Mercvre de France (p. 110-138).
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V

Aucun obstacle ne pourra nous arrêter jusqu’à ce que nous soyons arrivées auprès des rois.
grégoire de tours

Du plat de sa paume, la dame Leubovère essayait de dérouler et d’appliquer droit sur la table le grand vélin, très jauni, un peu moisi, qu’on avait eu le tort de serrer en un coffre humide, et, toussant pour commencer, elle assurait sa voix afin de peser dignement ses mots. Le vélin revenant sur lui-même lui battait les joues. On eût dit l’aile agitée d’un méchant oiseau, une de ces bêtes de proie qu’il ne fait jamais bon conserver captive. C’était, ce précieux parchemin, la lettre écrite jadis, à la bienheureuse dame Radegunde, par les vertueux évêques Eufronius, Prétextatus, Germanus, Félix, Domitianus, Victorius et Domnolus.

En la présence de leur abbesse assise à sa table de lecture, lourd billot de chêne sans aucun ornement, les nonnes se trouvaient groupées debout, selon leur âge, sinon leur qualité. Les plus jeunes formaient un champ de lis, drument plantés, fronts tendus sous le voile de lin qui dissimulait leurs yeux brillants d’une curiosité naïve. Les plus vieilles, rangées contre les murs, gardaient la posture de femmes endormies, les paupières closes dans les plis des capuces ramenés jusqu’à leur bouche tremblant de temps à autre au marmonnement d’une invocation.

La lecture avait lieu dans la salle du réfectoire, où des esclaves femelles, dont les courtes tuniques, les cheveux entièrement rasés évoquaient* l’aspect de mâles chétifs, enlevaient encore les traces du repas de midi. Les voûtes étaient hautes ; trois larges ouvertures les éclairaient, donnant sur les forêts. Par là on voyait onduler une mer immense de verdure et resplendir l’azur du ciel d’une pureté infinie. Au milieu du silence qui planait, on pouvait entendre bruire les insectes, dehors, tandis qu’à l’intérieur résonnait la seule agitation de ce rouleau que la main anxieuse de l’abbesse cherchait à déplier.

Leubovère portait péniblement soixante années. Très épaisse, de membres trapus dénonçant une humble origine, elle ne pouvait marcher sans souffler à cause de ses douleurs. Les jambes emmaillotées de linges ou de laines, elle se traînait d’ordinaire bougonnante, fatiguée, cependant pleine de zèle quand il s’agissait du service de Dieu. Elle mangeait peu, se refusant aux douceurs permises les jours fériés, ne parlait guère et, d’intelligence bornée, elle ne s’intéressait qu’au rendement des terres de son abbaye. De graves soucis la tourmentaient depuis le printemps. Elle sentait fermenter dans toute l’étendue de ses domaines une germination mauvaise ; il avait beaucoup plu le premier[1] mois de l’année ; le blé levait mal et le second mois, bien trop chaud pour la saison, exaspérait certaines religieuses qu’elle n’aimait pas. Il fallait veiller au grain pourrissant, déraciner les herbes folles, empêcher des femmes nerveuses de se monter la tête. Elle pensait que cela serait simple parce que cela faisait partie de son devoir, mais elle redoutait le moment des explications. Quand le jeûne et l’abstinence ne produisent aucun résultat, les mots creux demeurent sans effet. L’abbesse n’osait pas remettre sa lecture, ayant, à ces différents sujets, pris conseils de son évêque et puisque Marovée, seigneur directeur de la maison de Radegunde, recommandait la patience vis-à-vis des mutinées, le rappel aux saintes règles par de pieux enseignements, elle lirait donc ce grimoire.

Toussant encore et lissant le vélin d’un geste résigné, elle jeta un regard autour d’elle. Les nonnes, plongées dans une immobilité respectueuse, n’avaient même pas l’air de s’inquiéter du manuscrit. Les prières dites, elles songeaient qu’il faisait chaud et qu’on était mieux là qu’au jardin, en plein soleil.

De ses yeux fouilleurs, un peu rougis aux bords, l’abbesse paraissait chercher quelqu’un. Elle avait toussé plusieurs fois pour se donner le prétexte d’attendre. Maintenant, elle devinait qu’on ne viendrait pas. Ces religieuses-là, toujours à chuchoter dans les angles obscurs, s’affranchissaient de plus en plus des coutumes de soumission et d’humilité.

— Isia, dit enfin la dame Leubovère d’une voix forte, sais-tu où sont allées tes sœurs Chrodielde et Basine ?

Un lis, plus frêle que les autres, se détacha du bouquet de jeunesse et, en inclinant doucement le front, répondit :

— Ma mère, nos sœurs Chrodielde et Basine sont retournées dans leur cellule.

