La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre I

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 11-23).
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I. Du cerf et de toute sa nature

Chapitre premier.
Du cerf et de toute sa nature.


Le cerf est assez commune beste ; si ne convient jà dire de sa faisson ; quar pou des gens sont qui bien n’en ayent veu. Ils sont legières bestes et fortes et sachantes à grant merveille. Ilz vont en leur amour que on appelle le ruyt, vers la Sainte Crois de septembre ; et sont en leur grant chaleur un mois tout entier, et avant qu’ilz soyent du tout retrets, près de II moys. Et lors sont ilz fiers et courent sus à l’homme ainsi comme feroit un sanglier qui fust bien eschaufé. Et sont moult périlleuses bestes ; quar grant poine un homme garira s’il est fort blessié d’un cerf. Et pour ce dit on : Après le sanglier le mire, et après le cerf la bière[1]. Quar trop fort fiert[2], ainsi comme un coup de garrot[3] ; quar il a grant force en la teste et ou corps. Ilz tuent et blessent et se combatent l’un à l’autre quant ilz sont au ruyt, c’est en leur amour, et chantent en leur langaige, ainsi que fet un homme bien amoureus. Ils tuent chiens et chevaulx et hommes en celuy temps, et se font abayer comme un sanglier, espécialement s’ilz sont las ; encores au partir de son lit ai je veu qu’il blessoit le vallet qui faisait la suyte, occioit le limier et en oultre un coursier. Et encore quant ilz sont au ruyt, c’est en leur amour, en forest où il ait trop petit de biches et foison de cerfz, alors se tuent ilz et se blessent et se combatent ; quar chascun vuelt estre mestre des biches et voulentiers le plus grant cerf et voulentiers le plus fort tient le ruyt et en est mestre. Et quand il est bien povre et las, les autres cerfs à qui il a tolu le ruyt, li courent sus et le tuent ; et ceci est vérité. Et l’en le puet bien prouver aux parcs ; car il ne sera jà saison que touzjours le plus grant cerf ne soit tué par tous les autres, non pas tant comme est au ruyt ; mes quant il est retret et povre et maigre. Ès forestz ne le sont ilz pas si souvent ; quar ils vont au large, là ou il leur plest. Et aussi il y a ruyt en divers lieux de la forest et on paix ne peut estre en nul lieu, fors que dedans le part[4]. Après quant ilz sont retrets des biches ils se metent en harde et en compagnie avec le harpaill[5] et demeurent ès landes et bruyères plus que ne font aux boys pour avoir la chaleur du souleill. Ils sont povres et mègres pour le travail, qu’ilz ont heu avec les biches et pour l’yver et le pou viander qu’ilz trouvent. Après ilz laissent le harpaill et s’acompaignent deux, ou troys, ou quatre cerfs ensemble, jusque tant que vient au mars, qu’ilz giètent leurs testes communément, aucuns plus tost selon qu’ilz sont vieulx cerfs, et aucuns plus tard selon ce qu’ilz sont juenes cerfs ou ont heu mal yver, ou l’en les a chassiés ou sont malades ; quar lors muent ilz leurs testes et se réparent plus tart. Et quant ils ont geté leurs testes, ilz prennent leurs boissons au plus requoy[6] que ilz pevent pour refere leurs testes et leur gresse après bon pays de viander et de blez, de pommes, de vignes, de revenues, de boys, de poys, de fèves et d’autres fruys et herbes de quoy ilz vivent. Et aucune fois un grant cerf a bien un autre compaignon avecques luy que l’en apelle son escuyer ; quart il est à li et fet ce qu’il vuelt. Et illec demuerent, qui ne leur fera annuy[7], toute la sayson jusques à la fin d’aoust. Et lors commencent à muser, et à penser et à eschauffer et à errer et à remuer de là où ilz aront esté et demouré toute la sayson pour aler querir les biches.

