La Liberté de conscience (Cinquième édition 1872)/2.VI

Hachette et Cie (Cinquième éditionp. 197-220).

CHAPITRE VI.

Persécutions contre le clergé constitutionnel.


Le clergé constitutionnel pendant ce temps-là n’était pas non plus sur un lit de roses. Camus, un des auteurs de la Constitution civile, qui avait été longtemps l’avocat du clergé, et qui, s’il connaissait médiocrement la théologie, avait en droit canon des connaissances étendues et même profondes, avait dit le secret des hommes d’État de la Constituante, en prononçant ces graves paroles dans la séance du 1er juin 1790. « L’Église est dans l’État ; l’État n’est pas dans l’Église. Nous sommes une Convention nationale ; nous avons assurément le pouvoir de changer la religion. » Du pouvoir de la changer, au pouvoir de la supprimer, la différence est très-mince. Imposer une religion, ou la supprimer, ce ne sont que les deux formules d’une même chose, qui est l’intolérance. Si le pouvoir qui s’attribue cette omnipotence sur la conscience publique, a une foi, il l’impose, et alors il ne dit plus : l’Église est dans l’État, mais bien : l’État est dans l’Église. S’il n’a pas de foi, et qu’il croie la religion utile, comme un hochet pour les croyants, ou comme un instrument pour les gouvernements, il impose soit une religion toute faite, soit une religion accommodée à ses vues politiques, et alors, il dit avec raison : l’Église est dans l’État. Si enfin, toute expérience faite, il s’aperçoit que l’Église la mieux organisée et la mieux disciplinée, lui fait obstacle, il s’en débarrasse, et c’est toujours, dans les trois cas, le même droit. Il devait donc être évident dès le premier jour que le pouvoir, qui venait de faire une religion, pouvait la détruire. Plus il la favorisait, et plus elle devait trembler.

Quelles faveurs lui accordait-il ? Deux seulement, l’une indirecte, l’autre directe. Il persécutait ses ennemis, les réfractaires : — quelques constitutionnels eurent même le tort impardonnable d’y pousser ; — et il la payait. Les biens du clergé séculier et régulier avaient été réunis au domaine public[1], avant la Constitution civile du clergé ; l’État s’était chargé alors d’acquitter les dettes de l’Église[2], et de la faire vivre : or, l’Église, depuis la loi du 12 juillet, c’était l’Église constitutionnelle, qui seule recevait une allocation du trésor public.

Nous avons vu que le titre IV de la loi sur l’organisation nouvelle du clergé, fixait le salaire des divers fonctionnaires ecclésiastiques. On leur donna aussi, non pas toutes les églises, mais une église par paroisse, avec un palais pour l’évêque et un presbytère pour les curés. Comme un certain nombre de curés dépendaient précédemment des monastères, il fut même décidé par un décret que les presbytères ne seraient pas compris dans la vente des biens nationaux[3]. Ce fut tout. À partir de ce moment, les restrictions commencèrent.

Un certain nombre de fondations pieuses qui n’appartenaient pas aux couvents, et dont les ecclésiastiques n’avaient pas le droit de s’approprier les fruits, avaient échappé au fisc : elles y furent réunies par un décret[4]. La plupart des cloches furent fondues pour faire cette excellente monnaie de billon, connue sous le nom de monnaie de cloches. Le décret du 1er mai 1791 ne fut que le commencement d’une longue guerre contre les sonneries. Un décret bien autrement grave, mais qui était la conséquence nécessaire de la Constitution civile du clergé et de l’esprit qui l’avait dictée, décida qu’aucun acte de la cour de Rome, bulle, rescrit ou bref, n’aurait cours en France, s’il n’était approuvé par le Corps législatif et sanctionné par le roi[5]. Ce fut la dernière loi de l’Assemblée constituante en matière religieuse.

L’Assemblée législative débuta dans la carrière par la suppression de tout costume ecclésiastique[6]. Au moment où ce décret fut voté, un prêtre qui siégeait à gauche mit immédiatement sa calotte dans sa poche, au milieu des applaudissements et des rires des tribunes. On ne revit de soutanes en France que sous l’Empire, car elles demeurèrent proscrites pendant le Consulat. On ne tarda pas à supprimer les pèlerins, les confréries de pénitents[7], et enfin toutes les confréries[8]. Il se faisait tous les ans, le 15 août, dans toutes les paroisses de l’Empire, une procession dite du vœu de Louis XIII, qui avait rendu cet usage perpétuel par un édit : cet édit fut abrogé[9]. On avait permis aux évêques l’usage des anciens palais épiscopaux, beaucoup trop somptueux pour leurs ressources et leur situation nouvelles : les palais furent vendus, les évêques reçurent une modeste indemnité de logement[10]. On vendit en même temps tous les édifices achetés au culte qui avaient cessé d’être nécessaires[11].

Les biens de l’ordre de Malte eurent le même sort, les chevaliers obtinrent une pension. On prit l’argenterie des églises pour les frais de la guerre. Les curés perdirent leur casuel[12]. Ils avaient conservé jusqu’alors le droit exclusif de tenir les registres de l’état civil. Cette prérogative conciliable tout au plus avec le régime des religions d’État, n’avait plus sa raison d’être. Elle avait été féconde en abus de toutes sortes, sans même parler de la situation qu’elle faisait aux protestants, aux juifs et aux catholiques dissidents. Elle fut abolie[13]. Les magistrats municipaux furent investis seuls du droit de constater l’état civil des citoyens, comme le voulaient le bon sens, l’intérêt public, la justice. Défense fut faite au clergé de tenir des registres et de délivrer des actes à l’avenir, et aux tribunaux de tenir compte des certificats émanés du clergé. Un dernier acte de l’Assemblée législative touchait aussi de très-près le clergé : ce fut l’établissement du divorce[14], par lequel la loi civile se sépara profondément de la loi religieuse.

Enfin, la Convention prit une mesure qui aurait dû être prise plus tôt : elle ôta aux prêtres le titre et le caractère de fonctionnaires publics[15]. L’Église constitutionnelle cessait d’être l’Église officielle. De là à la suppression du budget des cultes, il n’y avait qu’un pas ; mais la Convention, avec l’instinct du despotisme, hésita longtemps à le franchir : elle sentait que le clergé deviendrait indépendant, et peut-être puissant, s’il cessait d’être salarié. En revanche elle fit des économies sur les salaires[16]. Elle fixa celui des évêques à 6 000 fr. et supprima leurs vicaires comme inutiles[17]. Elle retrancha aussi le casuel des curés[18]. Elle décida qu’il n’y aurait, plus qu’une cloche par commune[19], et même si la commune voulait transformer cette cloche en canon, elle le pouvait[20]. Elle prit le fer des églises pour en faire des fusils[21] et confisqua toute l’argenterie du culte pour contribuer aux frais de la guerre[22]. Elle fit rentrer l’actif des fabriques dans le domaine national[23]. Elle décida que les employés de la République travailleraient le dimanche, que tous les bureaux seraient ouverts[24]. Elle adopta le calendrier républicain[25]. La France quittait, pour ainsi dire, le costume du catholicisme dont elle avait depuis longtemps répudié le fond.

