Payot (p. 95-116).


V

LE REFUS DE LA DOULEUR


Tandis que les fausses pitiés s’exerçaient sur des êtres indignes, un des traits caractéristiques de ce commencement de siècle était le refus de la douleur. Personne ne voulait plus souffrir. Partout on raccourcissait les deuils, bientôt on les aurait supprimés ! Et non seulement les crêpes s’abolissaient de plus en plus, mais on s’arrangeait de façon à étaler un peu partout ce qui en restait, élargissant sans cesse les limites de ce que les convenances permettent. Comme on ne pouvait supprimer la mort, on la dissimulait autant que possible, telle cette grande dame anglaise qui ayant lancé des invitations pour un bal, cacha le décès de sa mère, survenu à l’étranger, jusqu’à ce que les échos de sa fête eussent fini d’occuper la presse mondaine.

Sans arriver à cet excès d’insensibilité, la plupart des gens cherchaient à échapper aux étreintes de la douleur, essayant de lui interdire l’entrée des cœurs. C’était un complot général, dont la science et la philosophie se faisaient complices, et l’on peut affirmer que dans le monde moderne la douleur n’avait plus de place. Chacun devait constamment sourire, non pas comme les Japonais, chez lesquels le sourire représente une forme de stoïcisme devant le malheur, mais par légèreté et insouciance naturelles ou acquises, et aussi pour ne pas importuner une société qui s’acharnait à vouloir oublier la loi inéluctable de la douleur et de la mort.

Les souffrances morales n’excitaient presque aucune sympathie, les privations matérielles et les tortures physiques, seules éveillaient la compassion, et encore de façon très relative. Tant que l’on avait des rentes, personne ne tenait longtemps compte de vos chagrins. Je ne parle pas du peuple, mais du monde. La tristesse y faisait horreur à la plupart des gens, l’idée de la contagion les épouvantait. Rongés eux-mêmes par quelque plaie secrète, ils en écartaient la vision et ne voulaient que rien la leur rappelât.

Cependant, comme je l’ai dit dans le précédent chapitre, il suffisait de quelque fait divers éclatant, où le sang avait coulé entre amants, époux, proches parents pour exciter l’imagination et les nerfs du public et le faire vibrer jusqu’aux larmes. Le factice éveillait des émotions morbides ; on pleurait au théâtre, mais dans la vie réelle on se refusait à la moindre souffrance.

Les nombreux suicides que la presse enregistrait chaque jour en sont la preuve. Des fillettes s’empoisonnaient pour une gronderie de leur mère, des garçons parce qu’ils avaient manqué leurs examens ou pour des choses encore de moindre importance. Simplement, quelquefois, parce qu’ils s’ennuyaient ! Quant aux suicides passionnels, une vétille suffisait à les déterminer. Des amoureux qui n’auraient eu qu’à patienter quelques mois pour s’unir se sentaient inférieurs à cette épreuve et préféraient mourir. Il y avait presque toujours disproportion entre la cause et l’effet.

Quelquefois les raisons étaient plus graves et le courage encore inférieur. Entre amants, il suffisait d’une contrariété pour qu’on s’apprêtât à la suprême désertion. Il a fallu la catastrophe actuelle pour faire comprendre le prix de la vie.

Que de femmes préféraient le déshonneur à la souffrance. Des mères de famille se suicidaient plutôt que d’être contrariées dans leurs excursions extra-conjugales. Être traînées dans les journaux, déshonorer le nom de leur mari et de leurs enfants, peu leur importait, pourvu qu’elles-mêmes ne souffrissent plus ! Le scandale arriverait après leur mort, elles n’en sauraient rien !… Je me demande comment elles faisaient pour en être si sûres.

Il leur aurait suffi d’un peu de renoncement ou même, parfois, d’un peu de prudence pour éviter la catastrophe. Mais le plus petit obstacle irritait les nerfs, et crac on sortait de la vie ! Dans les anciennes civilisations trop avancées, l’histoire nous raconte que le fait s’est produit souvent, et qu’à la fin de l’empire romain les suicides furent excessivement fréquents. C’est toujours un signe de décadence que ces désertions de la vie, que ce recul devant la douleur.