Ilz refont leurs testes et sont sommées[8] de quant qu’ilz porteront tout l’an, dès mars qu’ilz giètent leurs testes jusques à la moitié du mois de juing ; et lors sont-ilz réparés de tout leur poil nouvel et leur teste est mole et couverte de pel et de poil au commencement ; et dessoubz celle pel elle se fortéfie et s’aguise. Et vont aux arbres froyer et oster celle pel, environ la Magdelaine, et dont demuere la teste dure et forte. Et les vont brunir et aguysier aux charbonnières que les gens font ès forestz. Aucune fois aux rascleis[9] où l’en fet le millet, aux graves[10] que l’en appelle en France croullières[11] ou betumières[12], aucune fois aux marlières[13] où la terre qui s’appelle marie ist[14]. Ilz ont la moitié de leur greffe ou environ, à la moitié du mois de juing, quant[15] leur teste est sommée, et leur plus grant greffe si est partout aoust.

Ilz naissent communément en may, et porte la biche[16] environ neuf mois comme une vache et aucune foys deux faons. Et je ne dis mi que ne naissent aucuns plus tost et aucuns trop plus tard, selon ce que les causes et les raysons y sont ; mes je parle communément et aussi fais je des autres choses. Ilz naissent eschaquetés[17] et durent en cel poill jusques à la fin d’aoust qu’ils tournent tous comme leur père et leur mère. Et dès lors vont ils jà si tost que un lévrier a assés à fère de l’ateindre, ainsi comme un trait d’arcbaleste.

Des cerfs juge l’en le poill en moult de manières ; espéciallement en trois que on dit l’un brun, l’autre fauve, et l’autre blont. Et aussi leurs testes sont de diverses fourmes. L’une est appelée teste bien née, bien chevillée, bien tronchée, ou bien paumée, et bien rengiée. Rengiée, si[18] est quant elle est bien ordonéement selon la hauteur et la taille qu’elle a, rengiée les cors à mesure l’un près de l’autre ; c’est donc bien rengiée. Bien née, si est quant elle est bien grosse et de merien et d’antoilliers. Et est bien rengiée et bien chevillée et bien haute et ouverte. Bien chevillée si est se elle est basse ou haulte ou grosse ou grelle et soit menuement chevillée et peuplée de cors et haut et bas. L’autre est dite teste contrefaite ou duise[19] : c’est quant elle est duise ou que les antoilliers vont arrière ou qu’il a doubles meules ou autre diversité que communément n’ont les autres testes de cerfz. L’autre haute teste et ouverte et mal chevillée et longues perches. L’autre basse, grosse et bien chevillée menuement. Et le premier cor qui est enprès les meules s’apelle antoillier et le segont sur-antoillier et les autres chevilleures ou cors. Et ceulx du bout de la teste s’apellent espois. Et quant il est de deux, il s’apelle fourchie. Et quant il est de trois ou de quatre, il s’apelle troucheure. Et quant il est de cinq ou de plus, il s’apelle paumeure. Et quant il est tout autour dessus chevillée comme une couronne, il s’apelle couronnée. Et quant leurs testes sont brunies ès charbonnières, voulentiers la teste demuere noire. Aussi fet-elle quant elles sont brunies ès croullières pour la terre qui est noyre comme boë[20] ; et quant elles sont brunies ès rascleis ou ès marlières, donc demuerent leurs testes blanches ; mes aucuns les ont blanches de leur nature et aussi noires de leur nature. Et quant ils se brunissent, ils fautrent[21] comme un cheval du pié et puis se voutrent comme un cheval et lors brunissent ils leurs antoilliers et surantoilliers, espois et brief toutes leurs perches et chevilleures. Et quant ils sont brunis, qui est partout le mois de juillet, ils demuerent jusques à la Sainte Croix de septembre, et lors vont au ruyt comme j’ay dit. Et au premier an qu’ilz naissent, portent les boces, et au segont an, ilz gectent leurs testes et froyent et dès lors peuvent engendrer.

