L’Original sans copie


L’ORIGINAL SANS COPIE



Feu, feu
Monsieur Mathieu
Était un singulier homme ;
Feu, feu
Monsieur Mathieu

Était comme
On en voit peu.

Quoique maître d’un grand bien,
Et de famille fort bonne
Il faisait souvent l’aumône,
Et ne devait jamais rien.
Feu, feu, etc.

D’un habit de camelot
Il avait pris la coutume,
Prétendant que le costume
Ne prouve pas ce qu’on vaut.
Feu, feu, etc.

Au joug de l’hymen soumis,
On l’a vu du fond de l’âme,
Toujours préférer sa femme
À celles de ses amis.
Feu, feu, etc.

Enchanté de voir grandir
Ses trois garçons et sa fille,
Il promenait sa famille
Sans bâiller et sans rougir.
Feu, feu, etc.

Il bravait avec mépris
Nos usages et nos modes,
Et c’était aux plus commodes
Que mon sot donnait le prix.
Feu, feu, etc.

On le vit, lorsque des ans
Le poids vint courber sa tête,

À la titus la mieux faite
Préférer ses cheveux blancs.
Feu, feu, etc.

Il s’avisa de rimer
Des morceaux dignes d’envie,
Et notre auteur, de sa vie,
N’osa se faire imprimer.
Feu, feu, etc.

À la faveur comme au rang
Il croyait que le mérite
Devait conduire plus vite
Que l’apostille d’un grand.
Feu, feu, etc.

Un jour on lui proposa
Un emploi considérable,
Et s’en jugeant incapable,
Sans regret il refusa.
Feu, feu, etc.

Jamais ce fou, s’il en fut,
Ne voulut faire antichambre,
Pour obtenir d’être membre
Du beau corps de l’Institut.
Feu, feu, etc.

Aux honneurs il fut admis
Par je ne sais quel miracle.
Et jamais sur le pinacle,
Il n’oublia ses amis.
Feu, feu, etc.


Eh bien ! on le chérissait,
Et malgré ses faux systèmes,
Il fut pleuré par ceux mêmes
Que sa mort enrichissait.
Feu, feu
Monsieur Mathieu
Était un singulier homme ;
Feu, feu
Monsieur Mathieu
Était comme
On en voit peu.