En cette société insouciante, qui s’acheminait vers la destruction, les vraies tragédies d’âme, les drames secrets devaient cependant naître, mais ceux qui avaient encore la force de sentir et de souffrir comprenaient qu’à l’heure actuelle ils devaient faire le silence. Personne n’aurait eu le temps de les entendre, le moment était uniquement à la poursuite de la jouissance. C’est sur ce monde assoiffé de plaisirs et de richesses que la plus effroyable guerre que l’histoire ait enregistrée est tombée en coup de foudre. D’un rêve voluptueux d’où les scrupules étaient bannis, car on avait déclaré le ciel vide et toute sanction illusoire, il est tombé dans l’affreux cauchemar où il se débat aujourd’hui.


I


Je ne crois nullement que dans les époques normales il faille inutilement attrister sa vie. Bien au contraire, le devoir est de la rendre joyeuse et de transformer la religion en une source de sécurité et de bonheur. Ce serait, je crois, lui rendre son véritable caractère, interpréter justement la parole évangélique. Pour trouver le bonheur en ce monde, bonheur relatif, bien entendu, car nous ne pouvons supprimer ni la maladie ni la mort, il suffirait, en bien des cas, d’un simple déplacement des valeurs, de tourner sa lorgnette, de déplacer son rayon visuel pour rendre la vie supportable et presque heureuse. Nous ressemblons — du moins la plupart d’entre nous — à des jardiniers qui n’arrosent et ne cultivent aucune des belles plantes de leur jardin et prodiguent leurs soins à de misérables arbrisseaux et à des plantes vénéneuses. De temps à autre, un éclair les illumine ; ils se rendent compte de leur sotte erreur et se promettent, dès le lendemain, de mieux employer leurs arrosoirs et leurs sécateurs. Mais ce lendemain va rejoindre les lendemains de tant d’autres résolutions prises par les hommes.

Singulier illogisme ! Les individus refusent de souffrir, ils réclament impérieusement le bonheur et lui tournent le dos avec un persistant aveuglement. Une fois la tempête apaisée, c’est toute l’éducation qu’il faudra changer et refaire. « Veux-tu être heureux ? » demandera-t-on aux enfants. Et on leur représentera, comme des épreuves à éviter, ce qu’ils ambitionnaient autrefois et on leur fera voir la beauté et l’infinie douceur des choses qu’ils dédaignaient auparavant.

Mais à la première question « Veux-tu être heureux, » il faudra ajouter le précepte : « Tu ne dois pas refuser la douleur. » Quand il se sera débarrassé des fausses souffrances qui encombraient sa vie et qu’il aura appris à jouir de chaque minute de son existence, en sachant discerner toutes les vraies joies que Dieu lui accorde, l’homme ne doit pas refuser de souffrir quand le malheur frappera sa famille ou sa patrie. Les larmes, en certains cas, sont un devoir auquel il ne peut se soustraire. Celui qui pense au plaisir quand il vient de perdre son père ou que son pays est attaqué par l’ennemi, manque de virilité ; on peut le comparer à un soldat qui fuit le champ de bataille. Il faut savoir souffrir quand Dieu frappe. Du reste la fuite est inutile.

Nous venons de le voir, la société jouisseuse du XXe siècle a escompté en une fois toutes les douleurs auxquelles elle avait essayé de se soustraire. On voyait alors des gens aller dîner en ville le lendemain des funérailles de leur mère, des veuves et des veufs nouer de nouvelles fiançailles avant que le premier mois de leur veuvage fût écoulé. Je n’exagère pas, tout en admettant qu’il s’agit d’exceptions. De même pour l’amitié. D’affreux malheurs pouvaient atteindre les plus intimes et cela ne faisait perdre ni une partie de théâtre ni une course en auto. Il fallait au plus vite chasser les tristes impressions, s’en débarrasser. Les âmes raffinées ne devaient connaître l’excès en rien, pas même dans les regrets.

Était-ce un pressentiment de l’avenir qui donna à nos contemporains cette fièvre incessante de distractions, cette fureur de plaisir ? Devinaient-ils inconsciemment que les heures sinistres allaient sonner ? Ils s’y préparaient mal, en tous cas ; la peur est toujours une mauvaise conseillère et les malheureux ont payé leur insouciance si cher, qu’ils méritent quelque indulgence.