C’est bonne chasse que du cerf ; quar c’est belle chose bien quester un cerf ; et belle chose le destourner et belle chose le laissier courre, et belle chose le chassier, et belle chose le rechassier, et belle chose les abays soyent en yaue ou en terre ; et belle chose la cuyrée, et belle chose bien l’escorchier, et bien le deffère et lever les drois, et belle chose et bonne la venoyson. Et il est belle beste et duise, tant que regardant toutes choses, je tiens que c’est la plus noble chasse que l’en puisse chassier.

Ilz giètent leurs fumées en diverses manières selon les temps et selon les vianders qu’ils font ; ore en torche ; ore en plateaux ; ore fourmées ; ore aguillonnées ; ore entées ; ore pressées ; ore déboutées et en d’autres diverses manières, lesquelles je diray plus à plain quant je parleray comment le veneur les doit juger ; quar aucunes fois se mesjugent bien par leurs fumées, si font ilz par le pié. Et quant ilz giètent leurs fumées en plateaux c’est en avril ou en may jusques à mi juing ou ils ont viandé blés tendres ou herbes tendres ; quar encore n’ont ilz leurs fumées fourmées ; aussi n’ont ilz refete leur gresse ; mes j’ay veu assez de fois grant cerf et vieill et gras, et en droit cuer de sayson geter ses fumées en torche. Et pource et pour autres choses, y peut on bien estre engignié[22].

Des cerfz, les uns sont plus tost alans et mieulx fuyans que les autres, ainsi que sont les autres bestes et plus sachans et malicieux les uns que les autres, ainsi comme les hommes que li uns est plus sage que l’autre. Et ce leur vient de leur mère et de bonne engendreure et de bonne norreture, et de bonne naissance en bonnes constellacions et signes du ciel ; et cela est en hommes et en toutes autres bestes.

On les prent à chiens, à lévriers, aux rois[23], aux las et autres hernois, aux fousses, à trère[24] et autres engins, et à force comme je diray ci en avant. Merveilleusement est sage un vieill cerf en garantir sa vie et en garder son avantaige ; quar quant on le chasse et il est laissié courre du limier, ou chiens le trouvent en traillant[25] sans limier, sil ha un cerf qui soit son compaignon, il le baillera aux chiens, affin qu’il se puisse garantir, et que les chiens aillent après l’autre, et il demourra tout coy. Et, s’il est tout seul, et les chiens l’acueillent, il tourniera en sa meute sagement et querant le change de cerfz ou des biches pour les ballier aux chiens et pour veoir sil pourroit demourer ; et s’il ne puet demourer il prent congié à sa meute et commence à fère sa fuyte là ou il scet qu’il a d’autres cerfs ou biches, et quant il est là venu, il demuere en mi[26] le change et aucune fois fuyt ensemble aveques eulx. Et puis une reuse et demuere, affin que les chiens acueillent les autres bestes fresches et nouvelles de change et il puisse demourer. Et sil y a chiens sages qui se sachent garder du change et il voit que tout cela ne li vaut dont, à prime, commence il à fère ses malices et fuyr[27] les voyes et refuyr sus soy. Et tout cela fet il affin que les chiens ne puissent deffère ses esteurses[28] et qu’il les puisse aloinher[29] et soy sauver. On appelle reuse quant un cerf fuyt et refuyt sur soy ; et esteurses aussi pource qu’il esteurt et garentist sa vie en fesant les subtillités. Il fuyt voulentiers aval le vent, et c’est à trois fins : quar quant il fuyt contre le vent, le vent li entre par la bouche et li sèche la gorge, et li fet grant mal ; et aussi fuyt il aval le vent, pource qu’il oye touzjours les chiens venir après luy, et aussi affin que les chiens ne puissent bien assentir de luy ; quar ilz auront la cueue au vent et non pas le nez. Et quant illes orra[30] que soient près qu’il se haste bien ; et quant il les ora loing qu’il ne se haste mie trop.

