Le Premier Cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny/Chapitre II

Texte établi par Martine GarriguesBibliothèque nationale de France (p. 35-59).

CHAPITRE II

LE PREMIER CARTULAIRE DE PONTIGNY

Après avoir rappelé l’histoire de Pontigny pendant le premier siècle et demi de son existence et essayé de dresser la carte de son patrimoine foncier, il convient de procéder à l’étude de la source qui constitue la matière du volume, le premier cartulaire de Pontigny, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale, manuscrit latin 9887.


I. Description externe.

Le premier recueil d’actes qu’ait fait rédiger l’abbaye de Pontigny, est un in-folio de 21 sur 29 cm. Il est écrit sur un parchemin de qualité médiocre jusqu’au fol. 20. Dans cette première partie, qui, comme nous le verrons, correspond à la rédaction d’un premier groupe de textes, les moines ont employé un support rugueux, grossier et qui présente des trous qui existaient avant que fût fait l’ouvrage, puisque le scribe a pris soin de les éviter en transcrivant les actes[1]. Au contraire, après le fol. 20 il est plus lisse et d’une qualité bien supérieure.


La foliotation.

Ce volume comporte 60 folios, si l’on se réfère à la foliotation moderne qui figure en haut, à droite de chaque folio en chiffres arabes. Mais il en existe une autre, plaçée au milieu de la page jusqu’au fol. 10, puis à droite, près de la numérotation moderne. Elle se présente en chiffres romains et va jusqu’au fol. LXIII[2],comme nous le dit une courte phrase qui figure en tête du premier folio du cartulaire, écrite d’une main du tout début du xive siècle ou de la fin du xiiie siècle « Incipit prima pars antiqui cartularii, continens folia LXIII ». On peut penser, en examinant l’écriture[3], mais aussi, comme nous allons le voir, en s’efforçant de reconstituer l’ordre primitif du cartulaire, que cette deuxième foliotation date de la fin du xiiie siècle. Elle est donc très peu postérieure à la rédaction de la seconde partie de notre ouvrage et a dû être entreprise au moment où l’on a rajouté certaines additions et notes marginales. La discordance qui existe entre les deux foliotations ainsi que le fait que certains actes sont coupés en deux et que l’on en retrouve la fin plusieurs folios plus loin nous permet de croire que c’est au moment de la reliure que les divers cahiers ont été mélangés et désorganisés. Cette modification ne peut être antérieure au xviiie siècle, car dans la copie du cartulaire qui a été faite à cette époque[4], l’ordre dans lequel se présentent les actes reflète celui que l’on peut retrouver en reclassant les cahiers. On peut donc admettre que c’est sous Napoléon III, lorsque l’on fit relier cet ouvrage à la Bibliothèque nationale, que ces bouleversements eurent lieu.


Examen des cahiers et reconstitution de l’état primitif du cartulaire.

Il nous faut donc étudier les divers cahiers de ce recueil, afin de reconstituer l’état primitif de l’ouvrage.

Le premier cahier est un quaternion auquel il manque les folios 3 et 4 qui, tous deux, sont représentés par une petite languette de parchemin. Or, comme le texte du deuxième chapitre du cartulaire se termine au milieu du verso du deuxième folio, il faut admettre que dès la rédaction, ce qui aurait dû être le folio 3 n’a jamais existé, soit qu’il ait été coupé parce qu’il était vierge, soit que, plus sûrement, le scribe manquant de place ait ajouté un demi feuillet au centre du cahier. Ainsi, à la foliotation le folio correspondant au premier a reçu le numéro III. C’est ce folio qui ne nous est pas parvenu, mais il manquait déjà au xviiie siècle, comme l’a noté en marge le rédacteur de la copie de notre cartulaire et comme nous le prouve le fait que le quatrième folio débute par la fin d’un acte[5]. Celui qui a fait la numérotation moderne a bien vu qu’il manquait un folio, aussi pour retrouver le même chiffre au quatrième folio a-t-il numéroté le folio I folio 2 et le II, 3[6].

Les trois cahiers suivants sont des sexternions. Le deuxième a, lui aussi, la moitié droite du feuillet central qui est manquante, mais comme il n’y a aucune lacune et que le texte se poursuit à cheval sur les deux folios, nous sommes là en présence du même phénomène que dans le premier cahier le rédacteur a ajouté un folio supplémentaire (f° 6). Le même cas s’est reproduit au quatrième cahier le folio 17 n’est que la moitié d’un feuillet dont l’autre n’a jamais figuré dans le recueil.

Ainsi, dans la première partie du cartulaire nous trouvons un quaternion et trois sexternions. Il ne nous manque, en fait, qu’un folio qui devait contenir un certain nombre d’actes concernant la grange de Bœurs. Il est à noter aussi qu’à part les petites anomalies du début, il y a concordance parfaite entre les deux foliotations, l’ancienne et la moderne.

À partir du folio 20, nous assistons à une transformation des cahiers.

Les cinquième et sixième sont formés de douze folios. Le septième cahier n’est plus qu’un sexternion dans 1état actuel du cartulaire. Or, si l’on examine l’ancienne numérotation, on s’aperçoit qu’il y a des anomalies : on passe du folio XLVI au folio LIII. On peut donc penser qu’avant la reliure moderne, il y avait là six autre folios intercalés au centre de notre cahier actuel, et qu’ainsi ce septième cahier était, lui aussi, primitivement composé de douze folios.

Le huitième cahier commence actuellement par les six folios qui

RÉPARTITION DES CAHIERS

1er cahier

2e cahier

4e cahier

9e cahier

Folio n’ayant jamais existé

[F°1] Antienne numérotation

F°1 Numérotation du 19e siècle

Fig. 4
7e cahier
8e cahier
Fig. 5
manquaient au cahier précédent : c’est-à-dire les folios XLVII, XLVIII, XLIX et L, LII ; en effet, le folio LI n’est pas parvenu jusqu’à nous, comme nous le prouve la charte n° 354 qui figure au verso du folio L et n’est pas terminée. Au centre de ces feuillets, on a intercalé six autres folios qui, primitivement, devaient former un cahier à part. Ces six folios ont été, eux-mêmes, bouleversés : le premier est le folio LVI ; le suivant manque, puisque la charte n° 393 n’est pas terminée, alors que le n° 394, qui figure au début du folio LVIII, n’est que la fin d’un acte. De nouveau, après le folio LVIII, manque un folio, puis vient le folio LIX. En fait, à l’origine les folios devaient avoir une autre disposition : les folios LVIII et LIX, aujourd’hui séparés, étaient, tous deux, au centre de ces six folios ; ainsi le titre qui figure au bas du verso du folio LIX, correspondrait à un texte qui doit se trouver dans le folio manquant qui portait le numéro LX. Par contre le folio correspondant au LVI n’a jamais dû être employé.

C’est donc dans ce huitième cahier, sous sa forme actuelle, que se trouve l’explication du décalage entre la numérotation ancienne et moderne les folios LI, LVII et LX qui existaient au moment de la première foliotation, ont disparu par la suite, mais avant le xviiie siècle, puisque là encore le compilateur du cartulaire les signale comme manquants. Aussi, sans se soucier de l’ancienne foliotation, l’homme qui, au xixe siècle, a numéroté les folios n’en a pas tenu compte.

