L’Orbe pâle/Ce matin, sur ma terrasse, parce que la lune

Eugène Figuière et Cie (p. 119-120).


CE matin, sur ma terrasse, parce que la lune, la lune patiente et froide n’était plus, je respirais dans le soleil, sans penser. J’étais penchée sur mon jardin, et toute ma mélancolie nocturne s’en allait avec mon chant vague, fait de toutes les musiques les plus diverses, mais toutes lentes. Et je ne savais lesquelles.

Ma mélancolie s’envolait avec la mélodie, la mélodie qui sort de mes lèvres quand mon âme mélancolique emprisonne ma pensée et ma conscience. Je chantais, je ne sais quel air, lent et monotone et mélodique. Je ne pensais pas et je ne regardais rien.

Tout à coup, une ligne de lumière verte et vive à mes yeux s’imposa. Puis, cette lumière s’immobilisa.

Je la fixai.

Un splendide lézard vert, grand comme le sont seulement les lézards des pays du soleil, et tel je n’en avais pas encore vu, était sous ma terrasse.

Attiré par mon chant vague et monotone et mélancolique, il était venu, et maintenant il me regardait et immobile, il écoutait. La surprise ayant distrait mon inattention mélancolique que traduisait mon chant vague et monotone, je cessai de chanter.

Le lézard, le beau et grand lézard vert fit un mouvement pour s’éloigner.

Je repris mon chant et il redevint immobile. Longtemps je chantais l’air vague et monotone, tandis que le lézard au dos d’émeraude qui brillait au soleil et captivait mon regard, écoutait ma mélancolie.

Mais l’adolescent alerte, lorsqu’il sut notre entente, me dit :

« Je vais prendre le beau lézard. Vous le garderez, vous l’apprivoiserez et quand vous partirez vous l’emporterez. »

Et l’adolescent disparut en criant joyeusement :

« Mais, chantez, chantez. »

Le beau lézard au dos d’émeraude, dont on voulait faire un captif, parmi les tapis et les soies, loin du soleil et des herbes chaudes et de la musique de la mer, écoutait, écoutait… l’enchanteresse.

Alors, je me tus.