Heureusement, malgré tout, dans l’âme humaine et chez le peuple des forces dormaient que le tocsin a soudain réveillées et galvanisées pour l’épreuve suprême. Les plus frivoles et les plus superficiels ont retrouvé une virilité ; les femmes qui ne pensaient souvent qu’à leurs colifichets et se contentaient d’ambitions secondaires se sont élevées à la hauteur des circonstances. Les mères surtout ont été admirables, et ce cri de « Maman ! Maman ! » qu’on entendait retentir dans le silence de la nuit, sur les champs de bataille abandonnés aux morts et aux mourants, a été leur plus haute récompense.

Que de nobles exemples elles ont donnés de patriotisme et d’abnégation ! telle cette femme d’un fameux général français qui ayant quatre fils au front et apprenant que l’un d’eux était mort, demanda simplement : « Lequel ? » Elle savait dans son cœur que les autres aussi étaient condamnés. Aujourd’hui, il lui en reste un seul, et il est en première ligne. Mais comme elle n’avait pas refusé de souffrir, Dieu, sans doute, le lui laissera.

Une autre Française, femme d’un des diplomates les plus distingués de la République, ne veut jamais qu’on lui nomme son fils. « J’en ai fait le sacrifice, dit-elle, mais je ne puis supporter qu’on m’en parle. »

Que d’exemples aussi de vaillance on pourrait citer chez les femmes italiennes, parmi celles qui sentent la patrie et ont accepté le sacrifice. Dans le peuple, en particulier, l’héroïsme des mères est admirable. L’une d’elles disait : « J’ai quatre fils au front, je ne puis espérer de les revoir tous, mais si au moins Dieu m’en laissait un ! »

On pourrait écrire un volume sur les mots touchants et héroïques des mères. Seules celles qui vivaient dans le factice et l’égoïsme osent dire : « Les gens du peuple cela ne compte pas ; ils n’ont rien à perdre, mais mes fils, mes fils qui possèdent tous les biens de la vie, être exposés à mourir, n’est-ce pas une pitié, une horreur !… »

Évidemment pour la femme du peuple exposée plus ou moins à de continuelles privations et angoissée par le souci du pain quotidien, souvent insuffisant, l’acceptation de la douleur a été, je n’ose pas dire plus facile — ce serait cruel et injuste — mais elle a été accueillie sans étonnement, comme une visiteuse qu’on est habitué à voir assise au foyer. Dans d’autres classes, au contraire, accoutumées à jouir ou à vouloir jouir, personne ne voulait être dérangé dans sa quiétude ou sa fièvre de divertissements ; par conséquent, il y a eu sursaut, révolte… Comment ! Pas moyen de se mettre à l’abri ! Quelques-uns s’y sont bien essayés, mais le résultat a été décevant. C’est donc, ont-ils pensé avec horreur, que les privilèges sont en train de disparaître…

Il faut avouer que le réveil a été brusque pour des gens qui refusaient de s’astreindre à la moindre contrainte et qui ne voulaient même plus pleurer leurs morts. Disons-le cependant, plusieurs, parmi les plus raffinés jouisseurs, se sont tout de suite élevés à la hauteur des sacrifices que la patrie demandait. Quant aux soldats, ils sont partout admirables dans leur esprit d’endurance, je ne dirai pas de résignation, car leur attitude est au-dessus de la résignation. Pas une plainte ne sort de leurs lèvres ; ils acceptent les souffrances et la mutilation de leurs corps avec un stoïcisme grandiose. En passant devant eux, on a envie de dire aux civils : « Levez vos chapeaux, Messieurs. » Ces gens qui nous avaient irrités par leurs grèves continuelles, leurs réclamations incessantes, leur matérialisme outrancier et qui, par la bouche de leurs chefs, se déclaraient adversaires de toutes les formules qui avaient jusqu’ici guidé l’humanité, se montrent aujourd’hui désintéressés, obéissants, prêts à tous les sacrifices, avides d’idéal religieux. On se rend compte en les écoutant que les mauvais bergers parlaient en leur nom, mais n’avaient pas réussi à contaminer leur cœur. « On le savait bien, disent-ils, que le jour viendrait où les hommes devraient partir pour défendre la patrie. » Comme ils trouvent l’obligation nécessaire et juste, ils ne discutent pas.