Le dernier cahier, lui, est un quaternion dont le dernier folio n’a jamais été utilisé.

En résumé, la seconde partie du cartulaire a été très remaniée et a perdu trois folios ils renfermaient des actes concernant les domaines de Pontigny à Chablis[7], à Mâlay-le-Vicomte[8] et à Dijon[9].


Les lacunes, accidentelles ou intentionnelles.

Pour ce qui est des actes de Mâlay-le-Vicomte, il nous est impossible de dire exactement quels sont les textes qui manquent, car nous n’avons conservé aucun original concernant cette région. Mais il est probable qu’il s’agit, comme dans les actes qui précèdent et ceux qui suivent, de ventes consenties par des habitants de cette localité à Hugues d’Avallon ou à Itier de Villeneuve-l’Archevêque. Il doit nous manquer cinq actes, la fin du cinquième figurant au début du folio LXI. Par contre, les disparitions du folio LI, correspondant aux possessions de Chablis, et du folio LVII, portant sur les domaines de la région de Dijon, expliqueraient que certains originaux concernant ces localités ne figurent pas dans le cartulaire[10]. La même explication pourrait s’appliquer pour la grange de Bœurs la disparition du folio III, priverait le cartulaire d’à peu près six actes, ce qui correspond au nombre d’originaux concernant cette région qui subsistent encore[11].

Nous nous trouvons, en effet, en face d’un problème, lorsque nous comparons le fonds même de l’abbaye de Pontigny et son premier cartulaire. En dehors des bulles qui ont été systématiquement écartées, on constate que pour le xiiie siècle une trentaine d’originaux ne figurent pas dans le recueil des titres du monastère. Certains, comme nous venons de le voir, devaient être transcrits dans les folios qui ont disparu. Malgré cela, il reste un certain nombre de textes dont l’absence est difficilement explicable. On peut admettre que le copiste n’ait pas toujours trouvé nécessaire de reproduire des confirmations d’actes qu’il avait déjà transcrits[12]. On comprend aussi qu’un acte comme le testament d’Aganon d’Ervy ne prenne pas place dans un tel ouvrage, puisqu’il ne fit don à Pontigny que de meubles et d’un palefroi[13]. Cette absence d’un nombre assez considérable d’originaux trouve peut-être son explication dans le classement même des titres de propriété du monastère. En effet, le cartulaire est le reflet du fonds même des archives de Pontigny à l’époque de son élaboration. Le chantre, responsable des archives, a dû, comme dans d’autres abbayes cisterciennes, adopter un classement méthodique assez empirique. À Pontigny le cas devait être voisin de celui de Clairvaux où « ce classement, même au début, ne comprenait pas la totalité des actes conservés »[14]. On a même fait remarquer pour cet établissement que non seulement les bulles en avaient été systématiquement écartées, mais encore que des actes très importants ne s’y trouvaient pas. Il est troublant de voir que dans le cadre de classement des archives de Clairvaux et dans le cartulaire de Pontigny, ce sont les mêmes catégories d’actes qui manquent. Ainsi le copiste du xiiie siècle aurait transcrit les actes que l’abbaye avait déjà classés, sans tenir compte de ceux qui échappaient à cette organisation des archives. Cependant on ne peut se cacher que ce n’est qu’une hypothèse qui ne peut être vérifiée en l’absence d’un inventaire de cette époque. Mais si on l’admet, on peut aussi penser que, parallèlement à l’élaboration de la seconde partie du cartulaire, les archives n’ont cessé d’être mieux organisées et d’intégrer des actes nouveaux dans son cadre de classement aussi, dès la fin du xiiie siècle, le monastère a dû voir les défauts de son cartulaire et ses lacunes, et a entrepris alors la rédaction d’un nouveau recueil qui a disparu et dont nous aurons à reparler.


Présentation matérielle du texte.

Le manuscrit est écrit sur deux colonnes par page, avec une large marge à gauche et à droite. Les lignes sont réglées à la pointe sèche, et nettement marquées ainsi que les limites des marges à partir du folio 20.

Les divers actes qui y sont transcrits nous sont parvenus dans un état de conservation excellente. Seules les trois dernières pages comportent de longues taches brunes qui rendent parfois la lecture du texte difficile, mais jamais impossible.

Ces textes sont groupés, comme nous y avons fait allusion, en chapitres. Nous étudierons plus loin la méthode de classement de ces actes, mais nous pouvons déjà dire que chaque chapitre est précédé d’un titre. Il est placé en haut de la page, en caractères plus gros jusqu’au folio 20 ; à partir de là, le titre figure toujours en haut de la page, mais en caractères plus petits, et parfois sur la seule longueur d’une colonne.

Chaque acte, lui, est accompagné d’une courte notice. Elle figure en marge, à gauche, dans la première partie de l’ouvrage ; elle est de la même écriture que le texte qu’elle accompagne et même de la même main. Au contraire, à partir du folio 20, une brève phrase précède chaque acte. Elle est rubriquée et a dû être ajoutée après coup, certainement par la même main le rubricateur en a, en effet, omis certaines, sans que nous puissions grâce à ces omissions voir la méthode suivie par lui, car ces oublis sont intermittents, et tout ce que l’on peut en déduire, c’est que la rubrication devait se faire après qu’un petit nombre d’actes était transcrit[15]. En général, ces notices rappellent le nom de l’auteur de l’acte, l’objet de ce dernier et parfois le nom du lieu concerné par le contrat.

En ce qui concerne les initiales des actes : jusqu’au fol. 20, la première lettre du texte est simplement un peu en marge, écrite en un peu plus gros. Dans la seconde partie, les lettres initiales ont été ornées de rouge et de bleu après l’établissement du texte, puisque, là encore, certaines ont été omises[16].


II. Le contenu du cartulaire.

Le recueil comporte 419 actes, si l’on se réfère à la numérotation moderne qui a été placée en marge de chaque pièce, en chiffres arabes. Mais cette numérotation a pris en considération les fins ou les commencements d’actes qui manquent depuis le xixe siècle en raison de la disparition de certains folios. C’est ainsi que nous trouvons quatre fins d’actes que l’on ne peut rattacher à aucune autre charte du texte[17] : pour l’un subsiste l’original[18], ce qui nous permet d’analyser et comprendre son contenu, tandis que les trois autres sont trop tronquées pour que l’on puisse en saisir le sens.

De la même façon, nous trouvons quatre actes inachevés[19]. Trois d’entre eux sont facilement compréhensibles, car il ne leur manque que la formule de corroboration et la date. Un de ces textes peut même être reconstitué, car une copie se trouve dans le deuxième cartulaire de Pontigny[20]. Seul le n° 384 est par trop tronqué pour que nous puissions en comprendre la signification, mais par bonheur l’original est conservé[21]. Il reste enfin un acte qu’il nous sera impossible d’éditer car le texte en est complètement gratté[22]. Il existe donc, si nous nous en tenons au seul cartulaire, 410 actes compréhensibles et qui ne sont pas tronqués et non 419, comme l’a indiqué H. Stein[23].

