La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Laisse 179

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CLXXIX

Il nen i ad chevaler ne barun Il n’y a pas un seul chevalier, pas un seul baron,
Que de pitet mult durement ne plurt : Qui de pitié ne pleure à chaudes larmes.
2420 Plurent lur filz, lur freres, lur nevulz Ils pleurent leurs fils, leurs frères, leurs neveux,
E lur amis e lur liges seignurs. Leurs amis et leurs seigneurs liges.
Encuntre tere se pasment li plusur. Un grand nombre tombent à terre pâmés.
Naimes li dux d’iço ad fait que proz, Mais le duc Naimes s’est conduit en preux,
Tut premereins l’ad dit l’Empereür : Et, le premier, a dit à l’Empereur :
2425 « Veez avant de dous liwes de nus : « Voyez-vous là-bas, à deux lieues de nous,
« Veeir puez les granz chemins puldrus, « Voyez-vous la poussière qui s’élève des grands chemins ?
« Qu’ asez i ad de la gent païenur. « C’est la foule immense de l’armée païenne.
« Kar chevalchez : vengez ceste dulur. « Chevauchez, Sire, et vengez votre douleur.
« — E Deus ! dist Carles, ja sunt il là si luinz ! « — Grand Dieu ! s’écrie Charles, ils sont déjà si loin !
2430 « Cunsentez mei e dreiture e honur :
« Le droit et l’honneur, voilà, Seigneur, ce que je vous demande ;
« De France dulce m’unt tolue la flur. » « Ils m’ont enlevé la fleur de douce France. »
Li Reis cumandet Gebuin e Otun, Alors le Roi donne des ordres à Gebuin et à Othon,
Tedbald de Reins e le cunte Milun : À Thibault de Reims et au comte Milon :
« Guardez le camp e les vals e les munz,
« Vous allez, dit-il, garder ce champ, ces vallées et ces montagnes.
2435 « Laissez gesir les morz tut issi cum il sunt, « Vous y laisserez les morts étendus comme ils sont ;
« Que n’i adeist ne beste ne leun,
« Mais veillez à ce que les lions et les bêtes sauvages n’y touchent pas,
« Ne n’i adeist esquiers ne garçun ; « Non plus que les garçons et les écuyers.
« Jo vus defend que n’i adeist nuls hum,
« Je vous défends de laisser qui que ce soit y porter la main,
« Jusque Deus voeille que en cest camp revengum. »
« Jusqu’à ce que nous soyons ici de retour, par la grâce de Dieu. »
2440 Et cil respundent dulcement par amur : Et les quatre barons lui répondent doucement, par amour :
« Dreit emperere, cher sire, si ferum. » « Ainsi ferons-nous, cher sire, droit empereur. »
Mil chevalers i retienent des lur. Aoi. Ils retiennent avec eux mille de leurs chevaliers.


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Vers 2420.Nevolz. Pour l’assonance, nevulz, qui d’ailleurs se trouve au vers 216.

Vers 2421.Lige. O. Le rég. pl. veut liges.

Vers 2424.Tuz. O. C’est un adverbe, et non un adjectif : donc il faut tut.

Vers 2426.Veer. O. V. la vraie forme veeir aux vers 1104, 1720. ═ Veoir poez ou chemin grant pudror. (Lyon.)

Vers 2428.Car. O. V. la note du vers 275. ═ Dulor. O. V. la note du vers 489.

Vers 2430.Cunselez. O. Correction de Mu., d’après Venise IV. ═ Dans le mot dreiture, les trois dernières lettres paraissent avoir été effacées dans le manuscrit.

Vers 2434.Champ. O. V. la note du vers 555.

Vers 2435.Cun. O. Partout ailleurs on trouve la forme exacte cum.

Vers 2436.Lion. O. la forme étymologique leun se rencontre plus souvent dans notre texte. (Vers 128, 1888, 2886.)

Vers 2437.Esquier. O. Pour le cas sujet, il faut un s final.

Vers 2439.Josque. O. La forme jusque, plus étymologique, se trouve aux vers 972, 3927. ═ Qu’en. Mu.

Vers 2440.Voeile. O. Lire voeillet, qui se trouve aux vers 1244, 1873, 2043, 3834.

Vers 2442.Chevaler. O. Le régime pluriel exige un s. Lire chevaliers.

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