Le Premier et le Dernier Âge


LE PREMIER ET LE DERNIER ÂGE


Air de la ronde du Camp de Grandpré.


Si notre premier père
Coula des jours heureux,
C’est que sur cette terre
Il sut borner ses vœux.
Or, la seule manière
De jouir ici-bas,
C’est de ne jamais faire (bis)
Ce qu’Adam ne fit pas (bis).

Soumis à l’étiquette,
Nous voyons chaque jour
L’homme armé d’une brette
Aux grands faire sa cour,

Ces visites d’usage
Ne donnent qu’embarras…
Plus libre et bien plus sage,
Adam n’en faisait pas.

Dans l’ennui qui l’accable,
Le riche tour à tour
Réunit à sa table
Vingt convives par jour ;
Et souvent sa ruine
Suit de près ces repas,
Modeste en sa cuisine,
Adam n’invitait pas.

D’une plainte importune
Fatiguant le destin,
Pour fixer la fortune
Et tripler son butin,
L’extravagant expose
Tout son bien sur un as…
Content de peu de chose,
Adam ne jouait pas.

Esclave de nos modes,
L’homme porte toujours
Des habits incommodes,
Ou des souliers trop courts.
Son pantalon le gêne,
Il ne peut faire un pas…
Exempt de cette peine.
Adam n’en portait pas.

En se réveillant, l’homme
Ne serait pas content,

S’il ne savait pas comme
Le Grand-Turc est portant…
Des journaux, à la ronde,
Il parcourt le fatras :
Se mêlant peu du monde,
Adam n’en lisait pas.

L’homme, qui toujours n’aime
Que ce qui vient de loin,
Dans sa manie extrême
Éprouve le besoin,
Le désir invincible
Des cafés, des tabacs…
Et si j’en crois la Bible,
Adam n’en prenait pas.

L’homme, à sa renommée
Immolant son repos,
Pour un peu de fumée
Se consume en travaux ;
L’Institut qu’il assiège,
Déjà lui tend les bras…
Dormant fort bien sans siége,
Adam n’en était pas.

Mais j’entends la cabale
Me dire avec raison :
« Au rocher de Cancale
Tu fis mainte chanson ;
Il est temps de te taire…
Car, mon cher tu sauras
Qu’Adam ne chantait guère,
Qu’Adam ne rimait pas. »