Et quant il est chaut et las il se vet[31] rendre et refreschir ès grosses rivières, et se fera porter aucune fois à l’iaue demie lieue ou plus sans venir à l’une rive ne à l’autre. Et ce fet il pour deux raysons : l’une pour soy refroydier et refreschir du grant chaut qu’il a, l’autre pource que les chiens et veneurs ne puissent aler après luy, ne assentir les chiens en l’iaue comme ilz ont fait par terre. Et si en tout le pays n’a grosses rivières, il va ès petites et batera ou amont ou aval selon que plus li plaira la rivière sans venir à une rive ne à l’autre demie lieue ou plus, et se gardera le plus qu’il pourra de toucher aux rains[32] ne branches ; mes toujours par le milieu, affin que les chiens n’en puissent assentir ; et tout ce fet il a les deux raysons susdites. Et quant il ne puet trouver rivières, il vet aux estancs et aux autres mares ou marrhès. Et s’il fuit de fort longe aux chiens, c’est à dire que il les ait bien esloinhés, il entrera dedans l’estanc et se bainhera un tour ou deux par tout l’estanc et puis s’en istra[33] arrière tout par là mesme où il est entré, et refuyra sus soy par la mesme où il est venu un tret d’arc ou plus, et puis se destourira[34] pour demourer et pour reposer ; et ce fet il pource qu’il scet bien que les chiens vendront chassant jusques à l’estanc par là où il est venu. Et quant ils ne trouveront qu’il aille plus avant, jamès n’iront chassant arrière par là où ils mêmes sont venus chassant, quar ils sentiront bien qu’ils y ont esté autrefois.

Un cerf vit plus longement que beste qui soit ; car il puet bien vivre cent ans ; et tant plus devient vieill et plus est biau et de corps et de teste, et plus luxurieux ; mais il n’est mie si viste, si legier, ne si puissant. Et dient aucunes gens, mais je ne l’afferme mie, que, quant il est très vieill, il bat du pied aucune serpent jusques tant qu’elle est courrouciée, et puis la menje et puis vet boire, et puis court sà et là ; et l’iaue et le venin se meslent et le fet geter toutes les males humeurs qu’il a au corps et li fet revenir char nouvelle.

La teste du cerf porte medecine contre adurcissement de nerfz et pour oster toute douleur, espéciallement quant elle est de froideur ; aussi font les meolles[35]. Ilz ont dedans le cuer un os qui porte medecine ; quar il conforte le cuer ; et trop d’autres choses a il en soy qui seroient longues pour escrire, qui portent medecine, et sont proufitables en diverses manières.

Cerf est plus sage en deux choses que n’est homme ne beste du monde : l’une si est en gouster ; quar il a meilleur goust et mieulx assavoure et sent les bonnes herbes et feuilles et autres pastures qui li sont proufitables que ne fet homme du monde ne beste qui soyt ; l’autre il a plus de sagesce et de malices en garantir sa vie que nulle autre beste ne homme ; quar il n’y a nul si bon veneur qui peust penser les malices et subtilitez que un cerf scet fere, ne n’est si bon veneur ne si bons chiens qui moult de fois ne faillent à prendre le cerf à force ; et ce est par son sens et par sa malice et par sa subtilité.

Quant aux biches, les unes sont brehainhes et les autres sont qui portent faons. De celles qui sont brehainhes commence leur sayson quant celle du cerf faut, et dure jusques en caresme. Biche qui porte faons, à matin quant ira à son embuschement, ne demourra jà avecques son faon ; mes le lera[36] bien loinh de luy et fiert[37] du pié et le fet couchier, et là le faon demourra touzjours jusques tant que elle se relève pour viander, et lors l’appellera en son lengaige et il vendra à elle. Et ce fet elle affin que se on la chassoit, que son faon se sauvast et qu’il ne fust pas trouvé près d’elle.

