La goélette mystérieuse ou Les prouesses d’un policier de seize ans/13

Anonyme
Bibliothèque à cinq cents (p. 71-75).

CHAPITRE XIII

JOE CONTINUE À TENDRE SES FILETS


Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Les deux jours qui suivirent ceux qui venaient d’être si utilement et si heureusement employés par notre jeune héros, n’apportèrent aucune révélation ni aucun incident nouveau.

Joe avait soumis M. Ralph Turner à une surveillance de tous les instants. Il n’entrait pas, dans son bureau, une personne qui ne fut examinée en détail, une lettre qui ne passât par les mains de notre ami. Joe savait maintenant à peu près-tout ce qu’il voulait et n’attendait plus, pour agir, que l’heure favorable. En ne perdant point de vue M. Ralph Turner, il était certain que la goélette mystérieuse ne ferait pas un mouvement sans qu’il en fut averti ; et c’était à vrai dire le seul point qui l’intéressât.

Lorsque deux jours se furent écoulés, Joe se rendit à l’hôtel Richelieu pour demander à son ami, M. Harrison, s’il était arrivé une réponse de la Malbaie.

— Pas encore, mais, il est trop tôt, cela viendra, répondit M. Harrison qui était, on le sait de reste, la tranquillité et l’indolence personnifiées.

— Oui, cela viendra, reprit sentencieusement Joe et ce sera, j’ose le dire, un aspect inattendu de la question, qui nous fera quelque honneur.

— Un aspect de la question ? Qu’entends-tu-par là ? Est-ce que ton histoire d’enfant trouvé serait mêlée à l’affaire des faux-billets ? demanda M. Harrison avec une vivacité qui contrastait avec son indolence accoutumée.

— Ne me demandez rien avant l’heure, répliqua. Joe avec un regard tout chargé de gaminerie et de finesse. Chaque chose viendra en son temps, et rien ne se fera sans que vous ; soyiez avertis. Je ne suis encore sûr de rien mais je poursuis une piste, au bout de laquelle il y aura, si je ne m’abuse, de l’argent et de la gloire. Je retiens ma langue. Mais lorsque l’affaire sera arrivée au dénouement, rappelez-vous ce que Joseph Briquet aura fait pour vous aider dans votre tâche.

M. Harrison regarda le gamin, avec une expression indéfinissable, comme s’il cherchait en ce moment à prendre la mesure de sa valeur.

— Savez-vous, Joe, que vous êtes bien le plus mystérieux gamin que j’aie encore rencontré sous la calotte du firmament.

— À ce moment, ils furent interrompus par l’arrivée de M. Parry, qui fit son entrée avec une mine plus renfrognée que jamais et dont la vue de Joe parut accroître la mauvaise humeur.

— Vous pouvez vous vanter de nous avoir mis dans de jolis draps, dit-il aigrement au gamin.

— Quoi donc ?

— Vous nous avez fait faire un fameux impair, avec votre juif.

— Est-ce qu’il est retourné, rue St Hippolyte ? demanda vivement Joe.

— Oui, il y est retourné ce matin. M. Robert Halt était absent. Il l’a attendu pendant une demi-heure, et il est sorti, en disant qu’il reviendrait.

— Eh bien ?

— Eh bien ! Nos hommes l’ont arrêté et fouillé, et n’ont rien trouvé sur lui, et ils ont été obligés de lui faire des excuses.

— Quoi rien ! pas le plus petit bijou ? reprit Joe avec une violente émotion.

— Rien que quelques centins et une mauvaise petite médaille en bronze.

— Une, médaille I fit Joe, et quelle espèce de médaille ?

— Cela ne valait pas la peine d’être détaillé.

— Où est-elle, cette médaille ? demanda Joe, avec une agitation croissante.

— Dans sa poche, probablement ; car nos hommes lui ont rendu tout ce qui lui appartenait, trop heureux de voir qu’il ne criait pas plus fort et qu’il ne les menaçait pas de faire du scandale à propos de son arrestation.

— Eh bien ! vous êtes de jolis garçons ! exclama Joe, en se levant rageusement. Voilà qui est bien travaillé ! On ne vous donne qu’un seul homme à surveiller et vous lui laissez emporter une médaille volée, qui vaut dix fois son poids en diamants.

— Qu’est cela ? demanda M. Harrison.

— Cela ! continua le gamin de plus en plus exaspéré, c’est le signe de reconnaissance, au moyen duquel l’homme que nous poursuivons veut mettre la main sur la fortune de la famille d’Hervart !

— Peut être, insinua M. Parry, serait-il encore temps de le retrouver ?

— Le retrouver ! Autant vaudrait chercher une goutte d’eau sur le sable. Vous pouvez être assuré que Salomon Sly n’a pas gardé cette médaille, seulement cinq minutes après s’être échappé de vos griffes. Heureusement que je sais où elle est. Tout peut encore se réparer.

Et Joe sortit de l’hôtel, avec un sentiment de profond mépris pour la police du gouvernement.

Le même jour, il ne négligea point de passer chez son oncle, M. Gédéon Lafortune ; car, fidèle au principe de la division du travail, il lui avait assigné sa tâché, dans l’œuvre difficile qu’il avait fait serment de mener à bien. Lafortune était chargé, sans s’en douter, de la surveillance de la goélette mystérieuse et de l’homme aux cheveux roux, pendant que MM. Harrison et Parry, les détectives du gouvernement, ignorants de l’homme aux cheveux roux et de la goélette, avaient reçu pour mission de surveiller Salomon Sly, le revendeur juif, et de servir d’intermédiaires entre la famille d’Hervart et le jeune homme inconnu, dans lequel ces parents infortunés allaient bientôt retrouver leur enfant perdu depuis tant d’années.

— Eh bien, mon oncle, fit Joe, d’un air aussi libre, et aussi dégagé que s’il ne lui fût survenu, quelques heures auparavant, aucune contrariété ; Comment se portent la Marie-Anne et « M. Cheveuxroux, » son capitaine ?

M. Langlois est un dur à cuire, répondit mélancoliquement Lafortune, je l’ai attaqué par le whiskey.

— Et vous avez été repousé avec perte ?

— Si bien, que j’en suis à me demander si nous ne faisons pas fausse route, et si M. Langlois n’est pas impénétrable, tout simplement parce qu’il n’a rien à cacher. Je n’ai appris de lui qu’une seule nouvelle, et encore elle n’est pas faite pour nous aider, au contraire.

— Voyons votre nouvelle.

— La Marie-Anne est sur le point de changer de mouillage. Elle partira demain matin.

— C’est une vraie nouvelle cela, et une bonne nouvelle, reprit le gamin, en se frottant les mains avec un petit rire. Ah ! la Marie-Anne part demain ! Je ne serais pas très surpris si elle me comptait au nombre de ses passagers. Vous savez que j’ai toujours eu du goût pour la marine ; et j’ai idée que le plaisir du voyage me récompensera de beaucoup de petits ennuis.