XI


Il enfourcha un palefroi et se rendit auprès du chevalier, escorté de trois sergents qui menaient un cheval en main. Lancelot étanchait le sang de ses plaies ; il reconnut le roi et se leva devant lui malgré ses blessures.

— Sire chevalier, montez sur ce destrier et soyez le bienvenu, dit le roi Baudemagu ; il est temps de vous reposer aujourd’hui. Jamais nul ne fut plus hardi que vous.

— Sire, répondit Lancelot, je suis ici pour suivre mon aventure et non pour me reposer à pareille heure. On m’a dit qu’il me faudrait combattre : si le champion est ici, qu’il vienne.

— Ami, je vois votre sang couler : avez-vous tant de hâte de batailler quand vous êtes blessé ? Attendez que vos plaies soient guéries ! Je vous donnerai de l’onguent des Trois Maries, ou d’un meilleur, s’il en est. Il n’y a chevalier au monde pour qui je fisse volontiers plus que pour vous.

— Sire, je ne sais pourquoi vous feriez tant pour moi, car je ne suis pas de vos proches, ni jamais ne vous rencontrai, à ce que je crois. Qui que je sois, faites-moi donc avoir bataille, car je ne suis point venu ici, de si loin, pour trouver pitié.

Le roi entendit bien que le chevalier craignait d’être reconnu.

— J’ignore qui vous êtes, dit-il, et dans ma maison on ne vous le demandera point. Je vous prends sous ma sauvegarde désormais, et je vous serai garant contre tous, hormis celui que vous devez combattre. Montez sur ce cheval ; s’il n’est assez bon, je vous en donnerai un meilleur. Et si j’ai dit que je vous aime, c’est pour la grande prouesse que vous faites paraître.

Ainsi parlait-il, si courtoisement que Lancelot consentit à se laisser emmener. Le roi le fit conduire à la chambre la plus retirée de la tour, où il ne lui envoya d’autres serviteurs qu’un écuyer et garda d’entrer lui-même afin de ne pas le désobliger.

Cependant, il fut trouver Méléagant :

— Beau fils, si tu m’en croyais, tu ferais une chose qui te vaudrait louange éternelle.

— Et quoi donc ?

— Tu rendrais au chevalier qui vient de passer le pont la reine Guenièvre que tu fais mal de retenir, et je délivrerais les autres captifs, car leur prison a assez duré. Et tout le monde dirait que tu as rendu par franchise ce que tu as conquis par prouesse ; cela te serait à grand honneur.

— Je ne vois pas là d’honneur, mais fine couardise seulement ! dit Méléagant. Il faut que le cœur vous manque pour que vous me donniez un tel conseil. Soit-il Lancelot lui-même, celui-là ne me fait pas peur ! Et vous pouvez l’héberger à votre guise : j’aurai d’autant plus d’honneur à défendre mon droit, que vous l’aiderez davantage contre moi.

— Qui t’a dit que c’est Lancelot ? Par ma foi, je n’en sais rien, car je ne l’ai encore vu que tout armé et couvert de son heaume. Si c’était lui, tu aurais tort de vouloir l’affronter : cela ne te vaudrait rien.

— Jamais je n’ai trouvé personne qui m’estimât moins que vous ! s’écria Méléagant. Mais plus vous me déprisez, plus je me prise. Et vous aurez demain assez de joie ou de deuil, car, moi ou lui, l’un de nous quittera ce monde.

— Puisqu’il en est ainsi, je n’en dirai pas plus, mais si je pouvais te détourner de cette bataille sans forfaire, certes je ne te pendrais point l’écu au col. En tout cas, ce chevalier n’aura à se défendre contre nul autre que toi, car jamais je ne fus traître et je ne le serai jamais.