Les cerfz ont plus de povoir de fuyr dès l’entrée de may, jusques à la saint Jehan qu’ils n’ont en nul autre temps ; quar ilz ont renouvellé leur char, leur poill et leurs testes pour les nouvelles herbes et revenue de boys et de fruitz, et si ne sont pesans ; quar ilz n’ont pas encores refet leur gresse ne dedans ne dehors, ne leurs testes, et si en sont assés plus legiers et plus vistes ; mes de la saint Jehan deviennent ils pesans toujours plus jusque partout le mois d’aoust. Leur pel est moult bonne pour fère moult de choses quant elle est bien conrée[38] et prinse en bonne sayson. Les cerfz quant ilz sont près des haultes montainhes, descendent quand ce vient au temps du ruyt ès plaines, forestz, bruyères et landes ; et illec demuerent tout l’hiver, jusques à l’entrée d’avrill. Et lors prennent ilz leurs buyssons pour refère leurs testes près des viles ou vilaiges ou plain pays où il a biaus viandiers de gahaignaiges. Et quant les herbes sont haultes et parcreues[39], ilz se montent ès plus haultes montainhes qu’ils puissent trouver por les biaus viandiers et belles herbes qui sont lassus, et aussi pource qu’il n’i a mousches ne autres vermines ainsi qu’il a ou plain pays, tout einsi que fet le bestaill qui descent l’iver au plain pays et s’en monte sur les montainhes l’esté. Et en celluy temps, dès le ruyt jusques à la Penthecouste, trouverez vous de grans cerfz et vieulx ès plains pays ; mes dès la Penthecouste jusques au ruyt en trouverez vous pou de grans, fors que en montainhes s’ilz en sont près, à quatre lieues ou à vj ; et cecy est juste se ce ne sont jeunes cerfs qui soient nés en plain pays ; mes de ceulx qui sont des montainhes non.

  1. Le mire, le mière, le médecin.

    Aussitôt que le cerf a touché de sa teste
    Homme, cheval ou chien, ou bien quelque autre beste,
    À tard vient le barbier, à tard le médecin ;
    Car le cuider guérir, c’est travailler en vain.

    (Claude Gauchet, Plaisirs des champs.)

    M. Léon Bertrand a reproduit très heureusement la même idée dans sa fanfare la La Rochejaquelein :

    « Car, comme a dit un vieux proverbe,
    » S’il touche homme, cheval ou chien,
    » Pour les guérir il n’est pas d’herbe ;
    » À tard viendra le médecin. »

  2. Fiert, il frappe, du verbe férir.
  3. Garrot, bâton ; peut-être faut-il entendre le carreau lancé par l’arbalète, car la tête du cerf est beaucoup plus redoutable qu’un bâton. Elle perce et déchire, tandis que le bâton ne fait que briser :

    Los garrotes bolteando despedidos
    Perniquebraron cabras y corderos
    Y alguna vez los corzos mas ligeros.

    (Diana por Moratin, cn 1o sa. XVII.)

    « Et le garrot, lancé en tournant, brisa la cuisse de la chèvre, du chevreau et quelquefois du chevreuil à la course légère. »

  4. Fors que dedans le part, c’est à dire qu’il n’y a de paix que lorsque les biches sont pleines. Dans l’édition de Vérard, on lit fors que dedans le parc, ce qui me paraît un contresens.
  5. Harpaill ou harde, troupe de bêtes sauvages. (Du Fouilloux.)
  6. Requoy, tranquille, retiré.
  7. Qui ne leur fera annuy. Pourvu qu’on ne leur cause pas d’ennui.
  8. Sommées. Semées. « Et dès la moitié de juin leurs têtes seront semées de ce qu’elles doivent porter toute l’année, pourveu qu’ils soient en bon pays de gaignage, n’ayans pas d’ennuy. »
    (Du Fouilloux, ch. XVIII.)