La Convention, dont la main n’était pas légère, portait des peines terribles contre les prêtres de l’Église constitutionnelle qui ne se conformaient pas à ses volontés. Non contente de permettre le mariage des prêtres, ce qui eût été légitime, car, étrangère à toute religion positive, elle ne pouvait ni ordonner ni défendre aux prêtres le célibat, elle prononça la peine de la déportation contre tout évêque qui apporterait des empêchements à ces mariages, empiétant ainsi sur le for intérieur, et sur l’intégrité de la discipline ecclésiastique[26]. Elle permit à la Commune de Paris de faire briser les statues, gratter les inscriptions, renverser les croix, mutiler les bas-reliefs, pour qu’il ne restât aucun vestige du culte aboli[27]. En même temps, les représentants envoyés par elle dans les provinces interdisaient, sous les peines les plus terribles, toute manifestation extérieure du culte[28]. Ils allaient même jusqu’à proscrire l’intervention des ministres de la religion dans les cérémonies des funérailles. Un curieux arrêté, signé du représentant Fouché, qui avait été oratorien et qui devait être ministre de la police, règle la forme des convois funèbres et semble proscrire au nom de la nation le dogme de l’immortalité de l’âme[29]. Les représentants en mission, qui attentent ainsi à la liberté de conscience, se justifient dans leurs rapports par des raisons de police. Ils affirment que si les protestants et les catholiques peuvent faire profession extérieure de leur culte, il en résultera des conflits et peut-être même des guerres civiles. Nous savons aujourd’hui à quoi nous en tenir sur ces terreurs, vraies ou feintes ; les guerres religieuses ne naissent pas si aisément, et une administration intelligente a autre chose à faire, pour éviter des collisions, que d’ôter la liberté à tous les partis. Mais soit : on se cachera pour prier. On fermera les portes du temple. Au moins, dans ces réunions à huis clos, jouira-t-on de la sécurité garantie par la loi ? Hélas ! on ne le sait que trop : de tous côtés venaient les injures ; les journaux et les clubs ne tarissaient pas ; les administrations locales s’enhardissaient à entraver le culte et à molester les prêtres. Au club des Jacobins, on reprochait à la Convention sa tolérance comme un reste de faiblesse[30]. On attaquait jusqu’à la religion naturelle. Dieu était passé de mode. Les orateurs des Jacobins et ceux des sections de Paris enveloppaient toutes les religions et toutes les philosophies dans le même mépris et dans le même anathème[31] : « Quiconque a la débilité de croire en Dieu, » disait Anacharsis Clootz. Danton voulant prouver les progrès de la liberté religieuse s’écriait : « Partout le peuple dégagé des impulsions de la malveillance reconnaît que quiconque veut s’interposer entre lui et la divinité est un imposteur. Partout on a demandé la déportation des prêtres fanatiques et rebelles. » La Commune de Paris, qui allait plus vite que la Convention, prit un arrêté qui interdisait tous les cultes. C’était en novembre 1793. Le même mois (17 brumaire an II), il se passa dans le sein de l’Assemblée une scène révoltante. Elle avait entendu, le 28 août, des enfants, conduits par leurs instituteurs, venir demander qu’on ne leur enseignât plus la morale au nom du soi-disant Dieu ; elle avait vu un évêque (l’évêque de Périgueux) lui présenter son épouse. Elle avait laissé défiler devant elle des députations d’hommes affublés d’insignes sacerdotaux, et portant comme en triomphe les richesses dérobées aux églises. Mais la journée du 7 novembre effaça toutes les autres. On venait de lire à la tribune la lettre d’un curé, nommé Parens, qui voulait abjurer, mais à condition qu’on lui fît une pension. « Je suis prêtre et curé, disait-il, c’est-à-dire charlatan. Jusqu’ici charlatan de bonne foi, je n’ai trompé que parce que moi-même j’avais été trompé. Maintenant que je suis désabusé, je vous avoue que je ne voudrais pas être charlatan de mauvaise foi. Cependant la misère pourrait m’y contraindre. Il me semble qu’il serait bon d’assurer le nécessaire à ceux qui veulent rendre justice à la vérité. Mes paroissiens veulent que je leur parle de neuvaines, de sacrements, de cent mille dieux. Ce n’est pas plus mon goût que le vôtre. » Pendant qu’on applaudissait, et que d’indignes prêtres, reniant leur passé et leur foi, déposaient leurs lettres de prêtrises sur la tribune[32], on vit entrer au sein de la Convention Gobel, évêque constitutionnel de Paris, et précédemment évêque de Lydda, et membre de l’Assemblée constituante, accompagné de ses grands vicaires et de plusieurs prêtres de son clergé[33]. Ils étaient conduits par des membres de la commune, chargés de les escorter, moins pour leur faire honneur, que pour les maintenir dans leurs résolutions. Momoro, qui les présenta à la Convention, déclara qu’ils demandaient : « à se régénérer et à redevenir hommes. » Le vieux Gobel parla après lui d’une voix tremblante. Il fit une courte apologie de sa conduite passée. Il avait accepté tous les décrets depuis l’origine de la révolution, et entre autres celui du 12 juillet, qui lui ordonnait de prêter serment et de rester prêtre : « ma conscience médit, ajoutait-il, qu’en obéissant au peuple, je ne l’ai pas trompé. » Il finit en déposant sur le bureau, ses lettres de prêtrise ; puis, reprenant un peu de fermeté, il cria : vive la République ! Ce cri fut répété par les membres de l’Assemblée et les spectateurs, au milieu des plus vifs applaudissements. Le président Laloi répondit : « Citoyens, qui venez de sacrifier sur l’autel de la patrie ces hochets gothiques de la superstition, vous êtes dignes de la République ; citoyens qui venez d’abjurer l’erreur, vous ne voulez prêcher désormais que la pratique des vertus sociales et morales ; c’est le culte que l’Être-Suprême trouve agréable ; vous êtes dignes de lui. » Ici les applaudissements s’élevèrent et couvrirent la voix du président. On lui cria de toutes parts : « l’accolade à l’évêque de Paris. » — « Depuis l’abjuration qui vient d’avoir lieu, reprit Laloi, l’évêque de Paris est un être de raison. Mais je vais embrasser Gobel. » Il l’embrassa et le décora du bonnet rouge, pendant que l’assistance faisait retentir la salle de ses acclamations. Aussitôt le curé de Vaugirard, Gouppé, de l’Oise, Villers, l’évêque Lindet, prononcent leur abjuration. Plusieurs prêtres, membres de l’assemblée, se précipitent à la tribune pour les imiter. Jullien de Toulouse, ministre protestant, s’écrie qu’il a toujours pratiqué « le tolérantisme le plus étendu. Gobel vient, dit-il, de manifester les sentiments qui sont dans mon âme ; je désire m’identifier à ce grand exemple. » Ce Jullien, député de la Haute-Garonne, était pasteur à Toulouse. Cette scène étrange fut comme un signal auquel répondirent de tous les côtés de la France tout ce qui restait de prêtres corrompus. Chaque jour l’Assemblée, la Commune, les Jacobins entendaient des rétractations qui luttaient entre elles de cynisme. Les protestants, les juifs, tous y passaient[34] ; tous voulaient se purger de cette lèpre de la prêtrise[35] ; les plus illustres eux-mêmes se paraient de leur apostasie[36]. On fut obligé d’autoriser par un décret les corps constitués à recevoir les abjurations[37]. Il en vint un si grand nombre, et par lettres, et en personne à la barre, que Danton en fut dégoûté[38]. Leur lâcheté ne les sauvait pas du soupçon. Dans la séance du 20 brumaire an II (10 novembre 1793), Bourdon avertit l’Assemblée de ne pas avoir confiance en ces renégats. « Méfiez-vous, dit-il, de ces hommes qui brûlent leurs parchemins. Ils avouent bien que les prêtres n’ont jamais été que des jongleurs, mais ils se font un mérite de le reconnaître, tandis que nous n’avons pas besoin de leur aveu. Un homme qui, il y a huit jours encore, a pu dire sa messe, n’est assurément pas un républicain. »

