La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre LVI

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 229-231).

Chapitre cinquante-sixième.
Ci devise comment on doit chassier et prendre le renard.


Et quant le veneur voudra chassier le renart, il le doit querir en fort buyssons, et en fort pays d’ajoncs ou de bruyères, et près de vilaiges et hamiaulz, ou ès grans fousses qui sont environ les bonnes viles qui sont forts de hayes et de ronces ; quar ils y demuerent voulentiers pour le pourchas qu’ilz ont des gelines et des oves, ou des autres ordures qui sont ès viles. Aussi ès vignes, quant sont couvertes de feuilles et le reysin y est, y demuerent ils voulentiers ; et aussi ès garenes des conins et des lièvres demuerent ils voulentiers ; et brief renard demuere voulentiers en tout fort pays et couvert. Et s’il scet où les terriers ou tesnières des renards sont, il les doit fère estouper le jour devant qu’il les voudra chassier ; et vault mieulz les estouper de nuyt, mes qu’il fasse lune que ne fet de jour. La manière de l’estouper, si est que on preinhe des fouchières et menu boys, et les boute en dedens les fosses et puis de terre mettre dessus et bouter bien fort, affin qu’il n’y puisse entrer en nulle manière. Et si vous voulez qu’il n’approuche jà les pertuis, prenez deux bastons pelés et blancs et les mettez en croix sus chescun pertuis, et quant le renart vendra pour se entrer et il verra blanchoyer les bastons, il cuydera que ce soit aucun engin contre luy, si n’y approucheroit jamès. Toutevoyes pour ce que chiens ou lévriers les chassent aucunefois de si près que elle ne regarde mie à tout cela, loe je que les perluys soient estoupés ; et si le veneur ne scet où les pertuys sont, si les face querir deux ou trois jours devant quant il voudra aler chassier, et la nuyt devant ou le matin qu’il voudra chassier, si les face estouper comme j’ay dit. Et comme aucunefois on ne puisse pas trouver touz les terriers ni tesnières des renards, se renard se venoit enterrer en aucun lieu, le veneur la puet prendre, s’il vuelt, vive, ou sil vuelt morte ; quar s’il y ha autres pertuys fors que un, il puet metre au dessouz du vent bourses, s’il en ha, ou se non, si y mete un sac s’il vuelt ; el les autres pertuys estouper, fors que un qui soit au dessouz du vent, et par là bouter le feu, ou en drap ou en parchemin metre des poudres de l’orpiment et de souffre et de nitre, et serrer bien derrière le pertuys, que la fumée n’en puisse issir. Et ne demourra guères qu’elle se rendra bouter dedans le sac ou bourses, et einsi la prendra vive. Et s’il la vuelt prendre morte, si estoupe tous les pertuys et bouter le feu comme j’ay dit dedens. Si la trouvera le lendemain morte à la bouche de l’un pertuys.

Par tout Jenvier, Février et Mars fet meilleur chassier les renards que en autre temps, combien que tousjours les puet l’on chassier, pour ce que le bois est plus cler, quar la fueille en est cheue, et on le puet mieulz veoir, et veoir chassier ses chiens aussi ; et aussi truève l’en plus tost les terriers et tesnières que on ne feroit quant le bois est couvert ; et aussi les piaulz des renards valent mieulz lors que en autre temps ; et aussi les chiens si afaitent mieulz, quar ils le voyent plus souvent et le chassent de plus près. Et quant il hara estoupé toutes les tesnières, il doit metre ses lévriers au dessouz du vent, et des gens en defense environ du buisson, espicialement là où il y a fort pays et espès ; quar il fuyt voulentiers le couvert[1] ; puis doit lessier courre le tiers de ses chiens pour trouver le renart et les autres doit fère tenir par les voyes du buisson ; et quant il verra que les chiens chassent le renart, il les pourra releissier ; quar s’il leissoit aler tous ses chiens, ils pourroient accueillir autres bestes qui seroyent dedans le buysson, et les chiens seroyent las et foulés avant qu’ils trouvassent le renard des autres bestes qu’ils aroyent chassiées. Pour ce est bon que on ne leisse mie aler tous ses chiens ; quar assez est du tiers au commencement ; mès quant il sera trouvé et il sara bien que c’est renart, si releisse après tous ses chiens ; se arra très bonne chasse ; quar elle tournie longuement en son pays avant que elle isse hors. Et quant le renart est pris, il doit fère le droit aux chiens, tout en la manière que j’ay dit du lou. Et s’il vuelt fère cuyre le renard et donner le découpé avec du pain aux chiens sur le cuyr du renard, ce sera bien fet. Les autres engins, filès et autres à quoy on prent renard diray-je ça devant.

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  1. Il fuyt le couvert, c’est-à dire, il fuit par le couvert. Voyez les notes des pages 19, 37, 38.