    Du Fouilloux se sert aussi du mot sommé :

    J’ai aperçu le cerf au viandy,
    Ayant la tête haute, ouverte et paumée,
    Et en tous pairs me semble bien sommée.

    (Du Fouilloux, ch. XXXVI.)
  9. Rascleis. Je pense que Gaston veut parler d’une terre légère, labourée pour le jardinage et unie au rateau et au racloir.

    « Mil et Panic demandent être semez en terres légères et menues, et viennent non seulement en terre sablonneuse, mais aussi en arène quand le pays est moitte et humide. »

    (Maison rustique de Charles Étienne, L. V, ch. 21.)
  10. Grave, mot en usage dans le vieux patois béarnais, dont le sens se trouve déterminé par celui des mots crouillères, betumières. C’est un terrain mobile et détrempé : un bourbier. Suivant le dictionnaire inédit de M. de Sainte-Palaye, ce mot signifiait abîme, marécage. Il se prenait aussi au figuré. Il exprimait alors l’idée de danger et d’embarras.
  11. Croullières, croliz, crolaie, crouillière, croulière, endroit où la terre n’est pas ferme sous les pieds ; terre où l’on enfonce.

    M. de Sainte-Palaye cite cet exemple :

    « Estonne ne regarda l’heure que son cheval entra en une crollière jusques au ventre. »

  12. Betumières, lieu couvert de boue et d’immondices.

    Issons, issons du betumier,
    Laissons la boë et le fumier.

    (Manuscrit cité par Ducange, vo Betunium.)

    Ne pourrait-on pas croire que ce mot signifiait aussi une tourbière ? Le sens semble l’indiquer.

  13. Marlières, marle. Marnière, marne.
  14. Ist. Sort, du verbe issir, sortir, exire.
  15. Quant. Combien.
  16. On lit dans l’édition de Vérard : « Et porte la biche environ neuf mois comme la vache, et aucunes fois deux saisons ! »
  17. Eschaquetés. Échiquelés. Aujourd’hui, on dit que le faon naît avec la livrée. Ainsi nous lisons dans la Chasse normande de Le Verrier de la Contrie, ch. 11 : « Le cerf est neuf mois dans le ventre de sa mère ; il en sort le plus souvent en mai, revêtu d’une peau régulièrement tigrée qu’il conserve cinq à six mois et que nous appelons livrée. »
  18. Si, ce.
  19. Duise, plaisante. Nous disons aujourd’hui une tête bizarre. Dans le magnifique manuscrit de la bibliothèque particulière du roi on lit : Contrefaite ou diverse.
  20. Boë, boue.

    Elle a une roë qui tourne ;
    Celluy quelle veult elle met
    Du plus bas amont au sommet
    Et celluy qui est sur la roë
    Renverse à ung tour en la boë.

    (Roman de la Rose, vers 4082.)
  21. Fautrent, chasser, repousser.

    Car en leurs cours ne peut entrer
    Uns povres clers ; mais est fautrés
    Quand du portier est encontrés.

    (Manuscrit cité par Ducange, vo Fautrum.)
  22. Engignié, trompé ; c’est le mot espagnol Engañar.

    Nul ne la pourroit engignier ;
    Ne pour parler, ne pour guignier,
    Il n’est barat qu’elle ne congnoisse.

    (Roman de la Rose, vers 4017.)
  23. Aux rois, aux las, aux rets, aux lacs.

    La Fontaine écrivait encore las et appas au lieu de lacs et appats. On lit dans les deux Pigeons :

    … Ce blé couvrait d’un las
    Les menteurs et traîtres appas.

  24. À trère, à tir.
  25. En traillant, en traullant. Trauller, battre avec les chiens pour lancer un animal quand on n’en a pas détourné.
    Goury de Champgrand.