Dès le mois d’octobre, pour obéir au vœu de la Commune, la Convention avait décrété que l’église de Notre-Dame serait consacrée désormais au culte de la Raison ; qu’elle serait appelée le temple de la raison[39]. La raison, grand Dieu ! eh ! qu’avait-elle à faire dans ces saturnales ? Est-ce que la raison est donnée à l’homme uniquement pour suppléer à l’instinct ? N’est-elle en, nous que pour nous apprendre à conserver et à nourrir notre corps ? Et faut-il regarder comme son dernier mot cette parole impie, prononcée par Léonard Bourdon à la tribune des Jacobins : « Sois heureux, voilà la véritable manière d’honorer la Divinité, et le seul but pour lequel tu fus mis sur la terre. » Non, telle n’est pas la nature de la raison, et telle n’est pas la religion qu’elle enseigne. Son objet propre est précisément ce Dieu dont on lui faisait usurper la place. Elle est en nous le sens de l’infini. C’est par elle qu’au lieu de nous borner au monde de la matière, nous trouvons, nous possédons le monde invisible. La raison, pour Chaumette et la Commune de Paris, représentait dans la loi la terreur, dans la morale la licence, dans la philosophie l’athéisme ; mais pour nous et pour tous ceux qui savent l’entendre, elle signifie Dieu, le devoir et la liberté.

Il faut le dire bien haut : ce culte de la raison ne fut que le délire d’un moment. La Convention le subit ; c’est une tache pour elle : mais l’idée n’en était pas née dans son sein ; c’est une création de la Commune de Paris. Quand Chaumette, escorté d’une troupe de gens sans aveu, vint proclamer son nouveau culte dans l’Assemblée, les représentants applaudirent ; ils invitèrent Chaumette et la déesse de la Raison aux honneurs de la séance ; ils firent plus : ils décidèrent que Notre-Dame serait le temple de la Raison, et descendant de leurs sièges, ils suivirent docilement le cortège de la déesse jusque dans son nouveau temple[40]. Mais ils souffraient au fond de l’âme. Ils sentaient leur humiliation et la déchéance de l’Assemblée. Ils le montrèrent bien plus tard[41]. La réaction fut prompte, puisque, dès le 15 novembre, l’Assemblée posait en principe la nullité de toutes les religions[42], et cinq jours après, la Commune, obligée de se condamner elle-même, proclamait la déchéance de sa nouvelle déesse, en abolissant tous les cultes. Ce n’était pas même assez, à ce qu’il paraît, pour apaiser les ressentiments de la Convention et ceux de la foule, on voulait une rétractation plus formelle. Chaumette ne la marchanda pas. Il se chargea de détruire lui-même son ouvrage. Que signifie cette palinodie ? Elle prouve, à n’en pas douter, que l’opinion publique s’était prononcée énergiquement, et que les meneurs fanatiques (l’impiété a aussi son fanatisme) dont Chaumette s’était fait l’organe en installant son culte ridicule, n’avaient excité que l’horreur et le mépris. D’une part, la liberté des cultes inscrite solennellement dans la loi ; de l’autre, tous les cultes proscrits et l’athéisme intronisé sous le nom de la déesse Raison : je le demande, est-ce qu’une pareille contradiction, est-ce qu’une pareille oppression pouvait tenir ? Même sous la Terreur, il y eut contre ces folies une répulsion assez énergique pour obliger la Commune à reculer, et pour donner à la Convention le courage et les moyens de faire cesser le scandale. Chaumette eut l’impudence de parler de sa religion comme s’il n’en avait pas été l’inventeur. « Ne nous laissons pas entraîner, dit-il[43], dans la voie des exagérations où voudraient nous pousser les ennemis de la république. Le décret sur la suppression des cultes (un décret qu’il avait lui-même provoqué) ne peut qu’aigrir les esprits défiants et irriter le fanatisme. L’article 7 de la déclaration des droits garantit expressément le libre exercice des cultes ; l’article 122 de l’acte constitutionnel est ainsi conçu : « La constitution garantit « à tous les Français la liberté, l’égalité et le libre exercice des cultes ; » le souverain lui-même (il parle du peuple) a adopté et consacré cette loi, il ne nous reste qu’à l’exécuter. Je pardonne leurs erreurs aux demi-savants, aux philosophes d’un jour. À mon sens, si le fanatisme est une maladie de l’esprit, je les crois plus malades que ceux contre lesquels ils peuvent s’élever. Pour moi, si j’ai méprisé la superstition, je ne me crois pas en droit de persécuter celui qui en est atteint. » Robespierre parla dans le même sens à la Convention, et fit rendre un décret protecteur de la liberté des cultes[44].