— Malgré mon avertissement !… Il faut que l’ordre se rétablisse ici, gronda Leubovère en se levant avec peine de l’escabeau sur lequel elle s’était tassée. Il le faut, vous m’entendez, mes filles ? Qu’on aille me chercher Chrodielde et Basine.

Comme des plantes rigides tout à coup devenues souples au passage d’une brise irritante, les lis ondulèrent et échangèrent leur parfum à voix basse.

Les vieilles femmes, dos au mur, grommelèrent une sorte d’approbation qui ressemblait à un grincement de scie.

Leubovère ajouta, car elle mêlait volontiers les éclairs de sa volonté directoriale aux éclats de sa mauvaise humeur :

— On aura soin désormais de choisir un coffre sec, pour y ranger les parchemins. Ce manuscrit est tout taché de moisissure.

Isia s’envola dans le vent vif de ses deux larges manches « immaculées.

L’abbesse, de plus en plus anxieuse, se mit à considérer la grande croix noire qui ombrait la muraille en face d’elle. Rustiquement agencée, elle était faite de deux branches d’arbres liées d’un tortillon de paille. L’abbesse Leubovère l’avait voulue telle que son imagination de femme simple se représentait au temps du Christ l’instrument du divin supplice. Un gibet ne saurait être un objet de luxe et, possédant, en ce saint monastère, un morceau de la vraie Croix, était-ce la peine de se livrer à des enjolivements de matières précieuses ? Dieu merci ! cette ancienne maison païenne (que la dame Radegunde avait eu la fâcheuse idée de joindre aux constructions chrétiennes) prouvait assez, par ses profanes sculptures, le cas qu’il était convenable de faire des œuvres d’art, presque toujours les œuvres du démon ! Dans les mêmes dispositions de cœur, elle avait remplacé la vaisselle du potier par des écuelles de bois, en dépit des réclamations des nonnes délicates qui prétendaient que la nourriture y prenait un goût d’amertume.

Isia, la novice, revint se prosterner devant sa supérieure, les mains unies sous ses manches ; elle murmura :

— Ma mère, j’ai prévenu nos sœurs.

— Que faisaient-elles ? N’ont-elles pas compris mes paroles, après la bénédiction ? J’ai annoncé une lecture. Sont-elles sourdes ?… Est-ce pour nos esclaves que je vais chapitrer ?

Isia se releva, muette, ne désirant probablement pas répondre pour ses aînées.

Alors l’abbesse s’emporta, sa voix se fit rauque et un peu larmoyante.

— De quelles vanités sont donc pétries nos sœurs Basine et Chrodielde ? De quelles sottises vont s’enfler leur cervelle de chèvre et pourquoi, depuis plusieurs lunes, s’obstinent-elles dans leur posture scandaleuse ? Je vous le déclare, mes filles, l’année sera mauvaise, bien mauvaise pour nous toutes. Des étoiles impures encombrent le firmament de leur queue satanique. On a vu, le jour de Pâques, des flammes jaillir d’une montagne et le monstre dévorant qui ensanglanta les rues de Poitiers cet hiver ne prit forme de loup que pour se déguiser. Il reparaît au monastère où on entend gémir nos bons serviteurs. Ils disent que nous n’aurons point de blé cet été, si cette chaleur d’enfer continue. Les récoltes sécheront sur pied. Point de légume et point de fruit. Comprenez-vous enfin que Dieu se lasse et que sa colère va s’appesantir sur nos fronts ? Hâtons-nous de les couvrir de cendres ! Que signifie ces mines de révoltées ? Les unes veulent s’habiller selon le monde, les autres ont l’audace de manger plus que leur appétit. Toutes ont la mollesse dans les membres et dorment aux offices. Croyez-vous que je puisse tolérer vos débordements ? Il en est qui veulent boire du vin à tous les repas quand nos vignes dépérissent. Ah ! mes filles, vous êtes des servantes et rien que desservantes, ne l’oubliez pas, ne l’oubliez jamais. Par notre mère à toutes, la révérende Radegunde, dont le saint nom nous protège, croyez-moi, redoublez de vigilance. Satan rôde ! Ce n’est pas le moment de s’abandonner aux douceurs charnelles.

Leubovère, exclusivement occupée des menus détails de la règle, connaissant bien la lettre de sa religion, mais incapable d’en saisir tout l’esprit, s’efforçait, aux heures solennelles, de parler le langage pompeux du pasteur Grégorius ou de copier le grand style des épîtres de dame Radegunde. Manquant des usages acquis au contact des puissants de la terre, elle mêlait dans une étrange homélie, les axiomes des savants pontifes aux observations météorologiques de ses jardiniers. La comète qui lui aurait mûri la meilleure vendange lui aurait certainement prédit la gloire de son couvent, malgré sa queue satanique.