Quel émerveillement ! quel bouleversement d’idées ! Et combien la grandeur simple, née de l’acceptation habituelle de la souffrance éclate à nos yeux. La vie de privations engendre des forces sublimes. L’épreuve est la grande éducatrice.

Ce massacre des corps auquel nous assistons d’un bout de l’Europe à l’autre, au lieu d’exciter la brutalité des instincts a délivré l’âme des entraves qui la retenaient prisonnière. Il est étrange que sur la violence des faits, la petite fleur bleue de l’idéal ait poussé. Les aumôniers catholiques et protestants pourraient raconter de merveilleuses conversions. Ces curés, sac au dos qui, blessés eux-mêmes, rampaient sur les champs de bataille pour porter l’absolution aux mourants, outre celui de la patrie ont combattu le bon combat de la foi. Les pasteurs ont fait de même et au milieu d’inénarrables horreurs, partout des paroles d’espérance sont montées vers le ciel. Ces jeunes hommes formulent des pensées admirables ; l’un d’eux écrivait : «  Ne dites jamais parlant d’un soldat qu’il a été tué à la guerre. À la guerre, on tombe, on ne meurt pas ! » Un autre : « Ma vie est plus que jamais dans les mains de Dieu ; qui monte en haut est heureux ! » D’autres lettres, écrites par des camarades annonçant aux mères, aux parents, la mort de leur fils sont également admirables. Toujours la foi est la consolatrice, et la patrie la force qui les pousse au sacrifice joyeux d’eux-mêmes. Ils meurent tranquilles, sans regrets, dirait-on, sauf celui de ne pouvoir embrasser leur mère, leur famille… Ils se tournent de côté pour mourir, en murmurant une dernière fois « Maman ! »

Quelques-uns sont stoïques. Un soldat, un territorial de trente-trois ans qui a reçu huit blessures par l’éclat d’un obus, dont une à l’œil gauche qu’il a perdu, avec cela marié et père de trois enfants, m’arrêta comme je lui manifestais ma sympathie : « Il ne faut pas me plaindre, dit-il, il ne faut pas s’affaiblir. Je ne regrette rien, j’ai fait mon devoir. Cette guerre était inévitable, la patrie se trouvait en péril, et puis nous avons travaillé aussi pour nos enfants, afin qu’ils ne soient plus exposés à de pareilles horreurs ! »

Ces mêmes mots sur la préservation d’un semblable avenir pour la génération future, m’ont été rapportés comme dits par des soldats français et je suis toujours frappée de la mentalité analogue des deux peuples dans l’expression de leurs sentiments. La ressemblance est surtout évidente dans les classes populaires italiennes, non empoisonnées encore par la pénétration allemande.


II


Un des résultats de l’épreuve subie sera d’avoir dissipé les malentendus qui avaient séparé deux nations que d’indissolubles liens devaient unir. Maintenant que les barrières factices sont tombées, elles doivent comprendre que pour être fortes, et défendre contre toute attaque la civilisation dont elles sont les gardiennes, il faut qu’il se crée entre elles une communauté d’intérêts de tout genre qui les rende plus qu’alliées : sœurs !

Abjurant toute susceptibilité, et mettant un frein aux tendances d’esprit qui ont amené dans leurs rapports plus d’un froissement d’amour-propre, elles doivent comprendre — maintenant que leur esprit a été ouvert — que l’affaiblissement de l’une serait fatalement dans l’avenir celui de l’autre, et que le moindre chauvinisme entre elles produirait les plus détestables résultats. Une fois la guerre terminée, elles se trouveront dans une position enviable, et s’aidant mutuellement à panser leurs plaies, elles formeront un bloc puissant.

