1921.