Comme elle se rasseyait en soufflant au milieu d’un silence absolu, le rideau de laine blanche qui fermait l’arceau séparant le réfectoire de la chapelle s’écarta brusquement et deux femmes entrèrent : Basine, rousse, apportant la lumière de son jeune astre perturbateur, et Chrodielde, superbe créature de trente ans, très brune, plus pleine de hanche que sa cousine, montrant un visage sombrement résolu à la bouche cramoisie.

Basine riait de toutes ses dents de louve blonde. Chrodielde avait l’aspect peu rassurant de celle qui va mordre et elle tordait, en outre, une petite baguette de coudrier. Têtes nues, toutes les deux couronnées de leurs seules chevelures courtes qui bouclait sur les tempes de Basine, ourlait, d’un feston noir, les oreilles de Chrodielde, elles se vêtaient pareillement de deux robes de lin garnies d’une ganse d’or.

Elles s’avancèrent se tenant par la taille, en dépit de la règle qui prescrivait les allures nonchalantes, puis se campèrent, bien droites, au premier rang des jeunes nonnes, laissant cependant entre elles et la traîne de leur jupe un espace de plusieurs pas.

L’abbesse les toisa de leur tête altière à leurs pieds nus et souffla, comme effrayée de leur apparition. Vainement chercha-t-elle une sentence appropriée à leur effronterie. Sa mémoire lui faisant défaut, elle se contenta de lever les yeux au ciel.

— Je vais donner lecture, gronda-t-elle, d’un pieux commandement qui fut envoyé à la bienheureuse maîtresse et fondatrice de ce monastère. Que chacune de vous, mes sœurs, en tire un profit salutaire pour ses méditations.

Et s’étant tassée de nouveau sur son siège de bois, elle entama courageusement ce chapitre :


La divine Providence, dans sa prévoyante sollicitude, veille sans cesse sur le genre humain ; tous les temps et tous les lieux éprouvent continuellement ses bienfaits, puisque le divin arbitre de toutes choses disperse en tous lieux, dans les champs confiés à la culture de l’église, des personnes qui, s’appliquant avec soin à y faire germer leur foi, font rendre au centuple les fruits du Christ, grâce à la température divine qui les réchauffe. La bienfaisance se répand tellement de tous côtés qu’elle ne refuse jamais ce qu’elle sait être utile au plus grand nombre, afin que le saint exemple de ces personnes produise, au jour du jugement, beaucoup d’élus à couronner. Ainsi, lorsqu’au berceau de la religion catholique, le germe de la vraie foi se répandit dans les Gaules, et lorsque les ineffables mystères de la sainte Trinité n’étaient encore connus que d’un petit nombre, la divine Providence, dans sa miséricorde, ne voulant pas gagner moins ici qu’elle n’obtenait dans le monde entier par les prédications des apôtres, daigna envoyer, pour éclairer ce pays, le bienheureux Martin, né d’une race étrangère. Quoiqu’il n’apparaisse pas au temps des apôtres, il ne manqua point de la grâce apostolique ; car s’il ne vint pas des premiers, il fut comblé des grâces du Seigneur ; et celui qui l’emporte en mérite ne perd rien à venir après les autres. Nous nous félicitons, très révérende fille, de voir revivre en vous, par la faveur divine, les exemples de cette dilection d’en haut : car, tandis que le monde décline par la vieillesse du siècle, la foi, par les efforts de votre esprit, est rajeunie dans sa fleur ; et ce qui s’était attiédi par le froid alanguissant de l’âge se réchauffe enfin par l’ardeur de votre âme fervente. Mais comme tu es venue à peu près des mêmes lieux d’où nous savons qu’est venu saint Martin, il ne faut pas s’étonner si l’on te voit imiter dans ses œuvres celui que nous croyons t’avoir guidée dans le chemin, de manière à suivre les traces de celui que par un heureux choix tu t’es proposé pour modèle. Tu t’associes cet homme bienheureux en proportion de ce que tu répugnes au commerce du monde. La lumière de sa doctrine rayonnant au dehors, tu remplis tellement d’une clarté céleste le cœur de ceux qui t’écoutent que les jeunes filles attirées de toutes parts, l’âme embrasée des étincelles d’un feu divin, brûlent de s’abreuver dans ton sein de l’amour du Christ, et quittent leurs parents, abandonnent leur mère pour te suivre. C’est là un effet de la grâce, non de la nature. Voyant donc les vœux que leur inspire leur affection, nous rendons grâce à la miséricorde suprême qui fait les volontés des hommes conformes à sa propre volonté ; et nous avons confiance que Dieu veut retenir par ses embrassements celles qu’il rassemble près de vous. Et comme nous sommes informés que plusieurs sont, par la grâce divine, accourues pleines d’ardeur, de nos diocèses pour embrasser les statuts de votre règle ; après avoir pris aussi lecture de la lettre qui contient votre requête et que nous avons reçue avec joie, nous arrêtons, au nom du Christ, notre auteur et notre rédempteur, que toutes celles qui sont ici réunies doivent inviolablement rester attachées dans l’amour du Seigneur, à la demeure qu’elles ont choisie de plein gré ; car la foi promise au Christ, à la face du ciel, ne doit point être souillée ; et ce n’est pas un crime léger que de polluer, ce qu’à Dieu ne plaise le temple du Seigneur, en sorte que dans sa colère il puisse le détruire. Et nous arrêtons spécialement que si quelque fille, ainsi qu’il a été dit, appartenant à quelqu’un des lieux confiés par la divine Providence à notre administration sacerdotale a mérité d’entrer dans notre monastère de Poitiers et d’y suivre les règlements tracés par l’évêque d’Arles, Césarius, d’heureuse mémoire, qu’il ne lui soit plus permis, après y être entrée, comme la règle le prescrit, d’en sortir de sa propre volonté, afin que ce qui est un insigne honneur au yeux de tous ne puisse être avili par la honte d’une seule.