Les doubles transcriptions.

De plus, comme dans bien des recueils de ce genre, nous trouvons un certain nombre de doubles : quinze au total[24]. La présence de ces doubles pose le problème de la conception même du cartulaire. En effet, comme nous l’avons vu dans l’examen externe de ce document, il présente deux parties distinctes. Les doubles pourraient alors faire penser que chacune des parties a été rédigée sans lien entre elles, qu’en fait nous avons affaire à deux cartulaires que l’on aurait relies ensuite ensemble. En fait, il n’en est rien. Tout d’abord, certains actes figurent en double dans une même partie du cartulaire[25]. Serait-ce négligence du scribe ou distraction de sa part ? Bien loin d’être cela, il semble plutôt que ce soit pour faciliter la consultation du recueil que les moines ont fait figurer deux fois certaines pièces. Si l’on examine, par exemple, le n° 34, on voit qu’il figure sous ce numéro dans le chapitre concernant les biens de Pontigny à Bœurs et cinq feuillets plus loin dans celui touchant à Chailley sous le numéro 68 : cet acte porte, en effet, sur la délimitation de droits de pâturage qui s’étendent sur le temporel des deux granges.

Nous retrouvons ce même phénomène dans la seconde partie du cartulaire. Le désir de faire figurer un acte sous deux rubriques pour pouvoir plus facilement le retrouver, est là encore plus net : on peut, en effet, voir un acte rajouté en double, d’une écriture de la fin du xiiie siècle. C’est le cas du n° 182, qui figurait dans le corps du texte au folio 23, et que l’on a ajouté en bas de page, après le n° 161, parce qu’il en est la confirmation.

On retrouve cette même intention avec des pièces qui, bien que figurant déjà dans la première partie, ont été retranscrites dans la seconde cinq actes du xiie siècle qui avaient été placés sous la rubrique « fourre-tout » de Pontigny, ont été redistribués dans les nouveaux cadres de classement adoptés par le rédacteur de la seconde partie de l’ouvrage[26].

C’est encore ce même souci qui a poussé Pontigny à retranscrire sous une rubrique spéciale les grandes exemptions qui figuraient en tête de la première partie du recueil : il y a là, il est vrai, en plus du désir de rendre le cartulaire facilement utilisable, la nette intention de le compléter. Ainsi, aux cinq privilèges qui étaient écrits au début du cartulaire, le second copiste a ajouté d’autres exemptions du xiie siècle[27], qui, à l’époque de la rédaction de la première partie, ne devaient pas être encore intégrées au classement des archives de l’abbaye.

Cet examen des doubles que contient le cartulaire, nous prouve que nous n’avons pas ici deux recueils distincts. Bien au contraire, il semble que le second copiste ait conçu son ouvrage comme une continuation de la première partie, tout en s’efforçant de compléter les lacunes et les imperfections du classement adopté au xiie siècle, ce qui l’amena parfois à des redites. La présence de ces doubles est, en fait, le reflet des tâtonnements empiriques que les auteurs des deux parties du cartulaire n’ont cessé de faire pour mettre à la disposition de leur monastère un recueil facilement consultable, en intégrant les divers actes dans un classement sans cesse plus adapté aux besoins de l’abbaye.


Époque couverte par le cartulaire.

Le cartulaire couvre les trois quarts du xiie siècle et du xiiie siècle : les dates extrêmes sont 1118[28] et 1294[29]. Mais après 1270 nous n’avons que deux actes, l’un de 1278[30] et celui de 1294, qui tous deux ont été ajoutés postérieurement. Aussi le dernier acte qui fasse vraiment partie de la seconde partie du cartulaire est de 1266[31].


Répartition des actes par périodes.

Pour examiner la répartition des actes par périodes, nous reprendrons le terme de 1190, qui, comme nous l’avons vu, sépare en deux notre recueil[32].

Dans la première partie, on trouve 184 actes dont 14 doubles, un acte gratté[33] et deux fins de chartes[34], tandis que pour le xiiie siècle il y a 235 pièces dont deux doubles[35], deux fins de chartes[36] et une brève notice ajoutée en bas de page[37].

On peut ainsi dresser le tableau chronologique des actes par tranche de dix ans. Cependant il est nécessaire de lui apporter une certaine pondération pour pouvoir l’exploiter. En effet, nous avons un certain nombre d’actes qui ne sont que la répétition d’autres sous le nom d’un auteur différent. Ainsi, il faut supprimer seize pièces du xiie siècle[38], une du xiiie siècle[39] à laquelle s’ajoutent deux vidimus[40]. De plus, il faut aussi écarter des actes qui ne concernent pas directement Pontigny telle, au xiie siècle, la charte qui relate l’échange que fit le comte de Nevers avec l’abbaye de Molesme[41] ; et au xiiie siècle des ventes qui ne sont pas faites à l’abbaye[42]. Ces actes font, d’ailleurs, problème il faut croire qu’il nous manque un acte qui serait le contrat par lequel Pontigny obtiendrait, après coup, tous ces biens. Mais même ainsi pondéré, ce tableau pose encore certains problèmes. Jusqu’en 1150, nous assistons à une progression du nombre des actes qui culmine à la date où l’abbaye fit construire sa première grande église[43]. Page:Le premier cartulaire de l'Abbaye cistercienne de Pontigny.pdf/50

Répartition du contenu par auteurs d’actes.

Il nous faut voir maintenant comment se répartissent ces actes par auteurs. Le terme lui-même est ambigu : il peut s’agir de la personne qui passe le contrat avec Pontigny, mais aussi de celle qui prend l’acte sous sa responsabilité. Parfois c’est un seul et même personnage qui remplit ces deux fonctions, parfois aussi ils sont dissociés. L’intérêt alors est de nous laisser entrevoir qui assurait la juridiction gracieuse à l’époque. Ici, nous étudierons séparément ces auteurs aux xiie et xiiie siècles.


— Au xiie siècle.

Au xiie siècle, l’usage s’est introduit de faire ratifier les actes privés par des gens qui avaient de l’autorité. Ce fut, tout d’abord, l’évêque qui, en vertu de son pouvoir spirituel et de sa position importante dans la cité épiscopale, apparut comme l’homme à qui l’on devait s’adresser pour faire valider les actes. De plus, il a à sa disposition une chancellerie qui peut faire rédiger les pièces. Ainsi, c’est lui qui bien souvent fait passer le contrat devant lui, investit l’abbaye de l’objet de l’accord et fait écrire l’acte. Les principaux prélats de la région ratifient ainsi les actes concernant Pontigny : l’archevêque de Sens, les évêques d’Auxerre et de Troyes et même celui de Langres[44]. En dehors du clergé séculier de la région où les moines de Pontigny se sont installés, l’évêque de Paris[45] et le cardinal légat d’Albano[46] ont fait rédiger trois actes. Au total, les grands prélats séculiers ont été les auteurs d’un peu plus de 45 % des pièces du xiie siècle.