Mais après un pareil ébranlement moral, après cette proscription des prêtres, après ces railleries homicides, dans ce pays où tous les temples étaient profanés, dans cette assemblée qui pendant des mois entiers avait laissé défiler devant elle la sacrilège procession des dévastateurs et des spoliateurs d’églises, un pareil décret n’était qu’une protestation inutile. Il n’eut pas même la force de suspendre les proscriptions dans les départements. Les prêtres constitutionnels furent presque partout confondus avec les prêtres réfractaires. Il y en avait un grand nombre sur les pontons de Rochefort. Les représentants en mission, dont les fureurs se trouvaient désavouées, réclamèrent et obtinrent le droit de ne pas changer de conduite[45]. Et quand bien même l’Assemblée, en proclamant la liberté des cultes, aurait laissé respirer les proscrits, où en étaient ces cultes qu’on faisait libres ? Où étaient leurs prêtres, leurs autels, leurs fidèles ? Où en était surtout le culte catholique, contre lequel s’élevaient tant de haines ? Des prêtres cachés, des fidèles tremblants, les cérémonies du culte accomplies dans l’ombre la plus profonde, les lois protectrices rendues, en grand nombre, également insignifiantes et impuissantes aux yeux des amis et des ennemis, est-ce là la liberté ? Est-ce la tolérance ? En est-ce l’image ? N’est-il pas évident que, dans la situation où se trouvait la France, le premier prêtre qui aurait avoué ses relations avec Rome aurait été livré à la hache ? Cette loi du 15 frimaire venait trop tard. Oui, les cultes subsistaient ; mais la liberté des cultes, à moins de changer les esprits et les mœurs, il n’était plus au pouvoir de personne de la donner.

Robespierre le sentit. Il hésita longtemps à prendre une résolution. Enfin il crut le moment propice pour fonder un culte national. Il célébra le 20 prairial la fête de l’Être suprême. Une entreprise analogue avait réussi en Angleterre et en Russie à d’autres époques. Mais l’esprit moderne ne se prête plus à des créations de ce genre. Il y voit trop clair : il y regarde de trop près. Il peut accepter le monde invisible, mais seulement au pied de la preuve. On peut affirmer qu’avec ses habitudes sceptiques et positives, si jamais il adopte une religion nouvelle, cette religion sera une philosophie ; elle sortira d’une école et non d’un pouvoir. En croyant qu’il fonderait un culte, Robespierre s’exagérait la force de la Convention, et même celle de la terreur. Cette assemblée n’avait plus de force morale à donner. On savait trop qu’elle manquait de foi religieuse. Elle avait donné l’accolade à Gobel, à Momoro, à Chaumette, à la déesse Raison ; et elle prétendait fonder un culte ?

La tentative de Robespierre fut donc vaine. Elle devait l’être ; et même il était dans la logique de l’histoire qu’on en méconnût l’esprit et la portée. Le décret qu’il fit rendre et le discours qu’il prononça prouvent seulement combien était énergique la réaction contre le matérialisme et l’athéisme. Ils prouvent aussi que cette réaction n’allait pas jusqu’à donner aux hommes du pouvoir une idée nette des droits de la conscience humaine. Dans ce décret de Robespierre, la liberté de conscience est encore une fois formulée[46]. Ce n’est pas, tant s’en faut, la dernière fois qu’elle fut promise. La place qu’elle occupe dans le décret après la fondation d’un culte national, et tant de décrets rendus pendant la durée de la Convention sur le même objet, démontrent trop clairement qu’elle n’était ni pratiquée ni comprise.

Je ne parle pas des rigueurs dont les prêtres non assermentés furent l’objet, simplement en tant que réfractaires et qui allaient d’abord à la déportation, puis à la mort[47]. On pourrait croire que le refus du serment constituait aux yeux de la Convention un acte de rébellion, et qu’en frappant les prêtres réfractaires, elle entendait punir le mauvais citoyen, non le ministre du culte. Mais cette interprétation ne tient pas contre les faits. Elle multipliait trop les suspects, elle créait trop de délits, pour qu’on puisse avoir des doutes sur le but terrible qu’elle poursuivait. Après les orgies des hébertistes, elle laissa confondre les constitutionnels avec les réfractaires. La Commune de Paris la devançait, comme toujours. On y proposait l’arrestation en masse de tous les prêtres, par mesure de sécurité publique[48]. Un décret de la Commune prescrivait de fermer toutes les églises[49] ; un autre, d’abattre toutes les statues[50] ; un autre, de raser les clochers qui, par leur élévation, offensaient la vertu républicaine par excellence, la vertu de l’égalité[51]. Ainsi était consommée l’oppression des consciences.

La chute et la mort de Robespierre mirent fin à la terreur, en dépit peut-être des principaux promoteurs du 9 thermidor, qui avaient fait la guerre à l’homme, plutôt qu’au système. Il essayèrent plus d’une fois, sous la Convention, et jusque sous le Directoire, de rétablir par des moyens violents la domination de la Montagne ; mais c’en était fait : l’arme ne pouvait servir que dans les mains qui l’avaient forgée. La légalité, et par conséquent l’apaisement gagnèrent du terrain chaque jour. Les affaires religieuses s’en ressentirent : non qu’il y eût dans la Convention un retour au sentiment religieux ; Robespierre, qui voulait une religion, avait été obligé de triompher de l’indifférence de ses collègues. Ils votèrent, à sa voix, le culte de l’Être suprême, comme ils avaient voté le culte de la Raison, et approuvé, au moins pour un jour, l’athéisme d’Hébert et de Chaumette. L’indifférence, après lui, fut complète. On fit, par indifférence, quelques pas vers la liberté. Un représentant en mission, ayant prononcé la déportation contre tout prêtre qui ne rapporterait pas ses lettres de prêtrise, la Convention annula cet arrêté[52]. C’est avec indifférence aussi qu’on entendit la motion de Cambon, qui proposait l’abolition complète du budget des cultes. On ne vit dans cette mesure qu’une économie ; et vraiment, ce n’était plus autre chose. La Commune de Paris avait aboli tous les cultes, sans protestation de la part de la Convention. Toutes les églises avaient été fermées. L’Assemblée elle-même avait transformé l’église de Notre-Dame en temple de la Raison. Elle avait, depuis longtemps, ôté aux prêtres de l’Église constitutionnelle le titre de fonctionnaires publics. Elle avait créé, à la voix de Robespierre, une sorte de culte officiel de l’Être suprême, qui avait disparu, avec son pontife d’une journée, mais qui n’avait point été remplacé, et qui achevait de rompre tous les liens du pouvoir civil avec l’Église que la Constituante avait fondée. Depuis plusieurs mois, la Commune de Paris, et quelques membres très-violents de la Convention et des clubs, ne faisaient plus aucune distinction entre les prêtres assermentés et les prêtres réfractaires. Que signifiait, dans de telles circonstances, un budget des cultes ? Il était déjà abrogé par le fait. Il fut rayé du rôle des dépenses publiques le 20 septembre 1794.

