CHAPITRE XV


Une chasse à courre



On était en automne, en la saison où la nature, comme une femme dans sa maturité, a revêtu tous ses charmes, avant de les dépouiller tous. Les jours étaient encore beaux, les oiseaux chantaient encore, sous la feuillée, rouge des caresses ardentes du soleil de tout un été.

Les reporters à qui leurs ressources pécuniaires n’avaient pas permis de passer la belle saison sur une plage à la mode et que la chaleur de l’asphalte avait empêchés de songer à la poésie de l’été, pouvaient respirer librement et profiter de ce dernier renouveau de la nature pour s’imaginer qu’ils avaient un peu joui de l’été et pour oublier les accablantes journées passées dans la rédaction par des chaleurs de 90 degrés.

C’était aussi l’époque où les messieurs qui n’ont jamais fait de « reportage » et qui pourtant ont assez d’argent pour posséder des chevaux et des meutes font la chasse à courre.

Justement, on donnait une chasse à Saint-Lambert, — où il y a maintenant plus de lots à bâtir que de renards, — et Lebrun, qui trouvait que la page de sport devenait quelque peu languissante, s’était imaginé que ce serait joli d’envoyer un reporter suivre cette chasse et d’en faire un compte rendu sportif pour le lendemain.

Mais qui envoyer ? c’était la question. Il y avait bien Targut, qui se vantait de s’y connaître dans les choses de l’hippisme, mais quand Lebrun lui parla de suivre cette chasse, il prétexta, pour s’en dispenser, un voyage urgent à Chicago !

Que faire ?… Lebrun songea à Martin.

« Que diriez-vous de suivre une chasse à courre à Saint-Lambert, » lui demanda-t-il ? « Elle aura lieu samedi matin, de sorte que vous aurez toute l’après-midi pour vous reposer et toute la journée du dimanche pour faire votre compte rendu.

— Mais comment suit-on ça, demanda Martin ?

— Tiens ! à cheval.

Martin hésita un peu, ne sachant s’il avait les qualités d’équilibre nécessaires pour une aventure pareille. Il se rappela tout à coup qu’il avait fait de l’équitation, à l’âge de douze ans, — c’est-à-dire quinze ans auparavant, — quand il demeurait à la campagne. Il se sentit curieux de tenter l’expérience et il accepta, sans songer qu’une course à travers champs et par-dessus les clôtures est autre chose qu’une promenade sur un cheval de trait dans un chemin de campagne bien battu.

Un loueur de chevaux faisait partie du club de chasse à courre et il s’engagea à fournir un cheval de chasse à Martin, pour le compte du journal, moyennant trois dollars pour la matinée. Il fut convenu que Martin se rendrait chez lui, le matin de la chasse, avec le photographe du journal. Tous les deux seraient conduits en voiture à Saint-Lambert, et ce n’est qu’à cet endroit que Martin monterait à cheval.

C’était un arrangement très judicieux, car si Martin avait monté chez le loueur, il eut pu être tenté de ne pas aller plus loin. Mais en le faisant monter à Saint-Lambert, Lebrun croyait être plus sûr de son affaire.

Le voyage se fit sans incident. Toutefois, le photographe eut une peur bleue, à un tournant, quand le cheval qui trainait la voiture prit le galop pour suivre les chasseurs, qui précédaient, à cheval.

Tous ces messieurs furent d’une amabilité extrême pour Martin et son compagnon, le photographe. Outre qu’ils étaient de parfaits « gentlemen », ils n’étaient pas fâchés de voir faire un peu de réclame à leur sport favori.

Les chiens faisaient un vacarme d’enfer dans leur chenil. Ils avaient senti et entendu les chasseurs et leurs montures ; leur instinct leur disait qu’ils allaient entrer en chasse et ils étaient fous de joie.

Le piqueur ouvrit la porte du chenil et ils se précipitèrent dehors, bondissant, se mordant les uns les autres et aboyant à tue-tête. « La paix ! la paix ! » cria le piqueur, en faisant claquer son fouet. Les chiens se turent et se mirent à tourner, ne faisant plus entendre que quelques petits jappements nerveux.

Martin était fort intéressé. Pour l’intéresser davantage on lui apporta des guêtres de cuir montant jusqu’aux genoux.

Le moment psychologique approchait donc.

Il chaussa les guêtres puis marcha vers un beau grand cheval gris, qu’un chasseur avait conduit par la bride jusqu’à Saint-Lambert et qui était celui qu’on lui destinait.

« Allons, houp ! à cheval le reporter ! » lui dit-on, en riant.

Il mit le pied à l’étrier, s’enleva et, d’un bond, se trouva en selle.

Les étriers étaient trop longs. Martin descendit, satisfait de son coup d’essai, et les raccourcit, puis, il attendit qu’on se mît en chasse pour enfourcher de nouveau sa monture.

Pendant ce temps, le photographe prenait la meute et les chasseurs.

Le signal du départ fut enfin donné et Martin sauta en selle. Il constata, au premier pas que fit son cheval, qu’il ne pouvait garder l’équilibre. C’était pourtant le temps ou jamais de le garder.

Il se dit qu’en faisant une petite distance au pas il réussirait peut-être à tenir son siège.

Ce moyen lui réussit. Au bout d’un demi-arpent, il avait repris son aplomb.

Il se lança alors à la poursuite des chasseurs, qui n’allaient heureusement pas vite et qui marchaient dans une belle prairie encore humide de la rosée du matin.

La matinée était superbe et Martin se sentit heureux d’être de la chasse. Il chemina tranquillement derrière les chasseurs, qu’il avait d’abord dépassés, contrairement à l’étiquette de la chasse à courre.

Une première clôture se présenta ; elle était à moitié écroulée et Martin la sauta facilement, à la suite des autres.

Puis on entra sous bois.

Une seconde clôture, haute de quatre pieds, vint gâter la tranquillité d’âme de Martin.

Il attendit que les autres eussent sauté, puis il lança son cheval. La bonne bête sauta à ravir et Martin lui retomba sur le cou, tout étonné de ne pas se retrouver à terre.

Il sentit alors une sécurité trompeuse et continua, sans plus s’occuper des obstacles.

Les chiens commencèrent à donner de la voix et la chasse fut menée à une plus vive allure. Martin traversait un champ, lorsque tout à coup son cheval buta et tomba à genoux. Il avait mis les deux pattes de devant dans un fossé caché par l’herbe.

Le cavalier-reporter fut pris au dépourvu et la secousse soudaine le lança à quatre pattes sur l’herbe.

Cette chute lui prouva qu’on peut fort bien vider les étriers sans se blesser et lui enleva sa timidité. Il rejoignit les chasseurs, au moment où le renard venait d’être forcé et où le maître d’équipage ornait la bride de son cheval de la broche.

Martin rentra en ville à cheval, en conquérant.

C’était un assez bon garçon, mais il est permis d’avoir un peu d’amour propre. Il eut aimé pousser une pointe jusqu’au journal, pour se montrer aux camarades dans son rôle de reporter équestre.

Il suivit le conseil de son city editor et il se reposa consciencieusement, l’après-midi.

Le lendemain, il écrivit un compte rendu de la chasse aussi fidèle que s’il l’eût suivie continuellement et que son cheval n’eût pas infligé d’affront à sa vanité de cavalier.

Le lundi, il arrivait, tout rayonnant, et remettait son compte rendu à Lebrun. Celui-ci l’examina et le regarda marcher droit comme un homme qui n’éprouve de douleur nulle part.

Il eut un hochement de tête étonné. « La prochaine fois », dit-il à Martin, avec un grand sérieux, « je vous enverrai en ballon. »