À cette phrase du manuscrit, l’abbesse Leubovère jeta un regard de sévérité sur ses nonnes. Elle s’aperçut que les vieilles dormaient debout, selon leur fatale, coutume, et que les jeunes, toutes serrées les unes contre les autres, semblaient échanger de vagues sourires ou de puériles réflexions.

Seules, les deux cousines demeuraient attentives, le front haut et la lèvre méprisante, écoutant comme des femmes qui préparent une réponse. Leubovère, tant pour souffler que pour conserver la sévérité de son maintien vis-à-vis de ces deux religieuses qu’elle n’aimait pas, fit un geste autoritaire.

— À genoux, mes sœurs, à genoux ! Il ne me convient pas que vous ayez l’air de me braver ! Je représente ici notre dame Radegunde. C’est à elle que s’adresse cette lettre des évêques et c’est à vous de trembler pour la suite qu’elle contient. Dieu a voulu m’éclairer sur ce que je devais vous dire, je vous le répéterai donc après les saints évêques Eufronius, Pretextatus, Germanus, Félix, Domitianus, Victorius et Domnulus :


Et si, fasse le ciel que cela ne soit ! quelqu’une d’entre elles, excitée par les suggestions d’un esprit déréglé, voulait souiller d’un tel opprobre sa disciplinera gloire et sa couronne ; que par les insinuations de l’ennemi des hommes, comme Ève rejetée du Paradis, elle sortît des cloîtres du monastère ou plutôt du royaume du ciel pour se plonger et se vautrer dans la vile fange des rues ; qu’elle soit séparée de notre communion et frappée d’un terrible anathème ; en sorte que si, captivée par le diable, elle abandonne le Christ pour épouser un homme, non seulement la fugitive soit punie, mais encore que celui qui s’est uni à elle soit regardé comme un vil adultère et comme un sacrilège plutôt que comme un époux. De même que celui qui, lui donnant un poison, plutôt qu’un conseil, lui suggéra une telle conduite, soit, par le jugement céleste et selon notre désir, frappé d’une vengeance pareille à celle qui a été prononcée contre elle, jusqu’à ce que, après la séparation effectuée, elle mérite, par une pénitence digne de son crime exécrable, d’être de nouveau reçue et réintégrée dans le lieu d’où elle est sortie. Nous ajoutons que les évêques qui nous succéderont doivent tenir sans cesse les religieuses dans la crainte d’une semblable condamnation. Et si, ce que nous sommes loin de croire, nos successeurs voulaient se relâcher en quelque point de ce que contient notre présente délibération, qu’ils sachent qu’ils auront à compter avec nous devant le juge éternel ; car la condition du salut est que celui qui est promis au Christ soit inviolablement observé. Pour donner plus de force au présent décret, nous avons cru devoir le munir d’une suscription tracée de notre propre main, afin qu’il soit, sous la protection du Christ, à jamais maintenu par nous.


Quand l’abbesse Leubovère eut terminé sa lecture, d’un accent tout vibrant d’indignation, elle s’aperçut que ni Basine ni Chrodielde ne s’étaient mises à genoux. Elles restaient droites devant elle, inflexibles comme deux hampes de lance dressées là par l’ennemi des hommes dont parlait le manuscrit. Les autres nonnes somnolaient ou ricanaient.

Leubovère s’essuya le front avec sa large manche. Sa sueur coulait pour la plus grande gloire de l’Église, mais elle avait d’autant plus peiné sur ce parchemin qu’elle en comprenait moins certains termes.

Le manuscrit se roula de lui-même, dès qu’elle en eut enlevé sa paume et revint lui souffleter la joue.

Alors Chrodielde s’avança, l’œil brillant d’un feu étrange, d’une sorte de lueur bleuâtre traversant la noirceur de ses prunelles pareille à ce reflet du fer qu’on vient de chauffer. Ses lèvres cramoisies s’ouvrirent sur sa denture puissante, capable de broyer tous les fruits défendus.