Cependant, en supprimant le salaire, l’Assemblée ne supprima pas le clergé. C’est une des singularités de ce temps, si fécond en anomalies, que le clergé constitutionnel était persécuté dans son culte et dans ses personnes, renié et insulté dans la Convention, sans qu’aucune loi eût prononcé sa destruction. Il y avait, jusque dans la Convention elle-même, des évêques, et à leur tête Grégoire, qui n’avaient abandonné ni leur foi, ni leur titre. Cette malheureuse Église, qui semblait anéantie, doublement foudroyée sous les anathèmes du pape et ceux de la révolution, reparut avec le calme. La Convention la laissa renaître comme elle l’avait laissée mourir. Elle publia, le 3 ventôse an III (février 1795) une loi sur la liberté et la police des cultes, empreinte de cet esprit d’indifférence pour la doctrine et de suspicion pour les personnes, qui avait surnagé aux passions violentes des premières années. Elle qui avait ordonné de vendre les temples et de briser toutes les cloches de Paris, n’hésite pas, quelques jours après, à concéder un édifice public, par arrondissement, pour la célébration du culte[53]. Il ne faudrait pas croire pour cela qu’on eût abjuré les rancunes : elles subsistaient tout entières ; mais on ne se croyait plus en droit de prêcher l’athéisme et de proscrire absolument les religions. La Convention, avant de se séparer, ordonna l’exécution des lois de 1792 et 1795 contre les prêtres sujets à la déportation ou à la réclusion[54]. Le Directoire, en entrant en fonctions, interdit l’usage des cloches, et de toute autre convocation publique pour l’exercice d’un culte[55]. On ne sait si c’est par clémence qu’il autorisa les municipalités à délivrer des passe-ports à tous les prêtres français qui voudraient se retirer en Italie[56]. La loi du 19 fructidor an V, qui l’autorise à déporter les prêtres, et rétablit les lois sur la réclusion et la déportation des insermentés, abrogées le 7 précédent, fut sollicitée par lui. L’assemblée se rétracta sans trop de peine. Depuis longtemps, les rétractations et les contradictions en matière de culte ne lui coûtaient rien.

On avait beau maltraiter les prêtres, fermer les églises, fondre les cloches, multiplier tous les moyens pour commander ou persuader l’apostasie ; le sentiment religieux est si fort qu’on en retrouve les manifestations à toutes les époques de la Révolution. Les innombrables lois dont les cultes sont l’objet prouvent à elles seules qu’on ne parvenait pas à l’extirper. J’ai montré que la Convention ne fut pas moins féconde sur cette matière que la Constituante et la Législative. Elle fit encore, le 7 vendémiaire an IV, très-peu de mois avant de se retirer, une nouvelle loi sur la police des cultes. Le 29 prairial an V, Camille Jordan déposait sur le bureau du Corps législatif un projet de loi sur le même sujet, et l’on sait qu’après le 18 brumaire, ce fut aussi une des plus pressantes préoccupations du premier consul. Il est évident que, par la faute du clergé, la religion avait été une des grandes causes de la Révolution, et qu’elle fut constamment un des grands embarras des pouvoirs révolutionnaires. Depuis 1789, le sentiment dominant dans la partie active de la population, dans celle qui fréquentait les clubs, fut la haine des prêtres ; mais ce sentiment n’impliquait pas chez tous ceux qui l’éprouvaient l’abandon de la religion. Je ne parle pas de la population des campagnes, de celles de l’Ouest et du Midi principalement, où la religion catholique comptait un si grand nombre de fidèles, ni des guerres de Vendée, plutôt religieuses que politiques ; mais dans les villes mêmes, à Paris, plusieurs parmi les plus violents ennemis des prêtres voulaient modifier la religion ou la changer, non la supprimer. Nous avons vu que la Constituante elle-même se fit une religion, qui était le catholicisme, moins ses abus. À une époque avancée de sa législature, et quand on pourrait croire qu’elle est honteuse et dégoûtée de l’Église constitutionnelle, elle assiste en corps à l’office divin. Sous la Convention, le gouvernement ayant voulu supprimer la célébration de la messe de minuit par des raisons de police, n’y parvint pas, il ne réussit qu’à provoquer une émeute. Même chose arriva pour la fête de sainte Geneviève, patronne de Paris ; il fallut ouvrir l’église ; l’affluence fut si considérable que des milliers de personnes restèrent en dehors. Qu’on ne croie pas que ces démonstrations fussent faites par des réactionnaires ; les réactionnaires n’assistaient pas aux cérémonies de l’église constitutionnelle. Non, c’étaient des républicains qui, peut-être, au sortir de l’église, auraient provoqué dans leurs clubs de nouvelles rigueurs contre les prêtres réfractaires. L’athéisme avait un parti, mais restreint, et composé surtout de prêtres apostats. Il eut un moment de faveur, parce qu’il parut le comble du radicalisme, et qu’il y a toujours, dans les révolutions, des esprits qui aspirent à ne pouvoir être dépassés, et qui ressemblent à Diogène jetant son écuelle pour boire dans le creux de sa main ; il fallait tuer la religion, pour dépasser ceux qui ne tuaient que les prêtres. Et combien dura l’athéisme, prêché, imposé par la Commune de Paris, alors si redoutable ? Quelques jours. Il fut remplacé presque sur-le-champ par le naturalisme de Robespierre. Robespierre lui-même étant tombé, comme on pourrait dire, dans le premier mois de son pontificat, on effaça ce qui s’était passé dans ce court espace de quelques semaines, et les églises furent rouvertes. On peut soutenir que, pendant toute la Révolution, le culte fut célébré, et qu’il le fut publiquement, sauf peut-être pendant un trimestre. Gobel abdiqua, avec plusieurs de ses confrères. Donc, ils étaient reconnus comme évêques. L’évêque Grégoire ne cessa pas de siéger et de réclamer la liberté des cultes. Très-peu de temps après l’abdication de Gobel, le clergé de Paris procéda très-ouvertement à l’élection d’un évêque pour le remplacer, et Roger, évêque du département de l’Ain, fut élu[57]. Quand on revint à une sorte de liberté après le 9 thermidor, on donna une église à chaque arrondissement de Paris pour célébrer le culte. On le célébrait ; il y avait des fidèles ; il y en eut toujours. Les uns suivaient les réfractaires, ce qui était courir risque de la vie, et presque toujours renier la Révolution, car les prêtres réfractaires ne séparaient pas la religion de la politique ; le plus grand nombre suivaient les constitutionnels, ce qui n’était ni sans danger, ni sans difficulté, le nombre des paroisses étant fort restreint, et ce qui, en outre, choquait le sens commun, car cette Église, née d’un décret de la Constituante, voulant être catholique quoique condamnée par le pape, mêlant presque partout la politique des clubs à l’enseignement de l’Évangile, n’était pas faite pour retenir des esprits sensés. Mais on allait, parce qu’on était pressé par le sentiment religieux, qui est un fait de la nature humaine. Après l’avènement du Directoire, il se produisit une secte assez ridicule, sous le nom de théophilanthropes. Elle eut aussi ses adhérents. Quand le premier consul fit le concordat, il y avait assez longtemps que le budget des cultes était supprimé et très-longtemps que l’Église constitutionnelle était plutôt répudiée que soutenue par le gouvernement ; cependant, à ce moment même, elle tenait à Paris, publiquement, dans l’église de Notre-Dame, son second concile. Le premier avait été célébré du 29 thermidor an V au 22 brumaire an VI. Le second dura depuis le 10 messidor an IX jusqu’au 28 thermidor de la même année. Il comptait quarante-cinq évêques et environ quatre-vingts députés du second ordre. Grégoire, évêque de Blois, y prononça le discours d’ouverture. Le concile déclara en se séparant qu’il n’avait d’autre but que la pacification de l’Église gallicane ; il avait fait la même déclaration dans une lettre adressée au Pape.

