Le Premier Cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny/Chapitre II-I

Texte établi par Martine GarriguesBibliothèque nationale de France (p. 35-41).

I. Description externe.

Le premier recueil d’actes qu’ait fait rédiger l’abbaye de Pontigny, est un in-folio de 21 sur 29 cm. Il est écrit sur un parchemin de qualité médiocre jusqu’au fol. 20. Dans cette première partie, qui, comme nous le verrons, correspond à la rédaction d’un premier groupe de textes, les moines ont employé un support rugueux, grossier et qui présente des trous qui existaient avant que fût fait l’ouvrage, puisque le scribe a pris soin de les éviter en transcrivant les actes[1]. Au contraire, après le fol. 20 il est plus lisse et d’une qualité bien supérieure.


La foliotation.

Ce volume comporte 60 folios, si l’on se réfère à la foliotation moderne qui figure en haut, à droite de chaque folio en chiffres arabes. Mais il en existe une autre, plaçée au milieu de la page jusqu’au fol. 10, puis à droite, près de la numérotation moderne. Elle se présente en chiffres romains et va jusqu’au fol. LXIII[2],comme nous le dit une courte phrase qui figure en tête du premier folio du cartulaire, écrite d’une main du tout début du xive siècle ou de la fin du xiiie siècle « Incipit prima pars antiqui cartularii, continens folia LXIII ». On peut penser, en examinant l’écriture[3], mais aussi, comme nous allons le voir, en s’efforçant de reconstituer l’ordre primitif du cartulaire, que cette deuxième foliotation date de la fin du xiiie siècle. Elle est donc très peu postérieure à la rédaction de la seconde partie de notre ouvrage et a dû être entreprise au moment où l’on a rajouté certaines additions et notes marginales. La discordance qui existe entre les deux foliotations ainsi que le fait que certains actes sont coupés en deux et que l’on en retrouve la fin plusieurs folios plus loin nous permet de croire que c’est au moment de la reliure que les divers cahiers ont été mélangés et désorganisés. Cette modification ne peut être antérieure au xviiie siècle, car dans la copie du cartulaire qui a été faite à cette époque[4], l’ordre dans lequel se présentent les actes reflète celui que l’on peut retrouver en reclassant les cahiers. On peut donc admettre que c’est sous Napoléon III, lorsque l’on fit relier cet ouvrage à la Bibliothèque nationale, que ces bouleversements eurent lieu.


Examen des cahiers et reconstitution de l’état primitif du cartulaire.

Il nous faut donc étudier les divers cahiers de ce recueil, afin de reconstituer l’état primitif de l’ouvrage.

Le premier cahier est un quaternion auquel il manque les folios 3 et 4 qui, tous deux, sont représentés par une petite languette de parchemin. Or, comme le texte du deuxième chapitre du cartulaire se termine au milieu du verso du deuxième folio, il faut admettre que dès la rédaction, ce qui aurait dû être le folio 3 n’a jamais existé, soit qu’il ait été coupé parce qu’il était vierge, soit que, plus sûrement, le scribe manquant de place ait ajouté un demi feuillet au centre du cahier. Ainsi, à la foliotation le folio correspondant au premier a reçu le numéro III. C’est ce folio qui ne nous est pas parvenu, mais il manquait déjà au xviiie siècle, comme l’a noté en marge le rédacteur de la copie de notre cartulaire et comme nous le prouve le fait que le quatrième folio débute par la fin d’un acte[5]. Celui qui a fait la numérotation moderne a bien vu qu’il manquait un folio, aussi pour retrouver le même chiffre au quatrième folio a-t-il numéroté le folio I folio 2 et le II, 3[6].

Les trois cahiers suivants sont des sexternions. Le deuxième a, lui aussi, la moitié droite du feuillet central qui est manquante, mais comme il n’y a aucune lacune et que le texte se poursuit à cheval sur les deux folios, nous sommes là en présence du même phénomène que dans le premier cahier le rédacteur a ajouté un folio supplémentaire (f° 6). Le même cas s’est reproduit au quatrième cahier le folio 17 n’est que la moitié d’un feuillet dont l’autre n’a jamais figuré dans le recueil.

Ainsi, dans la première partie du cartulaire nous trouvons un quaternion et trois sexternions. Il ne nous manque, en fait, qu’un folio qui devait contenir un certain nombre d’actes concernant la grange de Bœurs. Il est à noter aussi qu’à part les petites anomalies du début, il y a concordance parfaite entre les deux foliotations, l’ancienne et la moderne.

À partir du folio 20, nous assistons à une transformation des cahiers.

