XII


Le lendemain, au lever du jour, il y avait si grande presse pour voir le combat qu’on n’y eût pu tourner son pied.

Lancelot fut entendre la messe tout armé, hors la tête et les mains. Puis il laça son bon heaume de Poitiers et vint réclamer au roi sa bataille.

— Sire chevalier, vous l’aurez, dit celui-ci, et je vous promets que nul ne vous forcera de vous faire connaître. Pourtant je vous prie, par tout ce que vous aimez, d’ôter votre heaume.

Lancelot se découvrit et, sitôt que le roi le vit, il le reconnut à grande joie. Il l’embrassa et lui souhaita la bienvenue, heureux de s’assurer qu’il n’était pas mort, comme le bruit en avait couru ; mais il ne lui souffla mot de la fin de Galehaut pour ne point le peiner.

Il le conduisit sur la place devant le château, qui était grande et large, et là il exhorta encore son fils à céder la reine Guenièvre et les prisonniers ; mais Méléagant ne voulut rien entendre. Alors le roi recommanda aux deux champions de ne pas attaquer avant le signal ; puis il monta dans la tour, où il trouva la reine entourée d’une grande compagnie de chevaliers âgés et de dames. Et après avoir pris place à une fenêtre de la salle, la reine à sa droite, il ordonna de crier le ban et de sonner le cor.

Sur-le-champ, les deux adversaires baissent leurs lances peintes, s’élancent l’un contre l’autre de toute la vitesse de leurs chevaux bien couverts de fer, et se heurtent avec le fracas du tonnerre. À cette heure, dans tout le pays de Gorre, les prisonniers et les captifs priaient de tout leur cœur pour le chevalier qui combattait afin de les délivrer. Et sachez que Méléagant toucha l’écu de Lancelot d’une si grande force qu’il en disjoignit les ais ; mais sa lance s’arrêta sur le haubert et vola en pièces comme une branche morte. Au contraire le coup de Lancelot fit basculer le bouclier de telle façon que Méléagant se sentit rudement frappé à la tempe par son propre écu, en même temps que le fer ennemi perçait les mailles de son haubert et glissait le long de sa poitrine. Il fut porté à terre, où ses armes sonnèrent.

Mais aussitôt il se remit debout, tandis que Lancelot descendait de son destrier comme celui qui jamais n’attaquerait à cheval un homme à pied, et lui courait sus, l’épée tirée, disant :

— Méléagant, Méléagant, maintenant je vous ai rendu la blessure que vous me fîtes naguère, et ce n’est pas en trahison !

À ces mots, ils se jettent l’un sur l’autre comme deux sangliers. L’un est vite, et l’autre plus vite encore : ils se frappent de tant de coups pressés et pesants, qu’ils dépècent leurs écus, que des étincelles jaillissent de leurs heaumes jusques aux nues, que les mailles de leurs hauberts tombent et qu’à chaque coup saute le sang vermeil. Que de rudes, fiers, longs coups d’épée ! Chacun eût voulu arracher à l’autre le cœur sous la mamelle. Bientôt le sang de Méléagant rougit son haubert blanc, mais Lancelot souffre de ses mains blessées. À la fenêtre, la reine s’aperçoit qu’il faiblit.

— Lancelot, Lancelot, est-ce bien toi ? murmure-t-elle.

Une pucelle, qui était auprès d’elle, entendit cela : elle se pencha et cria si haut que tout le peuple l’ouït :

— Lancelot, retourne-toi, regarde qui s’émeut ici pour toi !

À cause de la chaleur et de son grand émoi, la reine venait d’écarter son voile et Lancelot, levant les yeux, aperçut tout à coup ce qu’il désirait le plus voir au monde. Il en fut tellement troublé qu’il s’en fallut de peu que son épée ne chût ! Et maintenant il ne fait plus que contempler la reine ! Il se laisse tourner et frapper par derrière ; il se garde si mal que Méléagant le blesse en maint endroit !

Mais derechef la pucelle lui cria :

— Lancelot, qu’est devenue ta grande prouesse ? Défends-toi ! que cette tour voie ce que tu sais faire !

Lancelot entendit cela et il se ressaisit. À nouveau vous eussiez pu le voir courir sus à Méléagant : il le frappe de si grande force que l’autre chancelle deux fois, et bientôt il le harasse, et le chasse çà et là comme un aveugle ou un échassier. Alors le roi eut grand’pitié de son fils.

— Dame, dit-il à la reine, je vous ai honorée de mon mieux et je n’ai pas souffert qu’on vous manquât en rien. En retour, accordez-moi un don. Je vois bien que mon fils n’en peut mais. Dame, votre merci ! Faites qu’il ne soit occis par Lancelot.

— Beau sire, allez et séparez-les, je le veux bien.

Le roi descendit et répéta les paroles de la reine. Aussitôt Lancelot de remettre son épée au fourreau : tel est celui qui aime, qu’il fait volontiers ce qui doit plaire à son amie. Mais Méléagant le frappa de toute sa force, car son cœur était de bois, sans douceur ni pitié.

— Comment ! dit le roi, il arrête, et tu le frappes !

Et il fit saisir son fils par ses barons. Mais Méléagant criait qu’il avait le dessus et qu’on lui arrachait la victoire, et que Lancelot s’avouerait vaincu en quittant le champ.

— À l’heure que tu voudras appeler Lancelot à la cour du roi Artus, il combattra de nouveau contre toi, dit le roi, et, si tu es vainqueur, la reine te suivra.

Cela fut juré sur les saints.