Le premier consul, qui traitait avec le Pape et par conséquent avec le clergé orthodoxe, ne fît intervenir en aucune façon le clergé révolutionnaire dans les préliminaires du concordat ; mais le concordat fait et signé, il montra, comme j’aurai occasion de le raconter plus loin, qu’il ne voulait point le renier, et exigea que le Pape l’admît à sa communion. Il se trouva qu’après tout ce qui avait été fait contre les deux clergés, ils subsistaient l’un et l’autre : c’est un très-grand fait historique, qu’il importait de mettre en lumière, et qui prouve une fois de plus qu’on n’agit sur la conscience que par la persuasion.



  1. 2 novembre 1789.
  2. 9 avril 1790.
  3. 20 décembre 1790.
  4. 13 juillet 1790.
  5. 9 juin 1791.
  6. 6 avril 1792.
  7. 28 avril 1792.
  8. 18 août 1792.
  9. 14 août 1792.
  10. 19 juillet 1792.
  11. 10 septembre 1792.
  12. 7 septembre 1792.
  13. 20 septembre 1792.
  14. 20 septembre 1792.
  15. 4 décembre 1792.
  16. 27 septembre 1792.
  17. 18 septembre 1793.
  18. 7 septembre 1792.
  19. 23 juillet 1793.
  20. 23 février 1793.
  21. 4 vendémiaire an II (25 septembre 1793).
  22. 10 septembre 1792.
  23. 13 brumaire an II.
  24. 25 décembre 1792.
  25. 3 brumaire an II, 4 frimaire an II.
  26. Thuriot. Si vous dites qu’un évêque qui s’opposera au mariage des prêtres sera destitué, vous le reconnaissez comme fonctionnaire public. Il faut lui faire porter la peine de son crime, mais sans le distinguer des autres citoyens ; qu’il reste évêque si l’on veut, mais qu’il aille aux galères.
     Lequinio. Comme la déportation emporte la destitution d’emploi et la privation de traitement, je demande que les évêques qui s’opposent au mariage des prêtres soient déportés et remplacés.
     Cette proposition est décrétée. (Séance du 19 juillet 1793.)
  27. Arrêté de la Commune de Paris, du 23 octobre 1793 : « Le conseil général, informé qu’au mépris de la loi, il existe encore dans plusieurs rues de Paris des monuments du fanatisme et de la royauté ; considérant que tout acte extérieur d’un culte quelconque est interdit par la loi ; considérant qu’il est de son devoir de faire disparaître les monuments qui alimenteraient les préjugés religieux… arrête que toutes les effigies religieuses qui existent dans les différents lieux de Paris seront enlevées ; que tous les marbres, bronzes, sur lesquels sont gravés les arrêts des parlements contre des victimes du fanatisme et de la férocité des prêtres, seront également anéantis… »
  28. Rapport de Laplanche, représentant en mission dans le Loiret et le Cher : « J’ai porté de grands coups au fanatisme ; j’ai supprimé toutes les cloches excepté une, à condition qu’elle ne sonnerait que dans les grands événements, et pour faire lever le peuple.» (Séance du 16 octobre 1793.)
  29. « Au nom du peuple français,
     « Le représentant du peuple près les départements du Centre et de l’Ouest ;
     « Considérant que le peuple français ne peut reconnaître d’autres signes privilégiés que ceux de la loi, de la justice et de la liberté, d’autre culte que celui de la morale universelle, d’autre dogme que celui de sa souveraineté et de sa toute-puissance ;
     « Considérant que si, au moment où la république vient de déclarer solennellement qu’elle accorde une protection égale à l’exercice des cultes de toutes les religions, il était permis à tous les sectaires d’établir sur les places publiques, sur les routes et dans les rues les enseignes de leurs sectes particulières, d’y célébrer leurs cérémonies religieuses, il s’ensuivrait de la confusion et du désordre dans la société ;
     « Arrête ce qui suit :
     « Art. 1er. Tous les cultes des diverses religions ne pourront être exercés que dans leurs temples respectifs.
     « Art. 2. La République ne reconnaissant point de culte dominant ou privilégié, toutes les enseignes qui se trouvent sur les routes, sur les places, et généralement dans tous les lieux publics, seront anéanties.
     « Art. 3. Il est défendu, sous peine de réclusion, à tous les ministres, à tous les prôlres, de paraître ailleurs que dans leurs temples avec leurs costumes religieux.
     « Art. 4. Dans chaque municipalité, tous les citoyens morts, de quelque secte qu’ils soient, seront conduits, vingt-quatre heures après le décès, et quarante-huit en cas de mort subite, au lieu destiné pour la sépulture commune, couverts d’un voile funèbre sur lequel sera peint le Sommeil, accompagnés d’un officier public, entourés de leurs amis revêtus de deuil et d’un détachement de leurs frères d’armes.
     « Art. 5. Le lieu commun où leurs cendres reposeront sera isolé de toute habitation, planté d’arbres, sous l’ombre desquels s’élèvera une statue représentant le Sommeil. Tous les autres signes seront détruits.
     « Art. 6. On lira sur la porte de ce champ, consacré par un respect religieux aux mânes des morts, cette inscription : La mort est un sommeil éternel. » (10 octobre 1793.)
  30. Discours de Léonard Bourdon, 16 brumaire an II (6 novembre 1793) : « Quant à la Convention, puisque sa volonté est d’assurer la liberté des cultes, puisqu’il faut encore pardonner cette faiblesse au reste de la génération… »
  31. Séance des Jacobins du 18 brumaire an II (8 novembre 1793).
  32. Même séance. Discours de Bernard. « Je rends justice aux vérités que vient de développer sur le compte des prêtres Léonard Bourdon. Je proteste que cette tache originelle, dont j’ai été souillé malgré moi, cesse de me déshonorer depuis quatre ans… »
  33. Gobel fut condamné et exécuté le 24 germinal an II.