Les cinquième et sixième sont formés de douze folios. Le septième cahier n’est plus qu’un sexternion dans 1état actuel du cartulaire. Or, si l’on examine l’ancienne numérotation, on s’aperçoit qu’il y a des anomalies : on passe du folio XLVI au folio LIII. On peut donc penser qu’avant la reliure moderne, il y avait là six autre folios intercalés au centre de notre cahier actuel, et qu’ainsi ce septième cahier était, lui aussi, primitivement composé de douze folios.

Le huitième cahier commence actuellement par les six folios qui

RÉPARTITION DES CAHIERS

1er cahier

2e cahier

4e cahier

9e cahier

Folio n’ayant jamais existé

[F°1] Antienne numérotation

F°1 Numérotation du 19e siècle

Fig. 4
7e cahier
8e cahier
Fig. 5
manquaient au cahier précédent : c’est-à-dire les folios XLVII, XLVIII, XLIX et L, LII ; en effet, le folio LI n’est pas parvenu jusqu’à nous, comme nous le prouve la charte n° 354 qui figure au verso du folio L et n’est pas terminée. Au centre de ces feuillets, on a intercalé six autres folios qui, primitivement, devaient former un cahier à part. Ces six folios ont été, eux-mêmes, bouleversés : le premier est le folio LVI ; le suivant manque, puisque la charte n° 393 n’est pas terminée, alors que le n° 394, qui figure au début du folio LVIII, n’est que la fin d’un acte. De nouveau, après le folio LVIII, manque un folio, puis vient le folio LIX. En fait, à l’origine les folios devaient avoir une autre disposition : les folios LVIII et LIX, aujourd’hui séparés, étaient, tous deux, au centre de ces six folios ; ainsi le titre qui figure au bas du verso du folio LIX, correspondrait à un texte qui doit se trouver dans le folio manquant qui portait le numéro LX. Par contre le folio correspondant au LVI n’a jamais dû être employé.

C’est donc dans ce huitième cahier, sous sa forme actuelle, que se trouve l’explication du décalage entre la numérotation ancienne et moderne les folios LI, LVII et LX qui existaient au moment de la première foliotation, ont disparu par la suite, mais avant le xviiie siècle, puisque là encore le compilateur du cartulaire les signale comme manquants. Aussi, sans se soucier de l’ancienne foliotation, l’homme qui, au xixe siècle, a numéroté les folios n’en a pas tenu compte.

Le dernier cahier, lui, est un quaternion dont le dernier folio n’a jamais été utilisé.

En résumé, la seconde partie du cartulaire a été très remaniée et a perdu trois folios ils renfermaient des actes concernant les domaines de Pontigny à Chablis[7], à Mâlay-le-Vicomte[8] et à Dijon[9].


Les lacunes, accidentelles ou intentionnelles.

Pour ce qui est des actes de Mâlay-le-Vicomte, il nous est impossible de dire exactement quels sont les textes qui manquent, car nous n’avons conservé aucun original concernant cette région. Mais il est probable qu’il s’agit, comme dans les actes qui précèdent et ceux qui suivent, de ventes consenties par des habitants de cette localité à Hugues d’Avallon ou à Itier de Villeneuve-l’Archevêque. Il doit nous manquer cinq actes, la fin du cinquième figurant au début du folio LXI. Par contre, les disparitions du folio LI, correspondant aux possessions de Chablis, et du folio LVII, portant sur les domaines de la région de Dijon, expliqueraient que certains originaux concernant ces localités ne figurent pas dans le cartulaire[10]. La même explication pourrait s’appliquer pour la grange de Bœurs la disparition du folio III, priverait le cartulaire d’à peu près six actes, ce qui correspond au nombre d’originaux concernant cette région qui subsistent encore[11].