Après eux viennent les grands seigneurs, et, en tête le roi de France, soit que lui-même fasse des dons à Pontigny[47], soit qu’il confirme l’abbaye dans toutes ses possessions[48], soit qu’enfin, au cours d’un voyage, il délivre un diplôme confirmatif d’un acte d’un seigneur local[49]. Le souverain anglais, lui aussi, comble de ses bienfaits le monastère[50]. Les comtes de la région sont les auteurs de leurs propres actes ou de ceux de leurs vassaux dont ils confirment les pièces ou encore de ceux de simples particuliers ce sont les comtes de Nevers, de Troyes, de Bar, de Joigny, de Blois et même d’Évreux ou de Flandre[51]. Ces hauts seigneurs représentent à peu près un quart des auteurs d’actes de cette période.

18 % des actes de cette époque ont pour auteurs des particuliers, et surtout les petits seigneurslocaux, vassaux bien souvent des princes précédents tels ceux d’Ervy, de Seignelay, de Montréal ou de Noyers.

Enfin quelques abbés, des chapitres et le doyen de Tonnerre, qui n’a fait qu’un seul acte[52], sont des auteurs de chartes ; nous les trouvons surtout Page:Le premier cartulaire de l'Abbaye cistercienne de Pontigny.pdf/52 dans les accords et les échanges. Ces ecclésiastiques représentent 11 % des auteurs.

Parmi ces actes les chartes l’emportent largement : en effet les notices, pièces qui, contrairement aux chartes, ne portent aucune marque de validation et n’ont de raison d’être que comme témoignages, sont fort peu nombreuses dans la première partie du cartulaire. Nous n’en comptons que cinq : toutes, sauf une (n° 135) sont de la première moitié du xiie siècle[53]. Cette forme d’acte a été utilisée pour rappeler des faits (la fondation même de l’abbaye, n° 84) ; ou bien pour approuver des dons antérieurs qui avaient fait l’objet d’une charte (n° 63, n° 112, n° 151). Seul le n° 135 est une vente faite par le sire de Champlost à l’abbaye. Ces notices sont brèves, commencent toutes par « Notum sit omnibus… et comportent toutes une liste de témoins par contre deux seulement sont datées du millésime (n° 63 et n° 151). La rareté de ces notices prouve que les seigneurs locaux, surtout vers la fin du xiie siècle, possèdent leurs propres sceaux[54]. Cela ne les empêche nullement de faire confirmer leurs chartes par un personnage plus important de la région : c’est le cas d’Augalon de Seignelay qui, s’il fait rédiger une charte relatant la vente qu’il a consentie à Pontigny, ne la fait pas moins confirmer par l’archevêque de Sens[55] et par le cardinal d’Albano[56].


— Au xiiie siècle.

Au xiiie siècle, nous assistons à une transformation dans la répartition des actes c’est le reflet de l’évolution même des institutions et de l’histoire de la juridiction gracieuse à cette époque.

À la fin du xiie siècle la chancellerie épiscopale connait la concurrence de divers personnages. Ainsi voyons-nous dans la deuxième période que couvre le cartulaire certaines autres juridictions d’église rédiger et sceller des actes des archidiacres, des doyens de chrétienté ou des archiprêtres. Cependant ces trois catégories d’hommes d’église sont assez peu représentées : l’archidiacre d’Auxerre est l’auteur de deux actes[57], l’archiprêtre de Saint-Bris de trois[58] et les doyens de chrétienté de Provins, de Dijon et de la Rivière d’un chacun[59].

Par contre l’importance de deux autres juridictions ecclésiastiques, qui peu à peu acquirent leur autonomie, se développe au xiiie siècle. La première est celle des doyens qui, à eux seuls, notifient et scellent trente-quatre actes et représentent presque 15 % des auteurs d’actes de cette période. Ce sont les doyens de Tonnerre, entre 1216 et 1264, et de Saint-Florentin, entre 1226 et 1264, qui rédigèrent les pièces[60]. Page:Le premier cartulaire de l'Abbaye cistercienne de Pontigny.pdf/54 après comparution des parties : très souvent l’acte alors rédigé relate en détail procédure suivie[61].

Cela ne signifie nullement que les grands prélats ne rédigent plus d’actes. Si leur importance a diminué par rapport à la période précédente, ils forment encore plus de 15 % des auteurs du xiiie siècle. Quelques prélats font des dons : à part les largesses des archevêques de Cantorbéry qui reçurent asile à Pontigny[62], deux évêques firent des donations au monastère, celui de Langres en 1199 (n° 265), celui d’Arras en 1200 (n° 318) et l’archevêque de Rouen en 1201 (n° 260). Il est à remarquer que ce sont des prélats lointains qui dotent maintenant le monastère et que ces bienfaits se situent au tout début du xiiie siècle. La plupart du temps ils sont les auteurs juridiques des actes là encore les chartes qu’ils scellent se situent toutes avant 1250, à l’exception d’une datée de 1255[63].

Enfin il faut mentionner, comme auteurs d’actes, quelques abbés, prieurs et chapitres qui forment à peu près 8 % des auteurs.

À côté de la montée des juridictions d’église, le deuxième fait marquant de cette période est la place de plus en plus grande prise par les particuliers comme auteurs d’actes. Cinquante-trois pièces émanent d’eux. Ce sont, pour la plupart, des nobles qui font rédiger des chartes, ce qui confirme le développement du sceau seigneurial à cette époque ; à eux seuls ils forment plus de 22 % des auteurs.

Les grands seigneurs sont, eux, en nombre un peu plus restreint, soit parce que leurs vassaux ont acquis leur propre sceau, soit parce qu’eux-mêmes ont fait moins de donations à Pontigny. On trouve là une vingtaine d’actes dont un seul du roi de France[64], un du roi d’Angleterre[65] et deux du comte de Champagne[66] ; viennent ensuite ceux du comte de Tonnerre et d’Auxerre, du comte de Troyes, du duc de Bourgogne, du comte de Joigny et de celui de Nevers. Malgré la longueur de cette énumération, ces princes territoriaux ne représentent que 9 % des auteurs.

Il faut enfin noter qu’en relation avec le développement des sceaux seigneuriaux et de ceux des cours ecclésiastiques la notice a complètement disparu au xiiie siècle.


Langue des actes.

Toutes les pièces du recueil sont rédigées en latin. Seules trois chartes sont en langue vulgaire. La première date de 1259 et émane d’Eudes, fils du duc de Bourgogne, et de sa femme, Mahaut[67]. Les deux autres ont été ajoutées à la fin du xiiie siècle ou au début du xive siècle, de deux mains différentes, et portent des dates tardives, puisque l’une d’Erard de Brienne, sire de Vénisy, date de 1278[68], et l’autre de Geoffroy de Seignelay, chanoine d’Auxerre, de 1294[69].

III. Élaboration du cartulaire.

Les deux parties du cartulaire.

Comme nous l’avons vu, le cartulaire est formé de deux parties qui se distinguent aussi bien à première vue que par leur contenu. L’écriture vient encore nous le confirmer en effet, on voit deux types bien distincts.