  34. Commune de Paris, 22 brumaire an II (12 novembre 1793), Le Comité révolutionnaire de la section de la Réunion apporte au conseil général des croix, des soleils, des calices, des chapes, et quantité d’autres ornements de culte… Un membre du Comité rend hommage au patriotisme des citoyens ci-devant juifs qui demeurent dans l’arrondissement de cette section ; presque tous ont prévenu le vœu du Comité révolutionnaire en apportant eux-mêmes leurs reliquaires et leurs ornements, entre autres la rameuse chape qui, dit-on, a appartenu à Moïse. — Commune de Paris, 23 brumaire an II (13 novembre 1793). Des citoyens protestants déposent sur le bureau quatre coupes d’argent. « Le Président. Sous le règne de la philosophie, les préjugés disparaissent, la vérité luit, et, par un ascendant irrésistible, les hommes s’empressent d’abjurer leurs erreurs. Si une religion pouvait être conservée, ce serait celle qui approche le plus des principes de l’égalité… » Jullien de Toulouse avait dit aussi que le protestantisme était plus voisin que le catholicisme des principes de la Révolution. « On sait que les ministres du culte protestant n’étaient guère que des officiers de morale. » Gobel et lui plaidaient les circonstances atténuantes, Gobel pour lui-même, et Jullien pour son culte.
  35. Séance de la Convention du 24 brumaire an II (11 novembre 1793). Le premier vicaire épiscopal du département du Var écrit : « Je m’empresse de vous faire part de mon mariage avec la citoyenne Victoire. » — « C’est encore un ci-devant évêque constitutionnel, écrit Massieu, député de l’Oise, qui vient rendre à la saine raison un hommage public, en déclarant qu’il renonce à ses fonctions et à son traitement, et qu’il a fait choix d’une compagne riche en vertus. » — Le citoyen Arbant, ci-devant chanoine, fait hommage de ses lettres de prêtrise. — « Pour vivre libre et heureux, écrit le citoyen Bordin, il ne suffisait pas que le peuple n’eût plus de roi, il fallait aussi le délivrer de tout prêtre. » Il termine en déposant ses lettres de prêtrises, etc.
  36. Séance de la Convention du 20 brumaire an II (10 novembre 1793). « Sieyes. Citoyens, mes vœux appelaient depuis longtemps le triomphe de la raison sur la superstition et le fanatisme. Ce jour est arrivé ; je m’en réjouis comme d’un des plus grands bienfaits de la République française. Quoique j’aie déposé depuis un grand nombre d’années tout caractère ecclésiastique, qu’il me soit permis de profiter de la nouvelle occasion qui se présente pour déclarer encore, et cent fois, s’il le faut, que je ne connais d’autre culte que celui de la liberté, de l’égalité… J’ai vécu victime de la superstition, jamais je n’en ai été l’apôtre ou l’instrument. »
  37. Séance de la Convention du 23 brumaire an II (13 novembre 1793). Sur la proposition de Thuriol, la Convention décrète que les corps constitués sont autorisés à recevoir les déclarations des ecclésiastiques qui renonceront à leur état.
  38. « Il ne faut pas tant s’extasier sur la démarche d’hommes qui ne font que suivre le torrent. Nous ne voulons nous engouer pour personne. Si nous n’avons pas honoré le prêtre de l’erreur et du fanatisme, nous ne voulons pas plus honorer le prêtre de l’incrédulité. » (Discours de Danton, 6 frimaire.)
  39. Séance des Jacobins du 16 brumaire an II (6 novembre 1793).
  40. Séance de la Convention du 20 brumaire an II (10 novembre 1793). « Chaumette, à la barre. Le peuple vient de faire un sacrifice à la Raison dans la ci-devant église métropolitaine. Il vient en offrir un autre dans le sanctuaire de la Loi : je prie la Convention de l’admettre. »
     Un groupe de jeunes musiciens ouvre la marche. Les jeunes orphelins des défenseurs de la patrie viennent ensuite ; ils chantent un hymne patriotique qu’on répète en chœur.
     Des citoyens couverts d’un bonnet rouge s’avancent en répétant les cris : Vive la Montagne ! Vive la République ! Les membres de la Convention mêlent leurs cris à ceux des citoyens. La salle retentit d’applaudissements.
     Une musique guerrière frappe l’air des airs chéris de la Révolution. Elle précède un cortège de jeunes femmes vêtues de blanc, ceintes d’un ruban tricolore, la tête ornée de fleurs.
     Après elles, s’avance la déesse Raison. C’est une belle femme, portée par quatre hommes dans un fauteuil entouré de guirlandes de chêne ; le bonnet de la liberté est placé sur sa tête ; sur ses épaules flotte un manteau bleu ; elle s’appuie sur une pique….
     « Chaumette. Nous vous demandons que la ci-devant métropole de Paris soit consacrée à la Raison et à la liberté. Le fanatisme l’a abandonnée, les êtres raisonnables s’en sont emparés ; consacrez leur propriété.
     « Chabot. Je convertis en motion la demande des citoyens de Paris, que l’église métropolitaine soit désormais le temple de la Raison. »
     La proposition est adoptée.
     Romme demande que la déesse de la Raison se place à côté du président.
     Chaumette la conduit au bureau. Le président et les secrétaires lui donnent le baiser fraternel. La salle retentit d’applaudissements. »
     « Thuriot. Je demande que la Convention marche en corps, au milieu du peuple, au temple de la Raison, pour y chanter l’hymne à la liberté. »
     La proposition est accueillie par des acclamations.
     La Convention se mêle avec le peuple, et se met en marche au milieu des transports et des acclamations d’une joie universelle.
  41. Séance de la Convention du 18 floréal an II (7 mai 1794) : « Couthon. On demande l’impression du rapport de Robespierre (sur l’existence de l’Être suprême) et sa distribution à chaque député au nombre de six exemplaires. Je crois que cela ne suffit pas. La Providence a été offensée, et la Convention outragée par des hommes infâmes qui, pour porter le désespoir dans le cœur du juste, proclamaient le matérialisme et niaient l’existence de l’Être suprême. La justice humaine a déjà frappé ces hommes corrupteurs et corrompus ; mais la Convention doit plus faire, elle doit frapper leurs abominables principes. Elle a été outragée, calomniée partout ; il faut que le rapport soit envoyé aux armées, aux sociétés populaires, qu’il soit placardé dans toutes les rues, traduit dans toutes langues et répandu dans tout l’univers. »
  42. Séance de la Convention du 27 brumaire (17 novembre 1793) « Anarcharsis Clootz. Il est reconnu que les adversaires de la religion ont bien mérité du genre humain. C’est à ce titre que je demande, pour le premier ecclésiastique abjureur (le curé Meslier), une statue dans le temple de la Raison. »