    C’est ce que nous appelons maintenant chasser à la billebaude. Trailter ou trauller vient probablement du mot espagnol trailla, qui signifie la piste du gibier, et aussi le trait que l’on attache à la botte du limier.

  26. En mi, au milieu, parmi, du latin in medio.
  27. Fuyr les voyes, ne signifie pas que le cerf évite les voies, mais, au contraire, qu’il fuit en suivant les grands chemins. Pour un veneur, le sens ne saurait être douteux. Du Fouilloux explique de la même manière que Phœbus ce qui se passe quand le cerf est accompagné.

    « … Il va de fort en fort chercher les bestes, et les met debout s’accompagnant avec elles, et les emmeine et fait fuyr avec lui sans les vouloir laisser, aucunes fois l’espace d’une heure ou plus : puis s’il se voit suivy et malmené, il les abandonnera et fera sa ruze volontiere en quelque grand chemin ou ruysseau, lesquels il suyvra longuement tant qu’il aura la force. » (Du Fouilloux, édition de 1585, page 42, verso.)

    Le Verrier de la Conterie, dans son École de la Chasse, chap. XIII, et dans sa Vénerie normande, chap. XVII, s’exprime presque dans les mêmes termes que Du Fouilloux.

    Au reste, ce n’était pas seulement après le verbe fuyr que l’usage permettait autrefois cet hellénisme, qui consiste à sous-entendre la préposition nécessaire pour unir le verbe neutre à son régime. On trouve cet exemple dans le Dictionnaire de Trévoux : « On dit que le cerf va la voie quand il suit les grands chemins. Évidemment va la voie, est mis au lieu de va par la voie. Encore de nos jours on dit : Courir la campagne, au lieu de : Courir par la campagne. »

    Cette locution, fuyr la voye, se rencontre très fréquemment dans Gaston Phœbus et dans le roi Modus. Nous la retrouverons dans les chapitres consacrés au daim, au chevreuil et au lièvre ; et le passage qui se rapporte au lièvre est tellement clair, qu’il ne peut laisser aucun doute sur la manière dont il faut entendre cette manière de parler.

  28. Esteurses, détours ; il esteurt, il fait des détours.
  29. Aloinher, prononcez aloignier. Cette orthographe était autrefois en usage dans une partie du midi de la France et principalement en Bourgogne. Au commencement du douzième siècle, un prince bourguignon, le comte Henry, arrière-petit-fils du roi de France, Robert l’excommunié, ayant épousé la fille illégitime d’Alphonse VI, roi de Castille et de Léon, reçut en dot le Portugal dont il fut le premier souverain. Les chevaliers bourguignons, qui l’avaient accompagné, introduisirent probablement en Portugal l’orthographe dont ils avaient l’habitude. Elle y est encore usitée. Elle s’est également conservée dans le patois du Béarn. Dans ces deux idiomes, pour rendre le son de la syllable gni, on écrit nh : Senhor, prononcez segnior. Dans Gaston on trouve souvent montanhe pour montagne ; bainher pour baigner, etc.
  30. Orra, entendra.
  31. Vet, va.
  32. Rains, rameaux.

    Rose sur rain, ne noif (neige) sur branche,
    N’est si vermeille, ne si blanche.

    (Roman de la Rose, vers 17100.)
  33. Istra, sortira, du verbe issir.
  34. Destourira, détournera.
  35. Meolles, moelles.

    Du Fouilloux dit, ch. XV :

    « La moelle et le suif du cerf sont fort bons contre les gouttes venues de froides causes. »

  36. Lera, laissera.
  37. Fiert, frappe, de férir.
  38. Bien conrée et prinse en bonne sayson, bien corroyée et prise en bonne saison.
  39. Parcreues, lorsqu’elles ont entièrement cru. Dans l’édition de Vérard on lit parcienes, ce qui ne présente aucun sens.