La première écriture que l’on trouve jusqu’au fol. 20, est large et ronde. Elle date de la fin du xiie siècle. Or, comme l’acte le plus récent rédigé dans cette écriture est de 1190[70], on peut placer la rédaction de la première partie du cartulaire à l’extrême fin du xiie siècle. Il est à noter que les premiers actes transcrits s’étalent plus largement sur la page et sont tracés en lettres plus grosses que les suivants, mais la forme même des caractères graphiques nous montre qu’ils ont été copiés par une seule main[71]. Cependant, un groupe de cinq actes[72] semble avoir été rédigé d’une autre main, sans que cette transcription puisse être considérée comme postérieure, car ces pièces sont insérées au milieu des autres qui sont, elles, d’une même main.

À partir du fol. 20 l’écriture est une gothique légèrement brisée. Les actes ont tous été transcrits de la même main, sauf quelques additions dont nous allons parler. Or comme les derniers actes écrits par le copiste de cette seconde partie du cartulaire datent des années 1264-1266[73] et que les additions peuvent être datées de la fin du siècle, on peut penser que ce second volet du recueil des titres de Pontigny a été rédigé vers 1270 et sans doute quelques années avant cette date.

Au total, l’écriture nous apprend que le cartulaire a été fait en deux temps, à près de trois quarts de siècle d’écart. Chaque partie n’a eu, à une exception près, qu’un seul rédacteur.


Les additions.

À côté du texte lui-même, nous trouvons quelques additions postérieures. Certaines chartes datées entre 1210 et 1266 ont été ajoutées à la fin du xiiie siècle, entre 1270 et 1290, comme nous le prouve l’écriture[74]. Elles l’ont été, pour la plupart, en bas de page[75] ou bien dans une colonne, lorsqu’une place vide subsistait[76]. Très souvent ces actes sont des confirmations de pièces qui figuraient déjà dans le corps du manuscrit[77].

Quelques autres additions, de mains différentes, mais toutes de la fin du xiiie ou du début du xive siècle, ont été faites c’est le cas, en particulier, de deux des trois actes en français[78].

Les gloses marginales et l’élaboration d’un nouveau cartulaire, perdu.

C’est aussi vers la fin du xiiie siècle que toute une série de gloses ont été portées dans les marges. La première mention qui revient souvent en regard des actes est scripta est. Dans la première partie du cartulaire elle n’est accompagnée d’aucun nom de lieu, alors que dans la seconde elle est suivie constamment d’un toponyme qui est celui sur lequel porte le contrat. C’est certainement là un premier essai de classement topographique des actes or, comme la première partie du recueil suivait déjà ce classement, il était inutile de donner le nom du lieu de l’acte, tandis que le classement méthodique de la seconde partie nécessitait cette précision. Cette mention se double d’une autre série de gloses qui figure, elle aussi, en marge, mais d’une écriture plus grosse bien que contemporaine. Elle donne un nom de lieu qui n’est pas celui qui accompagne la mention scripta est, mais celui de la grange ou de l’unité d’exploitation qui est concernée par l’acte. Ce nom est souvent précédé par la préposition sub. C’est ainsi qu’Eustachie, dame de Pacy, confirme le legs qu’avait fait son mari à Pontigny d’une rente assise à Préhy ; en marge de cette charte nous pouvons lire : Praiz. Scripta est et en dessous sub Chableiis[79]. Nous sommes donc là en présence d’un classement topographique des actes par granges et par domaines, certainement pour préparer la rédaction d’un nouveau cartulaire.

D’autres notations nous confirment dans cette opinion. Il arrive que le compilateur ait marqué, toujours en marge, non scribatur[80] cette mention doit mettre en garde le futur auteur du nouveau cartulaire qu’il ne doit pas retranscrire cet acte. Parfois même il nous précise pourquoi il ne faut pas copier une pièce en marge d’un acte il note nichil valet[81] ailleurs, en face d’un don de rente venditi fuerunt illi (il s’agit de la somme de cette rente qui était de vingt sous)[82] ou encore, en haut du folio 29 : Iste tres carte tangentes Chanlotum adnichilate sunt per emptionem nemoris empti a domino de Chanloto[83].

Bien plus, le compilateur donne toute une série d’autres indications. Il note les doubles[84], mentionne l’existence d’une confirmation d’un acte, lorsque ces deux pièces sont séparées dans le cartulaire[85] ; parfois aussi il rappelle qu’il existe dans les archives mêmes la confirmation d’une pièce qui se trouve dans le cartulaire, ce qui nous laisse à penser que c’est l’archiviste de l’abbaye lui-même qui a dû gloser le cartulaire[86]. Toutes ces mentions nous prouvent qu’à la fin du xiiie siècle Pontigny a révisé son cartulaire pour en rédiger un nouveau.

D’autres renseignements qui, eux aussi, figurent en regard de certains actes nous permettent d’affirmer que cette compilation a été faite, alors que le monastère savait déjà quel était le plan de son nouveau cartulaire et quelles seraient ses divisions. En effet, en face de la lettre d’Eble de Mauléon, il est noté de la même main que les gloses précédentes : Ponatur sub primo titulo prime partis cartularii novi[87] ; ou encore, à côté d’un acte du pape : Scribatur in primo titulo prime partis cartularii novi[88]. Bien plus, on entrevoit comment Pontigny voulait ranger ses actes au bas d’un échange que passa le comte de Nevers, Guillaume, avec l’abbaye, il est noté Post istam ponatur carta Hervei comitis confirmantis istam…[89] ; les moines désiraient donc regrouper tous les actes portant sur un même contrat, et par là on découvre que certaines additions qui, à cette même époque, ont été faites, répondaient à ce même désir de rassembler un acte et sa confirmation, pour les retranscrire à la suite l’un de l’autre dans le nouveau cartulaire. On se rend aussi vite compte que le classement que Pontigny a adopté pour son nouveau recueil de titres est topographique. La méthode même qu’il a employée pour la compilation de son ancien cartulaire nous le prouve. Quelques gloses supplémentaires confirment cette opinion. En effet, en marge de vingt-deux actes qui figurent dans le cartulaire sous la rubrique de Pontigny on voit une série de mentions, telle Prima carta secundi tituli prime partis[90]. À première vue, l’on pourrait croire qu’il s’agit de cotes d’archives de l’époque, mais les originaux que nous avons conservés ne comportent aucune mention semblable. Aussi peut-on penser que le compilateur a essayé de donner ici le futur ordre de classement qu’il faudrait adopter pour les actes dans le nouveau recueil. Le problème est, bien sûr, de comprendre pourquoi il ne l’a fait que pour quelques actes et essentiellement pour des actes qui se trouvent sous la rubrique de Pontigny. Il semble que ce soit parce que, comme nous l’avons déjà dit, le chapitre de Pontigny couvrait plusieurs unités économiques Pontigny même, mais aussi Sainte-Procaire ou Beugnon et de plus lointaines, telle Chablis. Aussi a-t-il cherché à mettre de l’ordre parmi ces actes[91] : en effet, lorsque l’on classe ces actes suivant les mentions, on arrive à un classement topographique[92].