— Ma mère, dit-elle d’un sourd accent de colère, nous ne nous mettrons point à vos genoux pour vous répondre, car vous n’êtes point ici la digne représentante de la bienheureuse Radegunde. Notre Dame Radegunde était reine, fille de Berthaire, roi des Thuringiens. Nous avons assez de subir les humiliations de la règle instituée par elle, sans être obligées, ma cousine et moi, d’y ajouter une posture d’esclaves. À notre tour, nous vous dirons que nous ne pouvons oublier que nous sommes filles de rois, nées de reines aussi grandes que l’était de son vivant chez son époux, le roi Chlother, Radegunde, fondatrice de cette maison. Nous sommes de pur sang royal et nous ne l’oublierons jamais. Voici ma cousine appelée Hildeswinde, née d’Audovère, que l’on surnomme Basine en souvenir d’une illustre femme comblée des honneurs du monde, qui vous affirmera les mêmes choses. Nous sommes enfermées dans ce cloître pour d’autres causes que celle de la religion et si nous avons eu le courage d’y demeurer c’est que nous espérions y trouver, loin de nos ennemis, les égards dus à nos malheurs, surtout à notre rang. Puisque vous avez choisi ce jour pour nous instruire des devoirs de notre position et des pénitences qui nous menacent pour nos manquements à la règle, nous le bénissons parce qu’il va éclairer aux yeux de nos jeunes sœurs toutes les fautes que vous commettez sans vous en excuser vis-à-vis de nous. Rien ne nous empêche plus de parler. Vous nous malmenez : nous nous défendons et c’est bien vous qui aurez voulu la guerre.

L’abbesse étouffait. Debout, les poings appuyés sur le billot de chêne, elle examinait avec stupeur ces deux belles filles, les plus hauts et les plus blancs de ses lis, comme si elle les apercevait pour la première fois. Elles étaient la gloire du couvent et la promesse d’un riche avenir. Mais, victimes de la loi du plus fort, elles apportaient en elles tous les ferments de trouble, tous les éléments des lois dynastiques. Les voilà qui se révoltaient brusquement, criant vengeance contre le plus faible parce que les enfants des rois, ainsi que les enfants des loups, chassent de race. Leubovère, issue d’une famille paysanne n’était pas responsable des crimes du prince de Neustrie pas plus qu’elle n’était la complice de ses concubines. Ce qui l’indignait surtout dans leur subite attaque contre son autorité de vieille mère, c’était de les entendre s’exprimer à la façon d’un viguier[2] revendiquant des droits. Chrodielde lisait aisément tous les grimoires. Basine avait été élevée avec soin dans l’étude des manuscrits sacrés. Depuis son enfance, elle savait ce que Leubovère ne pouvait même pas apprendre au déclin de sa vie, et elle était, en outre, douée d’un esprit de raillerie qui la faisait détourner de leur véritable sens les pieuses naïvetés de sa supérieure.

Des élancements de goutte saisirent l’abbesse aux jambes. Il devait y avoir de l’orage sous les voûtes du monastère et dans les fonds bleus, trop bleus du ciel. Elle fut contrainte de se rasseoir.

— Vous me manqueriez de respect, vous ! cria-t-elle suffoquée. Ah ! je ne sais pas vos noms, je ne veux point m’en souvenir ! Vous êtes les filles de Satan, rien de moins, rien de plus !

Basine souriait d’un singulier sourire d’enfant malicieux, presque câline.

— Satan, ma mère, était, avant la création de ce monde misérable, le roi des anges et ce fut pour sa très grande noblesse qu’il eut en partage le royaume de l’enfer tandis que son père gardait celui du paradis. Daignez supposer un instant que le prince des ténèbres soit issu de souche ordinaire, d’un esclave ou d’un paysan, ne pensez-vous point que Dieu l’eût anéanti sans en laisser trace ? Croyez-moi, entre ennemis de même rang, on se doit le respect. Nous n’avons pas l’intention de vous retirer votre banc abbatial et cependant vous nous avez repris nos carreaux. La reine Radegunde nous les aurait laissés, car les dalles de l’église sont humides.

Leubovère joignit les mains au-dessus de son capuce.

— Vous les entendez, Seigneur, elles blasphèment et attestent Satan ! Vous, mes sœurs, allez à la chapelle, allumez tous les cierges, mettez-vous en oraison pour que la colère de Dieu ne nous envoie pas ses foudres !

Les nonnes âgées, ayant davantage aux muscles la brisure du mouvement religieux, prirent une à une la file vers la draperie de l’arceau ; une à une, elles se retournèrent pour saluer, puis disparurent avec un bourdonnement de grosses mouches, mais les jeunes religieuses, novices ou récentes élues, resserrèrent leur demi-cercle sur les deux coupables.

