L’Orbe pâle/Au matin, au matin où la lune naît maintenant

Eugène Figuière et Cie (p. 121-122).


AU matin, au matin où la lune naît maintenant, et dans la lumière de laquelle elle se noie, j’ai fait un grand rêve de combat et d’audace.

J’étais en mer avec trois hommes et Celui que j’aime, et seule j’ai sauvé Celui que j’aime et j’ai captivé un monstre de la mer. Mes muscles et ma ruse ont accompli cet exploit. J’avais mes muscles d’homme et ma ruse de femme, et j’ai sauvé Celui que j’aime et trois hommes. Le monstre, c’est moi qui l’ai arrêté dans son élan meurtrier, le monstre, c’est moi qui l’ai enchaîné avec la chaîne de l’ancre du bateau. De l’ancre j’ai fait l’hameçon monstrueux qui convenait au monstre. L’ancre qui pénètre les profondeurs de la mer et immobilise le bateau, ce matin a été traînée par son bateau qu’ailaient les muscles des trois hommes et de Celui que j’aime, gonflés par le triomphe de vivre encore et par mes muscles et mon audace, vibrant d’orgueil devant la vie que j’avais gardée à ces trois hommes et à Celui que j’aime, à ces quatre mâles.

Le monstre, c’est moi, qui avec toutes les armes, l’ai achevé. Mon bel instinct de carnage, pour le triomphe, nimbait d’une fantastique auréole le danger. Devant moi, tout était rouge et mon sang se précipitait vers cette ardeur. Le monstre, je l’ai tué.

Puis je ne l’ai plus regardé et je n’ai plus entendu les trois hommes. Indifférente et calme je me suis éloignée avec Celui que j’aime… lui racontant seulement mon attente. L’attente de mes veilles, car en rêve seulement, je vis.