     La Convention rend le décret suivant : « Anarcharsis Clootz, député â la Convention, ayant fait hommage d’un de ses ouvrages intitulé : La certitude des preuves du mahométisme, ouvrage qui constate la nullité de toutes les religions, l’Assemblée accepte cet hommage, en ordonne la mention honorable, etc., et renvoie à son Comité d’instruction publique la proposition faite par le même membre, d’élever une statue à Jean Meslier, le premier prêtre qui ait eu le courage et la bonne foi d’abjurer les erreurs religieuses. »
  43. Séance du conseil général de la Commune, 8 frimaire an II (28 nov. 1793.)
  44. « La Convention nationale, considérant ce qu’exigent d’elle les principes qu’elle a proclamés au nom du peuple français et le maintien de la tranquillité publique,
     « Défend toutes violences ou menaces contraires à la liberté des cultes. » (15 frim. an II, 5 déc. 1793.)
  45. Séance du 18 frimaire. Discours de Barrère : « Sur la proposition de Robespierre, vous avez pris des mesures de tranquillité publique relativement aux cultes… Plusieurs représentants du peuple dans les départements ont pris des arrêtés pour aider les citoyens à détruire la superstition ; nous pensons qu’il doit être ajouté au décret, que la Convention n’entend pas improuver les arrêtés pris par les représentants du peuple. »
     Cette addition au décret est adoptée.
  46. Séance du 18 floréal. (Présidence de Carnot.) Décret voté sur la proposition de Robespierre.
     Art. 1. Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalilé de l’âme.
     Art. 2. Il reconnaît que le culte digne de l’Être suprême est la pratique des devoirs de l’homme.
     Art. 3. Il met au rang de ces devoirs de délester la mauvaise foi et la tyrannie, de punir les tyrans et les traîtres, de secourir les malheureux, de respecter les faibles, de défendre les opprimés, de faire aux autres tout le bien qu’on peut, et de n’être injuste envers personne.
     Art. 4. Il sera institué des fêtes pour rappeler l’homme à la pensée de la Divinité et à la dignité de son être.
     Art. 5. Elles emprunteront leurs noms soit des événements glorieux de notre Révolution, soit des vertus les plus chères elles plus utiles à l’homme, soit des plus grands bienfaits de la nature.
     Art, 6. La République française célébrera tous les ans les fêtes du 14 juillet 1789, du 10 août 1792, du 21 janvier 1793, du 31 mai 1793.
     Art. 7. Elle célébrera les jours de décadi les fêtes dont l’énumération suit : — à l’Être suprême, à la nature ; — au genre humain ; — au peuple français ; — aux bienfaiteurs de l’humanité ; — aux martyrs de la liberté ; — à la liberté et à l’égalité ; — à la République ; — à la liberté du monde ; — à l’amour de la patrie ; — à la haine des tyrans et des traîtres ; — à la vérité ; — à la justice ; — à la pudeur ; — à la gloire et à l’immortalité ; — à l’amitié ; — à la frugalité ; — au courage ; — à la bonne foi ; — à l’héroïsme ; — au désintéressement ; — au stoïcisme ; — à l’amour ; — à l’amour conjugal ; — à l’amour paternel ; — à la tendresse maternelle ; — à la piété filiale ; — à l’enfance ; — à la jeunesse ; — à l’âge viril ; — à la vieillesse ; — au malheur ; — à l’agriculture ; — à l’industrie ; — à nos aïeux ; — à la postérité ; — au bonheur…
     Art. 11. La liberté des cultes est maintenue, conformément au décret du 18 frimaire.
     Art. 12. Tout rassemblement aristocratique et contraire à l’ordre public sera réprimé.
     Art. 13. En cas de troubles dont un culte quelconque serait l’occasion ou le motif, ceux qui les exciteraient par des prédications fanatiques ou par des insinuations contre-révolutionnaires, ceux qui les provoqueraient par des violences injustes et gratuites, seront également punis selon la rigueur des lois…
     Art. 15. 11 sera célébré le 2 prairial prochain une fête en l’honneur de l’Être suprême.
  47. 29 et 30 vendémiaire an II. Ces décrets condemnent tous les prêtres réfractaires à la déportation, tous les déportés qui rentrent à la mort. « Dans le cas où le prévenu communiquerait le procès-verbal de la prestation de serment, l’accusateur public sera autorisé à faire preuve, tant par pièces que par témoins, que l’accusé a rétracté son serment, ou qu’il a été condamné à la déportation pour cause d’incivisme. »
  48. Séance de la Commune de Paris, 22 brumaire an II (12 novembre 1793). La section de la Fraternité demande, comme mesure de sûreté ; qu’on mette en état d’arrestation tous les prêtres, afin de prévenir toute tentative des fanatiques et autres contre-révolutionnaires.
  49. Séance de la Commune du 26 novembre 1793. « Chaumette. Les prêtres sont capables de tous les crimes. Je requiers que le conseil déclare qu’il est à sa connaissance que le peuple de Paris est mûr pour la raison, et que, s’il existe dans Paris quelques mouvements en faveur du fanatisme, tous les prêtres soient incarcérés… »
     Le conseil arrête : « 1o que toutes les églises ou temples de toute religion et de tout culte, qui ont existé à Paris, seront sur-le-champ fermés ; 2o que tous les prêtres ou ministres de quelque culte que ce soit demeureront personnellement et individuellement responsables de tous les troubles dont la source viendrait d’opinions religieuses ; 3o que celui qui demandera l’ouverture soit d’un temple, soit d’une église, soit arrêté comme suspect ; 4o que les comités révolutionnaires seront invités à surveiller de bien près tous les prêtres ; 5o qu’il sera fait une pétition à la Convention pour l’inviter à porter un décret qui exclue les prêtres de toute espèce de fonctions publiques… »
  50. Séance de la Commune du 22 brumaire an II. Sur le réquisitoire du procureur de la Commune, le conseil arrête que l’on démolira tous les saints qui se trouvent au portail de la ci-devant métropole.
  51. Commune de Paris, 22 brumaire an II. Sur la proposition d’un membre, le conseil arrête que le département sera invité à faire abattre les clochers qui, par leur domination sur les autres édifices, semblent contrarier les principes de l’égalité.
  52. 3 ventôse an III (février 1796).
  53. 11 prairial an III.
  54. 3 brumaire an IV.
  55. 21 germinal an IV.
  56. 8 ventôse an V.
  57. 8 prairial an VI.