La Décadence latine/L’Androgyne/I/II

E. Dentu ; (Slatkine reprints 1979) (VIIIp. 5-9).

II

hymne à l'androgyne

I

Éphèbe aux petits os, au peu de chair, mélange de force qui viendra et de grâce qui fuit. Ô moment indécis du corps comme de l’âme, nuance délicate, intervalle imperçu de musique plastique, sexe suprême, mode troisième ! Los à toi !

Vierge au bras mince, au peu de gorge, illusion de force qui se joue, cachée dedans la grâce ; heure vague du corps et point confus de l’âme ; hésitante couleur, accord enharmonique, héros et nymphe, apogée de la forme, la seule conceptible au monde des esprits.

Los à toi !

II

Jeune homme aux longs cheveux et presque désirable, que le désir n’a pas encore touché ; imberbe inconscient des occasions prochaines, Peut-être de fierté, Peut-être de souillure ; escolier écoutant les voix de l’insomnie, mauvais garçon ou clerc, et futur chevalier de Malte ou des meschines ! Los à toi !

Jeune fille aux courts cheveux et presque jouvenceau, dont le cœur n’est pas orienté, bouton encor fermé des floraisons charnelles, Peut-être de péché, Peut-être de vertu, bachelette épelant la vie dans la chanson du vent, truande ou damoiselle et bientôt consacrée à Marie ou Vénus. Los à toi !

III

Puceau, prestige incomparable, seule grâce plénière, délicieux inédit, poëme réticant ; sur le vélin du cœur, pas un nom ne s’inscrit ; sur le vélin du corps, pas une trace rose ; chair qui n’a pas faibli, esprit encor planant, alabester d’où rien ne s’évagore. Los à toi !

Pucelle, diamant impérial parmi toutes les gemmes de la féminité, ornement qui défie en sa comparaison les célestes couronnes : tes membres précieux ignorent toute étreinte et tes nerfs n’ont subi, cordes sentimenlales, aucun doigt dissonant, viole où l’harmonie dort entière, clavecin de silence. Los à toi !

IV

Homme qui charmes et demain œuvreras, Seigfried qui s’ignore, Chérubin s’éveillant et page d’aujourd’hui, écuyer de demain, baschelier étonné et musant au bord de l’adolescence ; premier duvet aux lèvres et premier trouble au cœur ; joli balbutieur qui découvre un cou nu blanc comme un bras de femme ! Los à toi !

Femme qui penses et demain aimeras, c’est Desdémone qui s’ignore et Juliette avant le bal ; effort de réflexion aboutissant au rêve ; Pandore et curieuse qui demande à la lune d’éclairer le désir tapi à l’ombre de son cœur, Bradamante ingénue qui s’endort parmi ses tresses longues et semble Endymion au corps rermeil et fier ! Los à toi !

V

Sexe très pur et qui meurs aux caresses ;

Sexe très saint et seul au ciel monté ;

Sexe très beau et qui nies la parèdre ;

Sexe très noble et qui défies la chair ;

Sexe irréel que quelques-uns traversent comme autrefois Adamah en Éden ;

Sexe impossible à l’extase terrestre ! Los à toi qui n’existes pas !

Sexe très doux et dont la vue console l’esseulé ;

Sexe très calme et qui endors les nerfs en quête ;

Sexe très tendre et qui émanes du plaisir pur ;

Sexe très caressant et qui nous baises à l’âme ;

Sexe très enivrant et qui nous mènes en haut ;

Sexe très charitable qui nous donnes nos rêves ;

Sexe de Jeanne d’Arc et sexe du miracle ! Los à toi !

VI

Tu l’appelais jadis Adonis ou Tammuz. Avant Mozart tu fus Alcibiade : chrysalide idéale d’où jaillirent les anges et d’où les hommes tombent au viril inférieur, aux mâletés des larves. Ô forme si parfaite que Dieu l’a consacrée comme le vêtement de l’éternelle fête ! Los à Lot !

Tu t'appelais pour Platon, Diotime : Sapho, Hypathia, abbesse de Gandersheim, Hroisvitha, le désignaient, Polyonime, dont la gloire est formée par le prisme complet des nuances mortelles, éclairées de pérennité.

Ô grâce si sereine que Dante a pu, par trois élans, monter aux nues. Ô dame de beauté, de sagesse et de gloire, Walkyrie du Whalhala chrétien ! ô Béatrice ! Los à toi !

VII

Éros intangible, Éros uranien, pour les hommes grossiers des époques morales tu n’es plus qu’un péché infâme ; on l’appelle Sodome, célesle contempteur de toute voluplé. C’est le besoin des siècles hypocrites d’accuser la Beauté celle lumière vive, de la ténèbre aux cœurs vils contenue. Garde ton masque monstrueux qui te défend du profane ! Los à toi !

Anteros, ô guérisseur des banales tendresses, alchimiste puissant du désir imparfait, Athanor du grand œuvre dans le monde des âmes : c’est ton destin qui veut tes erreurs passagères, les fécondes erreurs d’où dégangué tu montes au devenir sublime parmi l’étonnement curieux des agnostes ! Los à toi.

VIII

Anges de Signorelli, S. Jean de Léonard, punisseur de l’Éden et coupable d’Ereck, messager du mystère et moyen du miracle, céleste ambassadeur, tu es le point suprême où notre œil de matière peut concevoir l’esprit : tu es la visibilité où la Norme céleste peut se manifester à la prière. Los à toi.

Vrais anges du vrai ciel, brûlants Séraphs et Kerubs abstracteurs, tenants des trônes de Iavhé. Seigneurie et essence Deiforme ! — Prince du Septenaire, qui tour à tour commandes et obéis. Ô sexe initial, sexe définitif, absolu de l’amour, absolu de la forme, sexe qui nies le sexe, sexe d’élernité ! Los à loi, Androgyne.