Nous nous trouvons, en effet, en face d’un problème, lorsque nous comparons le fonds même de l’abbaye de Pontigny et son premier cartulaire. En dehors des bulles qui ont été systématiquement écartées, on constate que pour le xiiie siècle une trentaine d’originaux ne figurent pas dans le recueil des titres du monastère. Certains, comme nous venons de le voir, devaient être transcrits dans les folios qui ont disparu. Malgré cela, il reste un certain nombre de textes dont l’absence est difficilement explicable. On peut admettre que le copiste n’ait pas toujours trouvé nécessaire de reproduire des confirmations d’actes qu’il avait déjà transcrits[12]. On comprend aussi qu’un acte comme le testament d’Aganon d’Ervy ne prenne pas place dans un tel ouvrage, puisqu’il ne fit don à Pontigny que de meubles et d’un palefroi[13]. Cette absence d’un nombre assez considérable d’originaux trouve peut-être son explication dans le classement même des titres de propriété du monastère. En effet, le cartulaire est le reflet du fonds même des archives de Pontigny à l’époque de son élaboration. Le chantre, responsable des archives, a dû, comme dans d’autres abbayes cisterciennes, adopter un classement méthodique assez empirique. À Pontigny le cas devait être voisin de celui de Clairvaux où « ce classement, même au début, ne comprenait pas la totalité des actes conservés »[14]. On a même fait remarquer pour cet établissement que non seulement les bulles en avaient été systématiquement écartées, mais encore que des actes très importants ne s’y trouvaient pas. Il est troublant de voir que dans le cadre de classement des archives de Clairvaux et dans le cartulaire de Pontigny, ce sont les mêmes catégories d’actes qui manquent. Ainsi le copiste du xiiie siècle aurait transcrit les actes que l’abbaye avait déjà classés, sans tenir compte de ceux qui échappaient à cette organisation des archives. Cependant on ne peut se cacher que ce n’est qu’une hypothèse qui ne peut être vérifiée en l’absence d’un inventaire de cette époque. Mais si on l’admet, on peut aussi penser que, parallèlement à l’élaboration de la seconde partie du cartulaire, les archives n’ont cessé d’être mieux organisées et d’intégrer des actes nouveaux dans son cadre de classement aussi, dès la fin du xiiie siècle, le monastère a dû voir les défauts de son cartulaire et ses lacunes, et a entrepris alors la rédaction d’un nouveau recueil qui a disparu et dont nous aurons à reparler.


Présentation matérielle du texte.

Le manuscrit est écrit sur deux colonnes par page, avec une large marge à gauche et à droite. Les lignes sont réglées à la pointe sèche, et nettement marquées ainsi que les limites des marges à partir du folio 20.

Les divers actes qui y sont transcrits nous sont parvenus dans un état de conservation excellente. Seules les trois dernières pages comportent de longues taches brunes qui rendent parfois la lecture du texte difficile, mais jamais impossible.

Ces textes sont groupés, comme nous y avons fait allusion, en chapitres. Nous étudierons plus loin la méthode de classement de ces actes, mais nous pouvons déjà dire que chaque chapitre est précédé d’un titre. Il est placé en haut de la page, en caractères plus gros jusqu’au folio 20 ; à partir de là, le titre figure toujours en haut de la page, mais en caractères plus petits, et parfois sur la seule longueur d’une colonne.

Chaque acte, lui, est accompagné d’une courte notice. Elle figure en marge, à gauche, dans la première partie de l’ouvrage ; elle est de la même écriture que le texte qu’elle accompagne et même de la même main. Au contraire, à partir du folio 20, une brève phrase précède chaque acte. Elle est rubriquée et a dû être ajoutée après coup, certainement par la même main le rubricateur en a, en effet, omis certaines, sans que nous puissions grâce à ces omissions voir la méthode suivie par lui, car ces oublis sont intermittents, et tout ce que l’on peut en déduire, c’est que la rubrication devait se faire après qu’un petit nombre d’actes était transcrit[15]. En général, ces notices rappellent le nom de l’auteur de l’acte, l’objet de ce dernier et parfois le nom du lieu concerné par le contrat.

En ce qui concerne les initiales des actes : jusqu’au fol. 20, la première lettre du texte est simplement un peu en marge, écrite en un peu plus gros. Dans la seconde partie, les lettres initiales ont été ornées de rouge et de bleu après l’établissement du texte, puisque, là encore, certaines ont été omises[16].

  1. Ex. : au n° 66 on peut voir Flor-entino écrit de part et d’autre d’un trou.
  2. Les folios marqués en chiffres romains sont ceux de l’ancienne numérotation.
  3. On peut affirmer que l’ancienne foliation n’a pas été faite par le second rédacteur du cartulaire qui est senestrogire, alors que le folioteur est dextrogire (ex. n° 327.)
  4. Arch. dép. de l’Yonne, H 1400.
  5. N° 16.
  6. Voir le dessin des différents cahiers.
  7. F° LI.
  8. F° LX.
  9. F° LVII.
  10. Pour Chablis voir : Arch. dép. de l’Yonne, H 1457 (quatre actes) ; pour Dijon un seul acte mutilé de 1217, H 1479.
  11. Mais ici l’explication est plus difficile à admettre car les originaux conservés sont du xiiie siècle, et il faudrait alors que le second scribe ait ajouté ces actes sur un feuillet vierge (?).
  12. Voir H 1405, H 1438.
  13. H 1408.
  14. P. Piétresson de Saint-Aubin, Notes sur l’abbaye de Clairvaux, dans Recueil sur saint Bernard et son temps (Dijon, Palais des États, 1928), n° 23, p. 262-292.
  15. Voir nos 249, 359, 360, 361, 362, 363, 384, 390 etc.
  16. Ex. : nos 251, 252, 298, 307, 313.