— Vous m’avez entendue ? fit Leubovère, leur désignant du poing la draperie flottante.

Elles ne bougèrent pas, toujours très droites et muettes, armées de fleurs indéracinables. Chrodielde haussa les épaules.

— Notre mère vous ordonne de vous en aller, allez-vous en ! ajouta-t-elle avec le ton dur et froid de la véritable maîtresse de la maison.

À la complète stupéfaction de l’abbesse, les jeunes nonnes s’éloignèrent, lentement, comme à regret, gagnant la draperie. Elles étaient bien une trentaine qui semblaient obéir aux nouvelles autorités.

— Restez ici, malheureuses ! rugit Leubovère, perdant la tête.

Basine éclata de rire. En écho, irrésistiblement, une trentaine de jolies modulations répondirent au rire démoniaque. Isia, la plus jeune, mâchait le coin du voile pour que cela ne partît point trop fort ; Nanthilde, une grande brune au visage souffrant, grimaçait, toute rouge ; Famerolphe s’égosillait franchement en fauvette qui s’ébroue au soleil du matin, Helsuinthe crut s’étouffer, se tenant les côtes, et Marconèfe, une exaspérée très méchante, pinça sa voisine pour lui communiquer son ardeur. Elles riaient toutes sans en trop savoir la raison, mais la gaieté de Basine était si étincelante qu’on prenait feu malgré soi. Et puis, à quoi bon le respect pour l’ancienne abbesse ? Chrodielde n’avait-elle pas toutes les chances de réussir à se faire nommer à sa place ? Que pouvait cette grosse marchande de blé contre la fille du défunt roi Charibert ! On est chef par le sang et Dieu n’a jamais eu besoin de sa piété personnelle pour être Dieu. Entre elles, les nonnes irrespectueuses appelaient leur abbesse : la marchande de blé, parce que Leubovère faisait argent du blé de la communauté, disant qu’on avait toujours trop de pain les mois de jeûne. Elle ne thésaurisait point pour elle. Ayant marié sa nièce avantageusement, économisant et encaissant plus par instinct de terrienne que pour en réaliser bénéfice. Durant son enfance, elle avait traversé une époque de famine et se souvenait de ses angoisses de paysanne allant aux eulogies plus pour les besoins de l’estomac que pour ceux de l’âme. Elle rêvait de grossir les réserves du couvent pour le jour prochain de la misère universelle. Elle témoignerait alors de la munificence du clergé, on la verrait ouvrir ses coffres aux humbles, aux mendiants honteux qui n’osaient pas quitter leur trou de rats… et en attendant elle se refusait, avec une furibonde énergie, de payer les impôts, imitant en cela grand nombre d’évêques et de moines du temps, très férus de la liberté de l’Église.

Chrodielde, voyant rire les nonnes, eut un mouvement d’impatience.

— Taisez-vous, dit-elle, toute sa fougueuse nature se masquant d’une gravité presque impériale. Nous ne sommes pas ici pour nous moquer de quelqu’un qui commande mais pour lui prouver qu’il se trompe en nous donnant des ordres. Écoutez-moi, ma mère, et vous, mes sœurs, tâchez de bien saisir nos intentions qui n’ont rien de criminel. Vous venez de nous lire un pieux message dont nous devons faire notre enseignement, mais vous ne dites pas très exactement pour quelle femme il fut écrit. Mes compagnes, trop jeunes pour connaître toute la vie de notre première abbesse Radegunde, n’ont pas eu le loisir d’étudier tous les manuscrits de nos coffres, beaucoup ne comprenant pas l’écriture latine. Elles savent que la dame Radegunde est morte en odeur de sainteté et elles ignorent pour quelles créatures d’élection, plus ou moins profanes, ce couvent fut bâti sur l’emplacement d’une ancienne maison romaine, un palais, agréable lieu de repos pour les grands de ce monde ayant renoncé à la grandeur temporelle, mais point aux jouissances spirituelles. Écoutez-moi, mes sœurs, et soyez juges entre qui vous voudrait ravaler au rang de servantes et qui vous veut mieux assises que princesses sur un trône !

Ici Chrodielde éleva la voix et par la mâle puissance de son verbe asservit jusqu’aux oreilles épouvantées de son abbesse.