De l’étude des gloses il ressort que Pontigny a utilisé le cartulaire pour préparer un nouveau recueil qui aurait eu un plan topographique, tout en regroupant les actes portant sur un même sujet. La première idée qui vient alors est de vérifier cette hypothèse sur le second cartulaire de Pontigny que nous connaissons[93] et qui fut fait au xive siècle. Mais aucun des conseils donnés par le glossateur ne trouve place dans ce second cartulaire. Il faut donc admettre qu’au début du xive siècle Pontigny a fait rédiger un nouveau recueil qui aurait disparu, et qu’ainsi l’annotation de notre cartulaire Tableau des gloses contenues dans le chapitre de Pontigny.

n° de l’acte date nom du lieu concerné dans l’acte carta titulus pars
84
89
95
1114
1119
1119
Pontigny
Pontigny
1re
2e
2e
2e
2e
2e
1re
1re
1re
85
94
88
97
101
104
105
106
109
110
1156
1153
1146
1156
1133
1145
1138-1164
1146
1143
1126
Sainte-Procaire








1re
2e
3e
4e
5e
6e
7e
8e
9e
10e
1er








2e








86
87
91
92
93
96
100
107
108
1140
1136
1135
1120
1157
1146
1157
1116-1136
1138
Ligny


Roncenay



Merry…
Hauterive…
1re
2e
3e
4e
5e
6e
7e
8e
9e
2e








2e








103 1167 Auxerre 1re 4e 2e

⃰ Le scribe a fait une erreur, il doit s’agir de la 3e charte.

a été faite pour faciliter la rédaction de ce nouveau volume qui n’est pas parvenu jusqu’à nous et dont personne ne fait mention.


Méthode suivie et soin apporté à la transcription.

Après avoir cherché à découvrir comment Pontigny a fait compiler notre cartulaire, il faut voir comment les propres rédacteurs de cet ouvrage ont conçu leur travail. Pour ce qui est de la première partie, comme il n’existait pas d’ouvrage qui rassemblât les titres du monastère, le copiste a eu recours aux seuls originaux. Nous retrouvons le même phénomène dans la seconde partie. Bien plus, même les doubles ont été copiés sur les originaux par exemple, la charte n° 323 est parfaitement identique à l’original, tandis que le n° 98, qui figure dans la première partie, présente de très légères variantes[94].

Les textes sont transcrits intégralement, rien n’est laissé de côté, même les longues formules juridiques des actes émanés des officialités du xiiie siècle. Cependant dans la seconde partie on trouve certaines brèves notices[95], mais elles sont fort peu nombreuses.

Il est impossible, vu le grand nombre d’originaux qui nous sont parvenus[96], d’examiner ici chacun d’eux et de les comparer à chacune des copies qui figurent dans le cartulaire. Mais de la comparaison des deux groupes de documents il ressort que le scribe a, en général, transcrit avec fidélité le texte qu’il avait sous les yeux sans essayer de le transformer ou de l’interpréter à sa façon.

Cependant, nous pouvons relever un certain nombre de petites divergences. Elles sont de deux sortes. Tout d’abord il serait facile de multiplier les exemples de discordances graphiques, et surtout sur les noms de lieux et de personnes, sans qu’il soit possible, à moins d’une étude philologique très poussée, de voir la règle qui gouverne le copiste, bien qu’il semble, surtout dans les listes de témoins, préférer la forme française à la forme latine[97]. Mais l’on rencontre aussi des formes verbales ou de simples mots qu’il écrit différemment, et cela d’une façon qui nous semble assez anarchique là où il trouve monacus, il le transforme en monachus[98] inversement il transcrit vicarius alors que figurait dans l’original la forme vicharius[99]. Dans l’emploi de la cédille sous l’e, au xiie siècle, il suit ses habitudes personnelles il la supprime au pronom relatif neutre pluriel[100] ou au génitif singulier des mots féminins de la première déclinaison[101], mais la restitue au datif singulier[102].

Le deuxième groupe de différences provient d’un mélange de fautes d’inattention et d’oublis de la part du copiste. Parfois, en effet, il saute des formules, qui n’enlèvent rien, d’ailleurs, à la compréhension du texte[103] ; ou bien inverse des mots ou des membres de phrases[104]. Il oublie aussi dans quelques cas un ou deux témoins : cela s’explique aisément, car ce sont souvent des personnages qui portent le même prénom[105]. D’ailleurs, par inattention il en arrive même à mal retranscrire un nom, mais c’est très rare[106]. Enfin ce qui est plus grave, il apparaît que dans quatre actes du xiie siècle le scribe a sauté plusieurs éléments de la date, tels l’épacte, l’ indiction ou le concurrent[107]. Dans une charte même il a omis le chiffre qui précédait les calendes, ce qui fausse la date qui est donnée dans le cartulaire[108].

Mais en fait, à part ces petites divergences, nous pouvons faire confiance à la transcription des titres de propriété de Pontigny, qui figure dans le cartulaire.


Le plan du cartulaire.

Le plan adopté n’a rien de très original. En effet, la seconde partie a été entreprise à une époque où les abbayes cisterciennes cherchent à regrouper et à organiser leurs titres de façon à pouvoir les consulter facilement et les retrouver vite au cas où elles en auraient besoin pour les produire en justice,

PLAN DE LA PREMIÈRE PARTIE DU CARTULAIRE DE PONTIGNY.

NOMBRE D’ACTES
Privilèges des rois et des princes 7
Actes concernant le cellier d’Auxerre 8
Actes concernant Bœurs 26
Actes concernant Villiers 8
Actes concernant Aigremont 8
Actes concernant Chailley 26
Actes concernant Pontigny 41
Actes concernant Crécy 32
Fig. 10.

PLAN RECONSTITUÉ DE LA SECONDE PARTIE DU CARTULAIRE.

NOMBRE D’ACTES
Chartes des abbés et des clercs en deniers 27
Chartes des nobles en deniers 29
Chartes des nobles et de quelques clercs en grain et en vin 28
Chartes des évêques en deniers 17
Chartes des évêques en grain 5
Chartes des évêques en dîmes 7
Exemptions accordées par les nobles 16
Chartes des abbés et des clercs en grain et en deniers 16
Chartes de nobles concernant les biens de Pontigny à Auxerre 37
Chartes des biens à St-Bris 12
Chartes des biens à Chablis 13
Chartes des biens à Tonnerre 16
Chartes des biens à Troyes 8
Chartes des biens à Dijon 6
Chartes des biens à Malay-le-Vicomte 20
Chartes des biens à Sens 6
Fig. 11.
s’il y avait un litige[109]. Par contre, la première partie, qui a été rédigée dès la fin du xiie siècle fait figure d’innovation : c’est l’histoire même de Pontigny et de son temporel qui, seuls, peuvent expliquer la date de rédaction de ce premier petit cartulaire de dix-neuf folios.

Le plan est méthodique, comme dans la plupart des recueils de titres de cette époque qui répugnent à l’ordre chronologique[110].

Dans la première partie sont groupés en tête les privilèges généraux du monastère, à l’exclusion de ceux qui concerneraient l’ordre en général. Puis le cartulaire est divisé en sept chapitres, suivant un ordre topographique le premier groupe les actes qui portent sur le cellier que les moines possèdent à Auxerre, tandis que les six autres rassemblent les pièces suivant les six granges importantes de l’abbaye[111].