Assurées de la paix, par leur alliance avec l’Angleterre et la Russie, elles pourront recevoir de ces nations des enseignements salutaires. Ce qui fait la force de la Russie, ce n’est pas seulement son inépuisable quantité d’hommes, mais la patience obstinée de son peuple, la façon dont il sait supporter les douleurs et les privations, sans même songer à s’y soustraire ou à s’en plaindre. La résistance d’une nation dont l’acceptation de la souffrance est, depuis des siècles, la principale vertu, ne peut être vaincue. Les peuples les plus évolués et qui déjà ont gagné le bien-être matériel sont plus exposés à l’exaspération et aux soubresauts d’opinion. On ne peut remonter le torrent, mais cette nation qui accepte tous les sacrifices est d’un grand exemple. Quelle que puisse être encore son ignorance, son mysticisme l’a toujours sauvée de l’abrutissement, et des mots profonds sortent de ces masses populaires, dont le brillant esprit latin devrait apprendre à saisir la haute signification morale.

L’Angleterre, elle aussi, bien qu’il soit de mode de la dénigrer, offre un grand exemple au monde avec le recrutement volontaire de son armée[1] ; il serait impossible en d’autres pays. Où trouverait-on des millions de volontaires, dont une bonne part appartient à l’aristocratie et à la bourgeoisie riche ou aisée ? Toutes les grandes familles anglaises sont en deuil. Demandons-nous si, dans les classes riches d’autres nations, semblable exemple serait cité[illisible] ? Il faut en relever la beauté.

On ne peut adresser les mêmes louanges aux ouvriers anglais et en général aux classes populaires qui n’ont que médiocrement répondu à l’appel, gâtées déjà par trop de bien-être et dépourvues de ce sentiment de loyalisme qui se rencontre dans les autres classes. Il y a cependant de nobles mentalités chez le peuple anglais, témoin cette réponse d’un soldat, auquel on demandait pourquoi il s’était engagé : « Pour avoir le droit de mourir comme un gentleman. » Et, en effet, les Anglais meurent avec un dédain superbe de la mort, sans même essayer de l’éviter.

À propos des enrôlements volontaires, un phénomène singulier a été signalé. Comme le prouve une loi récente, ce sont presque toujours des hommes mariés qui s’engagent.

Est-ce que l’amour patriotique serait plus violemment senti par les femmes ? C’est elles qui pressent leurs maris, leurs fiancés à offrir leur vie pour l’honneur et la victoire de l’Angleterre. S’ils ne partent pas, elles se sentent humiliées.

Les Anglaises, du reste, sont les seules femmes d’Europe qui ont reçu une éducation politique ; toutes font partie d’associations où les intérêts du pays se discutent ; leur pensée s’est ainsi virilisée. Dans les périodes électorales, elles prennent une part ardente à la lutte des partis, et l’on ne se rend pas assez compte ailleurs de leur influence dans la politique anglaise, en dehors des suffragettes. Les Italiennes, autrefois si ardentes patriotes, depuis que le but a été atteint, se sont désintéressées peu à peu de la politique, se renfermant dans la famille ou la mondanité ; récemment c’était le tour des œuvres sociales.

L’influence cosmopolite, si prépondérante à Rome dans ces dernières années, a transformé en partie la mentalité féminine et habitué les Italiennes à une trop grande recherche de jouissance et de luxe ; or, rien de plus contraire aux vertus patriotiques. Tous ces Européens fêtards sont au fond des sans-patrie. Leur contact est pernicieux : en développant le goût du plaisir dans les cœurs, ils les rendent incapables de sacrifices. Mais les nations traversent des crises après lesquelles chacun revient aux instincts et aux vertus de sa race. Le goût de la vie simple en facilitera le retour.

Les dangers courus par la patrie ayant révélé aux femmes de toutes les nations leurs devoirs de citoyennes, nous verrons les Italiennes, revenant à d’anciennes traditions, suivre avec ardeur l’essor des destinées de leur pays et comprendre que, semblables à des prêtresses, elles sont préposées, elles aussi, à la garde de la culture et de la civilisation latines. Le poète polonais Mickiewicz disait à sa fille : « Une Polonaise doit méditer. » Il me semble que l’heure de la méditation est venue pour les femmes de toutes les races.


  1. Il faut admirer aussi le patriotisme avec lequel le parlement anglais, renonçant à une tradition qui lui était chère, vient de voter la conscription.