— Radegunde, fille de Berthaire, roi des Thuringiens, n’avait pas la vocation du mariage. Élevée dans l’amour des lettres, elle ne pouvait se plaire au commerce intime d’un roi trop épris de son corps pour se soucier de la délicatesse de son âme. Dégoûtée de la barbarie des hommes et des peuples, elle possédait le charme des antiques prêtresses d’Apollon plus faites pour s’occuper de sciences que de guerre : elle aimait à bâtir et non à détruire. Après s’être réfugiée dans la religion du Christ pour fuir la couche de son époux, elle fit annuler son mariage et vint à Poitiers chercher une couronne encore plus merveilleuse que le bandeau royal : le triple diadème de la beauté, de la bonté et de la charité, qui est aussi la meilleure expression de l’amour pur. Notre première mère, Radegunde, a protégé un poète qui fit avec elle vœu d’amitié, Venantius Fortunatus, et cet homme prit l’habit monastique à la seule fin de demeurer le dévot de la divinité féminine qui l’avait converti. L’existence s’écoulait entre les murs qui nous emprisonnent, ô mes sœurs, tout autrement qu’aujourd’hui. L’abbesse Radegunde, que Basine et moi nous avons eu la joie de connaître, maintenait ou modifiait la règle de notre ordre selon les besoins de la chair ou les désirs du cœur. Elle disait à ses nonnes : « Vous que j’ai choisies, mes filles ; vous, jeunes plantes objets de tous mes soins ; vous, mes yeux, vous, mon repos et tout mon bonheur. » Elle n’ordonnait pas, ne nous menaçait pas, elle priait. Fortunatus, son ami, son directeur et son confesseur, l’exhortait de son côté aux délices de la table, lui permettait le vin à elle et à sa jeune parente Agnès. Si elle n’en voulait point user pour elle-même, en ayant vu trop boire à la cour de son époux, elle invitait son clergé, les nobles pèlerins de passage, ses serviteurs favoris, à des festins dont nous ignorons jusqu’à l’odeur, car des feuilles de roses, une mode romaine, couvraient la nappe de ses repas et, loin de proscrire la vaisselle de poterie, elle offrait à ses convives les mets les plus rares dans des plats de jaspe ou d’argent. Voilà ce que vous ne saviez pas, mes sœurs !… Ce monastère n’a jamais été créé pour devenir notre cachot, mais pour procurer à de nobles élues tous les plaisirs permis sur la terre en attendant de leur fournir, plus tard, le moyen d’acheter les clés du ciel. Si quelques-unes de vous, mes sœurs, doutent de mes paroles, je vais les édifier…

Avant que l’abbesse ait eu la pensée de tenter un geste de défense, Chrodielde tira de son sein une feuille de vélin noircie. Basine se pencha sur son épaule et lut, de sa voix sonore de mauvais ange prêt au combat, ces vers dont la sensualité pénétra ces jeunes cœurs de neige d’une langueur inexplicable :

Carnea dona tumens, argentea gavata perfert
Quo nimium pingui jure natabat olus.
Marmoreus deferet discus, quod gignitur hortis,
Quo mihi mellitus fluxit in ore sapor.
Intumuit pullis vitreo scutella rotatu,
Subductis pennis, quam grave pondus habens[3] !

— Et, continua Chrodielde, dont l’accent se fit plus âpre, il ne s’agissait point d’étroite réclusion ni de cilices. Les nonnes, sous la direction de ce saint homme, s’occupaient de leur salut tout aussi bien en jouant aux dés, comme notre abbesse ici présente en a conservé l’habitude, qu’en ornant le bas de leur tunique de broderies de couleurs, ce que la dame Leubovère nous défend bien ! Les religieuses du temps béni de Radegunde vivante, copiaient les beaux récits des légendes païennes, et Fortunatus, encore ivre du soleil brûlant de son pays, leur expliquait les inscriptions retrouvées le long des colonnes de nos jardins supportant des statues de marbre précieux, que notre dame Leubovère a fait jeter au fond des souterrains comme les monuments du démon ! Mes sœurs, il ne faut pas croire que l’ignorance soit un état de grâce. On est toujours coupable de méconnaître ses droits. La lettre des évêques ne menaçait pas les nonnes d’aujourd’hui. Elle faisait peut-être pressentir aux nonnes de jadis que des excès pouvaient se produire au milieu de tant de félicités mondaines, mais ce n’est pas nous qui sommes visées. On laisse à l’abandon notre piscine, où vont se baigner les esclaves et les mendiants de Poitiers durant que nous sommes privées d’eau chaude en hiver et de bains rafraîchissants en été, car quelle est celle de nous qui se baignerait maintenant après tous les gueux de la ville ? Il semble que cette maison soit le refuge des indignes bien plus encore que la demeure de princesses exilées du monde. Ma mère, nous ne prenons pas pour nous ce qui est dit sur les femmes désireuses d’épouser un homme en dépit de la foi promise au Christ. Ce qui nous révolte c’est votre aveuglement au sujet de la règle. Vous l’appliquez avec la rigueur des gens de basse naissance qui ne savent point qu’elle est double : la lettre pour les petits, l’esprit pour les grands. Ceux qui voient de la terre ne doivent pas être confondus avec ceux qui voient du haut d’une tour ! Vous avez cru nous faire imiter la sainte Patronne de ces lieux en nous réduisant aux plus viles besognes, balayer nos cellules ou laver la vaisselle commune, mais c’est que vous ne connaissez que cet envers de ces mérites ! Le travail des esclaves plaisait à Radegunde parce qu’elle était une reine fatiguée d’adulations et blasée sur toutes les vanités de ce monde. Qu’on nous offre à chacune un royaume et un époux dès notre enfance[4], nous aurons probablement aussi le goût du jeûne et des mortifications vers notre trentième année ! Pour le moment nous demeurons des prisonnières gardées en otage pour le salut des pêcheurs par un ennemi déloyal qui, nous ayant promis la liberté sous serment dans toute l’étendue de son empire, nous couvre de chaînes lourdes, alors que nous ne songeons même pas à le trahir, et nous nous insurgeons, ma mère, parce que nous ne sommes pas des pécheresses. Il est mauvais que ceux qui, manifestement, ignorent l’art de gouverner dirigent une maison fondée par une reine et pour des filles de sang royal… C’est pourquoi aucun obstacle ne pourra nous arrêter jusqu’à ce que nous soyons arrivées auprès des rois, nos parents, pour leur demander justice.