La seconde partie conserve un plan méthodique, mais plus complexe. Un peu plus de la moitié[112] de l’ouvrage est conçu en fonction de la matière de l’acte — argent, nature ou droits et exemptions —, mais aussi en fonction de l’origine sociale du donateur ou vendeur. Puis le monastère en revient à un classement topographique, non plus par granges, mais par localités dans lesquelles Pontigny a des possessions[113].

En fait, le plan adopté dans l’une et l’autre partie du cartulaire reflète un essai de classement le mieux adapté possible au genre de biens que recevait le monastère : au xiie siècle, les granges qui avaient été créées là où les donations étaient les plus nombreuses, étaient bien des centres qui pouvaient servir de base à un classement. Par contre, la multiplication des dons de rentes au xiiie siècle nécessitait un autre cadre de classement, car ces dons étaient assis sur des lieux très divers et éparpillés.


IV. L’utilisation ultérieure du cartulaire.

Il nous reste à voir ce qu’est devenu au cours des siècles le premier cartulaire de Pontigny et l’utilisation que les érudits ont pu en faire.

Nous savons déjà que peu de temps après la rédaction de la seconde partie du cartulaire, cet ouvrage fut mis à profit pour préparer la rédaction d’un nouveau recueil des titres du monastère[114]. Ces deux livres ont dû, à leur tour, servir de base au xive siècle, pour la confection d’un autre cartulaire de l’abbaye qui subsiste encore à la Bibliothèque nationale[115] ; aussi retrouvons-nous certains de nos actes retranscrits dans ce volume, ce qui nous a permis de donner le texte d’actes tronqués de notre cartulaire, alors que l’original en avait disparu.

Il faut ensuite se transporter au xviiie siècle pour voir le cartulaire de nouveau utilisé on en entreprit, en effet, à cette époque la copie en un in-folio sur papier, de 349 pages[116]. Ce volume est formé de sept cahiers et débute par un index des actes. Ce dernier est rédigé entre deux larges marges dont l’une, celle de droite, indique le numéro du folio de l’ancien cartulaire. Le texte porte une numérotation, en haut à droite pour le recto et à gauche pour le verso, en chiffres arabes. Il est à noter enfin que la date est portée en marge, quand il y en a une. Cette copie, qui d’ailleurs est notée comme celle d’un cartulaire disparu dans l’Inventaire sommaire des Archives départementales de l’Yonne[117], est la seule utilisation qui ait été faite de notre cartulaire à cette époque.

Les érudits lui préférèrent, en effet, le cartulaire rédigé au xive siècle et qui, après avoir appartenu à Molé et à Colbert, était entré à la Bibliothèque du roi en 1732[118]. Du Chesne, Baluze ou Gaignières ne se servent que de lui, et les éditeurs, tels Martène ou les rédacteurs de la Gallia christiana, firent de même[119]. Cependant, l’on peut penser que l’ouvrage que l’on connaît sous le nom de cartulaire de Depaquy[120] a fait appel à notre cartulaire, bien que ce soit surtout un recueil d’originaux. En effet, ce travail est l’œuvre de Dom Robinet qui fut appelé en 1720 par l’abbé de Pontigny, Pierre de Calvairac, pour rassembler les titres du monastère. Ce fut Jean Depaquy, dernier abbé de Pontigny, qui transcrivit cette collection d’actes rassemblés pendant douze ans par Dom Robinet, et il se proposait de la livrer à l’impression quand éclata la Révolution. Il avait ainsi réuni quatre volumes in-8o de quatre à cinq cents pages chacun : dans le premier figurent une notice sur les abbés de Pontigny et la filiation de l’ordre ; les deux suivants contiennent des actes divers, les dons des seigneurs du voisinage, alors que dans le dernier se trouvent les édits des rois concernant tout l’ordre, la règle et les divers statuts.

La Révolution fit quitter l’abbaye à notre cartulaire. Un article du décret de pluviose an III qui permit la formation des bibliothèques de districts, et celui du 3 brumaire an IV sur la création des bibliothèques des écoles centrales prescrivirent la réunion des chartes et des cartulaires monastiques dans ces nouveaux dépôts. Bientôt, le ministère de l’Intérieur ordonna d’envoyer à la Bibliothèque nationale tous ces cartulaires. Aussi le père Laire, bibliothécaire à Sens de l’École centrale du département, fut-il obligé de s’exécuter : il envoya le 29 mai 1799 quatre cartulaires dont celui de Pontigny qui reçut alors la cote 9887[121].

Or, les études qui furent faites par la suite sur Pontigny sont l’œuvre d’érudits locaux qui préférèrent utiliser les documents qu’ils trouvaient sur place : qu’il s’agisse de Chaillou des Barres[122] ou d’Henry[123], qui, tous deux, écrivirent des histoires du monastère, c’est la compilation de Depaquy qui fut utilisée. Même Quantin se servit de ce recueil dans sa publication du Cartulaire général de Yonne[124] ; ou bien il utilisa la copie de notre volume[125] ou encore le cartulaire du xive siècle[126].

Il semble bien que le premier historien à avoir largement utilisé notre cartulaire soit André Courtet dans sa thèse de l’École des Chartes. Malheureusement son ouvrage n’a jamais été publié, le manuscrit en a disparu et nous n’en avons que les positions[127].

En fait, le premier cartulaire de Pontigny, à l’image de l’abbaye dont il forme le livre des biens, a été laissé dans l’ombre et fort peu utilisé.