C’était mieux qu’une mutinerie de femmes nerveuses. C’était la révolution de palais, les grands dignitaires essayant de substituer l’un des leurs à ce qu’ils pensaient leur représenter l’usurpateur, et Chrodielde ou Bazine n’avaient plus qu’à tenter l’aventure puisqu’elles disposaient déjà d’une armée de mécontents.

L’abbesse Leubovère les comptait de ses yeux vacillant d’effroi. Elles se montraient au moins trente, groupées en gerbe protectrice derrière les deux lis dressés devant elle, les deux lis blancs au cœur noir de pensées profanes. Trente filles jeunes, déterminées, auxquelles il faudrait joindre certainement une dizaine de nonnes plus âgées se plaignant de la nourriture sans cesse, et, de ce nombre, la recluse emmurée du temps de la dame Radegunde, dont l’extrême bonté avait eu le tort de tolérer ce supplice volontaire !

Leubovère se leva dans toute la majesté de ses soixante années d’honnête et humble vie.

— Je ne connais, devant Dieu qui nous juge au-dessus des rois vos parents, malheureuses rebelles, qu’une loi religieuse et qu’une règle. Vous me devez obéissance comme je dois mes comptes à mon supérieur, l’évêque Marovée. Votre audace est si grande qu’elle ne relève plus que de celui qui vous l’inspira : le prince des ténèbres. Vous parlez sa langue mieux que viguier plaidant cause obscure ! Mes yeux rougis au service du Christ ne verront jamais mon abaissement à vos pieds, croyez-moi, mes pauvres justicières dont il est dit dans les écritures de ma maison que la plus juste pèche au moins sept fois le jour ! Je vous laisserai le temps de réfléchir à vos destinées toute une nuit, puis je me rendrai chez mon seigneur Marovée et je prendrai conseil de sa sagesse afin d’arrêter le genre de châtiment qui vous sera infligé. Pour les nonnes, jeunes et de tendre cire, qui vous assistent dans votre détestable sédition, je ne veux ni les regarder ni les entendre. Elles ont subi la tentation de goûter aux fruits de l’arbre maudit, mais elles n’ont point eu le loisir d’en exprimer tout le poison. J’ai vécu sous le règne de l’abbesse Radegunde et c’est parce que j’ai trouvé beaucoup de frivolités à ses occupations que je n’ai jamais voulu lire tous les manuscrits de nos coffres. Une véritable servante de Jésus-Christ en sait toujours assez lorsqu’elle se rappelle l’heure de la prière. La reine Radegunde faisait de sa maison un lieu de délices parce que, à cause du martyre enduré pendant son existence conjugale, elle pouvait entrer vivante en Paradis. Pour moi, moins privilégiée, j’espère ne parvenir au ciel qu’à ma mort. Imitez ma modestie. Il n’est pire science que celle qui vous gonfle d’orgueil, mes filles !

Et, de son pas traînant de vieille mère cruellement blessée, l’abbesse gagna la chapelle de son monastère, où l’on entendait le bourdon d’un psaume.

Basine, pensive, la regardait s’effacer devant la jeune lumière de ses cheveux roux. Chrodielde, comme ayant fini de réciter une leçon, demanda l’avis de sa cousine.

— Que devons-nous faire maintenant ? questionna-t-elle, tandis que ses compagnes penchaient anxieusement la tête, tous les lis ondulant au vent d’orage.

Basine sourit.

— Nous assurer les clés de sa maison et lui laisser celles du Paradis puisqu’elle y tient. C’est une très sage personne qui saura se suffire de peu.

  1. Mars.
  2. Magistrat du temps.
  3. Fortunati opera.
  4. Radegunde fut fiancée au roi de Thuringe dès l’âge de huit ans.