  1. Ex. : au n° 66 on peut voir Flor-entino écrit de part et d’autre d’un trou.
  2. Les folios marqués en chiffres romains sont ceux de l’ancienne numérotation.
  3. On peut affirmer que l’ancienne foliation n’a pas été faite par le second rédacteur du cartulaire qui est senestrogire, alors que le folioteur est dextrogire (ex. n° 327.)
  4. Arch. dép. de l’Yonne, H 1400.
  5. N° 16.
  6. Voir le dessin des différents cahiers.
  7. F° LI.
  8. F° LX.
  9. F° LVII.
  10. Pour Chablis voir : Arch. dép. de l’Yonne, H 1457 (quatre actes) ; pour Dijon un seul acte mutilé de 1217, H 1479.
  11. Mais ici l’explication est plus difficile à admettre car les originaux conservés sont du xiiie siècle, et il faudrait alors que le second scribe ait ajouté ces actes sur un feuillet vierge (?).
  12. Voir H 1405, H 1438.
  13. H 1408.
  14. P. Piétresson de Saint-Aubin, Notes sur l’abbaye de Clairvaux, dans Recueil sur saint Bernard et son temps (Dijon, Palais des États, 1928), n° 23, p. 262-292.
  15. Voir nos 249, 359, 360, 361, 362, 363, 384, 390 etc.
  16. Ex. : nos 251, 252, 298, 307, 313.
  17. nos 16, 355, 394, 404.
  18. N° 355.
  19. nos 41, 354, 384, 393.
  20. Bibl. nat., Ms. lat. 5465, f° 53, n° 141.
  21. Arch. dép. de l’Yonne, H 1524.
  22. N° 118.
  23. H. Stein, Bibliographie des cartulaires français, p. 418, n° 3061.
  24. nos 68, 90, 127, 272, 273, 281, 283, 285, 286, 304, 322, 323, 336, 352, 364.
  25. nos 34 et 68 ; nos 213 et 364 ; nos 162 et 182.
  26. nos 98 et 323 ; nos 102 et 352 ; nos 103 et 304; nos 120 et 322 : nos 121 et 336.
  27. Ex. : n° 268.
  28. N° 95 : en fait, nous possédons une notice sur la fondation de l’abbaye (n° 84), qui n’est pas datée.
  29. N° 271.
  30. N° 240.
  31. N° 188.
  32. Voir le tableau de la répartition chronologique des actes.
  33. N° 118.
  34. nos 16, 355.
  35. nos 182, 364.
  36. nos 394, 404.
  37. N° 391.
  38. nos 14, 19, 54, 81, 82, 83, 103, 106, 123, 138, 139, 141, 154, 155, 156, 382.
  39. Le n° 255 reprend le n° 190.
  40. nos 242, 262.
  41. N° 51.
  42. nos 395, 396, 397, 398, 399, 400, 401, 405, 406, 407, 408, 409, 411, 412, 413.
  43. Voir p. 12.
  44. L’ordre dans lequel ils sont donnés est décroissant.
  45. nos 276, 277.
  46. N° 154.
  47. Ex. : nos 1, 2, 115.
  48. N° 7.
  49. N° 14.
  50. nos 3, 4.
  51. nos 6, 278.
  52. N° 121.
  53. nos 63 (1144) ; 84 (1114-1119) ; 112 (1125-1132) ; 151 (1139).
  54. Voir les nos 46, 47, 48, 56, 82, 84, 149, 155, 217 ou 341.
  55. Voir nos 155 et 153.
  56. n° 154.
  57. nos 288 (1239), 343 (1239).
  58. nos 344 (1224), 346 (1234). 347 (1234).
  59. nos 160 (1236), 253 (1251), 388 (1233).
  60. Doyen de Tonnerre : {{numéros|158, 164, 165, 166, 169, 173, 178, 180, 183, 360, 361, 363, 370, 374, 375, 376, 377, 378 ; doyen de Saint-Florentin  : nos 157, 159, 161, 163, 167, 171, 177, 235, 236, 291, 337, 379.
  61. Ex. : n° 328.
  62. Voir nos 241 à 248.
  63. N° 252.
  64. N° 284.
  65. N° 211.
  66. nos 212, 220.
  67. N° 237.
  68. N° 240.
  69. N° 271.
  70. N° 28.
  71. On retrouve les mêmes e, q, a, n, surtout pour ce qui est des majuscules.
  72. Du n° 117 au n° 122 : en fait c’est plutôt une impression qu’une certitude ; l’écriture semble légèrement plus brisée et plus précieuse.
  73. nos 248 (1266), 236 (1264), 247 (1264), 370 (1264).
  74. Voir les photographies.
  75. nos 162, 166, 203, 219, 248, 250, 253, 303.
  76. Ex. : n° 239.
  77. Ex. : n° 248.
  78. nos 240 (1278), 271 (1294).
  79. N° 227.
  80. Plus de vingt actes portent cette mention ; ex. : n° 30.
  81. N° 57.
  82. N° 191.
  83. nos 221, 222, 223.
  84. Ainsi en marge du n° 323 on peut lire Habetur supra, car cet acte figure déjà sous le n° 98.
  85. Ainsi, n° 254 : Habetur infra quarto folio confirmatio istorum centum solidorum.
  86. Ainsi : n° 248 : Habetur confirmatio capituli Cantuariensis tam de donatione ecclesie de Rumenal quam de presentatione vicarii sub hac forma. Or il n’y a aucune trace de cette confirmation dans le cartulaire, aussi faut-il admettre que c’est une allusion à un original.
  87. N° 114.
  88. N°418.
  89. N° 85.
  90. N° 84.
  91. C’est ainsi qu’il n’a pas glosé le n° 90, qui est le même que le n° 10 ; ni le 98, qui concerne Forterre ; ni le n° 99, en marge duquel est noté : Non scribatur ; ni enfin le n° 102, pour lequel est indiqué Scripta est hic et alibi.
  92. Voir le tableau des gloses.
  93. Bibl. nat., lat. 5465.
  94. Ex. : Lineireliis dans l’original et le n° 323, tandis que le n° 98 porte Linieriis. Par contre le deuxième scribe a supprimé les e cédillés.
  95. Ex. : n° 350.
  96. Nous possédons 162 originaux sur les 419 actes.
  97. Ex. : n° 70, dans le cartulaire on lit « Monmorenci », alors que l’original porte Monte Morence ; voir aussi n° 104.
  98. N° 129.
  99. N° 86.
  100. Ex. : nos 10, 130.
  101. Ex. : nos 129, 130.
  102. Ex. : n° 107.
  103. N° 73 : …laudaverunt jure perpetuo possidendum quicquid… dans l’original, alors que la copie a sauté : jure perpetuo possidendum.
  104. Ex. : nos 20, 70, 139.
  105. Ex. : nos 92, 96.
  106. N° 167 : il écrit « Arnulphus » au lieu de Radulphus.
  107. nos 20, 92, 96, 104.
  108. N° 65, …idus juliis. ; dans l’original, …VIII idus juliis.
  109. H. d’Arbois de Jubainville, Études…, : dans l’introduction l’auteur nous dit que le premier cartulaires de Clairvaux a été rédigé vers 1263.
  110. M. Quantin, Inventaire général des archives historiques de l’Yonne, 1re partie, Auxerre, 1852 : voir l’introduction au catalogue des cartulaires.
  111. Voir le plan des deux parties du cartulaire de Pontigny.
  112. 57 %.
  113. Ce classement est imparfait. C’est ainsi que l’on trouve toute une série d’actes touchant Fouchères sous la rubrique Auxerre.
  114. Cf. supra, p. 52-53.
  115. Bibl. nat., ms. latin 5465.
  116. En fait, les six dernières pages ne sont pas écrites.
  117. Inventaire sommaire des Archives départementales de l’Yonne, t. III, série H, p. 322.
  118. L. Delisle, Le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale, t. III, p.412.
  119. Voir la bibliographie.
  120. Bibliothèque d’Auxerre, manuscrit n° 158.
  121. Bibl. nat., ms. latin 9887.
  122. Cl. Et. Chaillou des Barres, Histoire de l’abbaye de Pontigny, Paris, 1844, 244 p.
  123. W. B. Henry, Histoire de l’abbaye de Pontigny, Auxerre, 1839.
  124. M. Quantin, Cartulaire général de l’Yonne, 3 vol. Auxerre, 1854-1860.
  125. Ex. : t. III, p. 31, n° 66.
  126. Ex. : t.III,p. 16, n° 33.
  127. A. Courtet, Étude historique sur l’abbaye de Pontigny, suivie d’un essai sur la formation du temporel, dans École nationale des Chartes. Positions des thèses. Promotion 1920, p. 4-18.